Deux forces principales existaient à gauche au moment du coup d’État militaire de Francisco Franco : le gouvernement, d’esprit libéral-démocratique et socialisant, ainsi que la CNT. Le premier entendait maintenir le régime, suivant une ligne de front antifasciste, sans armer les masses pour autant ; la seconde entendait armer les masses, mais sans se préoccuper du régime ni du front antifasciste.
Les deux furent obligés de composer, en raison de la situation : sans un régime centralisé, on ne pouvait faire face à l’armée de Franco et sans les masses, la lutte était impossible.
On comprend l’impact énorme que pouvait avoir le Parti Communiste d’Espagne (PCE), qui se positionnait à la fois pour le front antifasciste, ainsi que pour l’armement des masses.
Cette combinaison s’avérait d’autant plus juste avec la situation de Madrid. La CNT y était peu présente et lorsque le gouvernement décida de quitter précipitamment la ville menacée pour s’installer à Valence, c’est le PCE qui assuma le combat.
Voici comment le journaliste soviétique Mikhail Koltzov raconte ce qu’il a vu le 6 novembre 1936 :
« Je me mis en route pour le ministère de la guerre, au commissariat pour la guerre. Il n’y avait pratiquement personne. J’allais aux bureaux du premier ministre. Le bâtiment était fermé. J’allais au ministère des affaires étrangères. C’était déserté.
Au bureau de censure de la presse étrangère un officiel me dit que le gouvernement, deux heures auparavant, avait reconnu que la situation à Madrid était désespérée et était déjà parti. Largo Caballero avait interdit la publication de la moindre information au sujet de l’évacuation « afin d’éviter la panique ».
J’allais au ministère de l’intérieur. Le bâtiment était pratiquement vide. J’allais au comité central du Parti Communiste. Une réunion plénière du Bureau Politique s’y tenait. Ils me dirent que ce même jour Largo Caballero avait subitement décidé d’évacuer.
Sa décision a été approuvée par la majorité du cabinet. Les ministres communistes voulaient rester, mais il leur avait été rendu clair qu’un tel pas discréditerait le gouvernement et qu’ils étaient obligés de partir comme tous les autres.
Même les plus connus dirigeants des différentes organisations, pas plus que les départements et agences d’État, avaient été informé du départ du gouvernement. Ce n’est qu’au dernier moment que le ministre dit au chef de l’équipe centrale générale que le gouvernement partait. »
Mikhail Koltzov raconte alors qu’il continue de visiter tous les bâtiments, sans trouver personne. Les portes étaient toutes ouvertes, tout était abandonné sur place. Le PCE s’est alors retrouvé en première ligne, formant le noyau dur des forces armées défendant Madrid, transformant cette ville en bastion inexpugnable de la révolution. Madrid était la forteresse, la ville invincible de l’antifascisme.
Le PCE était arrivé très difficilement à ce niveau d’organisation. Il est pourtant né très tôt, dès 1921, de la fusion du Parti Communiste Espagnol fondé en 1919 par des jeunes socialistes et du Parti Communiste Ouvrier Espagnol fondé en 1920 par des socialistes, notamment dans les régions de Bizkaye et des Asturies.
Son dirigeant, Antonio García Quejido (1856-1927), est une figure du PSOE, dont il avait été le rédacteur de son organe de presse, El Socialista, et pas moins que l’un des fondateurs de l’UGT, dont il fut le premier dirigeant.
Comme la plupart des Partis Communistes au moment de leur création cependant, il existait de profondes divergences au sein de la direction, avec notamment des influences gauchistes. En 1925, il existait pas moins de trois lignes différentes, plus une s’étant établie à l’extérieur du PCE et en exil, à Paris, sous le nom de Groupe Communiste Espagnol.
De fait, lorsque la monarchie s’effondre en 1931, le PCE avait moins de 1500 membres et l’Unión de Juventudes Comunistas 400.
La nouvelle situation, marqué par un calme institutionnel et la légalisation, permit très rapidement une légère amélioration, avec 11000 membres et 6000 pour l’Unión de Juventudes Comunistas, obtenant 50 000 voix aux élections parlementaire.
Le Parti Socialiste Unifié de Catalogne, quant à lui, issu de la fusion du PSOE et du PCE, formant la section relativement autonome de ce dernier en Catalogne, possédait 800 membres. Dans le même sens fut formé un PC d’Euzkadi. Le PCE intégra également la Izquierda Revolucionaria y Antiimperialista et le Partido Social Revolucionario ; sa tentative de fonder un syndicat, la Confederación General del Trabajo Unitario, échoua relativement, avec 37.000 membres en 1932.
Sa ligne politique était cependant la plus cohérente et la plus conséquente. Dès le départ, le PCE a posé une ligne anti-féodale, consistant à attaquer la persistance des grandes propriétés terriennes, à souligner la question des minorités nationales, à dénoncer la monarchie et la féodalité prédominant politiquement, à appeler à la formation d’un bloc populaire.
Ses exigences étaient la démission du gouvernement et de nouvelles élections avec libre-expression pour la gauche, la libération des prisonniers politiques et l’amnistie, la confiscation des terres des grands propriétaires et redistribution gratuites aux paysans et ouvriers agricoles, le rétablissement du statut spécial de la Catalogne et droit à l’auto-détermination de la Catalogne, du Pays Basque et de la Galice, la baisse des impôts des paysans, petits-commerçants, artisans et industriels, l’amélioration des conditions de vie, l’épuration de l’armée des éléments fascistes et dissolution des organisations fascistes.
Avec son positionnement de plus grand partisan du Front antifasciste sur la base du dénominateur commun du refus du coup d’État et de mobilisateur acharné dans les masses, le PCE apparaissait comme la force la plus conséquente. C’est la raison pour laquelle que la ligne du PCE fut politiquement la plus efficace : le 1er mai 1936, 600 000 personnes défilèrent à Madrid dans les comités du Front populaire lancés à l’initiative du PCE.
Le PCE progressa alors de manière fulgurante, disposant d’une presse avec plusieurs journaux, dont le Mundo Obrero, d’une association ayant un grand impact comme l’Asociación de Amigos de la URSS et surtout d’un nouveau jeune dirigeant, José Díaz.
En novembre 1933, le PCE obtint son premier député, ayant obtenu 170 000 voix, avant d’en avoir 17 lors des élections de 1936 lors de la victoire du Front populaire. Le nombre d’adhérents explose alors : s’il y avait un peu plus de 19.000 membres en 1935, en février 1936 le PCE en a 30.000, un mois plus tard 50 000, en avril 60 000, en juin 84.000, début juillet 100.000. Début 1937, le chiffre sera de 200.000, puis rapidement de 300 000 et même de pratiquement 500.000.
En avril 1936 fusionnèrent également les jeunesses socialistes et communistes, devenant la Juventud Socialista Unificada, liée au PCE, qui avait pas moins que 350.000 membres en 1937.
L’Armée Populaire Républicaine elle-même se constituait en s’appuyant sur le Parti Communiste d’Espagne et son école de cadres formant à la chaîne des responsables de haut niveau.
Sur les 7000 promotions dans l’armée en 1938, la grande majorité consiste en des communistes ; dans les six sections de l’armée républicaines, on avait 163 commandants de brigades étant communistes et 33 anarchistes, 61 commandants de divisions communistes et 9 anarchistes, 15 commandants de corps d’armées communistes et 6 anarchistes, tandis que pour les postes de commandants, on avait 3 communistes, 2 sympathisants communistes et un non-communiste.
Ce succès communiste aboutissait inévitablement à des tensions avec les autres courants révolutionnaires, ce que tenteront d’utiliser les trotskystes par un soulèvement anti-républicain à Barcelone, en 1937.