nikita_khrouchtchev-5.jpgLe XXe congrès du Parti Communiste d’Union Soviétique (PCUS) fut un moment clef de l’histoire de l’URSS.

Normalement, les congrès possédaient une large publicité, témoignant de la vie du Parti dirigeant la société. Les délégués débattent suite au rapport fait par la direction, une ligne est votée pour le futur et des dirigeants élus pour l’appliquer.

Le XXe congrès dérogea totalement à la règle, puisque le secrétaire du PCUS prononça un « discours secret ». Ce discours ne fut pas sténographié, et il fut même demandé aux 1400 délégués de ne pas en dévoiler le contenu.

Une version écrite fut remise aux délégations étrangères, mais sans le droit de prendre des notes ni, évidemment, de l’emporter.

Une semaine après, une version fut imprimée, puis quelques jours après transmise à certaines personnes, également pour être parfois lue lors de réunions à huis-clos, cela procédant d’une décision prise symboliquement par le Comité Central le 5 mars 1956, jour anniversaire de la mort de Staline. A la mi-avril, environ 30 000 personnes par grande ville étaient impliquées dans ces discussions lancées par en haut.

Le contenu de ce rapport se diffusa ainsi lentement ; dans ce cadre, dans le quotidien du PCUS, la Pravda, parut à la fin du mois un article intitulé Pourquoi le culte de la personnalité est-il étranger à l’esprit du marxisme-léninisme ?

Puis vint l’étape finale. En juin 1956 en effet, le département d’État américain qui s’était procuré le document commença à le publier massivement en plusieurs langues ; en France, c’est le quotidien Le Monde qui se chargea de cette besogne.

En Union Soviétique, le rapport ne fut par contre jamais rendu public il ne sera publié qu’en 1989 puis en 2002. Avant 1989, le « rapport secret » n’existait officiellement pas ; il n’était pas possible d’y faire référence, ni même de le citer.

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Pourtant, et c’est le paradoxe, officiellement le rapport secret était le fruit des travaux d’une commission d’enquête menée par Piotr Pospelov sur de prétendues actions illégales faites par Staline au sein du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchevik).

Il était prétendu que les résultats de la commission ne seraient arrivés qu’au moment du congrès, et qu’alors la direction du PCUS ne savait pas comment aborder la question, Nikita Khrouchtchev se « sacrifiant » pour expliquer la chose avec « émotion », de manière plus ou moins improvisée.

Le rapport consiste ainsi en une série d’accusations, Staline étant présenté comme ayant dévoyé le centralisme démocratique, organisé une terreur absurde, commis des erreurs militaires terribles pendant la seconde guerre mondiale impérialiste, pour finir en sombrant dans la paranoïa et des purges délirantes, etc.

Toutefois, le ton reste paradoxalement mesuré, car l’objectif de Nikita Khrouchtchev est très précis. Représentant des forces nées à l’intérieur du régime, même si contre lui sur le plan des idées et de la pratique, il a besoin d’en préserver le cadre.

Nikita Khrouchtchev prétend alors que Staline fait l’erreur de continuer la lutte des classes alors que ce n’était plus la peine, et que cela a provoqué une sorte de guerre civile dans le PCUS (bolchevik), Staline perdant prétendument toujours davantage pied avec la réalité dans ce processus paranoïaque et mégalomaniaque.

Le problème n’est donc pas Staline, mais l’absence de direction collégiale, c’est-à-dire en réalité – mais cela Nikita Khrouchtchev ne le dit pas – de la direction idéologique communiste, qui s’oppose aux intérêts collectifs des couches sociales représentées par Nikita Khrouchtchev.

Voici ce que dit notamment Nikita Khrouchtchev dans le « rapport secret » :

« Il faut se souvenir que le XVIIe Congrès est connu historiquement sous le nom de « Congrès des vainqueurs ». Les délégués au Congrès avaient été des artisans actifs de l’édification de notre Etat socialiste ; nombre d’entre eux avaient souffert et combattu pour la cause du Parti pendant les années pré-révolutionnaires dans la conspiration et sur les fronts de la guerre civile ; ils avaient combattu leurs ennemis avec vaillance et avaient souvent regardé la mort en face.Comment peut-on alors supposer que ces gens pouvaient être à « double face » et avaient rejoint le camp des ennemis du socialisme à l’époque qui a suivi la liquidation politique des zinoviévistes, des trotskistes et des droitiers, et après les grandes réalisations de l’édification socialiste ?

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C’était la conséquence de l’abus de pouvoir par Staline qui commença à utiliser la terreur de masse contre les cadres du Parti.

Pour quelle raison les répressions de masse contre les activistes n’ont-elles cessé d’augmenter après le XVIIe Congrès ? C’est parce que, à l’époque, Staline s’était élevé à un tel point au-dessus du Parti et au-dessus de la Nation qu’il avait cessé de prendre en considération le Comité central ou le Parti.

Alors qu’il avait toujours tenu compte de l’opinion de la collectivité avant le XVIIe Congrès, après la totale liquidation politique des trotskistes, des zinoviévistes et des boukhariniens, au moment où cette lutte et les victoires socialistes avaient conduit à l’unité du Parti, Staline avait cessé, à un point toujours plus grand, de tenir compte des membres du Comité central du Parti et même des membres du Bureau politique.

Staline pensait que, désormais, il pouvait décider seul de toutes choses et que les figurants étaient les seuls gens dont il ait encore besoin; il traitait tous les autres de telle sorte qu’ils ne pouvaient plus que lui obéir et l’encenser (…).

Prenez par exemple les Résolutions du Parti et des soviets. Elles étaient préparées d’une façon routinière, souvent sans tenir compte de la situation concrète. On était arrivé au point que les militants, même dans les réunions les moins importantes, lisaient leurs discours. Il en résultait un danger de formalisme dans le travail du Parti et des soviets, et la bureaucratisation de tout l’appareil.

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La répugnance de Staline à considérer les réalités de l’existence et le fait qu’il n’était pas au courant du véritable état de la situation dans les provinces peuvent trouver leur illustration de la façon dont il a dirigé l’agriculture.

Tous ceux qui ont pris un tant soit peu d’intérêt aux affaires nationales n’ont pas manqué de constater la difficile situation de notre agriculture. Staline, lui, ne le remarquait même pas. Avons-nous attiré l’attention de Staline là-dessus? Oui, nous l’avons fait, mais nous ne fûmes pas appuyés par lui. Pourquoi? Parce que Staline ne s’est jamais déplacé, parce qu’il n’a pas pris contact avec les travailleurs des villes et des kolkhozes. Il ignorait quelle était la situation réelle dans les provinces.

C’est à travers des films qu’il connaissait la campagne et l’agriculture. Et ces films avaient beaucoup embelli la réalité dans le domaine de l’agriculture (…).

Camarades ! Afin de ne pas répéter les erreurs du passé, le Comité central s’est déclaré résolument contre le culte de l’individu. Nous considérons que Staline a été encensé à l’excès. Mais, dans le passé, Staline a incontestablement rendu de grands services au Parti, à la classe ouvrière, et au mouvement international ouvrier.

Cette question se complique du fait que tout ce dont nous venons de discuter s’est produit du vivant de Staline, sous sa direction et avec son concours ; Staline était convaincu que c’était nécessaire pour la défense des intérêts de la classe ouvrière contre les intrigues des ennemis et contre les attaques du camp impérialiste.

En agissant comme il l’avait fait, Staline était convaincu qu’il agissait dans l’intérêt de la classe laborieuse, dans l’intérêt du peuple, pour la victoire du socialisme et du communisme. Nous ne pouvons pas dire que ses actes étaient ceux d’un despote pris de vertige. Il était convaincu que cela était nécessaire dans l’intérêt du Parti, des masses laborieuses, pour défendre les conquêtes de la révolution. C’est là que réside la tragédie ! »

Cet extrait résume bien l’approche de Nikita Khrouchtchev. Mais pour bien saisir comment il tente en réalité ici une transition en douceur sur le plan culturel, il faut voir à la fois la réorganisation du PCUS à partir de 1953, mais également la signification de la grande campagne accompagnant l’exposition Picasso à Moscou en 1956.


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