La théorie de la « preuve formelle » a été l’apanage de l’unification monarchiste à l’encontre de la dispersion féodale. La bourgeoisie l’a remplacée par une approche conforme à sa propre vision du monde. Voici comment la remise en cause s’est présentée historiquement, décrit ici par Andreï Vychinski, dans La théorie de la preuve judiciaire en droit soviétique, en 1941.
« Vers la première moitié du 19e siècle, la théorie de la preuve formelle a finalement été discréditée et rejetée à la fois par la science du droit et par la jurisprudence.
La principale raison de cela tenait à la contradiction totale entre la théorie de la preuve formelle et les nouveaux besoins du système capitaliste, les nouvelles idées, les nouveaux points de vue et les nouvelles institutions politiques de l’ère de l’établissement du capitalisme.
Les changements dans les conditions matérielles de la société, les nouveaux rapports de production qui se sont développés sur la base de la propriété capitaliste des moyens de production ont fondamentalement changé toute la structure de la vie, y compris la structure de la vie spirituelle de la société.
Le marxisme-léninisme enseigne que « il faut chercher la source de la vie spirituelle de la société, l’origine des idées sociales, des théories sociales, des opinions politiques, des institutions politiques, non pas dans les idées, théories, opinions et institutions politiques elles-mêmes, mais dans les conditions de la vie matérielle de la société, dans l’être social dont ces idées, théories, opinions, etc., sont le reflet » (Staline, Le matérialisme dialectique et historique) (…).
L’affirmation du système capitaliste et la victoire de la bourgeoisie dans les années 40 du 19e siècle, qui ont provoqué une révolution dans tous les domaines de la science de l’époque, ont également influencé l’idéologie juridique, en particulier le droit de la preuve judiciaire.
Le développement de l’économie capitaliste et des rapports sociaux, qui ont conduit au développement, dès le début et surtout dans la seconde moitié du XIXe siècle, des sciences historiques, des sciences sociales et philosophiques, avaient enlevé le sol aux alchimistes en quête de la « pierre philosophale », aux charlatans et aux guérisseurs.
L’état de la pensée juridique et, en particulier, du droit pénal et du droit de la procédure pénale, a jeté à bas le processus de recherche inquisitoriale et sa théorie de la preuve formelle, et ouvert un nouveau chapitre du développement de la société bourgeoise (…).
Tous ces discours [de Christian Thomasius, Montesquieu, Voltaire, Jacques Pierre Brissot, Gaetano Filangieri] ont préparé l’effondrement final de cette « théorie » [de la preuve formelle], en montrant toutes ses incohérences internes et absurdités au moyen les exigences de la « raison » et de la « conscience » humaines, c’est-à-dire les exigences de la société capitaliste.
Ces discours en matière de droit pénal et de procédure pénale ont joué le même rôle que les idées des grands éducateurs du XVIIIe siècle, qui ont préparé les esprits et les vues des peuples aux victoires de la Révolution française de 1789.
Sous l’influence de l’évolution des conditions matérielles de la vie de la société d’alors, la théorie de la preuve formelle est tombée. Le coup de grâce à cette théorie a été porté par la Révolution française de 1789, qui a remplacé le système de preuve juridique par un système de preuve jugé par la conviction profonde du juge.
Le processus pénal, fondé sur la théorie de la preuve formelle, ne répondait pas aux exigences de la bourgeoisie qui, dans sa lutte contre le féodalisme et l’État policier, s’appuyait sur les nouveaux principes de la démocratie, proclamant l’égalité de tous devant la loi, défendant « les droits de l’homme et du citoyen », construisant ses institutions étatiques sur la base de l’humanisme bourgeois (…).
Les intérêts de classe de la bourgeoisie capitaliste, les intérêts du basculement économique réclamaient un tribunal plus qualifié que le tribunal d’instruction et des règles plus rationnelles de son activité, du point de vue de la bourgeoisie, que la théorie de la preuve formelle, liée de manière organique à des méthodes de « preuve » comme la torture dans les formes les plus diverses et les plus sadiques.
Ni le processus d’enquête, ni le système de preuves formelles ne protégeaient et ne défendaient de manière adéquate les intérêts de la bourgeoisie industrielle qui s’était emparée du pouvoir, qui avait renversé le système féodal et avait ainsi détruit le tribunal féodal et l’ordre de procédure féodal.
L’assemblée constituante de 1790 a rejeté la théorie de la preuve formelle (…).
S’exprimant au nom de l’ensemble de la société, la bourgeoisie a attaché à ses institutions étatiques le caractère de l’impartialité politique, de l’objectivité et de la neutralité qui lui avait servi avec tant de succès et continue de servir dans nombre de pays capitalistes, même à l’heure actuelle. »
Le droit soviétique considère donc le droit bourgeois non pas comme la forme la plus développée, la plus aboutie, à quoi doit succéder immédiatement le droit communiste, mais comme une forme propre au mode de production capitaliste. Il est donc relatif et remplaçable, car il a des limites historiques.