Discours prononcé le 9 mai 1925 à l’Assemblée des militants de l’organisation de Moscou

Camarades,

Je ne crois pas qu’il soit besoin d’examiner eu détail les résolutions adoptées à la XIVe conférence de notre parti. Il suffira, me semble-t-il, d’en mettre en relief les grandes lignes, ce qui ne sera pas sans utilité pour l’étude ultérieure de ces résolutions.

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Les multiples questions envisagées dans ces résolutions peuvent se ramener à six groupes essentiels : 1° situation internationale ; 2° tâches courantes des partis communistes dans les pays capitalistes ; 3° tâches courantes des groupements communistes dans les colonies et pays vassaux ; 4° avenir du socialisme dans notre pays par rapport à la situation internationale actuelle ; 5° politique paysanne de notre parti et tâches de ses dirigeants dans les conditions nouvelles ; 6° métallurgie (branche principale de notre industrie).

**I. La situation internationale

Qu’y a-t-il dans la situation internationale de nouveau et de particulier susceptible de définir le caractère essentiel du moment que nous traversons ? C’est le fait encore tout récent, mais dont l’empreinte marque la situation internationale, qu’en Europe la révolution est en voie de recul, qu’une période d’accalmie a commencé, à laquelle nous avons donné le nom de stabilisation temporaire, et que, simultanément, nous assistons à la croissance du développement économique et de la puissance politique de l’Union Soviétique.

Que faut-il entendre par recul de la révolution, par accalmie ? N’est-ce pas là la fin de la révolution mondiale et le commencement de la liquidation de la révolution prolétarienne universelle ?

Lénine dit qu’après la victoire du prolétariat russe, une nouvelle époque est née, époque de révolution mondiale, époque de conflits et de guerres, de flux et de reflux, de victoires et de défaites, aboutissant à la victoire du prolétariat dans les principaux pays capitalistes.

Or si, en Europe, la révolution est en voie de déclin, ne faut-il pas en conclure que la théorie de Lénine sur la nouvelle époque, sur la révolution mondiale n’a plus de valeur et que, de ce fait, il ne peut plus être question de révolution prolétarienne en Occident ? Assurément non.

L’époque de la révolution mondiale constitue une nouvelle étape de la révolution, une longue période stratégique, portant sur de nombreuses années, voire sur plusieurs décades. Au cours de cette période il peut et doit se produire des phases de flux et de reflux de la révolution. Il en a été ainsi chez nous. Notre révolution a passé par deux phases de développement, deux périodes stratégiques pour entrer, après Octobre, dans une troisième étape, dans une troisième période stratégique.

La première étape, qui va de 1900 à 1917, a duré plus de 15 ans.

Notre but était alors l’anéantissement du tsarisme et la victoire de la révolution démocratique bourgeoise. Pendant cette période, nous

avons eu de multiples alternatives de flux et de reflux de la révolution. De 1907 à 1912, ce fut le reflux. Puis, de nouveau, nous eûmes le flux de 1912, qui commença avec les événements de la Léna, et, enfin, le reflux provoqué par la guerre.

L’année 1917 fut le signal d’un nouveau flux qui se termina par la victoire du peuple sur le tsarisme et la victoire de la révolution démocratique bourgeoise. A chaque reflux, les liquidateurs prophétisaient la fin de la révolution. Et cependant la révolution, à travers de multiples phases d’avance et de recul, aboutit à la victoire finale de 1917.

De ce moment date la deuxième phase de la révolution. Le but fut alors d’arracher le prolétariat russe à la guerre impérialiste, de culbuter la bourgeoisie et d’instituer la dictature du prolétariat. Cette étape, ou plutôt cette période stratégique, dura huit mois. Mais ce furent huit mois de profonde crise révolutionnaire pendant lesquels la guerre et la ruine qui en résultait stimulaient la révolution et en précipitaient le cours.

Ces huit mois de crise révolutionnaire peuvent et doivent être considérés comme équivalant à huit années au moins de développement normal.

Cette période stratégique, de même que la précédente, est caractérisée non pas par un mouvement continu d’ascension rectiligne de la révolution, comme se l’imaginent bon nombre de gens, mais par des alternatives de flux et de reflux. Pendant cette période, nous eûmes le formidable flux révolutionnaire des journées de juillet.

Après la défaite bolchéviste de juillet, il y eut encore un reflux qui dura jusqu’à la marche de Kornilov sur Pétrograd et qui fit place à la poussée que couronna la révolution d’Octobre. Les liquidateurs de cette période criaient, après la défaite de juillet, à la complète liquidation de la révolution. Et cependant, à travers les épreuves et les phases de recul, la révolution se termina par la victoire de la dictature du prolétariat.

Après la révolution d’Octobre, nous entrons dans la troisième période stratégique, dans la troisième étape de la révolution, dont le but est le renversement de la bourgeoisie internationale. Il est difficile de dire combien de temps durera cette période. Il est certain qu’elle sera longue et tout aussi certain qu’elle sera accompagnée d’alternatives de flux et de reflux. Le mouvement révolutionnaire mondial est, pour le moment, entré dans une phase de reflux.

Mais ce reflux, pour de multiples causes dont je parlerai plus loin, doit faire place à un mouvement de flux qui peut se terminer par la victoire du prolétariat, mais qui peut aussi ne pas aboutir à la victoire et auquel dans ce cas succédera une phase de reflux qui, à son tour, sera suivie d’un nouvel afflux révolutionnaire. Les liquidateurs de notre temps prétendent que l’accalmie actuelle marque la fin de la révolution. Mais ils se trompent comme ils se trompaient naguère, au cours de la première et de la deuxième étape de la révolution, quand tout reflux du mouvement révolutionnaire revêtait pour eux le sens d’un écrasement de la révolution.

Telles furent les oscillations inhérentes à chaque étape de la révolution, à chaque période stratégique.

Quel est le sens de ces oscillations ? Signifient-elles que la théorie de Lénine sur la nouvelle époque de la révolution mondiale ait perdu ou soit susceptible de perdre sa valeur ?

Pas le moins du monde ! Elles signifient seulement que la révolution se développe généralement non en ligne droite, par un mouvement d’ascension continu, mais en zigzag, par alternatives d’avances et de reculs, de flux et de reflux qui trempent dans la lutte les forces de la révolution et les préparent à la victoire définitive.

Tel est le sens historique de la phase actuelle du reflux de la révolution et de l’accalmie que nous traversons.

Mais le mouvement de reflux n’est qu’un côté de la situation. L’autre côté est représenté par le fait que, parallèlement au reflux de la révolution en Europe, nous assistons à un développement économique extrêmement rapide de l’Union Soviétique et à l’accroissement de sa puissance politique En d’autres termes, nous n’avons pas seulement une stabilisation du capitalisme. Nous avons également une stabilisation du régime soviétiste.

C’est donc deux stabilisations que nous avons : stabilisation momentanée du capitalisme et stabilisation du régime soviétiste.

Entre ces deux stabilisations, il s’est établi une espèce d’équilibre provisoire qui constitue le trait caractéristique de la situation internationale actuelle.

Mais qu’est-ce que la stabilisation ? Une stagnation ? Et dans ce cas peut-on appliquer cette définition au régime soviétiste ? Pas le moins du monde. Stabilisation ne veut pas dire stagnation.

Par stabilisation, il faut entendre consolidation d’une situation donnée et continuation de développement. Le capitalisme mondial ne s’est pas seulement affermi sûr la base d’une situation donnée, il poursuit son développement en étendant la sphère de son influence et en multipliant ses richesses.

C’est une erreur de croire que le capitalisme ne peut pas se développer, que la théorie de la décomposition du capitalisme soutenue par Lénine dans sa brochure L’impérialisme, dernière étape du capitalisme exclut le développement du capitalisme.

Lénine a parfaitement démontré dans sa brochure que la croissance du capitalisme ne supprime pas, mais présuppose et prédétermine la décomposition du capitalisme. Nous avons donc ainsi deux stabilisations. A l’un des pôles, le capitalisme se stabilise, consolide la situation acquise et poursuit son développement. A l’autre pôle, le régime soviétiste se stabilise, consolide les positions conquises et va de l’avant dans la voie de la victoire.

Toute la question est de savoir qui l’emportera.

Comment se fait-il qu’une stabilisation aille de front avec l’autre ? C’est parce qu’il n’existe plus désormais de capitalisme maître unique du monde. C’est parce que, maintenant, la terre est divisée en deux camps : d’un côté, le capitalisme sous les auspices du capitalisme anglo-américain ; de l’autre, le socialisme ayant à sa tête l’Union Soviétique.

C’est parce que la situation internationale sera déterminée par le rapport des forces de ces deux camps adverses.

Ainsi la caractéristique du moment actuel ne réside pas seulement dans le fait que le capitalisme et le régime soviétiste se sont stabilisés, mais aussi dans le fait que leurs forces respectives ont atteint un certain équilibre momentané, avec un léger avantage en faveur du capital et, partant, avec un léger désavantage pour le mouvement révolutionnaire, car l’accalmie actuelle, comparée à la période d’élan révolutionnaire, est un désavantage indubitable, quoique momentané, pour le socialisme.

En quoi ces deux stabilisations diffèrent-elles ? A quoi aboutissent-­elles ?

La stabilisation en régime capitaliste, se traduisant par le renforcement momentané du capital, aboutit nécessairement à l’aggravation des contradictions du capitalisme : a) entre les groupes impérialistes des divers pays ; b) entre les ouvriers et les capitalistes de chaque pays ; c) entre l’impérialisme et les peuples coloniaux de tous les pays.

Par contre, renforçant le socialisme, la stabilisation en régime soviétiste doit nécessairement aboutir à l’atténuation des contradictions et à l’amélioration des rapports : a) entre le prolétariat et la paysannerie de notre pays ; b) entre le prolétariat et les peuples coloniaux des pays opprimés ; c) entre la dictature du prolétariat et les ouvriers de tous les pays.

Le fait est que le capitalisme ne peut se développer sans intensifier l’exploitation de la classe ouvrière, sans maintenir dans un état de demi-famine la grande majorité des travailleurs, sans renforcer l’oppression des pays coloniaux et vassaux, sans entraîner des conflits et des chocs entre les divers groupements impérialistes de la bourgeoisie.

Le régime soviétiste et la dictature du prolétariat, au contraire, ne peuvent se développer que par l’élévation constante du niveau matériel et moral de la classe ouvrière, par l’amélioration continue de la situation de tous les travailleurs du pays soviétiste, par le rapprochement progressif et l’union des ouvriers de tous les pays, par le ralliement des colonies et des pays vassaux opprimés autour du mouvement révolutionnaire du prolétariat.

Le développement du capitalisme est synonyme d’appauvrissement et de misère pour la grande majorité des travailleurs, de situation privilégiée pour une infime catégorie de travailleurs corrompus par la bourgeoisie. Le développement de la dictature du prolétariat, au contraire, est synonyme d’un relèvement continu du bien-être de l’immense majorité des travailleurs.

Ainsi, le développement du capitalisme ne peut pas ne pas engendrer des conditions aggravant les contradictions du capitalisme. Et le capitalisme n’est pas en mesure de surmonter ces contradictions.

Si le capitalisme ne suivait pas un développement anarchique aboutissant aux conflits et aux guerres entre pays capitalistes pour la conquête des colonies ; s’il pouvait se développer sans l’exportation des capitaux dans les pays économiquement arriérés, dans les pays de matières premières et de main-d’œuvre à bon marché ; si l’excédent de l’accumulation capitaliste des « métropoles » était consacré non à l’exportation des capitaux, mais à un sérieux développement de l’agriculture et à l’amélioration des conditions matérielles de la paysannerie ; si, enfin, cet excédent était employé au relèvement du niveau de vie de l’ensemble de la classe ouvrière, il est évident qu’il ne pourrait plus être question d’un renforcement de l’exploitation de la classe ouvrière, de la paupérisation de la paysannerie en régime capitaliste, de l’aggravation de l’oppression des pays coloniaux et vassaux, de conflits et de guerres entre les capitalistes.

Mais alors le capitalisme ne serait plus le capitalisme Le fait est que le capitalisme ne peut pas se développer sans envenimer toutes ces contradictions et sans accumuler par là même les facteurs qui, en définitive, contribuent à sa ruine.

Au contraire, la dictature du prolétariat ne peut continuer à se développer sans engendrer des facteurs élevant le mouvement révolutionnaire de tous les pays à un degré supérieur et préparant la victoire définitive du prolétariat.

Telle est la différence existant entre les deux stabilisations. Dans ces conditions, la stabilisation du capitalisme ne peut être ni solide, ni durable.

Examinons concrètement la stabilisation du capitalisme.

Par quoi se traduit-elle ?

Premièrement, par le fait que l’Amérique, l’Angleterre et la France ont réussi momentanément à s’entendre sur la façon dont elles allaient dépouiller l’Allemagne et sur le montant des sommes qu’elles allaient lui extorquer ; elles sont arrivées à un accord auquel elles ont donné le nom de plan Dawes.

Peut-on considérer cet accord comme tant soit peu solide ? Nullement. D’abord, parce qu’il a été conclu en dehors de l’intéressé, en l’occurrence le peuple allemand ; ensuite, parce qu’il signifie que le peuple allemand devra supporter une double oppression, celle de sa propre bourgeoisie et celle de la bourgeoisie étrangère.

Et ce serait croire à l’impossible que de s’imaginer qu’une nation aussi cultivée que l’Allemagne, qu’un prolétariat aussi éduqué que le prolétariat allemand se résigneront à ce double joug sans essayer de réagir par des soulèvements révolutionnaires. Il n’est pas jusqu’à ce phénomène de réaction qu’est l’élection de Hindenburg, qui ne démontre combien l’accord de l’Entente contre l’Allemagne est fragile, éphémère.

Deuxièmement, par le fait que le capital anglais, américain et japonais a réussi à se mettre momentanément d’accord sur la répartition des zones d’influence dans ce vaste débouché du capital international qu’est la Chine et sur la façon de mettre ce pays en coupe réglée. Peut-on considérer cet accord comme tant soit peu solide ?

Certes, non. D’abord, parce que les parties contractantes se battent et se battront entre elles jusqu’à ce que mort s’ensuive pour le partage du butin ; ensuite, parce que cet accord a été conclu à l’insu du peuple chinois, qui ne veut pas se soumettre aux lois des détrousseurs étrangers. L’extension du mouvement révolutionnaire en Chine ne montre-t-il pas que les machinations des impérialistes étrangers sont d’ores et déjà condamnées ?

Troisièmement, par le fait que les groupements impérialistes des pays avancés ont réussi momentanément à se mettre d’accord en renonçant réciproquement à s’immiscer dans le pillage et l’oppression de « leurs » colonies respectives.

Peut-on considérer cette tentative d’accord comme tant soit peu sérieuse ? Pas le moins du monde.

D’abord, parce que chacun des gouvernements impérialistes cherche et cherchera à s’approprier un morceau des colonies des autres ; ensuite, parce que la politique d’oppression des groupements impérialistes dans les colonies ne fait que rendre les colonies plus révolutionnaires et, par là même, avancer l’heure de la crise révolutionnaire.

Les impérialistes s’efforcent de « pacifier » les Indes, de dompter l’Egypte, d’apprivoiser le Maroc, de juguler l’Indochine et, à cet effet, mettent en œuvre tous les moyens de ruse et de pression. Il se peut qu’ils obtiennent quelques « résultats ». Mais est-il besoin de dire que tontes leurs manœuvres seront, en fin de compte, déjouées.

Quatrièmement, dans le fait que les groupes impérialistes des pays avancés chercheront à se mettre d’accord pour former un front unique contre l’Union Soviétique. Admettons qu’ils parviennent à mettre sur pied une espèce de front unique en ne reculant devant aucune machination, comme les misérables faux fabriqués à l’occasion de l’attentat de la cathédrale de Sofia et ainsi de suite.

Avons-nous des raisons de supposer que l’accord contre notre pays ou la stabilisation dans ce domaine puisse être tant soit peu solide, tant soit peu féconde ?

Personnellement, je n’en vois pas.

Pourquoi ?

D’abord, parce que la menace d’un front unique et l’attaque combinée des capitalistes sonderaient plus que jamais tout le pays au pouvoir soviétiste et en feraient une forteresse encore plus inexpugnable qu’au moment de l’offensive des quatorze Etats.

Rappelez-vous la menace de Churchill au sujet de l’offensive des quatorze Etats.

Et il suffit que fût proférée cette menace pour que tout le pays se serrât autour du pouvoir soviétiste, afin de repousser l’attaque éventuelle des rapaces impérialistes. Ensuite, parce que la croisade contre le pays soviétiste allumerait dans tous les pays de multiples foyers révolutionnaires, qui désagrégeraient et démoraliseraient les forces de l’impérialisme.

Que ces foyers se soient considérablement multipliés ces derniers temps et qu’ils ne réservent rien de bon à l’impérialisme, c’est ce dont on ne peut douter. Enfin, parce que notre pays n’est déjà plus isolé, parce qu’il a pour alliés les ouvriers d’Occident et les peuples d’Orient.

Au demeurant, il est à peu près certain que la guerre contre l’Union Soviétique se changerait en guerre de l’impérialisme contre ses propres ouvriers et ses colonies. Je n’ai pas besoin de souligner que si l’on attaque notre pays, nous ne nous contenterons pas de marquer les coups et que nous saurons prendre les mesures nécessaires pour déchaîner le torrent révolutionnaire dans tous les pays du monde.

Les dirigeants des pays capitalistes ne doivent pas ignorer que, dans ce domaine, nous avons quelque compétence.

Tels sont les faits et considérations qui témoignent que la stabilisation ne peut pas être solide, que cette stabilisation appelle l’apparition de facteurs aboutissant à la défaite du capitalisme, qu’en revanche la stabilisation du régime soviétiste mène à une accumulation incessante de facteurs aboutissant à l’affermissement de la dictature du prolétariat, à l’essor du mouvement révolutionnaire de tous les pays et à la victoire du socialisme.

Cette opposition de principe entre la stabilisation capitaliste et la stabilisation soviétiste est l’expression de l’opposition entre deux systèmes d’économie et de gouvernement : le système capitaliste et le système socialiste.

Qui ne comprend pas cette opposition ne comprendra jamais le fond véritable de la situation internationale actuelle.

Tel est, en ce moment, le tableau général de la situation internationale.

**II. Tâches courantes des partis communistes dans les pays capitalistes

Ce qui caractérise en ce moment la situation des partis communistes dans les pays capitalistes, c’est que la période de poussée révolutionnaire a fait place à une période de reflux, à une période d’accalmie.

C’est cette accalmie qu’il s’agit de mettre à profit pour renforcer les partis communistes, les bolchéviser et les transformer en véritables partis de masse, appuyés sur les syndicats, pour grouper les travailleurs de certaines catégories sociales non-prolétariennes, et en premier lieu la paysannerie, autour du prolétariat, enfin, pour éduquer les prolétaires dans l’esprit de la révolution et la dictature du prolétariat.

Je n’énumérerai pas toutes les tâches courantes qui se posent aux partis communistes d’Occident. Si vous lisez les résolutions adoptées à ce sujet, notamment les résolutions adoptées par l’Exécutif élargi sur la bolchévisation, vous n’aurez pas de peine à comprendre en quoi consistent pratiquement ces problèmes. Je me bornerai à examiner la tâche essentielle des partis communistes d’Occident et à la mettre en lumière, ce qui facilitera la solution de tous les autres problèmes du moment.

Cette tâche, c’est de cimenter les partis communistes d’Occident et les syndicats, de développer et de mener à bonne fin la campagne en faveur de l’unité du mouvement syndical, d’obliger tous les communistes à adhérer aux syndicats, d’y mener un travail méthodique en faveur du front unique des ouvriers contre le capital et de créer ainsi des conditions permettant aux partis communistes de s’appuyer sur les syndicats.

Sans l’accomplissement de cette tâche, il n’est pas possible de transformer les partis communistes en véritables partis de masse, ni de préparer des conditions favorables à la victoire du prolétariat.

Les syndicats et les partis en Occident ne sont pas ce qu’ils sont chez nous. Leurs rapports ne ressemblent nullement à ceux qui existent en Russie. Chez nous, les syndicats ont fait leur apparition après le parti et autour du parti de la classe ouvrière.

Chez nous, avant l’existence des syndicats, le parti et ses organisations dirigeaient déjà non seulement la lutte politique, mais la lutte économique de la classe ouvrière, jusques et y compris les grèves les moins importantes. C’est ce qui, dans une large mesure, permet de comprendre l’autorité exceptionnelle dont jouissait notre parti parmi les ouvriers avant la révolution de Février comparativement aux embryons de syndicats qui existaient alors de-ci de-là.

Les véritables syndicats ne firent leur apparition en Russie qu’après février 1917. Mais, à la veille de la révolution d’Octobre, nous avions déjà des organisations professionnelles parfaitement constituées qui jouissaient parmi les ouvriers d’une très grande autorité. Lénine disait à ce moment que, sans l’appui des syndicats, il était impossible d’établir ou de maintenir la dictature du prolétariat.

Mais les syndicats n’atteignirent leur plein développement qu’après la prise du pouvoir, et surtout après l’application de la Nep.

Il est indubitable que, maintenant, nos puissants syndicats constituent un des plus fermes appuis de la dictature du prolétariat.

Le trait le plus caractéristique de leur histoire, c’est qu’ils sont nés, qu’ils se sont développés et consolidés après le parti, autour de lui, dans une atmosphère d’amitié réciproque.

En Europe occidentale, les syndicats se sont développés dans une ambiance très différente. D’abord ils ont surgi et grandi bien avant l’apparition des partis ouvriers. Ensuite, ce ne sont pas les syndicats qui se sont développés autour des partis, mais au contraire, les partis ouvriers qui sont issus des syndicats.

Enfin, étant donné que dans le domaine de la lutte économique, qui touche le plus la classe ouvrière, la place était, pour ainsi dire, déjà prise par les syndicats, les partis se virent contraints de se consacrer surtout à la lutte parlementaire, ce qui devait forcément se répercuter sur le caractère de leur travail et sur leur autorité auprès de la classe ouvrière.

Et c’est parce que les partis apparurent en Occident après les syndicats et que les syndicats naquirent longtemps avant les partis pour devenir les principales forteresses du prolétariat dans sa lutte contre le capital, que les partis, en tant que forces autonomes, sans point d’appui sur les syndicats, se virent relégués à l’arrière-plan.

Il en résulte que si les partis communistes veulent devenir réellement une force massive, capable d’actionner la révolution, ils doivent étroitement se lier aux syndicats et s’appuyer sur eux.

Ne pas tenir compte de cette particularité de la situation en Occident, c’est à coup sûr nuire à la cause du mouvement communiste.

Et pourtant, il existe encore en Occident certains « communistes » qui ne veulent pas voir cette particularité et qui vont répétant leur mot d’ordre antiprolétarien et antirévolutionnaire : « Abandon des syndicats ! ». Le mouvement communiste d’Occident n’a pas d’adversaires plus nuisibles que cette espèce de « communistes » qui rêvent de se lancer à l’attaque des syndicats incarnant à leurs yeux des citadelles ennemies.

Ils ne comprennent pas qu’une semblable politique doit forcément les faire considérer comme des ennemis par les ouvriers. Ils ne comprennent pas que, bons ou mauvais, les syndicats sont pour l’ouvrier du rang comme des citadelles d’où lui vient le secours pour le maintien des salaires, de la journée de travail, et ainsi de suite. Ils ne comprennent pas qu’une semblable politique ne facilite pas, mais entrave le travail de pénétration des communistes dans les couches profondes de la classe ouvrière.

« Vous attaquez ma citadelle, peut dire le simple ouvrier à de tels communistes, vous voulez détruire l’œuvre à laquelle je me suis consacré pendant des dizaines d’années en me persuadant que le communisme est un progrès sur le trade-unionisme : Il se peut que vous ayez raison dans vos spéculations théoriques sur le communisme, ce n’est pas à moi, simple ouvrier, d’en juger ; mais ce que je sais, c’est que j’ai ma forteresse dans mon syndicat, que ce syndicat m’a conduit à la lutte, qu’il m’a défendu tant bien que mal contre les agressions des capitalistes et que celui qui cherche à détruire cette forteresse nuit à mes intérêts.

Cessez d’attaquer les syndicats, entrez-y, militez-y cinq années et plus s’il le faut, contribuez à les améliorer et à les renforcer, et si vous me persuadez de la supériorité de vos méthodes, soyez sûrs que je ne me refuserai pas à vous soutenir. »

Tel est à peu près l’accueil que réserve l’ouvrier moyen de nos jours aux anti-professionnalistes. Si l’on n’a pas compris ce trait particulier de la psychologie de l’ouvrier moyen, on ne comprendra rien à la situation de nos partis communistes à l’heure actuelle.

En quoi réside la force de la social-démocratie en Occident ? En ce qu’elle a les syndicats pour point d’appui.

En quoi réside la faiblesse de nos partis communistes en Occident ? Dans le fait qu’ils ne se sont pas encore intimement liés et que certains de leurs éléments ne veulent pas se lier aux syndicats.C’est pourquoi la tâche essentielle des partis communistes d’Occident en ce moment est de développer et de mener à bien la campagne en faveur de l’unité syndicale, d’obliger tous les communistes à entrer dans les syndicats, d’y accomplir un travail méthodique de longue haleine en faveur du groupement de la classe ouvrière contre le capital, et d’arriver ainsi à s’appuyer sur les syndicats.

Tel est le sens de notre campagne en faveur de l’unité syndicale.

Telles la signification des décisions de l’Exécutif élargi de l’Internationale communiste au sujet des tâches courantes des partis communistes d’Occident à l’heure actuelle.

**III. Tâches courantes des éléments communistes dans les pays coloniaux et vassaux

Voici ce qu’il y a de nouveau dans ce domaine :

a) Etant donné l’exportation croissante de capitaux des pays avancés dans les pays arriérés, exportation favorisée par la stabilisation du capitalisme, ce dernier, dans les pays coloniaux, se développe et est appelé à se développer à une allure accélérée, provoquant la disparition des anciennes formes politiques sociales et l’implantation de nouvelles ;

b) Le prolétariat de ces pays grandit et grandira rapidement ;

c) Le mouvement ouvrier et la crise révolutionnaire gagnent et gagneront du terrain dans les colonies ;

d) On assiste au développement des couches les plus riches et les plus puissantes de la bourgeoisie indigène, qui, redoutant bien plus la révolution dans leur pays que l’impérialisme, préfèrent un compromis à l’affranchissement de leur patrie, qu’ils trahissent ainsi au profit de l’impérialisme (Inde, Egypte, etc.) ;

e) Par suite, l’affranchissement de ces pays ne peut être réalisé que dans la lutte contre la bourgeoisie nationale conciliatrice ;

f) Il en résulte que l’alliance des ouvriers et des paysans, ainsi que l’hégémonie du prolétariat dans les colonies à développement ou en voie de développement industriel, doivent passer au premier plan de l’actualité, comme ce fut le cas en Russie avant la révolution de 1905.

Jusqu’ici, on avait accoutumé de considérer l’Orient comme un tout uniforme. Maintenant, il est clair qu’une telle appréciation de l’Orient n’est plus possible, que désormais il existe des colonies à développement ou en voie de développement capitaliste et des colonies arriérées à l’égard desquelles il ne peut être question d’appliquer la même méthode.

Jusqu’ici, on se représentait le mouvement d’émancipation nationale comme un front ininterrompu de toutes les forces nationales des pays coloniaux et vassaux, front dans lequel on englobait tous les éléments, depuis les bourgeois les plus réactionnaires jusqu’aux prolétaires les plus révolutionnaires.

Aujourd’hui, après la scission de la bourgeoisie nationale en aile révolutionnaire et en aile antirévolutionnaire, le tableau du mouvement national se présente tout autrement. A côté des éléments révolutionnaires du mouvement national, il se forme au sein de la bourgeoisie des éléments conciliateurs, réactionnaires, préférant un compromis avec l’impérialisme plutôt que l’affranchissement de leur pays.

D’où la nécessité pour les éléments communistes des colonies de s’unir aux éléments révolutionnaires de la bourgeoisie nationale et, tout d’abord, à la paysannerie contre le bloc de l’impérialisme et des éléments conciliateurs de la bourgeoisie indigène, afin de mener, prolétariat en tête, une lutte révolutionnaire efficace pour la libération des colonies du joug de l’impérialisme. Nombre de pays coloniaux approchent maintenant de ce qu’on pourrait appeler leur année 1905.

La tâche consiste à grouper les ouvriers avancés des pays coloniaux en un parti communiste unique, capable de prendre le gouvernail de la révolution.

Voici ce que disait Lénine, en 1922, du mouvement révolutionnaire grandissant dans les pays coloniaux :

Les « vainqueurs » actuels du premier carnage impérialiste n’ont pas même la force de vaincre la petite, l’infime Irlande, de surmonter l’anarchie qui règne parmi eux dans les questions financières et monétaires. Or, l’Inde et la Chine sont en ébullition.

Il s’agit de plus de 700 millions d’être humains qui, avec les pays limitrophes asiatiques, représentent une bonne moitié de la population du globe.

Avec une force irrésistible, à une allure de plus en plus accélérée, il se prépare dans ces pays un 1905, avec cette différence essentielle qu’en Russie la révolution de 1905 pouvait encore s’accomplir, du moins au début, isolément, c’est-à-dire en n’entraînant pas immédiatement les autres pays sans son orbite.

Mais la révolution qui gronde dans l’Inde et en Chine est maintenant attirée dans la lutte révolutionnaire, dans le mouvement révolutionnaire, dans la révolution internationale.

Les pays coloniaux sont à la veille de leur 1905, telle est la conclusion.

Tel est le sens des résolutions adoptées sur la question coloniale par l’Exécutif élargi de l’Internationale communiste.

**IV. L’avenir du socialisme en U.R.S.S.

Jusqu’ici, j’ai parlé des résolutions de notre conférence sur des sujets concernant directement l’Internationale communiste. Je passe maintenant à des questions qui se rapportent directement tant à l’I.C.

qu’au P.C.R. et qui représentent ainsi un anneau rattachant les questions extérieures aux questions intérieures.

Quel effet la stabilisation temporaire du capitalisme peut-elle avoir sur l’avenir du socialisme dans notre pays ? Ne devons-nous pas la considérer comme la fin ou le commencement de la fin de l’organisation socialiste dans l’Union soviétique ?

Est-il possible, dans notre pays arriéré au point de vue technique et économique, d’édifier le socialisme si le capitalisme subsiste plus ou moins longtemps dans les autres pays ?

Pouvons-nous obtenir une garantie complète contre la menace d’une intervention et, partant, contre la restauration de l’ancien régime, alors que nous sommes encerclés par le capitalisme, qui, ne l’oublions pas, est en ce moment stabilisé ?

Autant de questions qui se posent à nous en raison de l’état actuel des rapports internationaux et que nous ne pouvons laisser sans réponse.

Notre pays présente deux groupes de contradictions : contradictions intérieures entre le prolétariat et la paysannerie ; contradictions extérieures entre notre pays, en tant que nation socialiste, et les autres pays, en tant que nations impérialistes.

Examinons séparément ces groupes de contradictions.

Qu’il existe certaines contradictions entre le prolétariat et la paysannerie, la chose est évidemment indéniable. Il suffit de se rappeler ce qui s’est passé et ce qui se passe chez nous sous le rapport de la politique des prix sur les produits agricoles, sous le rapport de la campagne pour la baisse des prix des objets manufacturés, pour comprendre toute la réalité de ces contradictions.

Il existe en U. R. S. S. deux classes fondamentales : la classe ouvrière et la classe des petits possédants, c’est-à-dire la paysannerie.

D’où d’inévitables contradictions.

Le tout est de savoir si, par nos propres moyens, nous pouvons vaincre les contradictions existant entre le prolétariat et la paysannerie.

Quand on dit : Pouvons-nous construire le socialisme avec nos seules forces ? il faut évidemment traduire : Les contradictions entre le prolétariat et la paysannerie sont-elles surmontables ?

A cette question, le léninisme répond par l’affirmative. Nous pouvons édifier le socialisme et nous l’édifierons avec le concours de la paysannerie sous la direction de la classe ouvrière.

Quelles sont les raisons qui permettent une telle réponse ? C’est qu’entre le prolétariat et la paysannerie, il existe des antagonismes, mais aussi une communauté d’intérêts dans les questions fondamentales.

Or, cette communauté d’intérêts couvre ou, en tout cas, peut couvrir les antagonismes existants et constitue la base, le fondement de l’alliance des ouvriers et des paysans.

En quoi consiste cette communauté d’intérêts ? Le fait est qu’il existe deux systèmes de développement de l’agriculture : le système capitaliste et le système socialiste. Le système capitaliste, c’est le développement par l’appauvrissement de la majeure partie de la paysannerie, mais, par contre, l’enrichissement des couches supérieures de la bourgeoisie urbaine et rurale.

Le système socialiste, au contraire, c’est le développement par l’élévation continue du bien-être de la majorité des paysans. De même que le prolétariat, la paysannerie est particulièrement intéressée au développement socialiste, car c’est pour elle l’unique moyen de se sauver de l’appauvrissement et d’une existence de demi-famine.

Inutile de dire que la dictature du prolétariat, qui détient les positions essentielles de l’économie, prendra toutes les mesures nécessaires pour la victoire du socialisme. Ainsi, la paysannerie est vitalement intéressée à ce que le développement s’effectue précisément dans ce sens.

De là, la communauté d’intérêts du prolétariat et de la paysannerie qui couvre leurs contradictions.

Voilà pourquoi le léninisme dit que nous pouvons et devons, avec la paysannerie, construire une société socialiste basée sur l’alliance des ouvriers et des paysans.

Voilà pourquoi le léninisme dit qu’en nous appuyant sur les intérêts communs des prolétaires et des paysans, nous pouvons et devons vaincre par nos propres moyens les contradictions existant entre le prolétariat et la paysannerie.

Mais tous nos camarades ne sont pas d’accord sur ce point avec le léninisme. Voici, par exemple, ce que pense Trotsky de ces contradictions :

Les contradictions qui se manifestent sous un gouvernement ouvrier dans un pays arriéré, où l’immense majorité de la population est composée de paysans, ne pourront trouver leur solution qu’à l’échelle internationale, sur l’arène de la révolution mondiale du prolétariat (Préface à l’ouvrage « 1905 »).

En d’autres termes, nous n’avons ni la force, ni les moyens de vaincre et de supprimer dans notre pays les contradictions du prolétariat et de la paysannerie. Nous ne le pourrions que si la révolution mondiale éclatait et nous permettait, enfin, de construire le socialisme.

Inutile de dire que cette théorie n’a rien de commun avec le léninisme.

Poursuivant sa pensée, Trotsky écrit :

Sans l’aide gouvernementale directe du prolétariat européen, la classe ouvrière russe ne pourra se maintenir au pouvoir et transformer sa domination momentanée en dictature socialiste durable (Notre révolution).

En d’autres termes, tant que le prolétariat d’Occident ne prendra pas le pouvoir et ne nous apportera pas son appui, il est inutile de songer à nous maintenir longtemps au pouvoir.

Ailleurs, nous lisons encore :

Il serait vain de penser que, par exemple une Russie révolutionnaire pût se maintenir en face d’une Europe conservatrice.

Ainsi, non seulement nous ne pouvons pas construire le socialisme, mais nous ne sommes même pas en état de nous maintenir, ne fût-ce qu’un court laps de temps, en face d’une Europe conservatrice, bien que nous ayons tenu bon jusqu’ici et que nous ayons repoussé victorieusement de furieuses attaques de l’Europe conservatrice.

Enfin, voici ce que dit Trotsky :

En Russie, il ne pourra y avoir d’essor véritable de l’économie socialiste qu’après la victoire du prolétariat dans les principaux pays d’Europe.

On ne saurait être plus clair. J’ai donné ces citations afin de les comparer à des citations de Lénine et de vous montrer qu’il est possible de construire une société socialiste intégrale dans un pays de dictature du prolétariat entouré d’Etats capitalistes.

Voici ce qu’écrivait Lénine en 1915, pendant la guerre impérialiste :

L’inégalité du développement économique et politique est incontestablement une loi du capitalisme. Il en résulte que le socialisme peut vaincre tout d’abord dans quelque pays capitaliste, ou même dans un seul.

Le prolétariat victorieux de ce pays, après avoir exproprié les capitalistes et organisé chez lui la production socialiste, se dresserait contre le reste du monde capitaliste, attirerait à lui les classes opprimées des autres pays, y susciterait la révolte contre les capitalistes, interviendrait même, au besoin, par la force des armes contre les classes exploiteuses et leurs Etats…

Car l’union libre des nations dans le socialisme est impossible sans une lutte acharnée, plus ou moins longue, des républiques socialistes contre les Etats retardataires.

Autrement dit, le pays de la dictature prolétarienne, quoique encerclé de pays capitalistes, non seulement peut surmonter par ses propres moyens les contradictions intérieures entre le prolétariat et la paysannerie, mais encore peut et doit construire le socialisme, organiser l’économie socialiste et mettre sur pied une force armée destinée à venir en aide aux prolétaires des autres pays dans leur lutte pour le renversement du capital.

Telle est la théorie fondamentale du léninisme sur la victoire du socialisme dans un seul pays.

C’est ce que dit encore Lénine, quoique sous une autre forme, en 1920, au 8e congrès des soviets, à propos de l’électrification de notre pays : Le communisme, c’est le pouvoir des soviets, plus l’électrification du pays, faute de quoi le pays serait condamné à demeurer un pays de moyenne paysannerie. C’est ce que nous devons bien nous mettre dans la tête. Nous sommes plus faibles que le capitalisme, non seulement à l’échelle internationale, mais même à l’intérieur du pays.

C’est là une chose notoire. Nous nous en sommes convaincus et nous ferons en sorte que notre base économique, qui est en ce moment représentée par la petite paysannerie, soit constituée par la grande industrie. Ce n’est que lorsque le pays sera électrifié, lorsque l’industrie, l’agriculture et les moyens de transport auront comme fondement technique la grande industrie, que nous vaincrons définitivement.

Lénine se rend parfaitement compte des difficultés auxquelles doit se heurter l’édification du socialisme dans notre pays, et pourtant il n’en tire nullement l’absurde déduction qu’ « en Russie, il ne pourra y avoir d’essor véritable de l’économie socialiste qu’après la victoire du prolétariat dans les principaux pays d’Europe ».

Au contraire, il considère que nous pouvons par nos propres moyens surmonter ces difficultés et remporter la « victoire définitive », c’est-à-dire réaliser le socialisme intégral.

Mais voici ce qu’il disait encore, une année après, en 1921 : Dix à vingt années de rapports justes avec la paysannerie et la victoire est assurée à l’échelle internationale, même si les révolutions prolétariennes, qui mûrissent, tardent à venir.

Ainsi Lénine voyait nettement les difficultés que l’édification du socialisme aurait à surmonter dans notre pays, mais il n’en concluait pas que, « sans l’aide gouvernementale directe du prolétariat européen, la classe ouvrière russe ne pourrait se maintenir au pouvoir ». Au contraire, il estimait qu’au moyen d’une politique juste à l’égard de la paysannerie, nous pouvions parfaitement obtenir « la victoire à l’échelle internationale », c’est-à-dire réaliser le socialisme intégral.

Qu’est-ce qu’une politique juste à l’égard de la paysannerie ? Une telle politique dépend entièrement de nous, en tant que parti dirigeant l’édification du socialisme dans notre pays.

C’est ce que disait en 1922, mais avec plus de précision encore, Lénine dans ses notes sur la coopération :

Possession par l’État des principaux instruments de production, possession du pouvoir politique par le prolétariat, alliance de ce prolétariat avec la masse immense des petits paysans qu’il dirige, n’est-ce pas là tout ce qu’il faut pour pouvoir, avec la seule coopération (que nous traitions auparavant de mercantile et que nous avons maintenant, jusqu’à un certain point, le droit de traiter ainsi sous la Nep), procéder à la construction pratique de la société socialiste intégrale ?

Ce n’est pas là encore la construction de la société socialiste, mais c’est tout ce qui est nécessaire et suffisant pour cette construction.

Ainsi, après la dictature du prolétariat, il se trouve, d’après Lénine, que nous disposons de tous les éléments nécessaires pour construire la société socialiste intégrale, en surmontant toutes les difficultés intérieures, car il est entendu que nous pouvons et devons les surmonter par nos propres moyens.

Voilà qui est clair.

Examinant l’objection d’après laquelle l’état économique relativement arriéré de notre pays exclut la possibilité de l’édification du socialisme, Lénine la rejette comme quelque chose d’incompatible avec le socialisme :Extrêmement banal est l’argument qu’ils ont appris par cœur au cours du développement de la social-démocratie d’Europe Occidentale et d’après lequel nous ne sommes pas mûrs pour le socialisme, nous n’avons pas en Russie, comme le disent certains « savants », les conditions objectives pour le socialisme.

S’il en était ainsi, il eût été inutile de prendre le pouvoir en octobre 1917 et de faire la révolution. Car, si l’on exclut la possibilité et la nécessité de construire la société socialiste intégrale, la révolution d’Octobre perd son sens.

Nier la possibilité d’édifier le socialisme dans un seul pays, c’est logiquement nier que la révolution d’Octobre fût rationnelle. Et vice versa, si l’on n’a pas foi en la révolution d’Octobre, on ne doit pas admettre la possibilité de la victoire du socialisme dans un pays encerclé par le capitalisme. La liaison entre le scepticisme à l’égard de la révolution d’Octobre et la négation des possibilités socialistes de notre pays est flagrante.

Je sais, dit Lénine, qu’il est des sages, qui se croient fort malins et s’intitulent même socialistes, qui affirment qu’il ne fallait pas prendre le pouvoir tant que la révolution n’aurait pas éclaté dans tous les pays. Ils ne soupçonnent pas qu’en parlant ainsi, ils s’écartent de la révolution et se rangent aux côtés de la bourgeoisie. Attendre que les masses laborieuses accomplissent la révolution à l’échelle internationale, c’est se figer dans la passivité. C’est tout bonnement de l’absurdité.

Voilà ce qu’il en est des contradictions du premier genre, des contradictions intérieures relatives à la possibilité de construire le socialisme dans l’encerclement capitaliste.

Voyons maintenant les contradictions du second genre, c’est-à-dire les contradictions extérieures existant entre notre pays en tant que pays du socialisme et les autres pays en tant que pays du capitalisme.

En quoi consistent ces contradictions ?

En ce que, tant que durera l’encerclement capitaliste, nous resterons sous la menace d’une intervention des pays capitalistes, et que, par suite, nous serons menacés d’un retour à l’ancien régime.

Peut-on considérer ces contradictions comme parfaitement surmontables pour un seul pays ? Non. En effet, les efforts d’un seul pays, si même ce pays est un pays de dictature, sont insuffisants pour le garantir contre le danger d’une intervention. La garantie complète contre toute intervention et, partant, la victoire définitive du socialisme ne sont possibles qu’à l’échelle internationale, qu’au moyen des efforts conjugués des prolétaires d’une série de pays, ou, mieux encore, qu’après la victoire des prolétaires dans plusieurs pays.

Qu’est-ce que la victoire définitive du socialisme ?

C’est la garantie complète contre toute tentative d’intervention et, partant, de restauration, étant donné qu’une tentative tant soit peu sérieuse de restauration ne peut être effectuée qu’avec un appui efficace du dehors, en l’occurrence du capital international. C’est pourquoi le soutien de notre révolution par les ouvriers de tous les pays et, à plus forte raison, la victoire de ces ouvriers, ne fût-ce que dans quelques pays, représente pour le premier pays vainqueur une condition indispensable de complète garantie contre les tentatives d’intervention et de restauration, une condition indispensable pour la victoire définitive du socialisme.

Tant que la République des Soviets, dit Lénine, restera isolée à la lisière du monde capitaliste, il serait chimérique et utopique de songer… à la disparition de toute espèce de dangers. Il est évident que, tant qu’il subsiste de telles oppositions, il subsiste des dangers que, quoi qu’on fasse, on n’arrivera pas à éviter.

Et, plus loin :

Nous vivons non seulement dans un Etat, mais dans un système d’Etats, et c’est pourquoi on ne peut concevoir une existence parallèle de longue durée de la République des Soviets et des Etats impérialistes. En fin de compte, l’un ou l’autre doit l’emporter.

Voilà pourquoi, dit Lénine :

On ne peut vaincre définitivement qu’à l’échelle internationale et seulement au prix des efforts conjugués des ouvriers de tous les pays.

Telle est la nature des contradictions du second genre. Confondre le premier groupe de contradictions, parfaitement surmontables par les efforts d’un seul pays, avec le second groupe de contradictions, qui exigent pour leur solution les efforts des prolétaires de plusieurs pays, c’est commettre une faute grossière envers le léninisme, c’est être un confusionniste ou un opportuniste incurable.

Pour donner un échantillon de la confusion qui règne dans certains esprits, je citerai le passage d’une lettre que m’écrivit un camarade au début de cette année au sujet de la victoire du socialisme dans un seul pays.

Vous dites, écrit-il, que la théorie léniniste… réside dans le fait que le socialisme peut vaincre dans un seul pays. Malheureusement, je n’ai pas trouvé dans les œuvres de Lénine d’indications à ce sujet.

Le malheur n’est pas que ce camarade, que je considère comme un des meilleurs parmi nos jeunes étudiants communistes, n’a pas trouvé ces indications. Le jour viendra où il les trouvera. Ce qui est grave, c’est qu’il a confondu les contradictions intérieures avec les contradictions extérieures et qu’en fin de compte il s’est égaré lui­ même dans ce brouillamini.

Peut-être ne sera-t-il pas superflu de vous donner connaissance de la réponse que j’ai faite à ce camarade :

Il ne s’agit pas de la victoire complète, mais simplement de la victoire qui consiste à chasser les propriétaires fonciers et les capitalistes, à prendre le pouvoir, à repousser les attaques de l’impérialisme et à poser les jalons de l’organisation de l’économie socialiste.

Le prolétariat d’un seul pays peut parfaitement atteindre ces objectifs, mais une complète garantie de restauration ne peut être obtenue qu’avec « les efforts communs des prolétaires de plusieurs pays ».

Il eût été insensé de déclencher la révolution en Russie avec la conviction que le prolétariat russe vainqueur, bénéficiant de la sympathie active des prolétaires des autres pays, mais sans la victoire du prolétariat dans plusieurs autres pays, « ne pourrait pas se maintenir contre une Europe conservatrice ».

Ce n’est pas du marxisme, mais du vulgaire opportunisme. Si cette théorie était juste, elle donnerait tort à Lénine, qui affirme que nous transformerons la Russie de la Nep en Russie socialiste, que nous avons « tout ce qu’il faut pour l’édification d’une société socialiste intégrale »… Le plus dangereux dans notre politique pratique, c’est la tendance à considérer un pays victorieux comme quelque chose de passif, capable seulement de marquer le pas jusqu’au moment où les prolétaires victorieux des autres pays accourront à son secours.

Admettons que, pendant cinq ans, dix ans, l’Occident ne connaisse pas de révolution victorieuse ; admettons que, durant ce temps, notre république continue à exister et à organiser l’économie socialiste dans les conditions de la Nep. Or, dans ce cas, pensez-vous que, pendant toute cette période, notre pays s’occupera de moudre du vent et ne se livrera pas à l’édification de l’économie socialiste ? Il suffit de poser la question pour comprendre tout le danger de la théorie de la négation de la victoire du socialisme dans un seul pays.

Mais s’ensuit-il que la victoire sera complète, définitive ? Pas le moins du monde. Tant que durera l’encerclement capitaliste, la menace d’intervention persistera.

Tel est le jour sous lequel nous apparaît l’avenir du socialisme dans notre pays, conformément à la résolution adoptée à ce sujet par la quatorzième conférence de notre parti.

**V. La politique du parti à la campagne

Avant d’aborder la résolution de la quatorzième conférence sur la politique du parti à la campagne, je voudrais dire quelques mots du battage fait par la presse bourgeoise autour de la critique de nos côtés faibles à la campagne, critique qui est l’œuvre du parti lui-même. La presse bourgeoise crie partout que la critique à ciel ouvert de nos propres erreurs est un symptôme de faiblesse du pouvoir soviétiste, un signe de décomposition et de ruine. Inutile de dire que tout ce battage n’est que falsification et mensonge.

L’autocritique est un symptôme de force et non de faiblesse de notre parti. Seul, un parti fort, ayant des racines solides et marchant à la victoire, peut se permettre au grand jour une impitoyable critique de ses propres insuffisances. Un parti qui dissimule la vérité au peuple, qui craint la lumière et la critique, n’est pas un parti, mais une coterie de dupeurs vouée à disparaître.

Messieurs les bourgeois nous mesurent à leur aune. Ils craignent la lumière et cachent soigneusement la vérité au peuple en dissimulant leurs crises sous le camouflage du bien-être.

Ils s’imaginent que nous aussi, communistes, nous devons cacher la vérité au peuple ; ils craignent la lumière parce qu’il leur suffirait de se laisser aller à une autocritique tant soit peu sérieuse, à une libre critique de leurs propres vices pour qu’il ne restât rien du régime bourgeois. Ainsi ils se figurent que si nous, communistes, nous tolérons l’autocritique, c’est la preuve que nous sommes aux abois et désemparés.

Les honorables bourgeois et social-démocrates nous mesurent à leur aune. Seuls, les partis appelés à disparaître de la scène peuvent redouter la lumière et la critique. Nous ne craignons ni l’une ni l’autre, parce que nous sommes un parti en plein essor, en route pour la victoire.

Voilà pourquoi l’autocritique que nous faisons depuis déjà plusieurs mois est un symptôme de puissance et non de faiblesse, un moyen de consolider encore notre parti et non de le désagréger.

Et, maintenant, passons à la politique paysanne de notre parti.

Quels nouveaux symptômes constate-t-on dans les campagnes par suite de la situation qui s’est formée à l’intérieur et à l’extérieur du pays ?

A mon avis, on peut mentionner quatre faits principaux : 1° Le revirement de la situation internationale et le ralentissement du développement révolutionnaire, qui exigent que nous choisissions les méthodes les moins douloureuses, même si elles sont plus lentes, pour amener la paysannerie à participer à l’édification du socialisme ; 2° L’essor économique des campagnes et le processus de différenciation de la paysannerie, qui exigent la liquidation des survivances du communisme de guerre ;

3° L’activité politique de la paysannerie, qui exige la modification des anciennes méthodes de direction et d’administration des campagnes ;

4° Les nouvelles élections aux soviets, qui ont montré nettement que, sur de nombreux points de notre pays, le paysan moyen s’est rangé aux côtés du paysan riche contre le paysan pauvre.

Quelle doit être, étant donné ces nouveaux faits, la tâche principale du parti dans les campagnes ? Partant du fait de la différenciation des campagnes, certains camarades arrivent à la conclusion que la principale tâche du parti est d’attiser la lutte de classe dans les campagnes. C’est là reprendre les anciens refrains des menchéviks. Notre tâche n’est pas là.

L’essentiel n’est nullement d’attiser la lutte de classe au village.

L’essentiel maintenant est de grouper les paysans moyens autour du prolétariat, c’est-à-dire de les regagner. L’essentiel est de se souder à la masse principale de la paysannerie, d’élever son niveau matériel et moral et de marcher de l’avant avec cette masse sur la voie du socialisme.

L’essentiel est de construire le socialisme avec le concours de la paysannerie et sous la direction de la classe ouvrière, direction qui est la principale garantie que l’organisation de l’économie s’effectuera dans le sens du socialisme.

Telle est aujourd’hui la tâche essentielle du parti.

Peut-être n’est-il pas superflu de rappeler ce que Lénine écrivait à ce sujet au moment de l’instauration de la Nep et qui, jusqu’à présent, n’a rien perdu de son actualité.

Toute la question désormais est de mettre en mouvement une masse incomparablement plus grande et plus puissante que jusqu’ici. Il n’y a pas d’autres moyens d’y parvenir qu’en marchant avec la paysannerie.

Et, plus loin :

Se souder à la masse paysanne, à tous ses éléments laborieux et marcher de l’avant, lentement, infiniment plus lentement que nous ne l’avions rêvé, mais par contre de telle façon que toute la masse s’ébranle avec nous. Et alors viendra un moment où ce mouvement s’accélérera à un degré qui dépassera toutes nos espérances.Par suite, nous avons, dans les campagnes, deux tâches essentielles à accomplir.

1. Tout d’abord, nous devons faire en sorte que l’économie paysanne s’incorpore au système général du développement économique soviétiste. Autrefois, la ville suivait son chemin, la campagne suivait le sien. Le capitaliste s’efforçait d’inclure l’économie paysanne dans le système du développement capitaliste.

Mais cette inclusion s’effectuait moyennant l’appauvrissement des masses paysannes et l’enrichissement des couches supérieures de la paysannerie. On sait que cette méthode s’est avérée particulièrement propre à engendrer des révolutions. Après la victoire du prolétariat, l’introduction de l’économie paysanne dans le système général de développement de l’économie soviétiste consiste dans la création des conditions susceptibles de faire avancer l’économie nationale sur la base d’un relèvement progressif, mais continu, du bien-être de la majeure partie de la paysannerie, c’est-à-dire dans un sens diamétralement opposé à celui dans lequel, avant la révolution, les capitalistes orientaient la paysannerie ou l’invitaient à s’orienter.

Mais comment introduire l’économie paysanne dans l’organisme économique ? Par la coopération : coopératives de crédit, coopératives agricoles, coopératives de consommation, coopératives d’exploitation.

Telles sont les voies et les sentiers par lesquels lentement, mais infailliblement, l’économie paysanne doit venir se greffer dans le système général de la construction socialiste.

2. L’autre tâche consiste à liquider progressivement, systématiquement les anciennes méthodes d’administration et de direction des campagnes, à vivifier les soviets, à les transformer en véritables institutions électives et à implanter dans les campagnes les principes de la démocratie soviétiste.

Lénine dit que la dictature du prolétariat représente un type supérieur de démocratie pour la plupart des travailleurs, mais que ce type supérieur de démocratie ne peut être introduit qu’après que le prolétariat aura pris le pouvoir et obtenu la possibilité de le consolider. C’est dans cette phase de consolidation du pouvoir soviétiste et d’implantation de démocratie soviétiste que nous entrons. Nous devons avancer prudemment et lentement, en constituant au fur et à mesure de notre avance des cadres nombreux de paysans sans-parti.

Si la première tâche (introduction de l’économie paysanne dans le système général de la construction économique) nous donne la possibilité de conduire, intimement liés, la paysannerie et le prolétariat dans la voie de l’édification socialiste, par contre, la seconde (implantation dans les campagnes de la démocratie soviétiste et vivification des soviets ruraux) doit nous permettre d’améliorer notre appareil gouvernemental, de le lier aux masses populaires, de le rendre sain et honnête, simple et bon marché et de faciliter par là le passage de la dictature du prolétariat à la société sans Etat, à la société communiste.

Telles sont les grandes lignes des résolutions adoptées par la XIV e conférence sur la politique de notre parti dans les campagnes.

Conformément à ces résolutions, le parti doit modifier sa méthode de direction à l’égard des campagnes.

Il est, dans le parti, des éléments qui affirment que, sous la Nep et devant la stabilisation temporaire du capitalisme européen, notre tâche consiste à pratiquer une politique de pression maximum, tant dans le pays que dans l’appareil gouvernemental. J’estime qu’une telle politique serait fausse et néfaste.

Nous avons besoin maintenant non de redoubler notre pression, mais de faire preuve du maximum de souplesse dans la politique comme dans l’organisation, faute de quoi nous ne nous maintiendrons pas au gouvernail dans les circonstances difficiles du moment. Nous avons besoin du maximum de souplesse pour conserver le gouvernail du parti et lui permettre de dominer la situation.

D’autre part, il est indispensable que les communistes renoncent à appliquer à la campagne des méthodes détestables d’administration.

On ne saurait administrer uniquement à coups d’arrêtés. Il faut expliquer patiemment aux paysans les questions qui leur sont incompréhensibles, il faut apprendre à les convaincre et, pour cela, ne pas ménager son temps, ni ses efforts. Il est évident qu’il est plus aisé de donner des ordres.

Mais le plus facile n’est pas toujours le meilleur. Répondant récemment à une question du représentant du comité du gouvernement au sujet de l’absence de journaux dans le district, le secrétaire d’une cellule allait jusqu’à dire : « Quel besoin avons-nous de journaux ? Ne sommes-nous pas plus tranquilles ainsi ? Si les moujiks se mettaient à lire, ils nous assailleraient de questions et nous n’en finirions jamais. »

Et ce secrétaire s’intitule communiste ! Est-il besoin d’ajouter que cette espèce de communiste est tout simplement un fléau. Il n’est pas possible maintenant d’éviter les « questions » des paysans et, à plus forte raison, de laisser ces derniers sans journaux. Cette vérité élémentaire, il faut bien nous la mettre en tête si nous voulons conserver au parti et au pouvoir soviétiste la direction des campagnes.

Aujourd’hui, pour diriger, il faut savoir administrer, connaître et comprendre l’économie. Si l’on se contente de pérorer sur la « politique mondiale », sur Chamberlain et Mac Donald, on n’ira pas loin. Nous sommes en pleine phase de construction économique.

C’est pourquoi ne peut diriger que celui qui comprend l’économie, qui peut donner au moujik de bons conseils pratiques et l’aider à organiser rationnellement son exploitation. Etudier l’économie, pénétrer dans tous les détails de la construction économique, telles sont les tâches qui incombent maintenant aux communistes dans les campagnes. Faute de quoi, il est puéril de rêver de direction.

Il n’est plus possible désormais de diriger avec les vieilles méthodes.

L’activité politique de la paysannerie a pris de l’ampleur, elle doit se canaliser dans l’organisation soviétiste, et pas autrement. Dirige effectivement celui qui s’attache à vivifier les soviets et à former autour du parti une élite paysanne.

Impossible aujourd’hui de recourir aux méthodes périmées.

L’activité économique des campagnes s’est réveillée, il faut qu’elle se canalise dans la coopération et non en dehors de la coopération.

Dirige effectivement celui qui implante dans les campagnes la coopération.

Telles sont, en général, les tâches concrètes incombant au parti pour la direction des campagnes.

**VI. L’industrie métallurgique

En quoi consiste le fait nouveau et particulier qui caractérise notre développement économique ?

En ce que nos plans économiques commencent à retarder sur notre développement réel, qu’ils sont insuffisants et qu’à chaque instant ils ne parviennent pas à suivre la croissance de notre économie.

Notre budget est une illustration frappante de cette constatation.

Vous savez qu’au cours d’une demi-année, nous avons dû modifier trois fois notre budget par suite de l’augmentation rapide de nos recettes. En d’autres termes, nos calculs budgétaires et la répartition de nos ressources n’arrivaient pas à suivre la croissance de nos recettes, qui procuraient, de ce fait, des excédents considérables à notre trésorerie.

Cela prouve que les sources de la vie économique jaillissent irrésistiblement au point de bouleverser complètement les prévisions de nos experts financiers. Cela démontre aussi que nous traversons un essor de labeur économique aussi puissant, sinon plus, que celui que connut l’Amérique, notamment au lendemain de la guerre civile.

Le développement de notre industrie métallurgique peut être considéré comme le fait le plus caractéristique de cette nouvelle manifestation de vie de notre économie.

L’année passée, la production métallurgique atteignait 191 millions de roubles d’avant-guerre. En novembre de la même année, le plan annuel pour 1924-1925 fut calculé sur une somme de 273 millions de roubles d’avant-guerre.

En janvier de l’année en cours, ce plan, que la croissance précipitée de l’industrie métallurgique avait rendu trop étroit, fut modifié et établi sur une somme de 317 millions.

En avril, ce plan élargi se révéla de nouveau insuffisant et dut être porté à 350 millions. Aujourd’hui, on nous dit qu’il est encore trop exigu et qu’il faudra l’élargir jusqu’à 360-370 millions.

Ainsi, la production métallurgique a presque doublé comparativement à celle de l’année dernière. Et je ne parle pas de la croissance formidable de notre petite industrie, de l’extension de nos transports et du développement de notre industrie du combustible et autre.

Ainsi, en ce qui concerne l’organisation de l’industrie, fondement du socialisme, nous sommes déjà en plein essor.

En ce qui concerne l’industrie métallurgique, ressort principal de toute industrie en général, on peut dire que la période de stagnation est passée et que, désormais, cette industrie a toutes chances de se développer. Le camarade Dzerjinsky a raison de dire que notre pays peut et doit devenir un pays métallurgique.

Point n’est besoin de démontrer l’importance de ce fait pour le développement intérieur de notre pays comme pour la révolution internationale. Il est indubitable que, du point de vue du développement intérieur, l’essor de notre industrie métallurgique a une importance considérable, car elle marque un essor de l’ensemble de notre industrie et de notre économie.

Sans puissant développement de l’industrie métallurgique, clef de voûte de toute industrie, il ne peut être question de mettre sur pied ni petite industrie, ni transport, ni combustible, ni électrification, ni agriculture. C’est pourquoi l’essor de cette industrie est synonyme d’essor général.

Voici ce que disait Lénine de la « grande industrie », sous-entendant par là principalement l’industrie métallurgique :

Nous savons que le salut de la Russie n’est pas seulement dans une bonne récolte — cela ne suffit pas — pas plus que dans un bon rendement de la petite industrie fournissant à la paysannerie des objets de consommation, ce qui est aussi insuffisant ; il nous faut encore la grande industrie. Plusieurs années de travail seront nécessaires pour la remettre en bon état.

Et, plus loin :

Si nous ne parvenons pas à sauver la grande industrie et à la relever, nous ne pourrons organiser aucune espèce d’industrie. Sans elle, nous sommes condamnés à disparaître en tant que pays indépendant.

Quant à la portée internationale du développement de notre industrie métallurgique, elle est, à coup sûr, incalculable.

Car qu’est-ce que l’impétueuse croissance de la métallurgie sous la dictature du prolétariat sinon la preuve éclatante que le prolétariat n’est pas seulement capable de détruire, mais de construire, d’édifier par ses propres moyens une nouvelle industrie et une nouvelle société affranchie de l’exploitation de l’homme par l’homme ?

Et faire cette démonstration dans la vie et non dans les livres, c’est contribuer considérablement au succès de la révolution mondiale.

Le pèlerinage des ouvriers d’Occident en Russie n’est pas un simple effet du hasard. Il a, au point de vue de l’agitation et de la pratique, une importance immense pour le développement du mouvement révolutionnaire dans le monde. Les ouvriers qui arrivent en Russie explorent tous les coins et recoins de nos fabriques et de nos usines.

Cela prouve qu’ils n’ajoutent pas foi aux livres et qu’ils veulent se convaincre par eux-mêmes de la capacité du prolétariat à constituer une nouvelle industrie, une nouvelle société. Lorsqu’ils s’en seront convaincus, soyez sûrs que la cause de la révolution mondiale ira de l’avant à pas de géant.

En ce moment, dit Lénine, c’est principalement par notre politique économique que nous influons sur la révolution internationale. Les travailleurs de tous les pays, tous sans exception, ni exagération, ont les yeux tournés vers la République des Soviets.

Dans ce champ de bataille, la lutte qui se déroule a une importance universelle. Si nous venons à bout de notre tâche, nous gagnons à coup sûr et définitivement la partie à l’échelle internationale.

C’est pourquoi les questions qui ont trait à la construction économique acquièrent à nos yeux une importance exceptionnelle.

Sur ce front, nous devons remporter la victoire par une ascension et une marche en avant lentes, progressives, point hâtives, mais continues.

Telle est l’importance internationale de l’essor de notre industrie en général et de l’industrie métallurgique en particulier.

A l’heure actuelle, il y a en Russie près de quatre millions de prolétaires industriels. C’est évidemment très peu, mais cela représente quand même quelque chose pour construire le socialisme et organiser la défense de notre pays contre les ennemis du prolétariat. Mais nous ne nous en tiendrons pas là.

Il nous faut 15 à 20 millions de prolétaires industriels, l’électrification des principales régions du pays, l’agriculture organisée sur la base de la coopération et une industrie métallurgique hautement développée. Alors nous vaincrons sur le plan international.

Le sens historique de la XIV e conférence réside précisément dans le fait qu’elle a nettement tracé la route vers ce but élevé.

La voie est juste, car elle est celle de Lénine et elle conduit à la victoire définitive.

Tel est, dans les grandes lignes, le bilan des travaux de la XIVe conférence de notre parti.


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