Note du Centre MLM : Jean Fonteyne était avocat, membre du Secours rouge international, secrétaire du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes, résistant, adjoint du responsable de l’IC pour l’Europe occidentale, Eugène Fried ; délégué du Komintern auprès du Parti communiste français, dirigeant de Justice libre, branche judiciaire du Front de l’Indépendance, sénateur communiste de l’arrondissement de Charleroi de 1946 à 1949.
Suite au Congrès de Vilvorde (1954), Jean Fonteyne et Raoul Baligand (brigadiste international engagé en 1936 dans le bataillon franco-belge « André Marty » et ancien chef partisan de Charleroi) entrent à la Commission de Contrôle politique (CCP) du Parti Communiste de Belgique.
La CCP est, en ces temps de guerre froide, un organe de sécurité important au sein du PCB. Cette commission a ainsi pour mission d’empêcher l’infiltration d’éléments policiers dans le Parti. Elle traite également de questions sensibles, comme celles liées à la bonne moralité des militants.
C’est dans le cadre de ses activités dans la CCP que Jean Fonteyne va entrer en conflit avec les bandits révisionnistes Beelen, Van Geyt et Cie, ces derniers souhaitant purger le PCB de ces derniers éléments « sectaires » liés à la période Edgar Lalmand. Ils lui reprochèrent dans un premier temps, d’avoir gardé des contacts étroits avec les dirigeants du Parti Communiste Français, Marcel Cachin et Maurice Thorez. Dans ce cadre, rappelons que le PCF n’avait à l’époque pas renoncé encore aux notions de Dictatures du prolétariat et de Parti d’avant-garde.
Le conflit deviendra ouvert après le Congrès d’Anvers (1963) et l’exclusion des militants organisés autour de Jacques Grippa. Jean Fonteyne qui n’avait pas suivi Grippa et les siens lorsqu’ils quittèrent le PCB avait cependant gardé de bonnes relations avec les « dissidents » pro-chinois.
Il en résulte que Fonteyne est écarté de la CCP par la clique révisionniste qui complotait pour en prendre le contrôle. Il est remis à la base et placé à la très modeste section communiste de la commune bruxelloise de Saint-Josse. Mais cela ne suffit pas pour Van Geyt qui a gardé Fonteyne dans sa ligne de mire, lui reprochant d’avoir serré la main de Grippa en public.
Des pressions sont exercées afin qu’il rédige une déclaration écrite pour se dissocier des « traitres grippistes ». Fonteyne refuse car, a son estime, cela reviendrait à renier des militants de la valeur de Hertz Jospa, Henri Glineur et Grippa qui − a l’instar de Fonteyne − sont des héros de la Résistance qui furent déportés et atrocement torturés par les nazis sans jamais dénoncer leurs camarades. Fonteyne sera finalement expulsé, le 12 février 1965, d’un PCB devenu révisionniste de manière ouverte.
J’ai passé huit jours en Bulgarie, du 27 avril au 4 mai.
Le jour de mon arrivée, j’ai été présenté à un certain nombre de personnes, qui, apprenant que je suis Belge, m’ont aussitôt parlé de nos dockers d’Anvers et m’ont interrogé sur les résultats, chez nous, de la campagne des signatures pour un pacte de paix.
La veille de mon départ, alors que je parcourais la campagne bulgare, des paysans m’ont accueilli avec cordialité en me posant la question : « Vous êtes Belge ? » Et ces paysans, dont certains venaient seulement d’apprendre à écrire, m’ont parlé des dockers d’Anvers et des signatures, chez nous, pour le pacte de paix.
J’ai, à Sofia, visité le Musée de la Révolution. Il vaut mieux, peut-être, n’en pas parler ?
Je dirai cependant que l’on ne se trompe pas si l’on suppose que, dans l’histoire contemporaine de la Bulgarie, de la Bulgarie de 1945 à 1951, il n’y a aucune trace de discussions sur des questions telles que celle de savoir si c’est le père ou le fils qui régnera, à combien de millions s’élèvera la liste civile, si l’on taxera ou non les bénéfices exceptionnels de guerre, si on libérera ou non les criminels de guerre, si le socialisme doit être le gérant loyal du capitalisme.
Ce dont on parle et discute, c’est, par exemple, du développement de l’agriculture dans la Dobroudja, des écrans forestiers qu’on va y planter pour mettre fin aux ravages des vents, de la multiplication des stations de tracteurs, de l’irrigation, de l’extension des coopératives qui y groupent actuellement 75 % des exploitations et plus de la moitié des surfaces arables.
Ce dont on parle, c’est du fait qu’en 1950 la population a pu consommer deux fois autant de beurre et de fromage qu’en 1949 ; que pendant la même année, les logements ouvriers ont augmenté de plus d’un tiers, la capacité des hôpitaux, de plus d’un cinquième.
Ce dont on discute, c’est si en 1951, l’on est en bonne voie d’accroître, comme on se l’est promis, la production du charbon de 25 %, celle de l’électricité de 36 %, celle de la fonte de 58 %, celle des chaussures de 50 %, celle du sucre de 70 %.
Ce dont on discute, c’est de l’industrialisation et des progrès matériels et culturels qu’elle doit assurer au pays, de l’établissement d’usines nouvelles, du perfectionnement des techniques en cours ; de la formation de cadres qualifiés ; de l’aide de l’Union Soviétique dans tous ces domaines.
Ce dont on discute, c’est des trois grands barrages en construction, de la filature Clément Gottwald en construction, de la transformation en terre fertile, des 18.000 hectares de marais et de terrains arides de Brachliane, de la liquidation de l’analphabétisme, de l’efflorescence de la science et des arts.
Le Musée de la Révolution bulgare contient pour nous de grands enseignements.
Tout d’abord celui, conforme à l’expérience de tous les peuples, de l’importance, pour la victoire des travailleurs, de l’union des forces ouvrières entre elles et, d’autre part, de leur alliance avec les paysans.
Le passé du peuple bulgare dans ce domaine a son aboutissement aujourd’hui dans le Front de la Patrie, le grand mouvement politique, qui groupe tous les démocrates.
Il se reflète dans la composition du gouvernement : celui-ci ne comprend pas seulement des ministres communistes, mais aussi trois ministres agrariens (dont le ministre de la Justice), un ministre sans parti (membre de l’ancien parti de Sveno, qui était composé d’intellectuels, progressistes, antiroyalistes) et un ancien socialiste (ancien, parce que, en Bulgarie, les partis socialiste et communiste ont fusionné).
Second enseignement du Musée de la Révolution : combien est faux et injuste le sentiment de ceux pour qui la Bulgarie est l’alliée de l’Allemagne de la guerre de 1914-1918.
La plupart des Belges ont ignoré et ignorent la lutte que le peuple bulgare a menée contre la guerre de 1914 : les meetings de Dimitrov en 1914 ; les discours de Kolarov en 1915 ; la révolte ouverte en 1917 d’abord, en 1918 ensuite ; la reddition de comptes demandée par le peuple bulgare, à l’issue de la guerre, aux fauteurs de celle-ci et comment la réaction internationale sauva à ce moment la royauté de Ferdinand de Saxe-Cobourg et maintint le peuple bulgare sous le joug.
De 1940 à 1944, malgré la trahison du gouvernement bulgare, Hitler n’a jamais pu forcer la Bulgarie, dont l’armée comptait 650.000 soldats, à envoyer un seul de ces soldats lutter en Russie.
Dès le 9 septembre, après que l’Armée Rouge eut assuré la libération du pays, l’armée bulgare entra en guerre contre l’Allemagne. Libérant avec l’Armée Rouge la Yougoslavie, elle contraignit les armées hitlériennes à se retirer de Grèce. Onze mois de combat la portèrent jusqu’à Klagenfurt, où elle fit sa jonction avec les armées américaines.
Le Musée de la Révolution bulgare, enfin et surtout, montre l’image, le modèle d’un peuple qui connut 500 ans d’occupation étrangère, d’oppression et de terreur, qui, à travers ce demi-millénaire d’oppression sut sauver sa langue, son caractère et ses usages nationaux par une lutte opiniâtre et d’un incomparable héroïsme.
Aux soldats turcs, armés jusqu’aux dents, s’opposaient dans les défilés, des ouvriers et des paysans mal vêtus, porteurs de faux, de bâtons et de pierres. Ces ouvriers et paysans l’emportaient dans ces combats meurtriers, parce qu’ils savaient pourquoi ils se battaient.
Souvent le clergé se trouvait à leurs côtés. Et l’on peut voir au Musée, le canon que le pope André tirait dans leurs rangs.
On y voit une fresque émouvante : les portraits, aux visages purs et honnêtes, des grands militants, qui montrèrent au peuple bulgare le chemin de sa libération − et qui, de pendaison en pendaison, de décapitation en décapitation, d’éclaircissement en éclaircissement de la pensée révolutionnaire, menèrent au sommet que fut Georges Dimitrov.
Quelle noblesse de conception, dès les premiers tâtonnements !
Sava Rakowski, un des premiers chefs de partisans, disait : « Que personne n’attende que la liberté vienne toute seule. Notre liberté dépend de nous. Que chacun grave profondément au fond de son cœur les mots « liberté ou mort » et qu’il parte combattre, le sabre à la main… »
Au début du siècle dernier, un autre initiateur, Karavelov, sous la terreur turque, écrivait : « Nous libérerons non seulement les Bulgares. Nous libérerons aussi des pachas le peuple turc lui-même. »
Vassil Levski est pendu après 18 ans de vie dans l’illégalité. De l’instituteur Botev, on peut voir les caractères primitifs d’imprimerie, qui lui servaient à répandre la bonne parole.
La première révolte contre le fascisme dans le monde, c’est, en 1923, le 6 août 1923, le parti communiste bulgare qui la décida, elle coûta 30.000 tués.
Dans la suite, les fusillés, les pendus, les brûlés vifs se succèdent.
En 1925 Tsankov, chef du gouvernement, organise un attentat dans la cathédrale : 900 condamnés à mort.
En 1929, Anton Popov, devant sa potence, s’écriait : « Je meurs pour des jours qui seront plus clairs que le soleil », annonçant les « lendemains qui chantent » de Gabriel Péri.
Dans ce cadre de la lutte pour la libération du peuple, la résistance, l’action des partisans au cours des années 1940-1945, occupe une place glorieuse. Et on ne se trompera pas si l’on suppose qu’aujourd’hui − contrairement à ce qui se passe dans certains pays occidentaux − cette résistance de 1940-1945 n’est pas persécutée, mais honorée.
J’ai aussi visité le mausolée de la place du 9 septembre.
Il n’y a pas, en ce moment, en cours à Sofia, de travaux comparables à ceux de notre jonction Nord-Midi à Bruxelles, qui couvrent un pays tout entier de gloire pendant les 60 ans pendant lesquels ils se prolongent.
Le mausolée de Dimitrov a les dimensions d’une grande maison à deux étages, tout en marbre : blanc au dehors, de couleur au dedans. Au centre repose, dans un sarcophage de verre, le corps intact du grand combattant, le visage rayonnant de cette douceur de traits, qu’il avait acquise depuis son retour au pays après la guerre, qui contrastait si vivement avec son expression des jours de lutte contre Goering, − les traits apaisés du socialisme victorieux et de ses contacts fraternels.
La conception du mausolée, le choix de son emplacement, la confection des plans, l’extraction du marbre à la carrière, le transport des matériaux, la construction, l’achèvement, le polissage de la pierre, la mise en place du sarcophage − ont demandé au peuple bulgare dix jours.
Puis, j’ai visité Momina Klissoura.
En route vers la montagne, mes camarades bulgares avaient tout à coup remarqué un énorme bâtiment neuf, qu’ils n’avaient jamais aperçu au cours de leurs précédents voyages. Nous nous y rendons. Et nous voilà devant un immense sanatorium. Sa construction a été commencée il y a moins d’un an. Il fonctionne avec ses 300 lits, ses dix médecins, ses laboratoires, ses cures d’eaux thermales radioactives, qui sourdent de terre à 80 degrés, sa population de malades-ouvriers soignés comme seuls pouvaient l’être autrefois quelques grands bourgeois et quelques puissants financiers.
Je veux ici conter un détail :
Chacun sait que les odeurs de cuisine montent.
On a décidé, à Momina Klissoura qu’il ne convient pas que des travailleurs, qui ont une alimentation de régime parce qu’ils souffrent par exemple d’ulcère gastrique ou d’eczéma, soient gênés si peu que ce soit par des odeurs de cuisine. Et l’on a placé les cuisines tout en haut du bâtiment.
C’est très compliqué et cela coûte très cher, des cuisines au haut d’un bâtiment, comme installation, comme organisation, comme main-d’œuvre, pour les transports.
Les ouvriers malades du sanatorium de Momina Klissoura ne peuvent payer ces dépenses et ces complications. Et l’administration du sanatorium ne reçoit pour prix de celles-ci que la conscience qu’elle peut avoir de la légère augmentation de bien-être qu’elles ajoutent au traitement.
J’ai réfléchi depuis lors à ce raffinement, à cette attention d’un régime, plongé dans les problèmes économiques les plus ardus, envers ses travailleurs malades.
J’ai pensé que cette histoire de cuisine avait un nom. J’ai cherché quel pouvait être ce nom. Il me semble que ce nom est « amour du prochain ».
Au sanatorium de Momina Klissoura, il n’y a pas seulement des cuisines ; sur ces cuisines règne un cuisinier ; c’est un cuisinier qui, avant la révolution, avait sa célébrité dans les grands restaurants.
Je me suis souvent demandé, avant de visiter les démocraties populaires, quel effet pouvait avoir une révolution socialiste sur la psychologie des travailleurs, que leur métier a amenés à devoir vivre du luxe, qui ont été habitués, professionnellement, à servir un luxe auquel le régime populaire met fin, en même temps qu’à ses corruptions.
Et lors d’un de mes premiers voyages à l’Est, il y a quelques années, l’on m’avait montré l’exemple d’un cuisinier, touché par la nationalisation du restaurant où il exerçait depuis nombre d’années, qui ne pouvait pas comprendre le contrôle qui s’exerçait maintenant sur la quantité de beurre et le nombre d’œufs qu’il employait, qui ne pouvait se faire à l’idée de sa profession dépouillée des tricheries et des malhonnêtetés d’autrefois, et qui exprimait une détresse navrante par cette lamentation tragique : « Autrefois, j’étais un homme libre. Maintenant, je tourne mes mayonnaises avec, sans cesse, un pied en prison. »
Le cuisinier de Momina Klissoura ne prépare pas ses sauces avec un pied en prison, mais la poitrine couverte de distinctions.
Et nous avons eu devant nous la vision d’un homme pour qui la vie avait maintenant un sens, trois fois brigadier de choc pour les services rendus à la cause de l’alimentation des travailleurs, et qui considérait comme le plus grand des honneurs et la meilleure des joies d’avoir été désigné pour veiller sur les régimes de travailleurs plus malheureux, de pouvoir s’ingénier, par des recettes nouvelles, à servir leur santé – avec, comme pourboire, au milieu de cette région volcanique dominée par les cimes neigeuses des Rhodopes, le sourire de trois cents malades.
J’ai vu aussi Dimitrovgrad.
Dimitrovgrad, sorte de champignon fantastique, fait de deux immenses usines et de milliers de maisons blanches poussant à vue d’œil de la terre bulgare en un lieu où, il y a 3 ans, se remarquaient difficilement quelques masures.
Dans la lumière du matin, Dimitrovgrad apparaît tout à coup au voyageur comme un conte de fées.
Le voyageur approche. Il pénètre dans le gigantesque chantier. Il parle aux hommes qui s’y affairent. Et il aperçoit alors que la baguette magique qui a créé Dimitrovgrad est une chose on ne peut plus banale : un peu de bon sens.
Dimitrovgrad, c’est un raisonnement que le plus simple des hommes peut faire : « Nous avons des champs immenses ; pour avoir de ces champs un bon rendement, il nous faut des engrais. Voici, au milieu de ces champs mêmes, tout ce qui est nécessaire pour fabriquer des engrais : sous le sol, du charbon et du calcaire ; sur le sol, un air chargé d’azote. Il faut donc ici fabriquer des engrais. »
Le plan est conçu en 1947. L’usine produira cette année.
Dans la poussière du ciment, les haut-parleurs chantent ils chantent le chant des partisans français.
« Nous avons exécuté le plan à 230 % » proclame, au haut du bâtiment principal, un calicot accroché par les bétonneurs.
« A 290 % » réplique un calicot des charpentiers.
« Au 9 septembre, nous aurons fini le montage avec 2 mois d’avance » promet le calicot des monteurs.
Comment a-t-on pu réunir ici, en quelques mois, dans ces champs nus, 25.000 ouvriers ?
Ces hommes et ces femmes, à qui nous posons la question, rient. Comme ils sont calmes, paisibles ; comme ils ont les deux pieds sur la terre ! Des cultivateurs, des fils et des filles de cultivateurs. Comme c’est simple !
« Nous avons besoin d’engrais pour nos champs. La presse a annoncé le projet de Dimitrovgrad et que Dimitrovgrad peut nous fabriquer des engrais. Nous sommes partis pour construire Dimitrovgrad… Il n’y avait rien ici, quand nous sommes arrivés. Voici maintenant des milliers de maisons achevées. Nos femmes et nos enfants nous rejoignent. On se marie à Dimitrovgrad. On naît à Dimitrovgrad. Ce grand bâtiment, là, − la maternité.
Les machines viennent d’U.R.S.S. Les spécialistes vont se perfectionner en U.R.S.S.
Tout grandit à un rythme de rêve. Personne cependant ne semble se hâter.
Des buffles accouplés transportent lentement leur charge de matériaux. À tout moment, des groupes d’ouvriers, 20, 30, 50, traversent les travaux lentement. L’un d’eux porte au bout d’un bâton un carré de drap rouge. Ils se rendent tranquillement en délégation ou à une assemblée où ils délibéreront sur les meilleurs moyens de promouvoir le travail. Puis, tranquillement, ils appliqueront ce qu’ils ont résolu. Les deux pieds sur terre, le regard embrassant l’horizon.
A l’usine en construction fonctionnent : 17 collectifs d’initiative artistique, trois cercles théâtraux, 5 chœurs, 5 troupes de danse, 2 troupes de montage, 1 troupe de folklore, 7 groupes chargés de recueillir les danses et chansons populaires, 5 bibliothèques dont une de 6.000 volumes, une bibliothèque circulante passant de maison en maison.
Vingt-cinq pour cent des ouvriers sont lecteurs réguliers de ces bibliothèques, soixante à septante pour cent sont membres de cercles culturels.
Les logements sont gratuits. Les congés payés sont de 25 jours.
Le congé de grossesse, de 3 mois.
Voici un restaurant, le restaurant des spécialistes : le directeur lui-même, spécialiste : il a fait en Belgique des études de droit.
Le garçon qui nous sert, nous accueille en français : tout en travaillant comme garçon au restaurant de Dimitrovgrad, il fait ses études de philologie à l’Université de Sofia.
Des études à l’Université de Sofia, le pourboire de la République Populaire Bulgare à ses garçons de restaurant.
A gauche de la route qui mène à Ryla, s’alignent de longs bâtiments neufs.
Et autour d’eux, quarante femmes agenouillées, rieuses, foulard blanc sur la tête, semblent, d’un geste léger, caresser de leurs mains la terre noire.
Mille fois l’on peut entendre en Bulgarie leur récit.
En 1949, le parti communiste lança l’idée de la coopération dans cette région de culture du tabac.
36 cultivateurs, les plus pauvres et quelques moyens, s’unirent. L’année suivante, ils furent 130.
Ils sont 170 aujourd’hui.
Pourquoi : parce qu’ils ont lu les bienfaits de la coopération dans les livres ? Non, à cause de quelques faits qui crèvent les yeux.
Et, par exemple : la production du tabac se mesure par nize : 1 nize est un cordon de 3 mètres de tabac ; dans les exploitations individuelles, une femme produit, pendant l’été : 1000 nizes ; à la coopérative, une femme produit 4.000 nizes.
Par exemple : dans les exploitations individuelles, le travail de la terre revient à 1500 levas par décare ; à la coopérative où par suite de la réunion des terres, le travail peut se faire par tracteur, ce travail revient à 54 levas par décare.
Comment cela fonctionna-t-il ? A la coopérative de tabac de Ryla, le bénéfice se répartit à raison de 65 % au travail, 10 % au fonds coopératif, 25 % aux propriétaires de la terre.
Au début, la part des propriétaires fut de 30 %. Cette part a été jugée par tout le monde excessive et c’est l’assemblée générale de la coopérative − unanime − qui l’a réduite à 25 %.
Et le témoignage des femmes de Ryla, on peut l’entendre mille fois en Bulgarie.
« Comme tout est facile maintenant ! » « Maintenant, nous sommes à l’abri. »
« Maintenant, nous avons le temps de nous occuper de nos enfants, de nous instruire. »
« Comment avons-nous pu, pendant des siècles, travailler dans des conditions aussi absurdes que celles de la culture individuelle ! »
Les hommes sont absents de la coopérative. En bande, ils excursionnent, à 20 kilomètres, au Monastère. Les femmes ont décidé de rester, pour soigner les pousses de tabac. Le soleil brûle.
Nous montons au Monastère, qui fut, pendant les siècles d’oppression étrangère, le refuge − trois fois brûlé par les Turcs et trois fois reconstruit − de la langue et de la conscience nationales.
Au Musée du Monastère, un document plusieurs fois centenaire exalte l’amitié des peuples russe et bulgare, cette amitié qui se poursuivra à travers les siècles jusqu’à la libération de la Bulgarie en 1878 des Turcs par les armées russes, avec le sacrifice de 200.000 hommes, jusqu’à la libération de septembre 1944 par l’Armée Rouge, jusqu’à l’aide culturelle et économique d’aujourd’hui.
A côté du vieil hôtel pour touristes, s’élève maintenant un grand home coopératif.
Et pendant que nous déjeunons, un groupe nombreux d’ouvriers, à une longue table voisine, chante en chœur, un vieux chant bulgare. Quel est ce refrain joyeux ? « Vive, vive le travail ! »
Parlerai-je de la Justice ?
Un buste de Minerve domine le fronton du Palais de Justice de Bruxelles. Le peuple de Bruxelles a, sans doute, une conception claire des mérites éminents de cette dame dans la formation des institutions qui sauvegardent son bonheur.
Dès qu’on a franchi le seuil du très beau Palais de Justice de Sofia, on aperçoit au fond de la salle des Pas Perdus, un grand portrait de Staline : le peuple bulgare a certainement une conception claire de l’œuvre juridique géante que représente la Constitution soviétique socialiste de 1936, avec son principe « De chacun selon ses capacités, à chacun selon son travail. »
Dans les bureaux du Secrétariat du Barreau, un grand portrait de Dimitrov. Ce portrait aussi se trouve à sa place : la lutte judiciaire, l’œuvre de défense accomplie par Dimitrov à Leipzig en 1933 est assurément une des plus grandes de tous les temps et demeurera assurément pendant des siècles, pour tous les avocats du monde, un prestigieux modèle.
Sous le portrait de Dimitrov, on peut lire : « L’activité de l’avocat aide à affermir la légalité socialiste » − « Les avocats doivent vouer leurs connaissances et leurs capacités à la défense des intérêts et des droits du peuple.
Tous les tribunaux en Bulgarie comprennent à la fois un juge professionnel et des assesseurs populaires, à l’exception de la Cour Suprême, qui se compose uniquement de juges professionnels.
En Belgique, les juges sont nommés par le Roi.
En Bulgarie, juges et assesseurs populaires sont élus : les assesseurs populaires sont élus par les organisations sociales, les juges professionnels à la Cour Suprême sont élus par l’Assemblée Nationale ; les juges des tribunaux d’arrondissement et de canton, par les conseils municipaux.
En Belgique, les procureurs et leurs substituts sont nommés par le Roi.
En Bulgarie, le Procureur Général est élu par l’Assemblée Nationale : il ne dépend donc pas du ministre de la Justice. Le Procureur Général nomme lui-même tous les autres procureurs.
En Roumanie, en Tchécoslovaquie et en Pologne, on a dû, pour former rapidement des juges et des procureurs capables, pénétrés de science marxiste, créer des écoles juridiques ouvrières spéciales de 2 ans. Cette nécessité ne s’est pas fait sentir en Bulgarie. Beaucoup de magistrats ont pu être laissés en place. On a pu compléter leurs cadres en faisant appel aux avocats. (Le président de la Cour Suprême, M. Losanov, est un ancien avocat. Un président de Chambre pénale a été avocat pendant 28 ans).
Comment cela s’explique-t-il ?
Par le fait, sans doute, que les milieux juridiques étaient, en Bulgarie, plus démocrates qu’ailleurs.
Jusqu’en 1917, il n’y eut pas, en Bulgarie, de faculté de médecine, jusqu’en 1944, pas de faculté technique. Les jeunes gens qui voulaient étudier et qui n’avaient pas le moyen de s’expatrier, étaient ainsi portés vers les études de droit. On pouvait faire ces études en exerçant un métier. Beaucoup d’étudiants en droit étaient avant-guerre membres du parti communiste. Souvent les chefs locaux du mouvement révolutionnaire furent des avocats. De toutes les professions intellectuelles, l’avocature a donné le plus de victimes à la lutte libératrice depuis 1923. Plus de 400 avocats bulgares se sont trouvés dans les camps de concentration, de 1941 à 1944, alors qu’il s’y trouva, par exemple, 4 ingénieurs. Et dans le cortège du 1er mai 1951, 700 avocats sur 960 défilèrent − sans compter une centaine qui prirent part au cortège avec d’autres organisations que l’organisation judiciaire.
Au sujet du fonctionnement· de la nouvelle justice bulgare, de la justice élue : les avis de tous les milieux concordent : une excellente justice, rendue avec une extrême conscience – et qui s’est, dès l’abord, singularisée par cette caractéristique, incroyable pour nous, qu’elle ne connaît plus d’arriérés.
Cette justice inspire confiance aux masses : celles-ci ne la craignent plus, mais s’adressent de plus en plus à elle et vont à elle sans avocats.
De l’avis unanime aussi, notamment des juges professionnels et des avocats, les assesseurs populaires apportent aux juges professionnels une aide précieuse par Leur connaissance de la masse, et leur présence accroît singulièrement l’efficacité de la défense.
Trait dominant : les audiences respirent une absence de formalisme, une atmosphère d’humanité, qui marque vivement pour un praticien occidental. Les juges ne se bornent pas à écouter l’exposé de l’affaire. Même en matière civile, le président a le dossier en mains. Il interroge. Ses assesseurs témoignent d’une extrême attention.
Dans une chambre de divorces, par exemple, où un des assesseurs et le greffier étaient des femmes, j’ai vu le président, après avoir tenté vainement de réconcilier les parties, s’arrêter sur une pièce du dossier et poser tout à coup à la défenderesse cette question : « Tu n’es pas allée à l’école. Pourquoi n’es-tu pas allée à l’école ? »
Depuis 30 ans, jamais, dans une affaire de divorce, je n’ai entendu, en Belgique, poser une question de ce genre, qui apparaitrait comme saugrenue.
Dans la même chambre de divorces du Palais de Justice de Sofia, j’ai vu la vieille mère du demandeur en divorce, tresses sur le dos, foulard noir sur la tête, venir se placer à côté de l’avocat de son fils.
En Belgique, elle se ferait rappeler à l’ordre. En Bulgarie, le code de Procédure ne prévoit sans doute pas l’intervention de la mère des demandeurs en divorce. Cependant, si cette vieille mère a quelque chose à dire, pourquoi ne l’écouterait-on pas ? On l’écoute.
La criminalité diminue, en Bulgarie, et spécialement les vols et les délits contre les personnes.
Avec l’instauration et l’élargissement de la propriété socialiste, un nouveau domaine s’est ouvert à la criminalité : les délits contre la propriété socialiste.
Les procès civils disparaissent et, avec eux, le travail des avocats ; le nombre des avocats diminue. Les juridictions du travail n’ont presque aucune activité : les conflits en matière de travail s’arrangent généralement au sein des organisations ouvrières.
Quant aux peines : le maximum de prison est 20 ans. La peine de mort n’est appliquée qu’en matière politique.
Le Code Pénal bulgare connaît, comme le Code Pénal soviétique, une peine de prédilection : le travail correctif. Et notamment le travail correctif exécuté au lieu du travail professionnel.
Les murs de la salle des séances solennelles de notre Cour de Cassation sont garnis de portraits, en robe d’apparat, d’anciens magistrats auxquels on a − nul ne sait pourquoi − peint des visages verts.
Les murs de la salle des séances solennelles de la Cour Suprême de Bulgarie portent, à l’intention des juges de cette cour, seulement ces inscriptions :
« Attachez-vous à votre instruction personnelle marxiste et léniniste », et « Par une critique constructive et courageuse, luttez contre le bureaucratisme, la paresse et les ennemis cachés. »
Tandis que je lisais ces règles, que s’impose la haute magistrature bulgare, un souvenir me revint.
Après la guerre de 1914-1918, une loi institua en Belgique la réparation des dommages que la guerre avait causés aux personnes. Elle fixait un délai pour l’introduction des demandes en réparation. Elle permettait cependant aux tribunaux de relever de la déchéance résultant de l’expiration du délai, le demandeur établissant avoir été, par force majeure, empêché d’introduire sa demande en temps utile.
Or, en 1920, dans le Borinage, trois petits enfants, trois frères, jouant dans un champ, trouvèrent un obus délaissé. L’obus éclata dans leurs mains et les tua.
Leur malheureuse mère consulta un avocat. Cet avocat négligea d’introduire sa demande en temps utile. Lorsqu’elle l’apprit, la mère sollicita d’être relevée de la déchéance, représentant qu’elle n’était pour rien dans le retard, qu’elle n’avait rien su. Le tribunal, la Cour, ensuite, chargés du cas, considérèrent qu’il n’y avait pas eu force majeure et rejetèrent la demande. La mère se pourvut en cassation, adressant son pourvoi à « Messieurs les Président et conseillers composant la Cour de Cassation ».
Le représentant de l’Etat Belge demanda que le pourvoi de cette mère fût rejeté comme non recevable parce que, dans l’adresse de sa requête, elle avait écrit le mot « président » sans « s » alors que la Cour de Cassation comprend un premier président et plusieurs présidents, et que, par conséquent, la requête ne pouvait être considérée comme adressée à toute cette haute juridiction.
Les magistrats à la Cour de Cassation de Belgique, à qui s’adressait l’honorable représentant de l’Etat Belge, portent des robes rouges et des rabats de dentelle. Le mal vient, peut-être, de ces rabats.
Les magistrats à la Cour Suprême de Bulgarie sont vêtus comme ceux qu’ils jugent.
Entre les deux institutions, le rideau de dentelle.
Que raconterais-je encore ?
Que, depuis 1944, on a doublé la superficie des locaux de l’Université de Sofia.
Qu’il y avait avant la révolution en Bulgarie, 12.000 étudiants d’université ; qu’il y en a 45.000 maintenant.
Qu’il y avait, avant la guerre, en Bulgarie, 150 étudiants en médecine ; qu’il y en a 1.000 maintenant.
Que j’ai vu, à leur métier à tisser, les fameuses ouvrières de choc du textile. Je croyais jusque-là qu’il fallait beaucoup s’agiter pour être ouvrière de choc, pour produire plus que les autres à un métier. J’ai constaté au contraire que ces ouvrières de choc s’agitent beaucoup moins que les autres et que leur maîtrise semble provenir précisément de leur calme réfléchi, de leur sûreté de main et de coup d’œil et de la sobriété de leurs gestes.
Que j’ai visité à Sofia un grand magasin d’articles de sports, skis, piolets, raquettes… Il était bondé d’ouvriers qui achetaient.
Qu’à l’Université de Sofia, il y a 1.200 étudiants en droit dont un tiers de filles ; que parmi ces étudiants, de trouvent deux fois plus de paysans que d’ouvriers.
Que, quand je demandai aux étudiants en droit de 3e année, qui d’entre eux voulait devenir avocat, aucun ne leva la main ; qu’un d’eux déclara vouloir devenir juge ; trois ou quatre procureur, que la plupart se destinent à l’administration : à la construction du socialisme.
Qu’en 1914, le parti communiste comptait 3.645 membres.
Qu’il en compte 420.000 aujourd’hui.
Que 50 % de l’agriculture bulgare sont aujourd’hui collectivisés.
Parlerai-je encore de Konska ?
Konska, dans la région de Bresnik, a été connu de tout temps, par la pauvreté de ses habitants et leurs opinions arriérées. Il compte 165 familles.
Le dirigeant du parti communiste, qui nous y conduisit, a 25 ans.
En 1946, 8 familles décidèrent de fonder entre elles une coopérative. Une coopérative de 8 familles, c’était évidemment une dérision ! Le Ministère ne reconnut pas cette coopérative minuscule. Le village se moqua. Les 8 familles persévérèrent. Bientôt le village ne se borna plus à se moquer : un soir, le président de la coopérative fut attaqué et battu. Mais lorsque, à la fin de l’année, les blés furent rentrés, chacun constata que les greniers des 8 coopérateurs débordaient.
Huit nouvelles familles adhérèrent à la coopérative. On ne peut pas juger, sur un an, le village considérait les nouveaux coopérateurs comme fous. Mais à la fin de la deuxième année, on constata que les 16 coopérateurs achetaient du bétail, qu’ils réparaient leurs toits.
Alors, en 1948, le village vint à eux. La coopérative groupe aujourd’hui 160 des 165 foyers. Cinq familles, malgré leur demande, n’ont pas encore été admises : il s’agit de koulaks, dont on se méfie.
En 1946, les membres avaient, individuellement, ensemble, 8 vaches ; ils en ont 30 aujourd’hui, en commun, plus un taureau, plus 34 bœufs, Aucune dette en banque.
Vingt pour cent du revenu coopératif vont à la rente foncière, 10 p. c. au fonds coopératif, 70 p. c., plus le pain, vont au travail selon sa qualité et sa quantité.
Les ensemencements, en 1951, ont été augmentés de 20 % par rapport à 1950.
Vingt pour cent à la rémunération de la propriété de la terre, − cela ne paraît trop peu à personne : car chacun, dans la coopérative, voit bien et tout de suite, ce qui est source de l’abondance.
Le village comptait un paysan misérable, sans un décare de terre, père de huit enfants. Ses voisins lui ont abandonné gratuitement une partie de leur bien, pour lui permettre de devenir membre avec des droits égaux.
Avec quel plaisir on vous conduit dans la grange coopérative, pour vous montrer les grands bacs regorgeant de froment ! Avec quel plaisir on plonge ses bras dans le blé et on le fait couler entre ses doigts pour vous faire apprécier sa beauté !
Avec quel plaisir on se presse devant le four coopératif et dans le magasin, où sèchent les grands pains en or, en suivant sur votre visage les marques de votre admiration !
Avec quelle fierté on vous fait solennellement l’hommage d’un de ces pains de communauté !
Et tout le monde, ensemble, va vous montrer la première maison neuve que, déjà, un des coopérateurs vient de pouvoir se construire, − avec de larges fenêtres, de beaux murs enduits − tout à côté de sa vieille petite masure ridée d’antan.
Sur le seuil, un petit garçon vous regarde droit dans les yeux. Sans baisser un seul instant ce regard, il répond sans aucune gêne à vos questions. Il a cent vingt camarades à l’école aujourd’hui, plus du double d’autrefois.
Tout est clair.
Dans l’écurie, s’alignent dix chevaux. Le vieux Dimitr, qui les soigne, avec son haut bonnet en peau d’agneau, est venu à la coopérative en 1948, parmi les derniers. Ce n’est pas un imprudent, Dimitr ; il ne spécule pas ; il regarde.
Et que penses-tu maintenant, Dimitr ? « J’ai bonne vie » dit Dimitr. « Autrefois, jamais de repos, je devais m’occuper de tout : les champs, les bêtes, la maison, le marché. Maintenant, un seul travail, les chevaux. Maintenant la besogne est facile, le revenu est meilleur. Voyez quels beaux chevaux !
Dimitr n’est pas un rêveur. Dimitr ne croit qu’à ce qu’il voit. J’aperçois, en sortant, une branche au-dessus de la porte, et je demande à Dimitr :
« Dimitr, pourquoi as-tu, au-dessus de la porte de l’écurie, accroché cette branche verte ? »
Dimitr me regarde un instant, surpris. « Mais, dit-il, c’est demain premier mai ! »
Premier mai ! Parvi maï !
Quelle fête joyeuse en Bulgarie ! Pas un hameau qui n’ait son arc de triomphe, ses banderoles, ses drapeaux, ses inscriptions, ses grands portraits des hommes qu’on aime et qu’on honore :
Dimitrov, Tchervenkov, Kolarov, Lénine, Staline, Mao Tse Toung, Rakoszy, Bierut, Maurice Thorez.
Dans un village éloigné, à la fenêtre de sa petite maison, une vieille, vieille femme a placé le portrait de Staline à côté d’un géranium.
Jusque sur les rochers, au sommet des montagnes, d’énormes inscriptions glorifient ce jour de souvenir et d’espoir.
A Sofia, toute la population est dans la rue. Sofia compte 500.000 habitants. Après le défilé militaire, pendant 3 heures ½ de 9 h. 45 à 13 h. 15, 300.000 habitants défilent à la place du 9 Septembre, devant le mausolée, sur cinq colonnes.
Ils élèvent à bout de bras mille petits portraits de Dimitrov, de Staline, qui battent l’air comme des ailes. Ils élèvent à bout de brais des iris, des lilas, des branches de sapins.
Un énorme porte-plume s’avance piquant dans le dos un grotesque Oncle Sam, obligé, sous cette piqûre, à marcher vers la paix.
Pendant 3 heures ½, la place du 9 Septembre n’est qu’un immense hourra – un hourra ininterrompu crié par des dizaines de milliers de poitrines.
Quelle est la joie, quels sont les espoirs qui battent dans ces poitrines ? Voici leurs mots d’ordre :
Vive le 1er mai, jour de la solidarité internationale des travailleurs, jour de la fraternité entre les ouvriers de tous les pays !
Salut à Joliot-Curie, à Thorez et à Togliatti !
Sous le drapeau de Lénine et de Staline, en avant dans la lutte pour la démocratie !
Nous travaillons pour le plan !
Nous achèverons notre plan en 4 ans !
Tchervenkov − Tchervenkov − Tchervenkov ! Nous sommes pour la paix et nous luttons pour elle ! Salut à Staline ! Salut à la Corée ! Salut à la Chine ! Staline égale paix !
Nous construisons avec le travail, pas avec le dollar ! Vive le combat pour la Paix !
Nous connaissons les horreurs de la guerre. C’est pourquoi nous luttons pour la paix.
Nous sommes pour le pacte de paix. Staline − Staline − Staline !
1er mai − paix ! 1er mai − paix ! 1er mai − paix !
« Vive l’amitié bulgaro-soviétique : la lumière et l’air du peuple bulgare ! » 1
Salut aux lauréats internationaux de la paix !
Dans le combat pour la paix, la science est une arme importante.
Par l’art, nous combattons pour la paix. L’œuvre de paix est invincible !
Salut au Conseil Mondial de la Paix ! Pour le socialisme et la paix !
Salut à tous les peuples qui luttent pour la paix. Nous imposerons la paix !
Dans les rangs serrés du cortège, des colombes s’envolent des mains des enfants.
Des milliers de colombes en papier, sans cesse, s’agitent au-dessus des têtes.
Des colombes en papier s’élèvent, emportées par des ballons bleus.
Sur les murs, des colombes, aux vitrines des magasins, des colombes et des colombes dans les maisons, dans les bureaux, dans les palais de Justice, sur les cheminées des usines.
A Sofia, dans les villes de province, dans les campagnes, partout les portraits des combattants de la paix, Joliot-Curie. Et partout, par millions, écrit, imprimé, dessiné en feuilles de chêne, en aiguilles de pins, en pierres blanches, en tulipes rouges, partout, crié, chanté, le mot paix − mir, da jivèè mir − la paix, vive la paix. − 1er mai-paix − 1er mai-paix.
Le soir, Tchervenkov, calme, le regard doux et droit, Tchervenkov, à qui le peuple bulgare a remis en mains l’étincelant flambeau de Dimitrov, Tchervenkov danse le choro avec son peuple dans la grande salle de fête Bulgaria.
Et quand Tchervenkov passe, le service d’ordre ne fait pas face à la foule.
D’un voyage en Bulgarie, on rentre content − le cerveau clair et le cœur chaud, avec d’émouvants souvenirs :
Le Danube gris, puis les Balkans, puis la grande plaine enveloppée dans son manteau de montagnes.
De hauts tertres la parsèment : ils rappellent que, là, un combattant est mort, pendu ou égorgé, il y a six ans, il y a dix ans, il y a cent ans, deux cents ans, cinq cents ans, − pour la liberté.
Et vive, vive le travail !
Le pâtre mène au pré, ensemble, brebis, agneaux, chèvres, chevreaux et porcelets.
Deux femmes bavardent, la cruche sur la hanche. Deux hommes cheminent en se donnant la main.
Et vive, vive le travail !
Beaucoup d’églises ont l’apparence de maisons : il ne fallait pas que les Turcs les repèrent.
Les moutons sur les routes se pressent vers les monts. Et dans les monts, les rivières bondissent, les cascades dénouent leurs longs rubans.
Le lait de millet coule dans les verres. Et vive, vive le travail !
Les montagnes sont blondes, vertes, noires.
Sur l’herbe, une cornemuse, un tambour. Les paysans se tiennent à la ceinture, l’interminable choro se balance.
Sur les toits, en lettres blanches, le mot « Paix ».
Dans les villages, que l’on construit à neuf, le bâtiment le plus grand, le plus beau, est l’école.