Les soleils couchants ont une dimension minimaliste, que n’a pas la promenade sentimentale, qui elle perd le côté compacté.

Mais les Poèmes saturniens contiennent chef d’œuvre, très connu en France, échappant tant au minimalisme qu’à l’absence de compactage.

Sa qualité musicale est un tour de force, car les éléments sont adéquatement choisis et s’imbriquent parfaitement.

CHANSON D’AUTOMNE

Les sanglots longs
Des violons
De l’automne
Blessent mon cœur
D’une langueur
Monotone.

Tout suffocant
Et blême, quand
Sonne l’heure,
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure ;

Et je m’en vais
Au vent mauvais
Qui m’emporte
Deçà, delà,
Pareil à la
Feuille morte.

Il est évident que le poème Le pont Mirabeau d’Apollinaire, lui aussi très connu (et par ailleurs sa seule œuvre réussie), s’appuie directement sur la méthode ici exposée par Paul Verlaine. Mais en réalité on peut pratiquement dire que cette méthode est celle qui dans la seconde moitié du XIXe siècle triomphe en France.

La réclame (avant la publicité au sens moderne-technique), la chanson française… prennent un caractère de masse et la sélection du bon mot, de la fluidité du propos, sont des exigences incontournables.

Il faut ici faire attention à ne pas commettre l’erreur de rater le découpage des syllabes. Le poème est en effet composé sur le mode 4 – 3 – 3. Voici le poème avec le découpage correspondant.

CHANSON D’AUTOMNE

Les / san / glots / longs
Des / vi / o/ lons
De / l’au / tomne
Bles / sent / mon / cœur
D’un / e / lan / gueur
Mo / no / tone.

Tout / su/ffo/cant
Et / blê / me, / quand
So/ nne / l’heure,
Je / me / sou / viens
Des / jours / an / ciens
Et / je / pleure ;

Et / je / m’en / vais
Au / vent / mau / vais
Qui / m’em / porte
De / çà, / de / là,
Pa / reil / à / la
Feui / lle / morte.

Dans ce poème – ou cette chanson, puisque tel est l’apport historique de Paul Verlaine, au sens où il reflète une perspective, pas au sens où il créerait quoi que ce soit -, les contradictions sont nombreuses et forment une puissante dynamique et par leur enchevêtrement.

Il est nécessaire ici de citer le poème de Baudelaire À une passante, qui se trouve dans les Fleurs du mal. En effet, ce dernier s’appuie sur une opposition générale entre ce qui a un caractère bref (au sens de court, fin, agité) et ce qui a un caractère long (qui s’inscrit dans la durée, se fonde sur la stabilité). Paul Verlaine en reprend directement le principe.

Les Poèmes saturniens datent de 1866, les Fleurs du mal de 1857.

À une passante

La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d’une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l’ourlet ;

Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l’ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair… puis la nuit !Fugitive beauté
Dont le regard m’a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l’éternité ?

Ailleurs, bien loin d’ici ! trop tard ! jamais peut-être !
Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais !

Voici maintenant le même repérage pour Chanson d’automne.

CHANSON D’AUTOMNE

Les sanglots longs
Des violons
De l’automne
Blessent mon cœur
D’une langueur
Monotone.

Tout suffocant
Et blême, quand
Sonne l’heure,
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure ;

Et je m’en vais
Au vent mauvais
Qui m’emporte
Deçà, delà,
Pareil à la
Feuille morte.

La mise en perspective est la même que dans À une passante.

On notera naturellement que les sonorités sont particulièrement travaillées, afin d’être prégnantes et d’imposer une série captant particulièrement l’attention. Le son « o » présent à plusieurs reprises, on a de multiples sons « on » ; il y a un série de « an » et de « ien », tout comme des « é » et des « e ».

Les sanglots longs
Des violons
De l’automne
Blessent mon cœur
D’une langueur
Monotone.

Tout suffocant
Et blême, quand
Sonne l’heure,
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure ;

Et je m’en vais
Au vent mauvais
Qui m’emporte
Deçà, delà,
Pareil à la
Feuille morte.

A cela s’ajoute l’expression d’un saut qualitatif dans le poème. En effet, la première strophe présente un mouvement qui agit sur quelque chose.

Les sanglots longs
Des violons
De l’automne
Blessent mon cœur
D’une langueur
Monotone.

La seconde strophe pose un reflet de cette action sur la chose en question.

Tout suffocant
Et blême, quand
Sonne l’heure,
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure ;

La troisième strophe est le produit dialectique de la première et de la deuxième strophes.

Et je m’en vais
Au vent mauvais
Qui m’emporte
Deçà, delà,
Pareil à la
Feuille morte.

On remarquera à ce sujet que si l’on n’y prend garde, on peut interpréter le poème dans le sens de correspondances baudelairiennes. Le sanglot est parallèle au violon, la feuille au vent, etc.

En réalité, on a bien dans chaque strophe l’exposition d’un reflet. C’est une présentation matérialiste – de manière esthétique – d’une réalité objective.

Il est souvent ici parlé, de la part des théoriciens bourgeois, de l’approche impressionniste de Paul Verlaine. C’est tout à fait erroné. L’impressionnisme est un subjectivisme décrivant le monde tel qu’il est ressenti individuellement. Paul Verlaine, quant à lui, décrit ici le reflet sensible du monde en lui. La mise en perspective est inverse.


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