Ce qui est marquant dans l’estampe intitulée Surugadai à Edo, la cinquième de la série, c’est que le mont Fuji est à l’arrière-plan, tel un symbole bienveillant sur un Japon défini de manière tout à fait précise. On a en effet d’un côté la nature, sur la gauche, et de l’autre des bâtiments, soit une construction humaine.
On a également des voyageurs et des travailleurs présents dans la scène. On a ainsi une formulation esthétique reposant sur le principe de la synthèse : c’est typique, et le cadre est présenté comme relevant d’une substance contradictoire.
Il faut ici se souvenir qu’au Japon, on regarde l‘image de la droite vers la gauche. On a ainsi un grand espace qui nous pousse de l’avant, le toit nous précipitant sur une scène avec un travailleur. La végétation sur la gauche fait contre-poids au mouvement de la vue, alors que les déplacements des personnages, dans des directions opposées, ajoute de la dynamique. C’est un portrait vivant.
Pour la sixième estampe de la série, Le pin-coussin à Aoyama, le mont Fuji est bien plus présent ; la scène est d’ailleurs cette fois reposante.
Il y a pourtant une synthèse puissamment construite. La zone première de la vue, sur la droite, forme un espace qui s’élance toujours plus vers la droite, accompagné par une présence contradictoire du mont Fuji, alors que la zone de végétation sert de contre-poids afin de permettre la présentation des figures humaines, dont la plupart se reposent. C’est très subtil.
Senju dans la province de Musashi a une approche apparemment plus simple. On pense simplement assister à un passage pour cette septième estampe.
En réalité, l’oeuvre organise un tempo très calibré pour ce passage. La végétation est très présente au début, sur la droite, pour se répandre ensuite, forçant l’œil à suivre sa continuité, le mouvement étant renforcé par ce que transporte le cheval et l’habit d’un pêcheur. On est poussé vers la gauche.
Toutefois, le réalisme de Hokusai excelle dans les Trente-six vues du mont Fuji dans sa capacité à poser les choses, une sorte de réalisme où le typique s’inscrit dans une atmosphère, comme pour La Grande Vague de Kanagawa, la huitième estampe.
La Tama dans la province de Musashi est ainsi résolument splendide, avec l’amoindrissement des éléments apportant de manière palpable. La Tama est un fleuve passant par une partie d’Edo (soit Tokyo aujourd’hui), la province de Musashi contenait notamment Edo.
La réussite subtile de cette oeuvre tient au mouvement, que Hokusai maîtrise parfaitement, mais cette fois en limitant les éléments afin de jouer sur les contrastes. On a littéralement deux zones : une (ici appelée 1) poussant de l’avant dans une perspective assez linéaire – en jouant sur le mont Fuji qui est en quelque sorte traversé de droite à gauche, mais dont la masse graphique sert de référent, de nexus à l’oeuvre.
Et on a la zone (a), très élémentaire, se confrontant à la zone (b) du fleuve, lui-même contradictoire pour indiquer le mouvement avec la zone (c), la zone (d) introduisant la zone 2, qui avec sa végétation non linéaire implique la notion de mouvement par détours.
Ce qui témoigne des tours et détours pour les transports, ici par bateau et par cheval.