Parmi les faits marquant accompagnant l’instauration de l’idéologie de la cybernétique à la place du matérialisme dialectique, il y a l’utilisation en 1962 d’un supercalculateur basé à Kiev pour gérer la fabrication de l’acier dans une usine à plusieurs centaines de kilomètres de là, dans la région de Dnipropetrovsk.

Voici comment le journal Radianska Ukraina salua cela, avec un lyrisme propre à l’idéologie du révisionnisme soviétique :

« En Grèce antique, l’homme qui dirigeant les bateaux était appelé Kybernetes. Ce timonier, dont le nom a été donné à l’une des plus audacieuses sciences de notre temps – la cybernétique -, vit à notre époque.

Il guide les vaisseaux spatiaux et gouverne les installations atomiques, il prend part à l’élaboration des projets les plus compliqués, il aide à guérir les humains et à déchiffrer les écrits des peuples antiques. Et aujourd’hui, il est devenu un métallurgiste expérimenté. »

On remarque comment le révisionnisme a su amener une confusion entre l’utilisation des supercalculateurs et le déchiffrage du monde fondé sur le calcul seul. Le matérialisme dialectique ne s’oppose nullement aux supercalculateurs, bien au contraire. Toutefois, le calcul seul est insuffisant, dans la mesure où il reste à avoir une interprétation de la matière.

Le révisionnisme soviétique a, de son côté, la même approche que celle de l’impérialisme, considérant que les forces productives s’approprient une matière « neutre » qu’on peut façonner comme on l’entend. Le saut qualitatif n’est nullement compris comme principe, ni le principe de totalité. Le réchauffement climatique est l’exemple même de ce qui ne pouvait pas être compris.

Andreï Kolmogorov

Andreï Kolmogorov

Cette conception mécanique de l’intelligence aboutit, naturellement, à faire de la cybernétique une discipline en soi, hypothétiquement capable d’apporter des solutions à tous les niveaux. Deux savant soviétiques se virent alors se charger de la promouvoir comme discipline scientifique : les mathématiciens Andreï Kolmogorov (1903-1987) et Alexandre Khintchine (1894-1959).

Pour Andreï Kolmogorov, un mathématicien extrêmement connu mondialement, il était évident que les machines « surpasseront l’être humain dans son développement ». Il n’y aurait « aucune limite dans l’approche cybernétique de la vie » et « des êtres pensants artificiels sont possibles ».

Les machines deviendraient autonomes, tellement parfaites que ce sont elles qui vont, de manière autonomes, soutenir l’Humanité. Les machines seraient bientôt capables de composer une symphonie, d’écrire un roman, etc.

Tel était également le point de vue de Alexeï Lyapunov, l’un des plus ardents défenseur de la cybernétique. Pour lui, il n’existait pas de différence entre la mémoire d’un ordinateur et celle d’un être humain et, de fait, la cybernétique n’avait aucune limite, devant inéluctablement arriver à la créativité.

Alexeï Lyapunov

Alexeï Lyapunov

En réalité, la cybernétique avait deux fonctions : tout d’abord, théoriser une « planification » qui serait « neutre », sans contenu idéologique, afin de liquider le matérialisme dialectique dirigeant auparavant la planification, ses principes. Ensuite, servir le complexe militaro-industriel naissant et qui allait devenir monstrueux sous Leonid Brejnev.

La conception mécanique de la vie obéissait, comme aux États-Unis, à la lecture monopolistique des grandes entreprises capitalistes, dans une Union Soviétique façonnant sa forme social-impérialiste.

L’article « Stratégie et cybernétique » du 30 juin 1962, écrit par le colonel Larionov et le colonel-ingénieur Vaneev dans la revue militaire Krasnaya Zezda (L’étoile rouge), est explicite à ce niveau.

La cybernétique devait être utilisée à tous les niveaux : il s’agissait d’éliminer les erreurs humaines, d’avancer dans les calculs balistiques, d’évaluer les potentiels ennemis et les siens, de distribuer au mieux les forces stratégiques, d’analyser les avantages et les faiblesses stratégiques.

Les nombres suffisaient à fournir toutes ces informations ; on comprend l’opposition totale de Mao Zedong et du lancement de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne en opposition tant au révisionnisme qu’au social-impérialisme.


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