Le dégel suit en économie la même logique que dans la culture et la politique. Les appareils et l’idéologie sont considérés comme des verrous à faire sauter.

Les Izvestia publièrent en octobre 1954 un long article « Sur le formalisme et le caractère dommageable d’une centralisation excessive », puis une semaine après la Pravda annonça que le centralisme devrait reculer et que les organes de planification devaient perdre en importance.

Le processus avait en fait déjà commencé. Entre 1952 et 1954, les organes de planification avaient perdu 20,6 % de leur personnel, 200 bureaux et 4500 départements avaient été liquidés. Plusieurs milliers d’entreprises passèrent sous la main des différentes républiques et les spécialistes furent attribués aux entreprises au lieu de dépendre de l’administration.

Moscou, 1956

Le Conseil des ministres fit en ce sens passer une résolution, en juillet 1954, sur « la réduction des indicateurs du plan économique national, du plan d’approvisionnement et du plan de mécanisation globale et de l’introduction de nouvelles technologies dans la construction pour 1955 ».

La résolution souligne la systématisation de la formation des spécialistes liés non plus à l’administration, mais directement à la production. On est tout à fait dans l’esprit du « dégel » et en avril 1955 eut lieu une conférence de la plus haute importance, avec les plus hauts membres du Parti et de l’État avec les directeurs d’usine, les ingénieurs les plus qualifiés, etc. Il fut très clairement souligné que désormais ce qui comptait c’était la dimension gestionnaire locale.

Il existe une anecdote sur ce que Nikita Khrouchtchev aurait raconté lors d’une conférence à Sofia, en Bulgarie, en 1955 ; elle est à la fois vraie et romancée, de manière typique d’un Nikita Khrouchtchev toujours très imagé dans ses propos :

« Selon Khrouchtchev, [Nikolaï] Voznessenski … est allé le voir lui, Malenkov et Molotov, et a déclaré qu’il avait eu une longue session avec Staline [en 1949] expliquant son projet de nouveau plan quinquennal.

Une composante de celui-ci permettait un certain relâchement de la planification trop centralisée et certaines mesures de type NEP pour restaurer l’économie.

Staline avait alors dit : « Vous cherchez à restaurer le capitalisme en Russie. »

Khrouchtchev dit que cela suffisait à inquiéter sérieusement le camarade Voznessenski, et il est venu nous demander d’intercéder auprès de Staline.

Nous avons tous les trois demandé un entretien avec Staline et avons été reçus par lui à midi. Nous avons déclaré que nous avions vu et approuvé le mesures proposées par Voznessenski.

Staline nous a écoutés et puis a déclaré : « Avant de continuer, vous devez savoir que Voznessenski a été exécuté ce matin ».

Voilà. Que pouviez-vous faire? Un homme est prêt à être un martyr mais à quoi sert-il de mourir comme un chien errant ? Il n’y avait rien que nous pouvions faire pendant que Staline vivait. »

C’est tout à fait significatif de l’approche de Nikita Khrouchtchev et de la couche sociale qu’il représente : l’idéologie est mise de côté au nom d’une gestion pragmatique, avec naturellement les couches urbanisées et diplômées formant une nouvelle élite aux côtés des bureaucrates de l’administration et de l’appareil militaire.

Le café Chaïka à Bakou dans les années 1960

Deux autres résolutions, en août 1955 et en mai 1956, renforcèrent les droits des ministres, des chefs de département, des directeurs d’entreprises, avec également une modification de la procédure de planification et de financement par l’État de l’économie des Républiques Socialistes.

Cela permettait une certaine marge de manœuvre aux gestionnaires quant aux décisions budgétaires, aux décisions d’allocations des ressources pour la production, avec notamment une possibilité de se tourner également directement vers certains fournisseurs, de réorganiser les salaires donnés, de modifier relativement les plans donnés, de procéder à des constructions en toute indépendance, etc.

Cela asseyait définitivement le « dégel » dans l’économie.


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