Éditions « La Voix du Peuple », 13 novembre 1977

grippa_21.pngNote du Centre MLM[B] : Pour archive, voici deux articles dans lesquels les dérives révisionnistes des auteurs s’affichent on ne peut plus clairement. Grippa répond à l’article de Turf « A propos d’eurocommunisme. » dans lequel, en résumé, Turf, cadre du vieux PC prétend vouloir « briser la puissance des monopoles » en s’appuyant sur le cadre démocratique bourgeois (les « thèses » du PTB d’aujourd’hui ne sont donc pas très loin…) ; Grippa répond que cette théorie est irréaliste, mais l’important n’est pas là.

En 1977, Grippa n’est plus que l’ombre de lui-même. La caractéristique du courant sectaire auquel il appartient – le révisionnisme moderne − est précisément de se revendiquer seulement de la révolution russe en oubliant la révolution chinoise. Or la révolution chinoise est dans l’immédiate continuité de la révolution russe, tout comme Mao Zedong est en directe continuité de Lénine et de Staline.

N’ayant pas compris cela, Grippa s’effondre sous le poids de ses propres contradictions.

Il en résulte que dégoûtés par le sectarisme que Grippa et les siens font régner dans le parti, la plupart des militants ayant suivi Grippa lors de la « scission pro-chinoise » de 1963 le quittent ou en sont expulsés.

L’échec de Grippa est patent. On voit bien qu’il songe à rentrer au bercail, à réintégrer les rangs du vieux PC, d’où le ton plutôt conciliant de « l’attaque » contre Turf. Plus tard, une telle demande de réintégration sera d’ailleurs officiellement formulée et aussitôt rejetée.

Jacques Grippa tentera également de rejoindre le PTB mais avec « armes et bagages », c’est-à-dire qu’il souhaitait s’agréger en tant qu’organisation, que lui-même et le reliquat de son « parti » deviennent en quelque sorte l’une des sources constitutives du PTB.

Le PTB avait logiquement refusé, souhaitant plutôt que Grippa et ses maigres troupes adhèrent individuellement.


Jacques Grippa : Réponse à l’article de Jean Turf

L’aspiration à unir les forces populaires afin de mener des luttes convergentes, l’action d’ensemble, pour le progrès social, la paix et les libertés démocratiques est profonde parmi les militants d’avant-garde.

Dans ce cadre de nombreux travailleurs se posent des questions − et nous les posent − concernant notre attitude à l’égard du Parti Communiste (« Drapeau Rouge »). Chez la plupart des camarades, ces questions participent avant tout du souci de réaliser l’unité des progressistes en général, et en particulier l’unité des plus conscients d’entre eux, les communistes.

Ces questions, les voici :

1. – Comment se fait-il que deux organisations se revendiquent du communisme ?

2. – Qu’est-ce qui les sépare ?

3. – Quelles perspectives d’unification y a-t-il ?

4. – Comment l’unité d’action peut-elle être promue entretemps ?

Nous n’allons pas répondre à la première question dans le cadre de cet article, La scission du Parti a été le fait des pratiques révisionnistes antidémocratiques de scission et d’exclusions en 1963. Mais la controverse sur cette question historique ne doit pas être un facteur de discorde, ce dont la réaction profiterait, faisant ainsi obstacle au renforcement des rangs des marxistes-léninistes dans notre pays.

La dernière question (celle de l’unité d’action), nous y répondons dans la pratique quotidienne de la lutte des classes, Nous luttons aux côtés de tous les progressistes − et donc aussi des militants du Parti Communiste (« Drapeau Rouge ») − pour les revendications concrètes des travailleurs, pour les droits et libertés démocratiques, pour la défense de la paix, pour la solidarité avec la lutte de libération des peuples contre l’impérialisme.

Cet article entend traiter essentiellement de la deuxième et troisième question, qu’est-ce qui sépare nos deux organisations et quelles perspectives d’unification y a-t-il.

Nous le ferons en examinant un article doctrinal de Jef Turf, vice-président et président du Conseil régional flamand du P.C. « Drapeau Rouge ». Cet article a comme titre « A propos d’eurocommunisme », et a paru dans le Rode Vaan du 7 juillet et dans le Drapeau Rouge du 8 juillet.

Pourquoi prenons-nous cet article comme objet de notre étude ?

Parce qu’il expose le point de vue d’une partie de la direction du P.C. « Drapeau Rouge » dans l’important et aigu débat sur l’« Eurocommunisme », mené dans et en dehors du mouvement communiste mondial. Ce débat porte sur des questions fondamentales, sur le rôle et la tâche des partis communistes, sur la nature de la révolution, Voilà précisément des points sur lesquels il y a divergences d’opinion entre nos conceptions et celles des thèses de Jef Turf, Car quant à nous, nous prenons constamment le socialisme scientifique comme guide de notre activité politique.

Nous soulignons que la critique de cet article est politique, Elle porte sur le contenu et ne peut en aucun cas être interprétée comme une attaque personnelle.
Jef Turf définit ainsi « les idées essentielles du socialisme » :

« contrôle de la communauté sur toute l’activité économique, diminution de la puissance des monopoles pour la briser finalement, élargissement de la démocratie ».

La première « idée » tourne le dos au socialisme scientifique, « Contrôle » : seulement « contrôle » de l’activité économique ? Non, mais socialisation des principaux moyens de production et d’échange, et organisation démocratique de toute l’activité économique et sociale en vue de satisfaire toujours mieux les besoins matériels et les aspirations culturelles et morales de la société et de chacun de ses membres, « Contrôle par la communauté » : celle-ci représentée par qui ? Par l’État, disent aussi bien réactionnaires que réformistes, Quel État ? Les communistes ont toujours eu à ce propos une conception claire, scientifique de l’approche du problème : le caractère de classe de l’État, de tout État (or l’article de Jef Turf est non seulement muet à cet égard, mais ne cite même pas l’État).

En fait, avec le capitalisme arrivé au stade du capital financier, des trusts, des monopoles, de l’impérialisme, du capitalisme monopoliste d’État, il y a un certain contrôle de l’activité économique par l’État censé être « interclasses », et donc représenter « la communauté ».

Et pourtant les communistes ne peuvent ignorer cet apport du léninisme au marxisme que constitue l’analyse du capital financier, des trusts, des monopoles, du capitalisme monopoliste d’État, de l’impérialisme, stade suprême du capitalisme, Car tous ces « rouages » ne constituent pas « une déformation » du capitalisme, mais en constituent un développement inéluctable en l’absence de révolution socialiste.

Certes, certaines variantes du gauchisme sont aussi dans l’erreur. Les marxistes-léninistes ne renoncent pas à mener la lutte de classe aussi au sein de l’État tel qu’il existe, Et il est entendu que l’aboutissement positif de luttes de classes d’envergure, se manifeste, même souvent, sous forme de mesures législatives, juridiques, d’interventions de L’État.

Combien est différente de celle de Jef Turf, la conception donnée par le socialisme scientifique visant l’ensemble de la transformation révolutionnaire sur les fronts politique, économique, idéologique, culturel et moral.

Les idées essentielles du socialisme scientifique sont celles du matérialisme dialectique, et plus particulièrement du matérialisme historique.

Les idées essentielles du socialisme scientifique sont celles de la libération de l’humanité entière, passant par l’abolition du capitalisme par l’alliance, d’orientation prolétarienne, de la classe ouvrière avec les autres couches de la population laborieuse, assurant l’édification d’une société socialiste avec son infrastructure socio-économique et sa superstructure politique, sociale, culturelle, idéologique.

L’aboutissement de cette phase est l’avènement de la société communiste, où l’humanité pleinement maîtresse de sa destinée sera débarrassée de toute forme d’exploitation et d’oppression.

Et c’est une tâche fondamentale d’un véritable parti communiste, sous peine de trahir sa mission et de renier sa raison d’être, que de contester constamment, radicalement le système capitaliste, que de souligner que ses tares viennent de sa nature même, de montrer comment le socialisme, et le socialisme seul, peut sauver l’humanité des fléaux ainsi dénoncés.

Or au travers de l’examen de l’article de Jef Turf, nous pouvons formuler la critique essentielle que nous faisons du révisionnisme : l’abandon du but révolutionnaire final constituant la tâche historique de la classe ouvrière et de son parti d’avant-garde, le parti communiste, à savoir le communisme par la transformation socialiste de la société.

En fin de compte pour le révisionnisme, constituant une variante du réformisme jusqu’à ne plus guère s’en distinguer, les revendications partielles et les réformes réalisables dans le cadre du régime capitaliste, deviennent le but final. Et ayant ainsi perdu la perspective socialiste scientifique, le réformisme en arrive à se consacrer aux « rafistolages » du régime capitaliste et finalement, dans cette voie, participer objectivement aux tentatives de sauvetage de celui-ci.

Que l’on nous entende bien, Les marxistes-léninistes réprouvent le verbiage pseudo-révolutionnaire, le gauchisme, le sectarisme, le dogmatisme, qui conduisent à ignorer les préoccupations immédiates, actuelles, des masses laborieuses, et donc à se trouver à l’écart des actions menées concrètement dans le cadre d’UNE SITUATION QUI N’EST PAS ENCORE RÉVOLUTIONNAIRE, En fait, de la sorte, le gauchisme aide aussi objectivement le Capital en détournant des révolutionnaires de la lutte concrète de classe, et en contribuant à laisser le champ libre au réformisme.

Quant à « la diminution de la puissance des monopoles », même si on entend par là, d’une façon plus précise, la diminution de la puissance du capital financier, il s’agit non encore de socialisme, mais tout au plus d’un plan politique exprimé en termes tellement généraux que son contenu réel ne peut en être apprécié qu’en examinant les mesures concrètes envisagées.

Bien sûr, dans une action antimonopoliste conséquente, la bourgeoisie ne faisant pas partie du capital financier peut être « neutralisée », être, dans certaines circonstances, un « allié indirect de la classe ouvrière », Mais la pratique des révisionnistes est telle qu’elle ne conduit pas à une diminution de puissance des monopoles, du capital financier.

De même, lorsque Jef Turf parle de « lutte contre la politique de crise », il faut rappeler que la crise est celle du régime capitaliste, Certes, dans l’immédiat, il faut lutter pour empêcher autant que possible que les travailleurs paient les frais de la crise, Mais en fin de compte, il ne suffira pas de combattre seulement les effets de la crise capitaliste, mais il s’agira, pour sortir de la crise, de renverser le régime capitaliste pour opérer la transformation socialiste de la société.

« Briser finalement la puissance des monopoles » ?

Si les mots ont encore un sens précis, n’est-ce pas là tromper les travailleurs que de laisser croire que l’on pourrait « briser la puissance des monopoles » en laissant subsister les monopoles, le capital financier. Mais il faut parler clair : pour briser la puissance des monopoles, il faut les abattre. Et alors il s’agit de socialiser les grands moyens de production et d’échange, actuellement dans les mains du capital financier belge et étranger, américain notamment.

Mais alors se pose le problème de savoir quelles classes exercent le pouvoir politique et comment, y compris en prenant les mesures de coercition nécessaires pour répliquer aux manœuvres, aux attaques, contre-révolutionnaires.

Et le problème n’est pas réglé en se référant, comme le fait Jef Turf, à « l’élargissement de la démocratie ».

Certes, il doit être entendu une fois pour toutes que les communistes se doivent d’être les meilleurs défenseurs des libertés démocratiques, même dans le cadre du régime capitaliste, où celles-ci sont limitées et constamment menacées.

Mais « la démocratie » a toujours un contenu de classe, et en l’occurrence, il s’agit actuellement de la démocratie bourgeoise, Soit dit en passant, c’est au sein de celle-ci que les fascismes ont pu se développer, comploter et arriver à instaurer leur barbarie (capitaliste).

La démocratie populaire à direction prolétarienne, qu’elle soit issue d’un développement quantitatif ou d’une rupture, implique de toute façon un bond qualitatif : les conditions objectives existant alors sont telles, à condition que les facteurs subjectifs sur les plans politique, idéologique et culturel, les utilisent correctement, et que les superstructures soient adaptées en conséquence, qu’elles permettent de réaliser les plus larges libertés démocratiques, une démocratie d’un niveau essentiellement supérieur aux démocraties connues antérieurement.

On ne peut donc en aucun cas admettre la position révisionniste faisant de la démocratie parlementaire bourgeoise (qui d’ailleurs dans les différents pays est loin d’être pratiquement une « démocratie avancée ») le modèle idéal, le meilleur possible, permettant de réaliser au mieux les conceptions démocratiques.

L’analyse scientifique, marxiste, de la réalité, démontre au contraire les limitations, les trucages et souvent la dérision, de la démocratie bourgeoise.

Ainsi la réalité bourgeoise, et encore plus au stade actuel du capitalisme, ne peut certes pas être considérée comme permettant de réaliser la devise de la révolution démocratique bourgeoise française de 1789 : liberté, égalité, fraternité.

C’est dans la logique des conceptions bourgeoises, et de leur variante révisionniste, de n’avoir que mépris pour la démocratie populaire et pour une de ses formes, la dictature du prolétariat, pour les camarades des pays socialistes.

Et ce mépris − est-ce calomnie ou aveuglement total − se retrouve dans l’article de Jef Turf :

« Enfin, il faut constater que dans les pays socialistes, on ne semble pas du tout avoir compris que le débat sur les droits de l’homme n’est pas tellement un règlement de compte avec les milieux capitalistes occidentaux, qui ont toutes les raisons de se taire, mais bien un dialogue avec les travailleurs occidentaux et les milieux démocratiques qui ont déjà une grande expérience dans la lutte pour les droits démocratiques ».

A lire Jef Turf, on serait amené à croire que les peuples des pays socialistes n’auraient pas « cette grande expérience » !

De surcroît prétend Jef Turf :

« L’intervention de certains pays socialistes contre les dissidents aide l’ennemi de classe dans ses tentatives de poursuivre sa domination sur les esprits ».

« Nous avons opté pour un chemin démocratique et pluraliste ».

Ce n’est pas la place ici de polémiquer à propos de l’absence chez Jef Turf de toute appréciation de la nature des « dissidents ». Ni de juger des modalités d’application de la légalité socialiste, comme le fait fort peu objectivement Jef Turf en qualifiant celles-ci d’« intervention aidant l’ennemi de classe ». Nous ne sommes pas d’accord non plus pour considérer qu’un chemin ouest-européen vers le socialisme serait de nature « démocratique » à l’opposé de la voie des pays socialistes actuels, ce qui signifierait que ceux-ci ne sont pas démocratiques.

Quant au pluralisme, c’est un autre problème.

En Union Soviétique, ce sont les autres partis que le P.C.U.S., qui en se faisant les agents de la contre-révolution et de l’impérialisme international ont été écartés par les travailleurs.

En fait, au sens strict des mots, il est ridicule de parler de « chemin pluraliste » vers le socialisme. La transformation socialiste de la société implique bien entendu l’unité de conception et d’action pour la réaliser. Et ce rappel ne signifie pas que le chemin vers le socialisme ne présenterait pas certaines différences : mais ces différences ne peuvent être opposées aux principes fondamentaux du socialisme scientifique.

Et si l’unité du peuple se réalise à tel point qu’elle amène la fusion des différents courants dans un même parti qui alors doit lui-même donner l’exemple d’un fonctionnement démocratique, comme cela est advenu à Cuba.

Et sans faire de procès d’intention, si les dirigeants d’autres partis alliés sur le chemin du socialisme, et dont nous souhaitons de tout cœur qu’ils restent loyaux à l’égard des travailleurs, venaient à un certain moment à trahir le peuple, la nation ? Et à cet égard, on ne peut oublier les tentatives de subversion impérialiste : la C.I.A et autres officines existent.

Tout ceci ne veut pas dire que le socialisme scientifique impliquerait la suppression de toutes divergences d’opinions, y compris sous forme d’existence de plusieurs partis. D’ailleurs, dans plusieurs pays socialistes, par exemple en République Démocratique Allemande, existent plusieurs partis. Mais il est faux de prétendre que cette existence de plusieurs partis est une nécessité indispensable de la démocratie. D’autant plus que les révisionnistes, en fait, prennent pour modèles de démocratie des démocraties parlementaires bourgeoises où prétendues telles. Pour ne citer qu’un exemple : « le pluralisme des partis » aux U.S.A. est-il une garantie de la valeur de la démocratie dans ce pays ?

Jef Turf poursuit :

« …nous continuons à exiger le droit de critiquer librement des situations qui existent dans les pays socialistes et qui ne sont pas en concordance avec nos conceptions du socialisme ».

Le droit de critique mutuel des partis communistes doit certes s’exercer. Mais ce doit être alors une critique basée sur les principes des marxistes-léninistes et non une critique faisant chorus avec les ennemis du socialisme, et allant même jusqu’à faire le jeu de ceux qui mènent ces campagnes en tant que préparation psychologique de l’agression contre les pays socialistes.

C’est le moment de remarquer que Jef Turf dans son raisonnement actuel, omet les facteurs des intrigues des milieux les plus réactionnaires, les plus bellicistes de l’impérialisme, avec leurs menées subversives, les préparatifs de guerres, d’agressions, leurs interventions contre les peuples aspirant à l’indépendance nationale, à la liberté, à la paix, au socialisme, Et pourtant, les événements du Chili, la bombe à neutrons, les fusées Cruise ne sont pas des mythes.

Le droit démocratique à la critique doit d’ailleurs être réciproque. Mais de la part des pays socialistes, Turf semble ne pas vouloir accepter de critique :

« …cette expérience formidable s’amplifie dans les pays capitalistes hautement développés, et nulle part ailleurs. Comment pourrait-on saisir ces nouvelles réalités dans les pays où le capitalisme n’existe plus depuis longtemps et où l’on n’a jamais connu les réalités de notre prétendue société de consommation ? »

De la critique à sens unique donc. Est-ce là une attitude admissible que de rejeter à priori, avec mépris, sans examen sérieux, la critique venant de communistes.

Il y a aussi lieu ici de se référer à la situation à l’intérieur du P.C.- Drapeau Rouge. D’une part, certains dirigeants (ici Jef Turf) adoptent clairement certains points de vue dans le débat qui est mené dans le mouvement communiste mondial autour de ce qu’on appelle parfois « eurocommunisme », (en fait, le révisionnisme). D’autre part, il est déconseillé aux militants de réfléchir par eux-mêmes sur cette question fondamentale :

« La campagne anticommuniste a obtenu un certain succès. Il est un fait qu’on discute beaucoup plus aujourd’hui dans le mouvement communiste « pour » ou « contre » l’eurocommunisme, de préférence de manière aussi vague que possible, que des problèmes concrets liés à la lutte contre la politique de crise en tant qu’étape vers le socialisme ».

C’est donc sur cette étape qu’il faut réfléchir : bien !

Mais ne devrait-on pas, après tout, réfléchir également à propos du chemin ? A propos du but vers lequel on se dirige ? Et sur le rôle, la fonction, de cette étape sur le chemin vers le socialisme ?

Nous devons constater qu’alors qu’il est déconseillé aux militants de prendre position sur l’eurocommunisme, certains dirigeants du P, C.- Drapeau Rouge le font nonobstant, sans qu’à ce sujet une position ait été adoptée au dernier Congrès (ou à l’un des précédents).

Nous entendons apporter une contribution socialiste scientifique afin de promouvoir la discussion − qui doit être inséparablement liée à la pratique quotidienne de la lutte de classe − sur ces points fondamentaux également. Et un de ceux-ci est que notamment les marxistes veulent qu’à l’égard de la crise, les communistes ne se contentent pas de tracer des objectifs immédiats de lutte pour résister aux attaques du capital, mais qu’ils montrent aussi que seule la transformation socialiste de la société permettra d’en finir avec les tares inhérentes au régime capitaliste, conduisant à des crises comme celles que nous connaissons et d’éviter les catastrophes qui s’annoncent.

Et que penser de cette phrase avec laquelle Jef Turf prétend régler leur compte aux marxistes-léninistes :

« Ceux qui espèrent encore en des combats d’arrière-garde, afin de faire dévier cette orientation, en seront pour leurs frais » ? Est-ce là argumenter objectivement que d’accuser les marxistes-léninistes de ce qui précisément constitue une caractéristique du révisionnisme. Car c’est le révisionnisme « moderne » qui ne fait que mener un combat d’arrière-garde en reprenant à son compte les vielles théories et les pratiques des révisionnistes du début du siècle, tels que Bernstein.

Les révolutionnaires marxistes-léninistes constituent eux l’avant-garde conséquente des luttes populaires, dans l’action et sur le plan de développements féconds de la théorie.

Et que signifie «… afin de faire dévier cette orientation, en seront pour leurs frais » ?

Menace de sanction, de répression ? Ou plus modérément que quels que soient les arguments apportés, les révisionnistes resteront sourds ? Car rien n’autorise Jef Turf à affirmer que le marxisme-léninisme est voué à la faillite ! En tout cas, il s’agit là d’un état d’esprit s’opposant à la possibilité d’une discussion démocratique.

A propos encore de « l’autonomie » des partis communistes, il ne s’agit pas de « la mettre au premier plan », de « mettre l’accent » sur elle en rejetant au second plan « la solidarité internationaliste » ramenée à la simple « appartenance au mouvement communiste international ».

La politique marxiste fait la synthèse de la défense des intérêts nationaux bien compris (et s’identifiant aux intérêts supérieurs des travailleurs) et de la solidarité anti-impérialiste internationale ayant comme plus haute expression l’internationalisme prolétarien.

Hors de là, c’est le nationalisme bourgeois conduisant à l’antisocialisme, et même à la préparation de l’agression contre les pays socialistes et au fascisme.

Pour clore ce chapitre et pour éviter toute confusion, il y a lieu ici de reconfirmer la position des marxistes-léninistes à l’égard des luttes immédiates.

Les marxistes-léninistes doivent se trouver à l’avant-garde des luttes des travailleurs pour leurs revendications immédiates, pour les réformes favorables au peuple travailleur, pour les libertés démocratiques, contre les agressions et subversions impérialistes, et pour l’indépendance des peuples. C’est là d’ailleurs aussi la condition indispensable pour que les partis ouvriers deviennent le moment venu, les guides et les organisateurs de la révolution socialiste. Et c’est parce que les communistes ne devraient jamais perdre de vue l’objectif révolutionnaire fondamental, qu’ils seraient ainsi les combattants les plus décidés, les plus conséquents dans les luttes immédiates sur les fronts économique, politique, idéologique et culturel.

Les communistes doivent apprécier aussi sous cet angle la signification de ces luttes comme des étapes améliorant, tant sur les plans des conditions objectives que des facteurs subjectifs, la position de la classe ouvrière et de ses alliés lorsque la situation révolutionnaire mettra à l’ordre du jour le passage au socialisme (bond qualitatif).

Et cela concerne, et le contenu des objectifs immédiats, et la signification et la portée des alliances, et la limite des compromis acceptables.

Et maintenant, venons-en plus particulièrement aux positions de Jef Turf à l’égard de « l’eurocommunisme ».

Finissons-en en une phrase avec la querelle de mots.

Car contrairement à ce que dit Jef Turf, ce vocable a été repris par certains dirigeants révisionnistes, par exemple en Italie et en Espagne, quoique rejeté par d’autres qui sont pourtant sur les mêmes positions. En fait, il s’agit du révisionnisme.

Mettons aussi en garde à l’égard d’un certain triomphalisme, démenti par les faits :

« Il est par conséquent normal qu’aujourd’hui précisément, dans les pays d’Europe occidentale, théorie et pratique fassent ensemble des bonds en avant sur le chemin vers le socialisme… »

« Ce développement inquiète fortement le grand capital atlantique qui se met à la recherche des moyens de combattre l’influence croissante des communistes ».

Où sont ces bonds en avant sur le chemin du socialisme ?

Qu’en est-il de l’influence croissante des révisionnistes en Belgique et en Espagne par exemple ?

Le récent échec électoral subi par le parti de Jef Turf montre au contraire que la politique révisionniste ne fait que désorienter les masses en leur donnant une image réformiste d’un parti se dénommant communiste.

Quant à « l’inquiétude du grand capital », Jef Turf dit par ailleurs :

« Une troisième sorte d’arguments avait pour but de présenter les communistes européens comme intégrés dans le canevas capitaliste occidental. »

Mais c’est pourtant bien là une constatation, une vérité.

Et en réalité, le révisionnisme, tout comme le réformisme social-démocrate n’apporte que des déboires aux masses laborieuses.

Ceci dit, les marxistes-léninistes, sur la base de cette critique de principe, se retranchent-ils dans une position de refus de toute alliance, qui serait la chute dans le sectarisme.

Non, Car les conditions objectives sont et seront de plus en plus telles que les masses laborieuses sont amenées à prendre la voie de la lutte de plus en plus conséquente contre les tares du régime capitaliste et contre celui-ci, pour un programme de front uni populaire, de rassemblement des progressistes, dans la perspective du socialisme.

En envisageant alors la dynamique de la lutte, cette aspiration populaire doit amener à l’unité d’action même entre ceux que séparent encore aujourd’hui des divergences de principe.

Dans cet ordre d’idées, les marxistes-léninistes doivent être les artisans actifs de cette unité populaire rassemblant les progressistes disposés à œuvrer loyalement ensemble.

Enfin qu’en est-il d’une unité organique éventuelle avec les révisionnistes, compte tenu du fait que momentanément, les marxistes-léninistes se trouvent dans différentes formations et que par suite des coups portés, y compris par le maoïsme, le courant marxiste-léniniste se trouve numériquement affaibli ?

Passons sur le fait que les révisionnistes les plus acharnés vont essayer de faire passer cet article comme la preuve que tout accord avec nous est impossible : or en le publiant, nous ne faisons que défendre le marxisme-léninisme dans un esprit fraternel d’unité sur une base de principe.

Et disons qu’un tel parti unifié où se retrouverait un fort courant révisionniste, ne constituerait pas encore cette avant-garde combative, unie sur la base des principes marxistes-léninistes, dont les travailleurs ont besoin pour gagner les luttes décisives.

Mais ne serait-ce pas malgré tout un progrès par rapport à la situation actuelle, permettant d’espérer arriver par là un jour à la renaissance de ce parti véritablement révolutionnaire, marxiste-léniniste :

Une telle possibilité n’est pas à rejeter à priori.

Cependant, une condition préalable doit être remplie : que les règles du centralisme démocratique soient respectées.

Car, comme nous le disions plus haut, actuellement la discussion sur ces thèmes, sur ces thèmes fondamentaux est pour le moins entravée. Les documents du 22ème Congrès soulignaient déjà que « le parti, afin d’amener son efficacité au niveau nécessaire dans la lutte contre la politique d’austérité et pour l’unité des forces antimonopolistes, doit renforcer sa cohésion ». Ce qui est très juste. Et plus loin, que « le centralisme démocratique est d’application pour tous, partout et sans exceptions ». Bien ! Mais nous avons déjà vu comment des révisionnistes dans la direction prennent, eux, position (l’article de Jef Turf par exemple) dans des matières où la discussion est déconseillée à la base « parce qu’elles sont trop vagues », alors qu’il s’agit de débat mené également dans le mouvement communiste mondial sur le révisionnisme.

Aux marxistes-léninistes se trouvant dans le parti auquel appartient Jef Turf, d’œuvrer à créer la possibilité d’unification.

Jacques Grippa, Bruxelles, le 13 novembre 1977

Le drapeau rouge / vendredi 8 juillet 1977

Jef Turf : A propos d’eurocommunisme

Quelque chose bouge en Europe.

La crise se prolonge. Les capitalistes et leurs amis politiques cherchent obstinément leur second souffle, qu’ils ne retrouvent pas. Le chômage massif fait pression sur le pouvoir d’achat, sur le budget de l’Etat et sur les nerfs de millions d’hommes et de femmes. On continue à observer dans le cratère monétaire des mouvements qui peuvent mener chaque fois vers de nouvelles explosions. De plus en plus, le monde capitaliste perd son contrôle sur le marché des matières premières.

Cette situation et la connaissance de ses causes, provoque une certaine effervescence parmi les masses dans certains pays européens. Chez tous ceux qui savent leur sécurité menacée, tant ouvriers qu’intellectuels, l’idée qu’on peut aller vers d’autres solutions politiques grandit rapidement. On en arrive toujours aux idées essentielles du socialisme : contrôle de la communauté sur toute l’activité économique, diminution de la puissance des monopoles pour la briser finalement, élargissement de la démocratie.

En beaucoup d’endroits, les communistes jouent à ce propos un rôle déterminant. Armés de leurs opinions marxistes, ils réussissent le mieux, surtout dans les endroits où ils ont réellement une influence de masse, à tirer des conclusions de· l’expérience des luttes ouvrières. Ils sont capables d’indiquer le plus clairement le chemin à suivre, partant de la réalité concrète de chaque pays.

Cette expérience formidable s’amplifie dans les pays capitalistes hautement développés, et nulle part ailleurs.

Comment pourrait-on saisir ces nouvelles réalités dans les pays où le capitalisme n’existe plus depuis longtemps et où l’on n’a jamais connu les réalités de notre prétendue société de consommation ? Il est par conséquent normal qu’aujourd’hui précisément, dans les pays d’Europe occidentale, théorie et pratique fassent ensemble des bonds en avant sur le chemin vers le socialisme, dans le prolongement des traditions et des conquêtes propres à ces pays.

Ce développement inquiète fortement le grand capital atlantique qui se met à la recherche de moyens de combattre l’influence croissante des communistes.
Pour cela, ils menèrent campagne sur trois fronts.

Avant tout, ils baptisèrent l’enfant : « eurocommunisme », auquel ils donnèrent pour principale mission de briser le mouvement communiste international, tout à l’honneur et à la gloire des exploiteurs multinationaux.

En second lieu, ils supposèrent qu’il s’agissait uniquement d’un petit jeu joué par les communistes occidentaux pour attirer des électeurs à qui ils apprendraient à vivre un peu plus tard.

Une troisième sorte d’argument avait pour but de présenter les communistes européens comme intégrés dans le canevas capitaliste occidental.

La campagne anticommuniste a obtenu un certain succès. Il est un fait qu’on discute beaucoup plus aujourd’hui dans le mouvement communiste « pour » et « contre » l’eurocommunisme, de préférence de manière aussi vague que possible, que des problèmes concrets liés à la lutte contre la politique de crise en tant qu’étape vers le socialisme.

Il est un fait évident aussi que la manière dont est menée la discussion ne conduit pas à une entente réciproque, mais plutôt au renforcement des différentes positions.

Enfin, il faut constater que dans les pays socialistes, on ne semble pas du tout avoir compris que le débat sur les droits de l’homme n’est pas tellement un règlement de comptes avec les milieux capitalistes occidentaux, qui ont toutes les raisons de se taire, mais bien un dialogue avec les travailleurs occidentaux et les milieux démocratiques qui ont déjà une grande expérience dans la lutte pour les droits démocratiques.

L’intervention de certains pays socialistes contre les dissidents aide l’ennemi de classe dans ses tentatives de poursuivre sa domination sur les esprits.

En ce qui concerne les communistes belges, il ne peut, y avoir d’hésitation à propos de leur attitude, et ce malgré le « virage » que pensent y avoir décelé les spécialistes de la grande presse.

Nous continuons avant tout à mettre l’accent sur l’autonomie de notre parti qui est responsable devant ses membres et devant les travailleurs, qui définit lui-même démocratiquement ses orientations et n’a d’ordres à recevoir de personne.

Nous avons opté pour un chemin démocratique pluraliste. Ceux qui espèrent encore en des combats d’arrière-garde, afin de faire dévier cette orientation, en seront pour leurs frais.

En second lieu, nous continuons à faire partie du mouvement communiste international, composé de partenaires autonomes et égaux, liés par la solidarité contre le même ennemi de classe.

En troisième lieu, nous continuons à exiger le droit de critiquer librement des situations qui existent dans les pays socialistes et qui ne sont pas en concordance avec nos conceptions du socialisme. Sans ce droit, qui est aussi un devoir, nous ne serions pas pris ou sérieux par les travailleurs et les démocrates de notre pays.

Il y a soixante ans, le mouvement ouvrier de gauche s’est engagé sans hésiter dans la voie de la solidarité avec la Révolution d’octobre, comme elle fut menée par le Parti communiste de l’Union soviétique sous la direction de Lénine.

Dans peu de temps, nous assisterons peut-être dans certains pays d’Europe occidentale, à un combat d’une importance vitale pour l’avenir, pour le socialisme. Il est tout aussi nécessaire que le mouvement communiste international, dans son ensemble, se dise sans hésiter solidaire de CE combat, tel qu’il sera mené par les partis communistes de ces pays.

C’est aujourd’hui une nécessité impérieuse que d’empêcher que la polémique ne dégénère en insultes stériles et en anathèmes et que l’on ne reconnaisse pas seulement en paroles, mais aussi dans les actes, l’autonomie des partis communistes.

Jef Turf


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