Ce qui arrive à la toute fin des années 1970 avait été parfaitement pressenti par la Chine populaire. La frontière sino-soviétique, longue de 7300 kilomètres, voyait la Chine toucher le Tadjikistan, le Kirghizstan, le Kazakhstan et la Sibérie. Si le Vietnam passait dans le giron du social-impérialisme soviétique, et c’est ce qui se passa, la situation allait être catastrophique et ce d’autant plus si les deux superpuissances dominantes se mettaient d’accord pour profiter d’un avantage aux dépens de la Chine populaire.

Il fallait donc profiter de la contradiction entre les deux superpuissances et c’est ce qui fut mis en place dès la considération faite en 1968 que l’URSS était un social-impérialisme et qu’elle était la principale menace pour la paix dans le monde.

Les peuples du monde doivent s’unir pour s’opposer à toute guerre d’agression provoquée par l’impérialisme ou le social-impérialisme, et s’opposer en particulier à une guerre d’agression avec utilisation d’armes atomiques! Si une telle guerre se déclenche, les peuples du monde doivent contrer cette guerre d’agression par la guerre révolutionnaire, et doivent se préparer à cela dès aujourd’hui! [Mao Zedong]

Les États-Unis, placés sur la défensive, avaient d’ailleurs besoin de la Chine populaire alors que l’URSS ne cessait d’avancer ses pions partout dans le monde. Il n’y avait cependant aucun contact entre les deux pays.

Les États-Unis avaient compris avec l’intervention chinoise en Corée au tout début des années 1950 que, désormais, il fallait tabler sur une situation totalement différente en Asie et sur une capacité d’action conjointe soviéto-chinoise d’un haut niveau.

Ils firent alors de l’île de Kimnen un point d’abcès. Cette toute petite île à simplement deux kilomètres des côtes continentales dépendait de Taiwan, la « république de Chine » fondée en catastrophe en 1949 par les partisans de Tchiang Kaï-Chek avec l’appui américain.

Elle fut au cœur de la crise du détroit de Taïwan de 1954-1955 et de celle de 1958. C’est notamment sur elle que se replièrent les troupes américano-taïwanaises après la prise par la Chine populaire du groupe des îles Tachen en 1955. Et lors de la seconde crise, la Septième flotte américaine intervint dans le détroit avec parallèlement une menace de frappe nucléaire américaine en cas d’occupation de l’île.

Aucune provocation américaine ne peut intimider le peuple chinois !

L’absence totale de rapports ne serait-ce qu’indirects n’était toutefois pas possible et à partir de 1955 un processus de mise en rapport au haut niveau s’engagea. Des rencontres officieuses eurent lieu à Varsovie et elles se prolongèrent durant les années 1960. L’affirmation du social-impérialisme soviétique imposa un changement qualitatif.

En 1970, les États-Unis autorisèrent les visites non touristiques de ses citoyens en Chine, autorisa les compagnies pétrolières américaines d’approvisionner des ports chinois et annula certaines restrictions commerciales. C’était la politique dite « containment not isolation » : il s’agit de contenir la poussée communiste, tout en ne pratiquant plus un blocus visant à l’isolement.

Richard Nixon était alors président, depuis janvier 1969 ; il représentait particulièrement cette ligne. Dans l’importante revue Foreign Affairs, il exigeait en 1968 une ouverture à la Chine. C’était d’autant plus significatif qu’il représentait la fraction la plus anticommuniste de la bourgeoisie américaine.

Il s’engagea ainsi un processus où les États-Unis demandèrent au Pakistan et à la Roumanie de faire passer le message à la Chine populaire comme quoi il serait temps d’avoir des rapports diplomatiques ouverts.

En avril 1971, une équipe américaine de tennis de table se rendit à Pékin, invitée par ses homologues ; en juillet, le conseiller du président Nixon, Henry Kissinger, se rendit également à Pékin. Ce fut qualifié alors par la presse internationale de diplomatie du ping-pong, dont le point culminant fut la venue de Nixon, le 21 février 1972.

Nixon reçu à Pékin en 1972 par Zhou Enlai

Les délégations signèrent alors à Shanghai un traité de coopération et de compréhension mutuelle, et en mai 1973 eut lieu l’établissement d’offices de liaison entre les capitales.

Le président américain Gerald Ford visita la Chine populaire en décembre 1975 et les relations diplomatiques furent instaurées entre les deux pays, finalement, en janvier 1979.

Ce fut un moment capital. Si l’on regarde la situation à la fin des années 1970, on a le quart de l’armée soviétique en extrême-Orient (un million de soldats, 14 000 chars), le quart de son aviation (2200 avions), alors que la marine présente dans le Pacifique est la plus puissante de ses quatre flottes (90 navires, 135 sous-marins, etc.).

La production de pétrole dans la partie orientale de l’URSS était très faible en 1970 : en 1980 elle représente la moitié de la production totale, étant à même d’alimenter l’armée dans cette partie du monde. Le tiers de la production militaire fut d’ailleurs désormais produit également dans l’Est de l’URSS.

Durant des années, des opérations de grignotage de territoire ont été massivement menées. Les accrochages frontaliers furent très nombreux, trois étant la source de violentes polémiques : en mars 1974, un hélicoptère soviétique pénètre de 70 km en territoire chinois, essayant même d’atterrir avant d’être capturé. L’hélicoptère soviétique, censé être membre d’une opération de secours et s’être perdu, ne disposait en fait que d’armements et d’outils de reconnaissance.

Renforcer sa vigilance, défendre la mère patrie ! Être prêt à n’importe quel moment à détruire les envahisseurs ennemis !

En mai 1978, un hélicoptère soviétique, accompagné de 18 bateaux à moteurs et de trente soldats, pénétra sur 4 km en Chine, tirant sur la population locale. En juillet 1979, un guet-apens soviétique amena la mort de plusieurs Chinois, dont les corps furent ramenés en URSS pour accuser la Chine de violer les frontières.

En 1980, le Quotidien du peuple contint ainsi 3400 critiques de l’URSS, relevant de ses politiques intérieure et extérieure, de ses dirigeants, etc.

Le discours de Brejnev à Tachkent le 24 mars 1982 fut particulièrement agressif. Il accusa la Chine d’avoir des pratiques et des doctrines « contraires aux principes du socialisme », de menacer le mouvement communiste international dans son ensemble, de pratiquer un social-chauvinisme allant dans le sens de l’impérialisme américain avec Reagan, de pratiquer le chantage anti-soviétique avec les pays occidentaux, de couvrir le PCUS de boue, etc.

En juin 1980, la Chine populaire n’a pratiquement pas de missiles intercontinentaux ICBM (l’URSS en a 1398), aucun sous-marin lanceur de missiles balistiques (l’URSS en a 950), aucun bombardier stratégique intercontinental (l’URSS en a 156), seulement quelques missiles avec chacun une tête nucléaire (l’URSS en a 6000 avec des missiles à plusieurs têtes), 100 vieux bombardiers moyenne distance TU16 et TU14 (l’URSS en a 100 plus 40 de type supersonique), aucun système anti-missile balistique (au contraire de l’URSS sur son site asiatique de test).

La Chine populaire avait échappé de peu à l’attaque de la part du social-impérialisme soviétique.


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