Ce qui caractérise la photographie d’Alexandre Rodtchenko, c’est sa reconnaissance de la dignité du réel, sa capacité donner à l’image une charge photographique. Cette charge est à mi-chemin de la prise de vue sur le vif et d’une reconnaissance du mouvement réel.

L’une des photographies les plus emblématiques de cette capacité est le portrait de Lili Brik.

Portrait de Lili Brik, 1924

Portrait de Lili Brik, 1924

L’oeuvre est très connue à travers la publicité pour la maison d’éditions Knigi qu’Alexandre Rodtchenko réalisa la même année.

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Alexandre Rodtchenko vise à capter le sens de ce qu’il portraitise. Il procède pour cela à des adéquations entre l’image et la personne.

Cela se voit ici avec le portrait de Simeon Kirsanov. Le portrait devait être déconcertant pour les observateurs de son époque, en particulier en dehors de la Russie soviétique.

En effet, il adopte un point de vue à hauteur d’homme, alors qu’à l’époque la plupart des images sont prises à hauteur de nombril, en partie à cause du matériel utilisé, mais aussi par convention académique.

Le cadrage d’Alexandre Rodtchenko met en valeur le regard du poète, fixe un point en dehors du cadre. Il se dégage de cette œuvre une grande modernité qui coïncide parfaitement avec le profil de l’intellectuel socialiste, engagé dans son activité, nullement dans un laisser-aller d’esprit bohème bourgeois.

Portrait de Simeon Kirsanov, en 1928

Portrait de Simeon Kirsanov, en 1928

Une oeuvre emblématique d’Alexandre Rodtchenko est La jeune fille au Leica, en 1934. Le photographe a alors cessé sa prétention cubiste-formaliste et accepter de remettre en cause ce que l’URSS a défini comme du formalisme de gauche.

On a ici alors une photographie particulièrement dense, à la fois un instantané mais s’appuyant sur une profonde maîtrise des questions graphiques.

Alexandre Rodtchenko, La jeune fille au Leica, 1934

Alexandre Rodtchenko, La jeune fille au Leica, 1934

S’extirpant du cubisme-futurisme et abandonnant une prétention photographique forcée, formelle, Alexandre Rodtchenko a concrétisé une activité témoignant du réel dans sa dignité.

Cela permet une oeuvre comme La pionnière. C’est l’une des photos plus connue de Rodtchenko. L’image fonctionne immédiatement. Elle n’a besoin ni d’une note d’accompagnement de l’auteur, ni de connaissance artistique particulière de la part de celui qui la voit.

A la lecture de cette image, le spectateur est ému par la dignité qui s’en dégage. L’approche réaliste de Rodtchenko lui permet de trouver au sein du groupe de pionniers rassemblés ce jour-là, la jeune personne qui donnera son visage à la synthèse qu’il cherche à composer.

Alexandre Rodtchenko, La pionnière, 1930

Alexandre Rodtchenko, La pionnière, 1930

Il s’agit d’une jeune fille à la beauté simple, dont le regard droit est éclairé par la dureté du soleil. Elle porte en elle la fierté de participer à l’évènement, dans son l’uniforme de pionnier. Le léger pli de son front est la marque du sérieux, du solennel.

Rodtchenko va, par son travail, rendre tout cela évident au regard du spectateur. Le visage est tourné vers la droite, donc vers l’avenir selon le sens de lecture occidental. Par le mouvement de la caméra, il expose le sujet en contre-plongée. Le visage apparait alors monumental, le spectateur est comme face à une statue antique. Cet effet est contre-balancé par le mouvement du vent dans la chevelure qui caresse le visage de la jeune fille et lui rend son caractère enfantin.

La pionnière, c’est l’image de la jeunesse socialiste, confiante dans un avenir abordé avec sérieux et détermination dans la noblesse des sentiments.


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