mus-2.jpgC’est donc une chose très importante à comprendre : en 1922, le fascisme ne prend pas le pouvoir, il prend seulement la tête du gouvernement.

Il y a une répression illégale menée par les squadristes, il y a des interdictions, mais le régime n’a pas changé officiellement de nature.

Ainsi, en 1923 l’État procède à un très vaste coup de filet anti-communiste, décapitant la direction du Parti Communiste d’Italie. Or, les 2000 personnes arrêtées ne le sont que pour peu de temps, quelques mois au maximum, 97 sont libérées pour manques de preuves alors que les 31 personnes passant en procès sont acquittées, sauf une condamnée à quatre mois de prison.

La sentence explique que, dans les faits, le PCI n’est pas interdit et qu’on ne peut pas condamner ses membres pour appartenance au PCI en s’appuyant sur les chefs d’accusation (association de malfaiteurs, incitation à la révolte et à la désertion militaire et à la conspiration pour renverser les pouvoirs constitutifs de l’État, incitation à la haine, etc.) :

« Le Parti communiste en Italie a été toléré et reconnu comme parti politique ; c’est tellement vrai qu’après la scission survenue au Congrès socialiste de Livourne, il s’est affirmé comme tel au Parlement national par le truchement de ses représentants politiques. D’où le fait que les appartenants au dit parti, qui, bien que subversif, n’a pas été élevé au titre de crime par nos lois libérales, et ne peuvent, par leur profession de foi ou par les charges qu’ils peuvent occuper, constituer une association de malfaiteurs qui sont une forme typique et caractéristique de la délinquance sociale. »

Une note de l’agence officieuse du gouvernement dirigé par Benito Mussolini, la Volta, salue de la manière suivante cette décision :

« La sentence est simplement conforme à cette orientation de clémence et ces actes de pacification que le gouvernement fasciste s’est proposé d’accomplir pour la fête du premier anniversaire de la marche sur Rome, de sorte que la sentence, loin de la contredire, seconde et fait sienne l’inspiration de l’autorité politique. »

Ce qu’il s’agit de comprendre ici, c’est la tactique de Benito Mussolini, fonctionnant sur le principe du pouvoir parallèle. Le procès contre les communistes a servi à démanteler la direction du PCI, tout en permettant de présenter le PNF comme institutionnel.

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Mais en même temps, il y a les actions violentes ininterrompues, souvent meurtrières, où la police et le fascisme marchent main dans la main. Le 10 décembre 1932, les fascistes saccagent une imprimerie à Milan d’où partait notamment « Le syndicat rouge » ; dans la foulée l’État suspend tous les journaux concernés.

Une semaine plus tard, les fascistes organisent une série de massacres à Turin, incendiant la Chambre du travail, saccageant les locaux de l’Ordre Nouveau, tuant 22 personnes ayant été ciblés précisément, notamment en allant à leurs domiciles, en blessant autant. Le sort du secrétaire du syndicat métallurgiste FIOM, Pietro Ferrero, est exemplaire de ce qui se passe : il est battu à mort, torturé, traîné par un câble accroché à un camion sur plusieurs centaines de mètres, avant de se voir arraché les yeux et les testicules.

Appelé par le préfet, Benito Mussolini explique qu’en tant que chef de fascistes, il regrette qu’il n’y ait pas plus de tués, qu’en tant que chef du gouvernement il se voit obligé de libérer les communistes emprisonnés. Le 22 décembre, il fait signer un décret par le roi promouvant une amnistie pour les crimes commis avec une fin « même indirectement nationale ».

Telle est la ligne de Benito Mussolini : avancer dans les institutions, exercer la pression dans la rue parallèlement pour démanteler le PSI et le PCI, la seule opposition réelle.

En 1922, le fascisme tue, mais il n’a pas systématisé son existence. Il s’agit là d’un processus pour toute une période et Benito Mussolini l’assume ouvertement ; dans son discours au parlement, il dit ainsi :

« Je me suis refusé de remporter une victoire éclatante, et je pouvais remporter une victoire éclatante. Je me suis imposé des limites. Je me suis dit que la meilleure sagesse est celle qui ne s’abandonne pas après la victoire. Avec trois cent mille jeunes armés, décidés à tout et presque mystiquement prêts à un de mes ordres, moi, je pouvais punir tous ceux qui ont diffamé ou tenté de salir le fascisme. Je pouvais faire de cette salle sourde et grise un bivouac de pantins : je pouvais barrer le Parlement et constituer un gouvernement exclusivement de fascistes. Je pouvais : mais je n’ai pas, au moins dans ce premier temps, voulu. »

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C’est là, en fait, un coup de bluff. Son gouvernement a le soutien de 316 députés, 116 s’opposant et 7 s’abstenant, mais le Parti National Fasciste n’a pas les moyens ni politiques ni militaires de renverser le régime, ce qu’il n’entend d’ailleurs pas faire.

L’objectif de Benito Mussolini est en effet de fusionner le fascisme comme mouvement avec les institutions, afin de les régénérer, et donc de les faire changer de forme, mais de l’intérieur. Le NSDAP ne fera pas autrement en Allemagne.

Ainsi, dès janvier 1923, Benito Mussolini fonde la Milizia Volontaria per la Sicurezza Nazionale – Milice volontaire pour la sécurité nationale. Cette structure, composée des chemises noires abandonnant donc leurs « faisceaux », est divisée sur le modèle de l’armée romaine, en légion, cohorte, centurie, manipule, etc.

Elle devient le bras armé du gouvernement à qui est prêté serment (et non au Roi comme cela devrait être le cas), permettant à Benito Mussolini d’avoir un bras armé disponible en plus des institutions elles-mêmes, qu’il ne maîtrise pas encore et qu’il compte happer par les chemises noires.

Il nomme ainsi des chefs de sections squadristes comme « préfets volants », formant un double pouvoir avec les institutions, légitimé et soutenu par les chemises noires.

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Dans un même esprit, Benito Mussolini fonde un « Grand Conseil du fascisme » en décembre 1922. Il s’agit là encore d’une structure para-étatique, sans existence institutionnelle. L’objectif est de préparer le fascisme à la gestion, avec une sorte d’État fantôme cherchant à phagocyter le véritable État.

On retrouve dans ce Grand Conseil le « quadriumvirat » des dirigeants fascistes historiques ayant accompagné Benito Mussolini dans la marche sur rome : Michele Bianchi, Emilio De Bono, Cesare Maria De Vecchi, Italo Balbo.

On a également le secrétaire du PNF (qui dirige le Grand Conseil) et le dirigeant de la Milizia Volontaria per la Sicurezza Nazionale, les président du Sénat, du parlement, de la Chambre des corporations, du tribunal spécial pour la sécurité de l’État, de l’Académie d’Italie, ainsi que ceux des confédérations fascistes (industrie, agriculture, travailleurs de l’industrie, travailleurs de l’agriculture).

A cela s’ajoutent les ministres des Affaires extérieures, de l’Intérieur, de la Justice, des Finances, de l’Éducation nationale, de l’agriculture et des forêts, des corporations, de la culture populaire.

A terme, ce Grand Conseil décidera en théorie de tout dans les institutions : depuis la nomination du successeur du Roi à celle du président du conseil des ministres, en passant par le choix des députés, la forme des différentes structures d’État, etc.

Le Grand Conseil est censé devenir la structure suprême, le noyau dur de l’État lui-même ; à ce titre, dès janvier 1923 est procédé à la dissolution de la garde royale. Benito Mussolini était républicain, mais ne toucha pas à la royauté, mise de côté afin de ne pas en rajouter dans la problématique mise en place progressive du nouveau régime.

Benito Mussolini sait se présenter comme incontournable et de fait l’Associazione Nazionalista Italiana, portée par des factions de la haute bourgeoisie, rejoint le PNF, tout comme le secteur des cléricaux dits modérés du parti catholique Partito Popolare Italiano, les chrétiens-démocrates étant marginalisés.

L’esprit carriériste se retrouve dans la population : alors qu’en octobre 1922, le PNF avait moins de 300 000 adhérents, il en a 783 000 une année plus tard.

Benito Mussolini organisa alors la modification du code électoral, réalisée par le baron Giacomo Acerbo : le parti dépassant 25 % des voix recevrait les 2/3 des places de députés, les autres partis recevant le reste.

Tout était en place pour l’absorption du régime par le fascisme.


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