Discours de Julien Lahaut prononcé devant le Parlement, le 26 juillet 1945

Préface d’Edgar Lalmand : L’anticommunisme arme contre la démocratie

Au cours des débats parlementaires sur la question royale, la droite réactionnaire se trouva placée devant une tache plutôt difficile. Elle tenta bien de plaider les circonstances atténuantes, mais n’était-ce pas là entrer dans la voie des aveux ?

lahaut1.jpgAussi, préféra-t-elle recourir à la méthode classique lorsqu’il s’agit de plaider une mauvaise cause : elle usa et abusa de la diversion. Au lieu de défendre Léopold III, elle attaqua ceux qui réclamaient son abdication et plus particulièrement les communistes.

Cette tactique confère à la « question royale » sa véritable signification.

En réalité, Léopold III n’est qu’un prétexte, l’enjeu de la bataille est autrement important. Si la réaction soutenue par les traîtres et les collaborateurs, par les rexistes et la VNV d’hier, aussi bien que par les néo-fascistes de demain, hurle à tue-tête : « Vive Léopold III », c’est parce qu’on n’a pas encore crié « A bas la Démocratie. »

Car c’est bien de cela qu’il s’agit.

Se cramponner au passé et à ses privilèges inavouables, ne pas permettre que se réalisent les espoirs que la guerre a ravivés aux cœurs des hommes, en un mot : barrer la route à la démocratie génératrice de progrès et de justice sociale, n’est-ce pas là l’objectif principal de toute réaction ? Et lorsqu’ils attaquent et calomnient l’URSS et les communistes, c’est l’union des nations démocratiques, c’est la démocratie que les réactionnaires espèrent atteindre.

Les forces de réaction, toute puissante qu’elles sont, ne constituent qu’une minorité, elle se rompra les os, le jour où elle se heurtera à la démocratie enfin unie.

« Nous tiendrons aussi longtemps que les démocrates seront divisés » prétendent les réactionnaires, et ils n’ont pas tort.

Depuis des années, ils s’emploient à diviser les forces démocratiques en utilisant des recettes anti-communistes et anti-soviétiques de Monsieur Goebbels « « l’or de Moscou », les communistes dans patrie à la solde de l’étranger » et d’autres calomnies aussi ignobles qu’ineptes.

Rien d’étonnant donc à ce que, au début de la guerre, pendant la période de la mobilisation, les communistes furent traqués comme des hors-la-loi. Les plus ardents à les dénoncer et à les poursuivre étaient précisément ceux qui espéraient transformer la guerre en croisade anti-soviétique et qui, préparaient la capitulation devant Hitler.

Les instigateurs des mesures d’exception contre les communistes ne devaient pas tarder à se démasquer : les hordes hitlériennes avaient à peine envahi le pays, qu’on les retrouvera au premier rang des collaborateurs, sinon parmi les agents directs du IIIe Reich.

Quant aux communistes, dès la première heure de l’invasion, ils poussent à la lutte contre l’occupant. Dès le 24 mai, dès avant la capitulation, dans Bruxelles occupé, paraît un numéro clandestin de « La Voix du Peuple » et quelques jours plus tard, le 29 mai, le Parti Communiste lance les mots d’ordre de grève et de sabotage contre l’envahisseur.

En juillet 1940, à l’appel de nos militants, les travailleurs de la région liégeoise abandonnent le travail ; en septembre, ce sont les Borains qui entrent en action, et dans la suite, toujours à l’initiative du Parti Communiste, des grèves partielles éclatent dans diverses régions du pays.

Nous revendiquons également l’honneur d’avoir été les principaux organisateurs de la fameuse grève des cent mille, qui, en mai 1941, vit les métallurgistes, les mineurs et les tramwaymens liégeois se dresser comme un seul homme, contre l’occupant et ses complices.

Dès les premiers jours de l’occupation, notre presse clandestine prépare le pays à la résistance, appelle les patriotes à se grouper, dénonce les traîtres passés à l’ennemi : nous sommes parmi les premiers à combattre l’U.T.M.I. et prendre position contre les engagements pour le travail obligatoire en Allemagne

Aussi, nos ennemis n’attendaient pas le 22 juin 1941 pour sévir très durement contre notre Parti, arrêter et condamner nos militants. Pour les nazis, nous fûmes, dès le début, l’ennemi principal qu’ils traitèrent avec une férocité toute particulière, et ce n’est pas par hasard que nous, communistes avons payé plus cher que quiconque notre attachement à la cause de l’indépendance du pays.

Tant que dura l’occupation, il était difficile de dénoncer, de calomnier les communistes sans faire immédiatement figure de partisans d’Hitler. Il fallut, bon gré, mal gré, mettre en veilleuse l’anti-communisme. Mais l’ensemble du pays n’était pas libéré que déjà les calomniateurs se remettaient à distiller leur venin, hypocritement d’abord, de plus en plus ouvertement dans la suite. Aujourd’hui, un an après la libération, on en est revenu aux vastes campagnes et aux sombres « complots » d’avant-guerre, des hebdomadaires sont nés dont l’unique but semble être de répandre l’anti-soviétisme et l’anti-communisme : des vieilles chevronnées, telles « La Libre Belgique » et « La Gazette de Liège » se sont remises à la tâche avec plus d’ardeur que jamais.

On nous sert, sans même les remanier, toutes les vieilles rengaines démodées. Pourtant, ce serait faire preuve d’injustice à leur égard que de prétendre que les calomniateurs n’ont trouvé rien de nouveau. N’ont-ils pas découvert que les communistes furent les alliés d’Hitler jusqu’au 22 juin 1941 ?

C’est là une calomnie qui ne peut que provoquer l’indignation et le dégoût des patriotes qui, participant dès le début à l’action, eurent l’occasion de se rendre compte eux-mêmes dans quel camp se trouvaient les communistes et quel était le travail qu’ils y accomplissaient.

Mais on a trouvé mieux encore, déplaçant les bornes de l’odieux, on accuse les communistes déportés en Allemagne de s’être faits, dans les camps nazis, les complices des tortionnaires SS. Je laisse à d’autres l’honneur de répondre, au nom de nos morts et de nos martyrs, mais ne puis me défendre d’un sentiment de honte, en constatant que des individus, que je m’abstiens de qualifier, peuvent impunément insulter à la mémoire de ces héros qui, par leurs souffrances et leurs sacrifices, ont mérité l’admiration et la reconnaissance totales de la Patrie.

Au cours d’un débat qui opposait réactionnaires et démocrates, l’anti-communisme devait, fatalement, prendre une large place. La plupart des orateurs de la droite se préoccupaient davantage d’attaquer les communistes que de défendre Léopold III, mais Monsieur d’Aspremont-Lynden se distingua parmi tous les autres.

Le comte était, sans aucun doute, magnifiquement documenté, tout y passa, depuis les mensonges les plus ineptes, jusqu’aux calomnies les plus infâmes. Spectacle peu édifiant que celui de ce noble personnage utilisant à la tribune parlementaire le langage et les procédés d’un provocateur de bas-étage. Mais s’encombre-t-on de scrupules lorsqu’il s’agit d’anti-communisme ? Aussi, la droite réactionnaire n’épargna-t-elle ni les encouragements, ni ses applaudissements au personnage qui accomplissait sans vergogne une aussi reluisante besogne.

La réaction a-t-elle espéré que cette attaque de grand style qui tendait à prouver que le pays avait à choisir entre Léopold III et les communistes, allait permettre d’isoler ceux-ci des autres démocrates ?

Quoiqu’il en soit, ces espoirs furent de courte durée, ils ne survécurent pas à la riposte brève et digne dont notre camarade Lahaut cingla le noble comte et des amis.

Lahaut ne bénéficie pas des privilèges que confère un nom à charnière. Julien Lahaut n’est qu’un fils du peuple, mais ce peuple, il l’a aimé et fidèlement servi toute sa vie durant. Je ne puis, dans le cadre forcément limité de cette préface, ne fût-ce que résumer la magnifique carrière de ce militant ouvrier qui, pendant plus de quarante ans, n’a pas cessé un instant de se dépenser sans compter pour la cause du peuple.

Admirable militant ouvrier, Lahaut fut aussi excellent patriote. Engagé volontaire en août 1914, il lutta au cours de la première guerre mondiale, pour l’indépendance de son pays et, dès mai 1940, on le retrouve au premier rang de ceux qui sont décidés à résister par tous les moyens à l’occupant.

Participant activement à l’action clandestine de son Parti, Lahaut sera un des principaux animateurs de la grève des « cent mille ». Arrêté par la Gestapo, il passe quarante-sept mois dans les bagnes de Neugammen et de Mauthausen. Mais les souffrances et la maladie, pas plus que la torture et la faim parviennent à avoir raison du vieux lutteur. Il ne capitule pas et son attitude digne et fière lui vaut le respect et l’admiration de tous.

Voilà l’homme que la réaction attaque, espérant ainsi atteindre le Parti Comuniste ; voilà l’homme dont un Monsieur d’Aspremont-Lynden prétend se faire l’accusateur.

Mal leur en pris.

Du haut de la tribune, en quelques phrases, Julien Lahaut réduit à néant le réquisitoire si laborieusement échafaudé par le noble comte. La voix vibrante d’une indignation volontairement contenue, notre ami oppose aux calomnies et aux mensonges des faits incontestables. Il n’y a pas moyen de mettre en doute la sincérité de cet homme et, au fur et à mesure qu’il parle, l’anti-communisme dépouillé de son astuce et de son hypocrisie, apparaît dans son hideuse nudité.

La formidable offensive, soigneusement préparée et menée avec un maximum de moyens, s’effondre lamentablement. Sur les bancs des démocrates, les approbations se multiplient. Monsieur d’Aspremont-Lynden cache mal son dépit tandis que la droite décontenancée écoute, figée dans un silence impressionnant, le discours qui, impitoyablement, la démasque.

Face au pays, Julien Lahaut dépouille l’anti-communisme de tous ses oripeaux, le montrant tel qu’il est : tissu de bassesses, de mensonges, de calomnies et de provocations.

Quoi que disent, quoi que fassent les ennemis du peuple, ils ne changeront rien au fait que les communistes ont prouvé de façon irréfutable et combien glorieuse, être parmi les meilleurs fils de la Patrie, parmi les plus courageux défenseurs de la Démocratie.

Et c’est parce qu’ils le savent, que réactionnaires et néo-fascistes, désireux de détruire la Démocratie, concentrent contre les communistes, le principal de leurs forces.

Cette vérité élémentaire, il est à souhaiter que tous les démocrates la comprennent et s’en imprègnent. Il faut qu’ils sachent que l’anti-communisme, aussi prudent, aussi larvé soit-il, ne peut aller de pair avec un attachement sincère à la cause de la Démocratie.


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Échec aux calomniateurs ! : Discours de Julien Lahaut, prononcé au Parlement le 26 juillet 1945

M. Lahaut (à la Tribune) : Mesdames, Messieurs, J’ai pris l’engagement d’être bref et comme on dit en wallon, je serai court et bon. Je verserai au débat toute une série de pièces qui paraîtront à l’Analytique et l’on pourra se rendre compte de la véracité de mes déclarations.

M. le Président : Monsieur Lahaut, je dois vous faire observer qu’il est bien entendu que les Annales et de « Compte Rendu » n’insèrent que les pièces qui ont été lues au cours de la séance. Mais je veux bien vous assister pour donner connaissance aux membres, par ailleurs des pièces que vous voudrez bien me remettre.

M. Lahaut : C’est entendu, pourvu que les membres de la Chambre aient l’occasion de s’en rendre compte par eux-mêmes.

Tout d’abord je rappelle les motifs et la signification de mon interpellation en vue d’établir que dans le courant du débat on en est sorti largement et notamment M. d’Aspremont-Lynden, lorsqu’il a parlé de la position des communistes et qu’il m’a pris à partie. Voyons les faits et répondons point par point à cette accusation qui a été portée contre moi.

Tout d’abord les passeports dont j’étais muni pour me rendre en France inoccupée. Chacun sait que pour sortir des pays occupés il fallait un visum allemand et ce prétendu crime c’était le seul moyen de se rendre en zone inoccupée. Ce passeport d’autre part était visé par M. Carton de Wiart, fils.

M. Carton de Wiart : Il attestait votre qualité de député, ce qui entrait dans son rôle.

M. Lahaut : Et qui attestait ma qualité de député et demandait aux autorités civiles et militaires de m’aider dans ma mission.

M. Carton de Wiart : Cela entrait assurément dans son rôle.

M. Lahaut : Je l’enregistre et il est bien entendu que je n’allais pas seulement au nom du gouvernement provincial, ni du collège de ma commune, mais que j’allais aussi, appuyé par M. Carton de Wiart fils.

Carton de Wiart : Je répète qu’il était dans son rôle officiel.

M. Lahaut : Donnez-lui la signification que vous voulez, ça m’est égal. J’ai d’ailleurs été très heureux de l’aide que j’ai reçue.

M. Gailly : Je ne puis en dire autant quant à moi.

M. Lahaut : Les documents de l’autorité allemande consistent donc à avoir ce visum. Et alors, quelle est la signification exacte de ma mission ? La signification exacte est la suivante : deux millions de Belges se trouvent en zone inoccupée et les membres de mon collège échevinal de ma commune et moi-même, nous sommes l’objet de nombreuses démarches de la part des mamans qui venaient nous poser la question suivante : (illisible) on a donné l’ordre aux jeunes gens de 16 à 18 ans de se diriger vers les lieux qui ont été fixés par la suite ; aussi nous sommes sans nouvelles, la place est vide au foyer ; à table, le soir, nous nous demandons ce que sont devenus nos enfants. Et de l’une de ces mamans je recevais les détails suivants : nous avons cherché partout. Nous sommes venues aux environs de la frontière à la poursuite de renseignements que l’armée allemande avait recueillis.

Toutefois les lieux indiqués sur les affiches avaient été repérés et bombardés particulièrement là où se trouvaient les jeunes gens. Et la maman se présentant au bourgmestre, on lui répond : Oui, Madame, le train a été bombardé, il y a quarante tués. Où sont ces tués demande cette maman, et quels sont les noms ? On lui répond : Nous ne savons pas. Et cette femme, elle va au cimetière voir le fossoyeur et a retourné de ses mains les quarante cadavres pour voir si son fils était tout près.

Au collège échevinal j’ai proposé qu’une délégation se rende en zone non-occupée à la recherche des jeunes gens. J’ai eu, en France, une entrevue avec un membre du gouvernement du Général Denis a qui j’ai expliqué l’objet de ma mission ; il m’a aidé efficacement en donnant une recommandation, écrite de sa propre main, me permettant d’accomplir ma mission et me donnant tous les détails nécessaires. Les jeunes gens étaient répartis dans 400 camps et ils étaient 85.000 environ. Les familles étaient sans nouvelles !

Je me suis rendu à Toulouse où j’eus une entrevue avec le Haut-Commissaire. J’ai été à l’Etat-Major où j’ai pu prendre copie, grâce au concours de quelques personnes de bonne volonté, de toutes les personnes qui se trouvaient encore dans les camps. Rentré dans ma commune, j’ai convoqué les mamans et je leur ai donné tous les détails. Et chaque fois qu’on citait un nom d’un jeune homme qui était toujours en vie, c’était une scène émouvante.

Je suis fier d’avoir accompli ma mission et signé le document

Il y a dans le document – et c’est là le caractère qu’on veut lui réserver – un appel à la rentrée des Belges pour travailler. On dit : travailler pour l’ennemi. On a parlé à cette tribune d’une psychologie et d’erreurs. Eh bien moi, je ne mets pas cela sur le compte de la psychologie ni d’une erreur, mais je dis : oui, nous avons signé. Je pourrais faire état ici des personnes que nous avons réunies afin d’établir le document. J’ai dit que je prenais toute la responsabilité.

Qu’avions-nous en vue ? Pour avoir une pièce nécessaire à passer par les lignes ennemies, il fallait trouver une formule. C’est celle qui est indiquée d’une façon claire dans ce document. Je désire verser cette pièce au dossier pour qu’elle paraisse aux Annales. La voici :

« Je soussigné Julien LAHAUT, Membre de la Chambre des Représentants, mandaté par le Gouvernement provincial de Liège (Belgique), mandat conformé par l’Ambassade belge à Paris et par un document de l’Autorité Allemande, en vue du rapatriement des jeunes gens de la réserve de recrutement, et des réfugiés se trouvant en France,

déclare, que le Ht Commandement Allemand en Belgique exige la reprise de l’activité économique du pays. Ce but ne peut être atteint que par la réorganisation immédiate de toutes les industries, de l’artisanat, des exploitations agricoles, des services publics et Banques, de l’enseignement et du commerce et des professions libérales.

La présence du personnel se rapportant à ces diverses activités est indispensable.

D’autre part, il serait souhaitable, pour éviter les difficultés aux personnes visées ci-dessus, que leur absence ne se prolonge pas davantage.

J ‘insiste pour que les autorités civiles et militaires belges et françaises facilitent, soit par le chemin de fer, soit par la route, le rapatriement des dits jeunes gens et des réfugiés belges se trouvant sur le territoire français non occupé. »

Signé : J LAHAUT

J’ajoute que le gouvernement belge, avec la signature d’un de ses ministres a délivré aux Belges se trouvant en France et voulant rentrer en Belgique un certificat dont j’ai sous les yeux un exemplaire et qui dit :

« Le gouvernement belge a l’honneur de prier les autorités Allemandes de bien vouloir faciliter le retour de M… Le gouvernement belge prie les autorités Allemandes d’accorder aide et protection aux personnes ci-dessus désignées et de faciliter leur circulation en zone occupée. L’intéressé voyage à ses risques et périls et se conformera aux prescriptions des autorités. »

Le certificat que j’ai sous les yeux a été fait à Vichy le 23 juillet 1940. Il porte le cachet du cabinet du Premier Ministre et est signé par le Ministre Matagne.

Et bien, en ce qui me concerne, je suis fier d’avoir accompli cette mission et d’avoir, pour ce faire, signé cette pièce.

Que voulions-nous ? Faire rentrer les jeunes gens. J’ai promis d’être bref, mais je pourrais vous citer des exemples innombrables du rôle qui a été joué par ces jeunes gens rentrés en Belgique. Peut-être vous suffira-t-il aussi que je vous dise qu’à ma rentrée j’ai été l’objet de mesures particulières, de perquisitions de la part de la Gestapo, d’un interrogatoire durant sept heures, à propos de mon voyage là-bas. Car déjà la lutte était engagée contre l’occupant.

D’autre part, lorsque nous avons donné cette signification à la pièce en question – et je vous déclare que j’en reste fier – c’est parce que c’était là pour nous un moyen de tromper les Allemands.

Pendant la guerre on a fait appel aux administrations publiques pour faire de fausses cartes d’identité. Nous avons fait ces faux et nous sommes très fiers du résultat car nous pouvons dire qu’en Belgique nous avons contribué à la libération du pays. C’est grâce à l’appel que nous avons lancé que le mouvement de résistance est entré dans la bataille, et un grand nombre de jeunes gens qui sont rentrés de France grâce au document que j’ai cité, y ont participé. Voilà le caractère que nous avons donné à ces pièces.

En tête de la grève des 100.000 à Liège, en mai 1941

Dans un autre domaine encore, nous avons obtenu un résultat sérieux. En 1941 une grande grève a éclaté. Cette grève à laquelle 110 milles ouvriers étaient intéressés avait un caractère politique d’une importance capitale. Réunis au mois d’août à l’administration communale, malgré l’interdiction de réunion, ces grévistes ont manifesté en face de la Gestapo qui en interdisant la réunion avait ajouté qu’en Allemagne on coupait la tête à ceux qui faisaient grève. J’étais le délégué des grévistes et malgré la menace des Allemands, la grève a continué jusqu’au jour ou les ouvriers ont eu entière satisfaction.

Des faux pour les soupes populaires

Un mot encore au sujet du Secours d’Hiver. On peut dire sans exagération que le Secours d’Hiver était considéré comme un organisme créé par l’occupant. Quant au collège, nous avons examiné la position à prendre vis-à-vis du Secours d’Hiver, nous nous sommes dit que si nous ne nous emparions pas du Secours d’Hiver, les rexistes le feraient et la population ne verrait que ce qu’elle recevrait et se croirait abandonnée par l’administration communale.

Nous avons donc décidé de nous emparer du Secours d’Hiver, où nous avons commis des faux et où nous avons violé toutes les règles des finances. A plusieurs reprises, en allant chercher des féculents pour faire une soupe populaire, il nous est arrivé de nous servir plusieurs fois du même papier de façon à pouvoir faire profiter 15.000 personnes de cette soupe.

Messieurs, voilà les réponses à apporter à ces interventions en dehors du débat de M. d’Aspremont-Lynden.

L’Union dans les camps hitlériens !

Il a dit aussi qu’on reparlerait des communistes dans les camps de concentration. Parlons-en Monsieur d’Aspremont-Lynden, mais je vous mets bien en garde, car déjà nous sommes en contact, par la formation d’amicales, avec des personnalités de chez vous, avec des croyants dont nous avons respecté la conviction pendant toute la guerre. Oui, nous sommes communistes, mais jamais nous n’avons offensé ceux qui ne partageaient pas nos idées. Dans le camp où j’étais pendant les derniers mois de mon séjour en Allemagne, c’est sur mon lit de prisonnier qu’on venait célébrer la messe et ce avec mon autorisation. Au cours de cette cérémonie je m’abstenais de ma présenter afin de ne pas déranger ces croyants et de respecter l’exercice de leur culte. Nous étions unis là-bas. Si vous citez des exemples isolés, prenez garde car je pourrais en faire autant et je pourrais divulguer des choses abominables commises par certaines personnes qui sont des personnalités dans le monde catholique mais qui se sont bien mal conduites. J’estime cependant que le Parti communiste n’a rien à voir avec ces cas isolés.

Voilà ma réponse à certaines gens.

M. Depotter : C’est aussi une leçon pour M. d’Aspremont-Lynden.

M. Lahaut : Pour le surplus, je m’en rapporte à l’intervention de l’honorable M. Huysmans qui a souligné que si nous n’avions pas eu l’armée rouge, nous ne serions pas ici. J’enregistre une telle déclaration, d’autant plus qu’elle résume presque toutes les considérations que je comptais faire valoir.

Je prie la Chambre de m’excuser d’être sorti du débat, mais je me hâte d’y rentrer et de vous faire connaître ma conclusion. L’opinion publique est éclairée.

Sire, allez-vous-en !

Tout a été dit par le Premier Ministre et le Ministre des Affaires Etrangères. Les faits sont établis. Il ressort de ce débat :

1. Que Léopold III ne s’est pas seulement séparé du gouvernement mais du peuple résistant et souffrant qui, lui, ne s’est pas trompé ;

2. que Léopold III a placé le pays en pleine guerre sous l’hypothèque d’une politique étrangère et militaire inspirée par l’Allemagne, avec l’inévitable répercussion sur le plan intérieur de la plus grave division nationale ;

3. qu’un parti politique se refuse à admettre la vérité, parce que la vérité ruine les espoirs électoralistes de la réaction et du néo-fascisme.

Le député Buset a réclamé l’abdication.

L’honorable M. Devèze s’est écrié à cette tribune : « Quand on ne peut plus être un grand Roi, on peut encore être un grand homme. »

Le Ministre Spaak reprenant les paroles de Châteaubriand a dit : « Sire, votre fils est notre Roi ».

Que cela signifie-t-il, traduit dans un langage populaire franc et direct, sinon : « Sire, allez-vous-en ! »

Comme je l’ai dit au cours de mon interpellation, nous aurions souhaité que le Parlement prononce la déchéance de Léopold III.

Tous les éléments d’information sont réunis, permettent à la Chambre et au Sénat qui ont déjà voté l’interprétation de l’art.82 de la Constitution, de poser des actes décisifs et aider le pays à sortir de l’impasse. Le Parlement a le droit constitutionnel et aussi le devoir de prendre une décision irrévocable à l’égard d’un roi qui a démérité.

Néanmoins, en vue de maintenir l’union démocratique qui s’est manifestée dans le pays et au Parlement au cours de ce débat, nous avons décidé de signer l’ordre du jour des groupes démocratiques qui, malgré que formulé avec une modération extrême n’en reflète pas moins ce qui est la conviction de tous les hommes que n’aveuglent pas les passions partisanes : à savoir que les intérêts majeurs du pays et de la nation ne permettent pas que Léopold III remonte sur le trône.

J’ai dit. A bon entendeur, salut (applaudissements).


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