Discours prononcé à l’Université Sverdlov le 9 juin 1925

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Camarades, je vais répondre aux questions écrites que vous m’avez posées. J’y répondrai dans l’ordre où elles m’ont été remises. Comme vous le savez, il y en a dix.

Commençons par la première.

I

Quelles sont les mesures et les conditions devant contribuer à consolider l’alliance de la classe ouvrière avec les paysans en régime de dictature du prolétariat, si l’Union soviétique n’est pas soutenue par la révolution du prolétariat occidental dans les ­10-15 années prochaines ?

 

J’estime que cette question englobe toutes celles que vous m’avez posées. C’est pourquoi j’y ferai une réponse générale, qui sera loin d’épuiser le sujet. Autrement, il ne me resterait plus rien à dire sur les autres questions.

Les résolutions de la 14e conférence du parti donnent une réponse complète à cette question. Elles affirment que la principale garantie de la consolidation de l’alliance est une politique rationnelle envers la paysannerie. Mais qu’est­-ce qu’une bonne politique envers la paysannerie ?

Elle consiste dans un ensemble de mesures économiques, administratives, politiques et culturelles destinées à assurer cette alliance.

Prenons le domaine économique.

Il faut, tout d’abord, liquider les survivances du communisme de guerre dans les campagnes. Il faut ensuite établir une politique rationnelle des prix sur les produits fabriqués et les denrées agricoles, de façon à assurer un essor rapide de l’industrie et de l’agriculture et à supprimer les « ciseaux ».

Il faut réduire la somme totale de l’impôt agricole et transformer peu à peu celui­-ci, d’impôt d’Etat, en impôt local. Il faut attirer à la coopération, principalement à la coopération agricole et à la coopération de crédit, l’immense masse rurale, afin que les paysans, eux aussi, participent à la réalisation du socialisme.

Il faut introduire dans les campagnes les tracteurs, qui sont les leviers de la révolution technique dans l’agriculture et les moyens de créer des foyers de civilisation dans les campagnes. Il faut enfin exécuter le plan d’électrification, moyen de rapprocher la campagne de la ville et de faire disparaître leur antagonisme.

Voilà ce que doit faire le parti s’il veut assurer l’alliance économique de la ville et de la campagne.

Je tiens à attirer votre attention sur la transformation de l’impôt agricole, d’impôt d’Etat, en impôt local. Cela peut vous paraître surprenant. Néanmoins, c’est un fait que l’impôt agricole devient de plus en plus et deviendra entièrement un impôt de caractère local. Il y a deux ans, l’impôt agricole constituait la part principale, ou peu s’en faut, de nos revenus, tandis que maintenant il n’en est qu’une partie insignifiante.

Alors que le budget d’Etat se monte à deux nous donnera cette année au plus 250 à 260 millions de roubles, soit 100 millions de moins que l’année passée. Comme vous le voyez, c’est bien peu.

Et plus notre budget d’Etat s’élargira, plus l’importance relative de l’impôt agricole diminuera. Ensuite, de ces 260 millions, 100 millions, soit plus du tiers, sont destinés aux budgets locaux. Pourquoi en est-il ainsi ? Parce que, de tous les impôts existants, l’impôt agricole est celui qui s’adapte le mieux aux conditions locales, qui peut le ‘mieux être utilisé pour les besoins locaux.

Il n’est pas douteux que le budget local s’accroîtra de plus en plus. Et il augmentera en absorbant une partie de plus en plus importante de l’impôt agricole, qui doit être le mieux possible approprié aux conditions locales. Cela est d’autant plus certain que la part principale des revenus de l’Etat est et sera de plus en plus constituée par les bénéfices des entreprises d’Etat, les impôts indirects, etc.

Voilà pourquoi la transformation de l’impôt agricole en impôt local deviendra un jour nécessaire et utile à la consolidation de notre alliance avec les paysans.

Passons aux mesures qui doivent assurer cette alliance dans le domaine administratif et politique.

Réalisation de la démocratie soviétiste à la ville et au village afin de simplifier, de rendre moins onéreux l’appareil d’Etat, de l’assainir moralement, d’en éliminer le bureaucratisme et les facteurs de décomposition bourgeoise, de le lier intimement à la masse, telle est la voie que doit suivre le parti s’il veut renforcer l’alliance dans le domaine administratif et politique.

La dictature du prolétariat n’est pas une fin en soi. Elle n’est qu’un moyen, la voie qui mène au socialisme. Or, qu’est­-ce que le socialisme ? C’est une étape entre le régime de dictature du prolétariat et la société sans Etat. Mais pour parcourir cette étape, il faut préparer le renouvellement de l’appareil étatique de façon à assurer la transformation effective de la société à dictature prolétarienne en société sans Etat, en société communiste.

C’est pourquoi, nous prenons pour mots d’ordre de vivifier les soviets, de réaliser la démocratie soviétiste à la ville et au village, de confier à l’élite ouvrière et paysanne la gestion des affaires de l’Etat. Corriger l’appareil d’Etat, le rénover véritablement, en éliminer le bureaucratisme et les éléments de décomposition, le rapprocher des masses et le leur rendre sympathique, tout cela est impossible sans la collaboration active des masses elles-­mêmes.

Mais cette collaboration constante et active est à son tour impossible sans la participation des meilleurs éléments ouvriers et paysans aux organes administratifs, sans une liaison directe entre l’appareil d’Etat et les couches profondes des travailleurs.

Qu’est-­ce qui distingue l’appareil d’Etat soviétiste de l’appareil d’Etat bourgeois ?

L’appareil d’Etat bourgeois se place au-dessus des masses, il est séparé de la population par une barrière infranchissable ; il est, par son esprit même, étranger aux masses populaires, tandis que l’appareil soviétiste se confond avec les masses, perd son caractère s’il se place au-dessus de ces dernières et ne peut toucher les travailleurs que s’il leur est accessible. C’est là une différence essentielle entre l’appareil de l’Etat bourgeois et celui de l’Etat soviétiste.

Dans sa brochure : Les bolcheviks conserveront-­ils le pouvoir ? Lénine disait que les 240.000 membres du parti bolchevik sauraient certainement diriger le pays au profit des pauvres, contre les riches, du moment que 130.000 grands propriétaires fonciers avaient pu jusqu’alors diriger le pays au profit des riches contre les pauvres. Interprétant de façon erronée ces paroles, certains communistes pensent que l’appareil d’Etat se réduit à quelques centaines de milliers d’adhérents du parti, et que cela suffit pour diriger notre immense pays. C’est pourquoi ils identifient parfois le parti avec l’Etat. C’est une erreur.

C’est une déformation de la pensée de Lénine. Parlant des 240.000 membres du parti bolchevik, Lénine ne voulait pas dire que ce chiffre limite, ou peut limiter, l’appareil d’Etat soviétiste.

Au contraire, outre les communistes, il considérait comme faisant partie de notre appareil d’Etat le million d’électeurs qui votèrent pour les bolcheviks à la veille de la révolution d’Octobre ; il déclarait que nous pouvons décupler notre appareil d’Etat, c’est-­à-­dire le porter au moins à dix millions d’hommes, en faisant participer les travailleurs à l’administration journalière de l’Etat.

Ces 240.000 hommes, dit Lénine, ont déjà maintenant un million d’adeptes au moins, car, comme le confirme l’expérience de l’Europe en général et celle de la Russie en particulier (élections d’août à la Douma de Pétrograd), on peut calculer ainsi le nombre des membres du parti d’après le nombre des voix obtenues.

Nous voilà donc déjà en possession d’un « appareil étatique » d’un million d’hommes, dont le dévouement à l’Etat socialiste est basé sur des raisons d’ordre moral et non sur l’attente de la forte somme à toucher le 20 du mois.

Bien plus, nous avons encore un moyen merveilleux de décupler d’un coup notre appareil étatique, moyen dont aucun Etat capitaliste n’a jamais pu et ne pourra jamais disposer. Ce moyen, c’est la participation des classes pauvres à l’administration journalière de l’Etat.

Comment faisons-nous « participer les travailleurs, la population pauvre à l’administration journalière de l’Etat » ?

Au moyen de nos organisations d’initiative des masses, commissions et comités de toutes sortes, conférences et assemblées de délégués, qui se forment autour des soviets, organes économiques, conseils d’entreprises, institutions culturelles, organisations du parti et des Jeunesses, associations coopératives diverses, etc., etc.

Souvent, nos camarades ne remarquent pas qu’autour des organisations de base du parti, des soviets, des syndicats, des Jeunesses communistes, etc., il y a une multitude d’organismes, de commissions, d’assemblées auxquels participent des millions d’ouvriers ou de paysans sans-parti et qui, par leur modeste labeur journalier, créent en somme la vie de l’Etat soviétiste dont ils sont la force.

Sans ces organisations groupant des millions d’hommes, il serait impossible de gouverner et d’administrer notre grand pays. L’appareil d’Etat soviétiste n’est pas formé par les soviets seulement. Il comprend, au sens profond du terme, les soviets ainsi que les innombrables groupements de communistes et de sans-parti qui unissent les soviets aux masses, permettent à l’appareil d’Etat de se confondre avec les masses et détruisent peu à peu toute barrière entre l’appareil d’Etat et la population.

Voilà comment nous « décuplons » notre appareil d’Etat en le rapprochant des millions de travailleurs, en le leur rendant sympathique, en l’épurant des vestiges de bureaucratisme, en le fondant avec la masse et en préparant par là la transition du régime de dictature du prolétariat à une société sans Etat, à une société communiste.

Tels sont le sens et la portée du mot d’ordre de vivification des soviets et de réalisation de la démocratie soviétiste. Telles sont les mesures capitales qui renforceront notre alliance avec les paysans dans le domaine administratif et politique.

Quant aux mesures propres à assurer cette alliance dans le domaine de la culture et de l’éducation, il est superflu de s’y étendre, car elles sont évidentes et universellement connues.

Je me bornerai à rappeler la ligne principale de notre activité dans ce domaine. Il s’agit de préparer la réalisation de l’instruction primaire obligatoire dans toute l’U. R. S. S. Ce sera là une réforme immense, qui représentera un triomphe splendide non seulement sur le front de l’instruction publique, mais aussi sur les fronts politique et économique.

Cette réforme sera, pour notre pays, le prélude d’un essor prodigieux. Mais elle exigera des centaines de millions de roubles ; elle nécessitera presque un demi-million d’instituteurs et d’institutrices. Néanmoins, nous devons la préparer dès à présent, si nous voulons élever notre pays à une civilisation supérieure. Et nous le ferons incontestablement.

II

Quels sont les dangers de dégénérescence du parti que déterminera la stabilisation du capitalisme si elle se prolonge ?

Ces dangers existent-ils vraiment ?

Oui, et ils existent indépendamment de la stabilisation, qui ne fait que les rendre plus tangibles. Voici les trois principaux de ces dangers :

a) Perte de la perspective socialiste dans l’organisation de notre pays et, par suite, apparition d’une tendance à liquider les conquêtes de la révolution ;

b) Perte de la perspective révolutionnaire internationale et, partant, apparition du nationalisme ;

c) Disparition de la direction du parti et, partant, possibilité de transformation du parti en appendice de l’appareil étatique.

Commençons par le premier de ces dangers.

Il se caractérise par le scepticisme à l’égard des forces intérieures de notre révolution, à l’égard de l’alliance ouvrière et paysanne et du rôle dirigeant de la classe ouvrière dans cette alliance, à l’égard de la transformation de la « Russie de la Nep » en « Russie socialiste », à l’égard de la réalisation du socialisme dans notre pays.

C’est là une mentalité qui mène à l’abandon des principes et des buts de la révolution d’Octobre, à la transformation de l’Etat prolétarien en Etat démocratique bourgeois.

L’origine de cette mentalité est dans le renforcement de l’influence bourgeoise sur notre parti sous le régime de la Nep, caractérisé par une lutte à mort entre les éléments capitalistes et les éléments socialistes au sein de notre économie.

Les éléments capitalistes ne mènent pas seulement la lutte dans le domaine économique, ils s’efforcent de la transporter dans le domaine de l’idéologie, cherchant à inspirer à nos détachements les moins fermes le scepticisme à l’égard des possibilités de réalisation du socialisme, et l’on ne saurait dire que leurs efforts aient été complètement stériles.

« Comment pouvons-nous, arriérés comme nous sommes, réaliser le socialisme intégral ? disent certains de ces communistes contaminés. L’état des forces de production de notre pays ne nous permet pas de nous proposer des objectifs aussi utopiques. Puissions-nous seulement nous maintenir tant bien que mal au pouvoir sans penser au socialisme ! Faisons ce que nous pouvons pour le moment, et après on verra. »

« Nous avons déjà accompli notre mission révolutionnaire en faisant la révolution d’Octobre, disent d’autres ; tout dépend maintenant de la révolution internationale, car sans la victoire du prolétariat occidental, nous ne pouvons réaliser le socialisme, et, à proprement parler, un révolutionnaire n’a plus rien à faire en Russie. »

On sait qu’en 1923, lors des événements révolutionnaires d’Allemagne, une partie de la jeunesse de nos écoles était prête à abandonner ses livres et à partir pour l’Allemagne, estimant qu’en Russie, un révolutionnaire n’avait plus rien à faire et que son devoir était d’aller accomplir la révolution en Allemagne.

Comme vous le voyez, ces deux groupes de « communistes » nient, l’un et l’autre, les possibilités de réalisation du socialisme dans notre pays ; ils ont une mentalité de « liquidateurs ». La différence est que les premiers couvrent cette mentalité par des raisonnements doctoraux sur les « forces de production » (ce n’est pas pour rien que Milioukov les a appelés, il y a quelques jours, dans ses Posliédnié Novosti, des « marxistes sérieux »), tandis que les seconds la couvrent de phrases gauchistes et « terriblement révolutionnaires » sur la révolution mondiale.

En effet, admettons qu’un révolutionnaire n’ait rien à faire en Russie, qu’il soit impossible de réaliser le socialisme dans notre pays avant sa victoire dans les autres pays, que la victoire du socialisme dans les pays avancés n’ait lieu que dans dix ou vingt ans. Peut-on croire que, dans notre pays entouré d’Etats bourgeois, les éléments capitalistes de notre économie consentent à cesser leur lutte sans merci contre les éléments socialistes et attendent, les bras croisés, le triomphe de la révolution mondiale ?

Il suffit d’émettre cette supposition pour en voir toute l’absurdité. Mais alors, que reste-­t-­il à faire à nos « marxistes sérieux » et à nos « terribles révolutionnaires » ? Il ne leur reste qu’à suivre le courant et à se transformer peu à peu en vulgaires démocrates bourgeois.

De deux choses l’une : ou bien nous considérons notre pays comme la base de la révolution mondiale, nous possédons, comme dit Lénine, toutes les données nécessaires à la réalisation du socialisme intégral, et alors nous devons entreprendre cette réalisation, dans l’espoir de remporter une victoire totale sur les éléments capitalistes de notre économie ; ou bien nous ne considérons pas notre, pays comme la base de la révolution mondiale, nous n’avons pas les données nécessaires à l’édification du socialisme, il nous est impossible de le réaliser, et alors, si la victoire du socialisme dans les autres pays se fait attendre, nous devons nous résigner à voir les éléments capitalistes de notre pays prendre le dessus, le pouvoir des soviets se décomposer, le parti dégénérer.

Voilà pourquoi le scepticisme à l’égard des possibilités de réalisation du socialisme mène à la liquidation des conquêtes de la révolution et à la dégénérescence.

Voilà pourquoi notre parti doit lutter contre le danger de liquidation, surtout dans la période de stabilisation provisoire du capitalisme.

Passons au deuxième danger.

Il est caractérisé par le scepticisme envers la révolution prolétarienne mondiale et le mouvement de libération nationale des colonies et des pays vassaux ; par l’incompréhension du fait que, sans l’appui du mouvement révolutionnaire international, notre pays n’eût pu résister à l’impérialisme mondial ; par l’incompréhension de cet autre fait que le triomphe du socialisme dans un pays ne peut être définitif (ce pays n’étant pas garanti contre une intervention) tant que la révolution n’a pas vaincu au moins dans plusieurs autres pays ; par l’absence de cet internationalisme élémentaire qui veut que le triomphe du socialisme dans un pays soit non pas une fin en soi, mais un moyen de développer et de soutenir la révolution dans les autres pays.

C’est là la voie menant au nationalisme, à la dégénérescence, à la liquidation totale de la politique internationale du prolétariat, car ceux qui sont atteints de cette maladie considèrent notre pays non pas comme une partie du mouvement révolutionnaire mondial, mais comme le début et l’achèvement de ce mouvement, puisqu’ils estiment que l’on doit sacrifier aux intérêts de notre pays ceux de tous les autres.

Faut­-il soutenir le mouvement de libération nationale en Chine ? A quoi bon ? N’est­-ce pas dangereux ? Est-ce que cela ne nous brouillera pas avec les autres pays ? Ne serait-­il pas mieux d’établir des sphères d’influence en Chine de concert avec les puissances « civilisées » et de nous emparer d’une partie de ce pays ? Ce serait avantageux et nous ne risquerions rien…

Faut­-il soutenir le mouvement d’émancipation en Allemagne ? Est­-ce que cela en vaut la peine ? Ne serait-­il pas mieux de se mettre d’accord avec l’Entente sur le traité de Versailles et d’obtenir une petite compensation ?

Faut­-il conserver notre amitié à la Perse, à la Turquie, à l’Afghanistan ? Le jeu en vaut-il la chandelle ? Ne serait­-il pas mieux de rétablir les sphères d’influence d’accord avec certaine grande puissance ? Etc., etc.

Telle est cette mentalité nationaliste d’un genre nouveau, qui tend à la liquidation de la politique extérieure de la révolution d’Octobre et représente un bouillon de culture pour les éléments de dégénérescence.

Si l’origine du premier danger est le renforcement de l’influence bourgeoise sur le parti dans la politique intérieure, dans la lutte entre les éléments capitalistes et socialistes de notre économie, l’origine du second est dans le renforcement de l’influence bourgeoise sur le parti dans la politique extérieure, dans la lutte des Etats capitalistes contre la dictature du prolétariat.

Il est certain que la pression des Etats capitalistes sur le nôtre est formidable, que les employés de notre Commissariat des Affaires étrangères ne parviennent pas toujours à y résister, que, pour éviter des complications internationales, ils sont souvent tentés de s’engager dans la voie de moindre résistance, dans la voie du nationalisme.

Il est évident que c’est seulement sur la base de l’internationalisme conséquent, de la politique extérieure de la révolution d’Octobre, que le premier Etat prolétarien peut rester le porte-­drapeau du mouvement révolutionnaire mondial ; il est clair que la ligne de moindre résistance et le nationalisme en politique extérieure signifient l’isolement et la décomposition du pays de la première révolution victorieuse.

Voilà pourquoi l’absence d’une perspective révolutionnaire internationale mène au danger de nationalisme et de dégénérescence. Voilà pourquoi la lutte contre le danger de nationalisme dans la politique extérieure est un des devoirs du parti.

Passons au troisième danger.

Ce danger est caractérisé par le scepticisme à l’égard des forces intérieures du parti et de son rôle dirigeant ; par la tendance de l’appareil d’Etat à affaiblir la direction du parti, à s’en émanciper ; par l’incompréhension du fait que, sans direction du parti communiste, il ne peut y avoir de dictature du prolétariat.

Ce danger nous menace de trois côtés.

Premièrement, les classes que nous devons diriger ont changé. Les ouvriers et les paysans ne sont plus les mêmes que lors du communisme de guerre. Auparavant, la classe ouvrière était déclassée et dispersée, les paysans étaient en proie à la crainte de voir revenir le propriétaire foncier en cas de défaite dans la guerre civile, le parti était la seule force concentrée et gouvernait d’une façon toute militaire. Maintenant, la situation est tout autre. Il n’y a plus de guerre. Partant, le danger direct qui groupait les masses travailleuses autour de notre parti n’existe plus.

Le prolétariat s’est rétabli, il s’est élevé sous le rapport matériel et intellectuel. Les paysans, eux aussi, se sont élevés et développés. L’activité de ces deux classes s’est accrue et continuera de s’accroître. On ne peut plus gouverner d’une façon militaire. II faut maintenant de la souplesse dans les méthodes de direction. Il faut ensuite une attention extrême aux besoins et aux aspirations des ouvriers et des paysans, il faut enfin savoir amener au parti les ouvriers et paysans qui se sont particulièrement fait remarquer par leur activité et leur intelligence politiques.

Mais toutes ces qualités ne s’acquièrent pas du jour au lendemain. De là une disproportion entre ce qui est exigé du parti et ce que celui-ci peut donner actuellement. De là aussi le danger d’affaiblissement de la direction assumée par le parti, de liquidation de la direction communiste.

En second lieu, il est à remarquer que, ces derniers temps, au cours de la période d’essor économique, l’appareil des organisations gouvernementales et autres s’est fortement développé. Les trusts et syndicats, les organismes de commerce et de crédit, les administrations, les groupements éducatifs et la coopération sous toutes ses formes se sont sensiblement accrus et élargis, recrutant des centaines de milliers de travailleurs nouveaux, sans-­parti pour la plupart.

Mais ces appareils n’augmentent pas seulement numériquement. Leur force et leur influence augmentent également. Et plus leur importance s’accroît, plus leur pression sur le parti devient sensible, plus ils résistent au parti. Il faut opérer un regroupement des forces et une répartition des militants dirigeants dans ces appareils de façon à assurer la direction du parti dans la situation nouvelle où nous nous trouvons. Mais cela est impossible à faire d’un seul coup. De là le danger que l’appareil d’Etat se détache du parti.

En troisième lieu, le travail lui­-même est devenu plus compliqué et plus varié. Je parle de notre travail actuel de construction. De nouveaux domaines d’activité ont surgi dans les villes et les campagnes. C’est pourquoi la direction est devenue plus concrète. Autrefois, on parlait toujours de direction « d’ensemble ».

Maintenant, la direction « d’ensemble » n’est que du verbiage, ce n’est plus de la direction. Il faut une direction concrète. La période précédente a créé un type de militant omniscient, prêt à répondre à n’importe quelle question de théorie et de pratique. Maintenant ce type doit céder la place à un type nouveau de militant spécialisé dans une ou deux branches.

Pour diriger réellement, il faut connaître à fond sa partie, il faut l’étudier consciencieusement, patiemment, opiniâtrement. On ne peut diriger à la campagne sans connaître l’agriculture, la coopération, la politique des prix, sans avoir étudié les lois de l’économie rurale. On ne peut diriger à la ville sans connaître l’industrie, les conditions d’existence des ouvriers, leurs revendications, leurs aspirations, sans connaître la coopération, les syndicats, les clubs. Malheureusement, toutes ces connaissances ne s’acquièrent pas en un clin d’œil.

Pour élever la direction communiste à la hauteur de sa tâche, il faut élever avant tout le niveau des militants du parti. Désormais, c’est la qualité du militant qui importe le plus. Mais il n’est pas facile de l’élever rapidement. Les anciennes habitudes de bâclage du travail, qui malheureusement remplacent chez nous la science et l’expérience, sont encore vivaces dans les organisations du parti. C’est pourquoi la direction communiste dégénère parfois en une accumulation d’ordres parfaitement inutiles, en une « direction » verbale, purement imaginaire. C’est là un des dangers les plus sérieux d’affaiblissement et de disparition de la direction du parti.

Telles sont les raisons qui font que le danger de disparition de la direction du parti mène à la désagrégation et à la dégénérescence de ce dernier.

Voilà pourquoi combattre ce danger est un des devoirs de notre parti.

III

Comment lutter contre la bourgeoisie rurale (koulaks) sans attiser la lutte de classe ?

J’estime que cette question est trop abrégée et, par suite, mal posée. De quelle lutte de classe s’agit-­il ? S’il s’agit de la lutte de classe à la campagne en général, le prolétariat ne la mène pas contre les koulaks seulement. En effet, les antagonismes entre le prolétariat et la paysannerie, n’est­-ce pas la lutte de classe, quoique sous une forme assez spéciale ? Le prolétariat et les paysans constituent actuellement les deux principales classes de notre société ; entre ces deux classes il existe des antagonismes, qui peuvent, il est vrai, être aplanis et le seront en fin de compte, mais qui pourtant suscitent une lutte entre elles.

J’estime que, dans notre pays, la lutte de classe entre la ville et la campagne, les ouvriers et les paysans, se déroule sur trois fronts principaux :

a) La lutte entre l’ensemble du prolétariat (personnifié par l’Etat) et la paysannerie au sujet des prix limites sur les produits fabriqués et les denrées agricoles, au sujet de la normalisation des impôts, etc. ;

b) La lutte entre l’ensemble du prolétariat (personnifié par l’Etat) et la bourgeoisie rurale (koulaks) au sujet de la réduction des prix exagérés fixés par les spéculateurs sur les denrées agricoles, au sujet de l’imposition renforcée des koulaks, etc. ;

c) La lutte entre les paysans pauvres, les ouvriers agricoles surtout, et la bourgeoisie rurale.

Ces trois fronts, on le voit, n’ont pas la même importance, et la lutte n’y revêt pas le même caractère. C’est pourquoi notre attitude envers les formes de la lutte de classe sur ces trois fronts doit être différente.

Examinons la question d’un peu plus près.

Premier front. — Le prolétariat (personnifié par l’Etat), vu la faiblesse de notre industrie et l’impossibilité d’obtenir des emprunts, a établi un ensemble de mesures pour défendre notre industrie contre la concurrence étrangère et la développer à l’avantage de toute notre économie, l’agriculture y comprise.

Monopole du commerce extérieur, impôt agricole, achat et vente par l’Etat des produits agricoles, plan général pour le développement de l’économie nationale, telles sont ces mesures basées sur la nationalisation des principales branches de l’industrie, des transports, du crédit.

Ces mesures ont donné ce qu’elles devaient donner : elles ont mis fin à la dégringolade des prix des produits industriels et à renchérissement exagéré des denrées agricoles. Mais il est clair que la paysannerie, obligée d’acheter des produits industriels et de vendre des produits agricoles, préfère acheter le meilleur marché et vendre le plus cher possible. De même, elle voudrait que l’on supprimât complètement l’impôt agricole, ou du moins qu’on le réduisît au minimum.

Voilà le terrain de la lutte entre le prolétariat et la paysannerie.

L’Etat peut-­il annuler purement et simplement les mesures indiquées plus haut ? Non. Car ce serait, actuellement, ruiner notre industrie, désagréger le prolétariat en tant que classe, transformer notre pays en colonie agricole des pays à industrie développée, couler toute notre révolution.

La paysannerie dans son ensemble a-­t-­elle intérêt à la suppression de ces mesures ? Non, car leur suppression signifierait actuellement le triomphe de l’évolution capitaliste. Or celle-ci implique l’appauvrissement de la majorité des paysans et l’enrichissement d’une poignée de riches, de capitalistes.

Qui osera affirmer que les paysans ont intérêt à leur propre appauvrissement, à la transformation de notre pays en colonie, qu’ils ne sont pas profondément intéressés au développement socialiste de notre économie ?

Voilà le terrain de l’alliance entre le prolétariat et les paysans.

Est­-ce à dire que nos organes industriels, s’appuyant sur le monopole, puissent augmenter démesurément leurs prix au détriment de la masse paysanne et de l’industrie elle­-même ? Jamais de la vie. Cela nuirait avant tout au développement de l’industrie, qui, hier encore, anémique et artificiellement entretenue, doit devenir demain un organisme robuste et puissant.

De là notre campagne pour la réduction des prix sur les produits fabriqués et pour l’augmentation du rendement du travail. Vous savez que cette campagne a déjà donné d’assez bons résultats.

Nos organes d’achat et de vente peuvent-­ils profiter du monopole pour jouer sur la baisse des produits agricoles et ruiner ainsi les paysans au détriment du prolétariat et de toute notre économie ? Jamais de la vie.

Une telle politique tuerait notre industrie, car elle désorganiserait son marché intérieur et empêcherait l’approvisionnement des ouvriers en produits agricoles. De là notre campagne contre les « ciseaux », campagne qui a déjà donné des résultats favorables.

Enfin, nos organes locaux et centraux pour la perception de l’impôt agricole peuvent-ils considérer la loi comme quelque chose d’absolu et aller jusqu’à démolir les granges et à ôter les toits des maisons des contribuables indigents, comme cela s’est vu dans certains districts du gouvernement de Tambov ? Jamais de la vie.

De tels procédés enlèvent au paysan toute confiance dans le prolétariat et dans notre Etat. De là les dernières mesures du parti pour réduire l’impôt agricole, lui donner un caractère plus local, régulariser notre appareil fiscal, liquider les abus qui se produisent en certains endroits. Ces mesures, vous le savez, ont déjà en partie atteint leur but.

Nous avons donc, premièrement, la communauté d’intérêts du prolétariat et de la paysannerie dans les questions fondamentales, ces deux classes ayant avantage à la réalisation du socialisme. De là le bloc ouvrier et paysan.

Nous avons, deuxièmement, des antagonismes entre la classe ouvrière et les paysans dans les questions courantes. De là une lutte au sein de ce bloc, lutte largement compensée par la communauté d’intérêts des parties constituantes et qui cessera lorsque les ouvriers et les paysans ne seront plus des classes, lorsqu’ils seront les travailleurs d’une société sans classes. Nous avons, troisièmement, des moyens et des procédés pour résoudre ces antagonismes, en maintenant et en consolidant le bloc ouvrier et paysan à l’avantage des deux alliés. Et nous appliquons déjà avec succès ces procédés dans la situation compliquée créée par la Nep et la stabilisation temporaire du capitalisme.

Ainsi, devons-nous attiser la lutte de classe sur ce front ? Nullement. De tout ce que j’ai dit il découle au contraire que nous devons atténuer par tous les moyens la lutte sur ce front, en la modérant par des accords et des concessions mutuelles et en l’empêchant de revêtir des formes aiguës, de dégénérer en collisions violentes. Et c’est ce que nous faisons. Nous avons d’ailleurs toutes les possibilités pour le faire, car la communauté d’intérêts qui unit paysans et ouvriers est plus profonde que les antagonismes qui les séparent.

Comme vous le voyez, il ne saurait être question d’attiser la lutte de classe sur le premier front.

Deuxième front. — Les combattants sont ici le prolétariat (personnifié par l’Etat soviétiste) et la bourgeoisie rurale. Les formes de la lutte de classe ont ici un caractère aussi spécial que sur le premier front.

Voulant donner à l’impôt agricole un caractère nettement progressif, l’Etat en fait peser le poids principalement sur la bourgeoisie rurale. Cette dernière riposte et met en œuvre toute la force et toute l’influence dont elle dispose à la campagne pour rejeter le fardeau de l’impôt sur les paysans moyens et pauvres.

Luttant contre la cherté et s’efforçant de maintenir la stabilité des salaires, l’Etat établit, pour les produits agricoles, des prix limites équitables qui correspondent entièrement aux intérêts des paysans. La bourgeoisie rurale riposte en achetant la récolte des paysans pauvres et moyens, en accaparant des quantités considérables de produits agricoles, qu’elle garde dans ses granges afin de provoquer la hausse des prix et de réaliser ensuite des bénéfices scandaleux. Vous savez sans doute que, dans certaines provinces, les koulaks ont réussi à faire monter le prix du blé jusqu’à huit roubles le poud.

De là, sur ce front, une lutte de classe plus ou moins voilée.

Il semble au premier abord qu’il soit de bonne politique d’attiser la lutte de classe sur ce front. Mais rien n’est plus faux. Là non plus, nous n’avons aucun intérêt à accentuer la lutte de classe. Nous pouvons et devons éviter une lutte de classe aiguë, avec toutes les complications qu’elle entraînerait.

Nous pouvons et devons vivifier les soviets, conquérir le paysan moyen et organiser les paysans pauvres dans les soviets afin d’alléger l’imposition fiscale de la masse rurale et faire payer la plus grande partie des impôts par les koulaks. Comme vous le savez, nous avons déjà adopté à cet effet des mesures qui donnent d’excellents résultats.

Nous pouvons et devons tenir à la disposition de l’Etat des réserves alimentaires suffisantes pour exercer une pression sur le marché, intervenir lorsque c’est nécessaire, maintenir les prix à un niveau acceptable pour les masses travailleuses et faire avorter ainsi les manœuvres des spéculateurs ruraux. Vous savez que nous avons employé à cela, cette année, plusieurs dizaines de millions de pouds de blé. Les résultats que nous avons obtenus sont des plus favorables, car non seulement nous avons réussi à maintenir le pain à bon marché à Léningrad, Moscou, Ivanovo-Voznessensk, dans le bassin du Donetz, etc., mais nous avons, dans plusieurs régions, obligé le koulak à capituler en le contraignant de jeter sur le marché les réserves de blé qu’il avait accumulées.

Il est évident que tout ne dépend pas de nous seulement.

Il est possible que, dans certains cas, la bourgeoisie paysanne elle-même veuille attiser la lutte de classe, l’aggraver à l’extrême, la transformer en banditisme et en soulèvements. Mais alors le mot d’ordre de l’aggravation de la lutte de classe ne sera pas notre mot d’ordre, mais celui des koulaks, donc un mot d’ordre contre-révolutionnaire. D’ailleurs, il est certain que la bourgeoisie rurale aura à se repentir de l’avoir lancé.

Comme vous le voyez, il ne saurait être question d’attiser la lutte sur le deuxième front.

Troisième front. — Les forces en présence sont ici les paysans pauvres, principalement les ouvriers agricoles, et la bourgeoisie rurale. Formellement, l’Etat n’est pas en cause.

Ce front, on le voit, n’est pas si vaste que les deux précédents. La lutte de classe y est claire, nettement accusée, tandis qu’elle est plus ou moins masquée sur les deux autres fronts.

Il s’agit de l’exploitation directe des salariés ou demi-­salariés par le paysan patron. C’est pourquoi nous ne pouvons mener ici une politique d’adoucissement, de modération. Notre tâche est d’organiser la lutte des paysans pauvres contre la bourgeoisie paysanne et de la diriger.

Mais n’est-­ce pas là attiser la lutte de classe ? Nullement. Attiser la lutte ne signifie pas seulement l’organiser et la diriger. C’est aussi l’exacerber artificiellement et intentionnellement. Des mesures artificielles ne sont nullement nécessaires maintenant que nous avons la dictature du prolétariat et que les organisations syndicales agissent avec la plus entière liberté.

On ne saurait donc préconiser non plus l’aggravation de la lutte de classe sur le troisième front.

Ainsi, la question de la lutte de classe dans les campagnes n’est pas si simple qu’elle le semble à première vue.

IV

Gouvernement ouvrier-paysan comme réalité ou comme mot d’ordre d’agitation ?

Cette question me semble quelque peu étrange. On pourrait croire que le parti lance des mots d’ordre qui ne correspondent pas à la réalité et ne servent qu’à masquer des manœuvres habiles, qualifiées en l’occurrence d’ « agitation ». Il semblerait que le parti donne parfois des mots d’ordre qui ne sont pas et ne peuvent pas être justifiés scientifiquement. En est­-il ainsi ? Evidemment, non. Un parti qui agirait de la sorte ne serait pas le parti du prolétariat, il n’aurait pas une politique scientifique, il ne serait que l’écume à la surface des événements.

Notre gouvernement est, par son caractère, son programme et sa tactique, un gouvernement ouvrier, prolétarien, communiste. Il ne saurait y avoir là-dessus ni doute ni discussion. Notre gouvernement ne peut avoir deux programmes, un prolétarien et un autre. Son programme et son travail pratique sont prolétariens, communistes, et, dans ce sens, notre gouvernement est certainement prolétarien et communiste.

Est­-ce à dire qu’il ne soit pas en même temps un gouvernement ouvrier-­paysan ? Nullement Prolétarien par son programme et son travail, il est en même temps un gouvernement ouvrier-­paysan.

Pourquoi ?

Parce que les intérêts fondamentaux de la masse paysanne coïncident entièrement avec ceux du prolétariat.

Parce que les intérêts des paysans trouvent, par suite, leur expression intégrale dans le programme du prolétariat, du gouvernement soviétiste.

Parce que le gouvernement soviétiste s’appuie sur le bloc des ouvriers et des paysans, basé sur la communauté de leurs intérêts fondamentaux.

Parce que, enfin, dans les organes du gouvernement, dans les soviets, il y a non seulement des ouvriers mais aussi des paysans, qui luttent contre l’ennemi commun et travaillent à la réalisation du socialisme avec les ouvriers, sous la direction des ouvriers.

Voilà pourquoi le mot d’ordre du gouvernement ouvrier-paysan n’est pas un simple mot d’ordre d’ « agitation », mais un mot d’ordre révolutionnaire du prolétariat, qui trouve sa justification scientifique dans le programme du communisme.

V

Certains camarades interprètent notre politique envers les paysans comme un élargissement de la démocratie pour les paysans et une modification du caractère du pouvoir. Cette interprétation est-elle juste ?

Élargissons-­nous réellement la démocratie dans les campagnes ? Oui.

Est-ce une concession aux paysans ?

Certainement.

Cette concession est-elle considérable et dépasse-t­-elle les cadres de notre Constitution ?

J’estime qu’elle n’est pas très grande et qu’elle ne change en rien notre Constitution.

Mais alors, que modifions-nous et en quoi consiste à proprement parler notre concession ?

Nous modifions nos méthodes de travail à la campagne, car elles ne répondent plus à la nouvelle situation. Nous modifions le régime existant dans les villages, régime qui entrave notre alliance avec les paysans et nuit aux efforts que fait le parti pour grouper la paysannerie autour du prolétariat.

Dans beaucoup de régions, les villages étaient jusqu’à présent dirigés par un petit groupe d’hommes, beaucoup plus liés avec les autorités du district et de la province qu’avec les paysans.

Par suite, les administrateurs ruraux se souciaient beaucoup plus de leurs supérieurs que de la population ; ils se sentaient responsables non pas devant leurs électeurs, mais devant les autorités du district et de la province, ne comprenant pas que la direction supérieure et la population forment une seule et même chaîne et que si cette chaîne se rompt par en bas, elle se rompt aussi par en haut.

Résultat : absence de tout contrôle, arbitraire de la part des administrateurs et mécontentement de la part des administrés. Aussi, avons-nous dû, vous le savez, faire arrêter et emprisonner beaucoup de présidents de comités exécutifs cantonaux et de membres des cellules qui s’acquittaient déplorablement de leurs fonctions. Maintenant, nous supprimons résolument et définitivement les abus à la campagne.

Dans beaucoup de régions, les élections des soviets ruraux n’étaient jusqu’à présent que la simple confirmation des députés présentés par un petit groupe de dirigeants qui, dans la crainte de perdre le pouvoir, faisaient pression sur la population pour l’amener à voter selon leurs vues. Par suite, les soviets risquaient de devenir des organes étrangers aux masses et la direction de la paysannerie par la classe ouvrière, direction qui est la base de la dictature du prolétariat, était fortement menacée.

C’est pourquoi le parti fut obligé de faire procéder à la réélection des soviets. Cette réélection montra que les anciens procédés, dans beaucoup de régions, étaient une survivance du communisme de guerre et devaient être liquidés comme essentiellement nuisibles. C’est ce à quoi nous nous employons en ce moment avec énergie.

Voilà l’essentiel de notre concession, la base de l’élargissement de la démocratie dans les campagnes.

Cette concession n’est pas nécessaire aux paysans seulement. Elle l’est aussi au prolétariat, car elle le renforce, elle rehausse son prestige dans les campagnes, elle raffermit la confiance des paysans à son égard. Nos concessions et compromis ont pour but, comme on le sait, de renforcer en fin de compte le prolétariat.

Quelles sont, pour le moment, les limites de nos concessions ? Ces limites ont été fixées par la 14e conférence du parti et le 3e congrès des soviets. Vous savez qu’elles ne sont pas très larges et ne dépassent nullement les cadres dont j’ai parlé. Mais il ne s’ensuit pas qu’elles doivent rester immuables.

Loin de là, elles s’élargiront certainement au fur et à mesure que notre économie se développera, que le mouvement révolutionnaire se renforcera en Occident et en Orient et que la situation internationale de l’Etat soviétiste se consolidera.

Lénine parlait en mars 1918 de la nécessité qu’il y aurait « d’étendre la constitution soviétiste à toute la population, à mesure que cesserait la résistance des exploiteurs ».

Il s’agit, comme vous le voyez, d’étendre la constitution à toute la population, la bourgeoisie y comprise. Mais pendant les six années qui s’écoulèrent entre le moment où il fit cette déclaration et sa mort, Lénine ne proposa jamais de réaliser cet élargissement. Pourquoi ? Parce qu’il est encore trop tôt. Il faut attendre le moment où la situation intérieure et extérieure de l’Etat soviétiste sera définitivement consolidée.

Voilà pourquoi, tout en prévoyant l’extension de la démocratie dans un avenir plus ou moins rapproché, nous estimons nécessaire de limiter, pour le moment, les concessions démocratiques aux cadres fixés par la 14e conférence du parti et le 3e congrès des soviets.

Ces concessions modifient-­elles le caractère du pouvoir ?

Pas le moins du monde.

Introduisent-­elles dans le système de la dictature du prolétariat des modifications susceptibles d’affaiblir cette dernière ?

Nullement.

La dictature du prolétariat, loin de s’affaiblir, se renforce lorsque les soviets se vivifient et que l’élite de la paysannerie participe à l’administration. La direction de la paysannerie par le prolétariat non seulement se maintient grâce à l’élargissement de la démocratie, mais revêt un caractère plus effectif, tout en créant une atmosphère de confiance autour du prolétariat. Or, c’est là l’essentiel dans la dictature du prolétariat en ce qui concerne les rapports entre le prolétariat et la paysannerie.

Il ne faut pas croire que la notion de dictature du prolétariat se réduise à la notion de violence. La dictature du prolétariat n’est pas seulement la violence, mais aussi la direction des classes non-prolétariennes par les masses travailleuses, la réalisation progressive de l’économie socialiste, plus parfaite que l’économie capitaliste et supérieure à cette dernière par la productivité du travail. La dictature du prolétariat est :

1° La violence, juridiquement non limitée, envers les capitalistes et les propriétaires fonciers ;

2° La direction de la paysannerie par le prolétariat ;

3° La réalisation progressive du socialisme pour toute la société.

On ne saurait négliger un seul de ces trois aspects sans déformer la notion de dictature du prolétariat. Seule, leur réunion donne une idée complète, achevée de la dictature du prolétariat.

La nouvelle tactique de démocratie soviétiste est-­elle défavorable à la dictature du prolétariat ? Nullement.

Le cours nouveau que nous avons adopté renforce au contraire la dictature du prolétariat.

Pour ce qui est de l’élément violence de la dictature, violence dont l’armée rouge est l’expression, il est superflu de démontrer que la réalisation de la démocratie soviétiste dans les campagnes ne peut qu’améliorer l’état de l’armée rouge en la soudant plus fortement au pouvoir soviétiste, car l’armée est chez nous composée en majorité de paysans.

Pour ce qui est de l’élément direction, la vivification des soviets facilitera au prolétariat cette direction en raffermissant la confiance des paysans dans la classe ouvrière. Quant à la réalisation du socialisme, il n’est guère nécessaire de démontrer que le cours nouveau du parti ne peut que la faciliter, car il consolidera le bloc ouvrier-paysan, sans lequel l’édification du socialisme est impossible.

Donc, les concessions aux paysans, dans la situation actuelle, renforcent le prolétariat et consolident sa dictature, sans altérer le caractère du pouvoir.

VI

Notre parti fait-il des concessions à la droite de l’Internationale communiste en raison de la stabilisation du capitalisme, et si oui, est-ce vraiment une manœuvre tactique indispensable ?

Il s’agit apparemment du parti communiste tchécoslovaque et de notre accord avec le groupe Sméral et Zapotocky contre les éléments de droite du dit parti.

J’estime que notre parti n’a fait aucune concession à la droite de l’Internationale communiste. Bien au contraire, l’Exécutif élargi s’est efforcé d’isoler les éléments de droite de l’I.C. Lisez les résolutions de l’I.C. sur le parti tchécoslovaque, sur la bolchévisation, et vous verrez qu’elles étaient dirigées principalement contre les éléments de droite du communisme.

Voilà pourquoi on ne saurait parler de concessions de notre parti à la droite de l’I.C.

Sméral et Zapotocky, à proprement parler, ne sont pas de la droite. Ils n’adoptent pas la plateforme de Brünn. Ce sont plutôt des hommes qui hésitent entre les léninistes et les droitiers, tout en penchant légèrement pour ces derniers.

A l’Exécutif élargi, sous l’impression de notre critique et la menace d’une scission provoquée par la droite, ils se sont ralliés à nous et se sont engagés à faire bloc avec les léninistes contre la droite.

Cet acte leur fait le plus grand honneur. Ne devions-­nous pas aller au-devant de ces éléments hésitants lorsqu’ils ont commencé à pencher vers les léninistes, lorsqu’ils ont fait des concessions aux léninistes contre la droite ?

C’est là une chose évidente et il serait triste d’avoir parmi nous des hommes incapables de comprendre les principes élémentaires de la tactique bolchéviste. Les faits n’ont­-ils pas déjà montré que la politique de l’I. C. envers le parti communiste tchécoslovaque est la seule juste ?

Sméral et Zapotocky ne continuent-­ils pas, de concert avec les léninistes, à lutter contre la droite ; la tendance de Brünn n’est-­elle pas déjà isolée dans le parti tchécoslovaque ?

Mais, me demandera-­t-­on, cela durera-t-­il longtemps ? Je ne puis le savoir, je ne veux pas faire de prophéties. Toujours est-­il que, tant qu’il y aura lutte entre les partisans de Sméral et la droite, il y aura accord entre Sméral et nous, et que si Sméral abandonne sa position actuelle, cet accord cessera. Mais là n’est pas la question maintenant.

La question est que le bloc actuel contre la droite renforce les léninistes, leur donne de nouvelles possibilités d’entraîner à leur suite les hésitants. C’est cela, et non pas les fluctuations éventuelles de Sméral et de Zapotocky, qui importe pour le moment.

Il est des gens qui croient que les léninistes doivent soutenir tous les braillards et neurasthéniques de gauche, que, les léninistes sont toujours et partout les plus à gauche parmi les communistes. C’est faux, camarades. Nous sommes à gauche par rapport aux partis non-communistes de la classe ouvrière.

Mais nous n’avons jamais juré d’être « plus à gauche que tout le monde », comme le voulait autrefois Parvus, ce qui lui attira une semonce de Lénine. Parmi les communistes, nous ne sommes ni « gauche », ni « droite », nous sommes simplement des léninistes.

Lénine savait ce qu’il faisait en luttant sur deux fronts, contre la déviation de gauche dans le communisme aussi bien que contre la déviation de droite.

Ce n’est pas par hasard qu’il a consacré toute une brochure au communisme de gauche, qu’il a appelé la maladie infantile du communisme.

Je pense que cette sixième question ne m’aurait pas été posée si l’on avait bien compris cela.

VII

N’est­-il pas à craindre, avec le cours nouveau, que l’agitation antisoviétiste ne se renforce à la campagne par suite de la faiblesse des organisations rurales du parti ?

Ce danger existe incontestablement.

On ne peut guère douter que les élections des soviets sous le mot d’ordre de la vivification signifient la liberté de propagande électorale. Les éléments antisoviétistes ne laisseront pas échapper une occasion aussi favorable de s’introduire par la porte qui leur est ouverte et de saboter le pouvoir soviétiste.

De là le danger d’un renforcement de l’agitation antisoviétiste dans les campagnes. Les élections dans le Kouban, en Sibérie, en Ukraine prouvent éloquemment l’existence de ce danger, que la faiblesse de nos organisations rurales, ainsi que les velléités d’intervention des puissances impérialistes, contribuent certainement à accroître.

Quelles sont les causes de ce danger ?

A mon avis, il y en a au moins deux.

Premièrement, les éléments antisoviétistes sentent qu’il s’est produit ces derniers temps dans les campagnes un certain déplacement de forces en faveur de la bourgeoisie paysanne, que, dans certaines régions, le paysan moyen s’est tourné vers le koulak.

On pouvait déjà s’en douter avant les dernières élections, mais maintenant le fait est indiscutable. Telle est la principale cause qui fait que l’agitation antisoviétiste dans les campagnes menace de revêtir un caractère organisé.

Deuxièmement, dans plusieurs régions, nos concessions aux paysans ont été interprétées comme un signe de faiblesse. On pouvait encore en douter avant les élections, mais maintenant le doute n’est plus possible. De là, le cri de guerre des éléments réactionnaires des campagnes : « Allez­y plus fort ! » C’est là la seconde cause, moins importante il est vrai, du renforcement de l’agitation antisoviétiste dans les campagnes.

Les communistes doivent comprendre tout d’abord que la période actuelle, dans les campagnes, est une période de lutte pour le paysan moyen, qu’il nous faut à tout prix amener ce dernier aux côtés du prolétariat, sinon le danger de l’agitation antisoviétiste se renforcera et le cours nouveau du parti ne profitera qu’aux réactionnaires.

Les communistes doivent comprendre ensuite que l’on ne peut maintenant conquérir le paysan moyen qu’en appliquant la nouvelle politique du parti dans la question des soviets, de la coopération, du crédit, de l’impôt agricole, du budget local, etc. ; que les méthodes de pression administrative ne peuvent que faire avorter cette politique ; qu’il faut, par des mesures d’ordre économique et politique, convaincra le paysan moyen de la justesse de notre tactique ; qu’on ne peut le gagner que par l’exemple, par des leçons de choses.

Les communistes doivent comprendre, enfin, que le cours nouveau est destiné non pas à raviver les éléments antisoviétistes, mais à vivifier les soviets et à y attirer la masse rurale, qu’il n’exclut pas, mais implique une lutte vigoureuse contre les éléments antisoviétistes, que si ces derniers crient :

« Allez­y plus fort ! », considérant nos concessions aux paysans comme un signe de faiblesse et les utilisant à des fins contre-révolutionnaires, il faut absolument leur démontrer que le pouvoir des soviets est fort et leur rappeler que la prison n’est pas loin.

Je pense que, si l’on comprend bien ces tâches et si l’on s’en acquitte convenablement, le danger de renforcement de l’agitation antisoviétiste dans les campagnes sera écarté.

VIII

N’est-il pas à craindre qu’avec le renforcement de l’influence des sans-parti il se forme des fractions organisées de sans-parti dans les soviets ?

Ce danger est très relatif. Il n’y a aucun danger à ce que l’influence des sans-­parti plus ou moins organisés s’accroisse là où l’influence des communistes ne pénètre pas encore. Il en est ainsi pour les syndicats dans les villes et les associations sans-parti, plus ou moins soviétistes, dans les campagnes. Le danger ne commence que lorsque les associations de sans-­parti songent à se substituer au parti.

D’où vient ce danger ?

Fait caractéristique, ce danger n’existe pas ou presque pas dans la classe ouvrière. La raison en est qu’il existe un nombreux contingent d’ouvriers sans-­parti actifs qui gravitent autour du parti, l’entourent d’une atmosphère de confiance et le lient à des millions d’ouvriers.

Fait non moins caractéristique, ce danger est particulièrement sensible parmi la paysannerie. Pourquoi ? Parce que, dans la masse rurale, le parti est faible, il n’a pas encore autour de lui un fort contingent de sans-parti actifs, pouvant le relier aux dizaines de millions de paysans. Or, nulle part, semble-t-­il, nous n’avons un besoin aussi urgent de sans-parti actifs que parmi les paysans.

Par conséquent, pour que les masses paysannes sans-parti ne s’éloignent pas, ne se détachent pas du parti, il faut créer autour de ce dernier un nombreux contingent de paysans sans-­parti actifs.

Mais on ne peut y arriver d’un seul coup, ou en quelques mois. On ne peut recruter ce contingent dans la masse rurale qu’avec le temps, au cours du travail journalier, par la vivification des soviets, l’organisation de la coopération.

Pour cela, il faut que le communiste se comporte différemment envers le sans-parti, qu’il le considère comme un égal, qu’il ait confiance en lui, qu’il entretienne avec lui des relations fraternelles.

On ne saurait exiger la confiance des sans-parti si on leur répond par la méfiance. Lénine disait que la confiance mutuelle doit être à la base des rapports entre communistes et sans-parti. Il ne faut pas oublier ces paroles.

Créer une atmosphère de confiance mutuelle entre communistes et sans-parti, voilà ce qu’il faut avant tout pour préparer la formation d’un nombreux contingent de paysans actifs groupés autour du parti.

Comment se crée cette confiance ? Progressivement et non par des ordres. Elle ne peut se former, comme le disait Lénine, que par le contrôle mutuel amical des communistes et des sans-parti au cours du travail pratique.

Lors de la première épuration du parti, les communistes ont été contrôlés par les sans-parti, ce qui a donné d’excellents résultats et a eu pour effet de créer une atmosphère de confiance autour du parti.

Les leçons de la première épuration, disait alors Lénine, ont montré que le contrôle mutuel des communistes et des sans-parti doit être étendu à tous les domaines de notre travail. Je pense qu’il est temps de nous rappeler ces paroles de Lénine et de les mettre en pratique.

Ainsi, c’est par une critique et un contrôle mutuel au cours du travail journalier que l’on arrivera à créer la confiance entre communistes et sans parti.

C’est là la voie que doit suivre le parti s’il veut empêcher les sans-parti de se détacher de lui et créer autour de ses organisations rurales un fort contingent de paysans actifs.

IX

Pourrons-nous, sans l’aide de l’étranger, renouveler et augmenter considérablement le capital fondamental de la grande industrie ?

On peut comprendre cette question de deux façons.

Ou bien on veut parler de l’aide immédiate à l’Etat soviétiste sous forme de crédits accordés par les Etats capitalistes, crédits qui seraient la condition nécessaire du développement de l’industrie soviétiste.

Ou bien on veut parler de l’aide que donnera le prolétariat d’Occident à l’Etat soviétiste, après sa victoire, en tant que condition nécessaire à l’organisation de l’économie socialiste.

Je vais essayer de répondre à cette question dans ses deux acceptions.

Tout d’abord, la grande industrie soviétiste peut-­elle, dans notre pays entouré d’Etats capitalistes, se développer sans crédits extérieurs ?

Oui, elle le peut. Il y aura évidemment de grandes difficultés à surmonter, de dures épreuves à traverser ; néanmoins, en dépit de tous les obstacles, nous pourrons industrialiser notre pays sans crédits extérieurs.

Les voies qui ont permis jusqu’à présent la formation et le développement de puissants Etats industriels sont au nombre de trois.

La première voie est celle des conquêtes et du pillage des colonies.

C’est ainsi que s’est développée l’Angleterre, qui s’est taillé des colonies dans toutes les parties du monde, en a extrait durant deux siècles de la plus-value pour renforcer son industrie et est devenue en fin de compte la « fabrique » de l’univers. Cette voie ne nous convient nullement, car la conquête et la spoliation coloniales sont incompatibles avec l’essence du régime soviétiste.

La deuxième voie est celle des victoires militaires et des contributions de guerre prélevées par un pays sur un autre. C’est la voie qu’a suivie l’Allemagne, qui, après avoir écrasé la France en 1870 et lui avoir extorqué cinq milliards de francs, employa cette somme au développement de son industrie.

Au fond, cette deuxième voie ne se distingue pas de la première, et elle est, il va de soi, également incompatible avec l’essence du régime soviétiste.

La troisième voie est celle des concessions et des emprunts, qui ont pour effet de mettre un pays arriéré sous la tutelle de pays à capitalisme plus développé.

Ainsi la Russie tsariste, accordant des concessions aux puissances occidentales et en obtenant des emprunts, tomba dans une situation de demi-colonne, ce qui n’excluait pas pour elle la possibilité d’avoir par la suite un développement industriel indépendant, à condition, évidemment, de faire quelques guerres victorieuses et de mettre à sac quelques pays. Inutile de démontrer que cette voie non plus ne convient pas au pays des soviets.

Ce n’est pas pour nous remettre volontairement sous le joug de l’étranger, au lendemain de notre victoire dans la guerre civile, que nous avons., pendant trois ans, combattu, les armes à la main, les impérialistes de tous les pays.

Il serait faux de croire que, dans la pratique, il faille choisir une de ces voies et la suivre à l’exclusion des autres. Un Etat peut parfaitement adopter une de ces voies, puis s’engager dans une autre ; c’est ce que montre, entre autres, l’exemple des Etats-Unis.

La raison en est que ces voies de développement, malgré leurs différences, ont quelque chose de commun qui les rapproche et les fait parfois se confondre : toutes, elles conduisent à la création d’Etats industriels capitalistes, toutes, elles impliquent l’afflux de « capitaux supplémentaires » de l’extérieur, comme condition indispensable de la formation de ces Etats.

Mais on ne saurait les confondre, les identifier, car elles sont l’expression de trois méthodes différentes de formation d’Etats capitalistes industriels, et chacune d’elles imprime un caractère spécial à la physionomie de ces Etats.

Que reste-­t-­il à faire à l’Etat soviétiste, pour lequel les anciennes voies de l’industrialisation sont inadmissibles, s’il ne peut obtenir de capitaux sans se mettre sous la tutelle des prêteurs ?

II lui reste une autre voie, celle du développement de la grande industrie sans crédit extérieur, sans affluence du capital étranger, il lui reste la voie esquissée par Lénine dans son article Peu mais bien.

Nous devons tâcher — dit Lénine — de construire un Etat dans lequel les ouvriers maintiennent leur direction sur les paysans, conservent la confiance de ces derniers et se gardent strictement de tout superflu. Nous devons réduire notre appareil d’Etat de façon à réaliser le maximum d’économie…

Si nous conservons à la classe ouvrière la direction de la paysannerie, nous pourrons, en nous en tenant à une rigoureuse économie dans notre production et notre appareil d’Etat, employer les moindres sommes mises de côté pour développer l’électrification…

C’est alors seulement que nous pourrons troquer notre haridelle contre la monture nécessaire au prolétariat : la grande industrie mécanique, l’électrification, l’utilisation de la force des cours d’eau, etc.

Voilà la voie où notre pays s’est déjà engagé et qu’il doit continuer de suivre pour développer sa grande industrie et devenir un Etat industriel prolétarien.

Cette voie n’a pas été explorée par les Etats bourgeois. Mais cela ne signifie nullement qu’elle soit impraticable pour un Etat prolétarien. Ce qui est impossible, ou presque impossible, en l’occurrence aux Etats bourgeois convient parfaitement à l’Etat prolétarien.

Car l’Etat prolétarien a des avantages que n’ont pas et ne peuvent pas avoir les Etats bourgeois. Industrie, transport et crédit nationalisés, commerce extérieur monopolisé, commerce intérieur réglé par l’Etat : autant de sources de « capitaux supplémentaires » susceptibles d’être utilisés pour le développement de l’industrie de notre pays et dont les Etats bourgeois n’ont jamais disposé. L’Etat prolétarien, lui, les utilise et il a déjà obtenu des résultats importants dans le développement de notre industrie.

Voilà pourquoi cette voie de développement, qui n’est pas accessible aux Etats bourgeois, l’est parfaitement pour un Etat prolétarien, malgré toutes les difficultés qu’elle présente.

Il faut remarquer en outre que le capital étranger ne peut continuer à nous boycotter éternellement. Il a déjà commencé, en petite quantité, à venir dans notre pays. Nul doute que cette tendance ne se renforce à mesure que notre économie se consolidera.

Passons maintenant à la seconde interprétation de la question.

Pouvons­-nous construire une économie socialiste dans notre pays sans la victoire préalable du socialisme dans les principaux pays européens, sans l’aide technique du prolétariat européen victorieux ?

Avant d’examiner cette question, je voudrais dissiper un malentendu des plus fréquents.

Certains camarades identifient la question du renouvellement de l’outillage et de l’accroissement du capital fondamental de la grande industrie avec la question de l’édification de l’économie socialiste. Cette identification est-­elle justifiée ?

Non. Pourquoi ? Parce que la première question est beaucoup plus étroite que la seconde. Parce que l’élargissement du capital fondamental de l’industrie n’embrasse qu’une partie de l’économie nationale, l’industrie, tandis que la question de l’édification de l’économie socialiste embrasse toute l’économie nationale, c’est-à-dire l’industrie et l’agriculture.

Parce que le problème de la réalisation du socialisme, c’est le problème de l’organisation intégrale de l’économie nationale, c’est le problème de la coordination rationnelle de l’industrie et de l’agriculture, tandis que la question de l’élargissement du capital fondamental de l’industrie n’effleure même pas, à strictement parler, ce problème. Le capital fondamental de l’industrie peut se renouveler et s’élargir sans que le problème de l’édification de l’économie socialiste soit par là même résolu.

Le socialisme est une association de production et de consommation des travailleurs de l’industrie et de l’agriculture. Si, dans cette association, l’industrie n’est pas en harmonie avec l’agriculture, qui donne les matières premières, les denrées alimentaires et absorbe les produits industriels, si l’industrie et l’agriculture ne constituent pas un tout économique, il n’y aura jamais de socialisme.

Voilà pourquoi la question des rapports entre l’industrie et l’agriculture, le prolétariat et les paysans, est capitale pour l’édification de l’économie socialiste.

Voilà pourquoi le renouvellement de l’outillage et l’accroissement du capital fondamental de la grande industrie ne doivent pas être confondus avec l’édification de l’économie socialiste.

Ainsi, est-il possible d’édifier le socialisme chez nous sans le triomphe préalable du socialisme dans les autres pays, sans l’aide technique et matérielle directe du prolétariat d’Occident ?

Cela est non seulement possible, mais nécessaire et inévitable. Car nous procédons déjà à la réalisation du socialisme en développant l’industrie nationalisée, en la soudant à l’agriculture, en introduisant la coopération dans les campagnes, en incluant l’économie paysanne dans le système général de l’économie soviétiste, en vivifiant les soviets, en incorporant la masse de la population à l’appareil étatique, en créant une nouvelle culture et un nouvel ordre social.

Dans cette voie, à coup sûr, nous aurons à surmonter des difficultés et des épreuves sans nombre. Il n’est pas douteux que la victoire du socialisme en Occident faciliterait grandement notre tâche.

Mais cette victoire n’arrive pas aussi vite que nous le voudrions ; d’ailleurs, les difficultés auxquelles nous nous heurtons ne sont pas insurmontables ; la preuve en est que nous en avons déjà surmonté une partie.

Je voudrais maintenant vous donner un aperçu historique de la question et vous en montrer l’importance pour le parti.

Abstraction faite de la discussion de 1905-­1906, la question de la réalisation du socialisme dans un pays isolé s’est posée pour la première fois dans le parti au cours de la guerre impérialiste, en 1915.

Lénine formula alors sa thèse de la « possibilité de la victoire du socialisme dans un seul pays capitaliste ». Trotsky la combattit et déclara : « On ne saurait espérer, par exemple, que la Russie puisse tenir contre l’Europe conservatrice ».

En 1921, après la révolution d’Octobre et la guerre civile, la question de la réalisation du socialisme vint de nouveau à l’ordre du jour dans le parti. C’était le moment où l’adoption de la nouvelle politique économique était interprétée par certains camarades comme une renonciation aux tâches socialistes, à l’édification du socialisme.

Dans sa brochure L’impôt agricole, Lénine définit alors la Nep comme la condition nécessaire pour réaliser la soudure de l’industrie et de l’économie rurale et créer une base solide pour l’édification du socialisme. En janvier 1922, dans la préface de son ouvrage intitulé : 1905, Trotsky soutient une thèse tout opposée.

Il déclare que « les contradictions auxquelles un gouvernement ouvrier est aux prises dans un pays arriéré, à population rurale prédominante, ne peuvent trouver leur solution qu’à l’échelle internationale, sur l’arène de la révolution mondiale du prolétariat ».

Un an après, nous avons de nouveau deux déclarations contraires : celle de Lénine au soviet de Moscou : « La Russie de la Nep deviendra la Russie socialiste » et celle de Trotsky dans la postface de son Programme de paix : « L’essor véritable de l’économie socialiste en Russie ne sera possible qu’après la victoire du prolétariat dans les principaux pays d’Europe ».

Enfin, peu avant sa mort, en mai 1923, Lénine revient à cette question dans son article De la coopération, où il déclare que nous possédons, dans notre Union soviétique, « tout ce qui est nécessaire à la réalisation du socialisme intégral ».

De cet historique succinct, il ressort que la réalisation du socialisme dans notre pays est un des problèmes qui ont le plus préoccupé notre parti. Inutile de dire que si Lénine est si souvent revenu à cette question, c’est qu’il la considérait comme fondamentale.

Dans la suite, l’essor de notre économie, l’aggravation de la lutte entre les éléments socialistes et capitalistes et surtout la stabilisation provisoire du capitalisme ont encore accru l’importance de la question de l’édification socialiste. En quoi cette question est-elle importante pour le travail pratique de notre parti ?

En ce qu’elle concerne la perspective et les objectifs de notre œuvre de construction. On ne peut construire sans savoir ce qu’on construit. On ne peut avancer sans connaître la direction à suivre. La question de la perspective est essentielle pour notre parti, habitué à avoir toujours devant lui un but clair et précis.

Construisons-nous en vue du socialisme dont nous escomptons la victoire finale, ou bien construisons-nous à l’aveuglette, en fumant, dans l’attente de la révolution socialiste mondiale, le sol où fleurira la démocratie bourgeoise ? C’est là, en ce moment, une question fondamentale et qui exige une réponse claire.

Des milliers de militants du parti, des syndicats, des coopératives, des organisations économiques et culturelles, de l’armée rouge, des Jeunesses s’adressent à nous et nous demandent : Quel est le but de notre travail, que construisons-nous ?

Et malheur aux chefs qui ne sauront pas ou ne voudront pas donner à cette question une réponse claire et précise, qui louvoieront, renverront les gens de Pilate à Hérode et chercheront à noyer dans les brumes de leur scepticisme d’intellectuels les perspectives socialistes de notre édification.

Un des grands mérites du léninisme, c’est de ne pas faire le travail à l’aveuglette, de ne pas concevoir l’édification sans une perspective déterminée, de définir clairement notre perspective en déclarant que nous avons toutes les données nécessaires à la réalisation du socialisme intégral et que, par suite, nous devons nous mettre à l’œuvre sans retard.

Voilà ce qu’il en est de la possibilité de réalisation du socialisme.

Autre chose est de savoir si nous parviendrons à coup sûr à transformer cette possibilité en réalité. Cela ne dépend pas uniquement de nous. Cela dépend aussi de la force des ennemis et des amis que nous avons à l’étranger.

Nous arriverons à notre but si on nous laisse la paix, si la période de « trêve » se prolonge, si de puissants Etats capitalistes ne nous attaquent pas, si la force du mouvement révolutionnaire international et de notre pays suffit à rendre impossible toute tentative sérieuse d’intervention. Et, au contraire, nous n’arriverons pas à réaliser le socialisme si une intervention militaire victorieuse nous terrasse.

X

Indiquez-­nous les principales difficultés que, en raison de la stabilisation du capitalisme et du retard de la révolution mondiale, nous aurons à surmonter dans notre action communiste et soviétiste, et principalement dans les rapports entre le parti et la classe ouvrière, la classe ouvrière et les paysans.

Ces difficultés, à ne considérer que les principales, sont au nombre de cinq. La stabilisation du capitalisme les accentue quelque peu.

Première difficulté. — Elle résulte du danger d’intervention. Cela ne veut pas dire que nous soyons menacés d’un danger immédiat d’intervention, que les impérialistes soient déjà prêts à attaquer notre pays et en état de le faire. Il faudrait pour cela que l’impérialisme soit au moins aussi puissant qu’il l’était avant la guerre, ce qui n’est pas le cas.

La guerre du Maroc et l’intervention en Chine, répétitions des guerres et interventions futures, montrent nettement que le capitalisme est affaibli.

Il ne s’agit donc pas d’un danger direct d’intervention, mais de la permanence d’un danger d’intervention tant qu’existe l’encerclement capitaliste, et, partant, de la nécessité pour nous d’entretenir une armée et une flotte de guerre, qui engloutissent chaque années des centaines de millions de roubles, ce qui nous oblige à réduire d’autant nos dépenses dans les domaines culturel et économique.

S’il n’y avait pas de danger d’intervention, nous pourrions employer cet argent à renforcer l’industrie, à améliorer l’agriculture, à assurer l’instruction primaire obligatoire, etc. Ainsi, le danger d’intervention entrave dans une certaine mesure notre œuvre de construction, nous crée une première difficulté.

Cette difficulté, il ne dépend pas seulement de nous de la vaincre ; elle ne peut être surmontée que par les efforts simultanés de notre pays et du mouvement révolutionnaire des autres pays.

Deuxième difficulté. — Elle découle des antagonismes entre le prolétariat et la paysannerie. J’en ai déjà parlé dans mon analyse de la lutte de classe dans les campagnes, et il est inutile d’y revenir. Ces antagonismes se manifestent dans la question des prix des produits industriels et agricoles, de l’administration rurale, etc. Le danger réside ici dans la désagrégation du bloc ouvrier-paysan et dans l’affaiblissement de la direction exercée par la classe ouvrière sur la paysannerie.

Ce qui distingue cette difficulté de la précédente, c’est qu’elle peut être entièrement surmontée par nos propres forces.

Le cours nouveau dans les campagnes, voilà ce qu’il faut pour vaincre cette difficulté.

Troisième difficulté. — Elle découle des antagonismes qui se manifestent entre le « centre » et les régions périphériques de l’U.R.S.S. et qui ont leur source dans la diversité de développement économique et culturel des différentes parties de notre pays. Si l’on peut considérer les antagonismes politiques comme surmontés, les antagonismes culturels et surtout économiques commencent seulement à apparaître.

Le danger est double : tout d’abord danger de morgue et d’arbitraire bureaucratique des institutions centrales, ne sachant pas ou ne voulant pas donner l’attention nécessaire aux besoins des républiques nationales ; ensuite, danger d’isolement national, de méfiance nationale des républiques et des régions autonomes à l’égard du « centre ».

La lutte contre ces dangers, le premier surtout, est nécessaire pour venir à bout des difficultés qui se présentent dans la question nationale. La troisième difficulté que nous venons d’exposer peut, comme la précédente, être surmontée par les forces intérieures de l’Union soviétique.

Quatrième difficulté. — Elle provient de la possibilité pour l’appareil d’Etat de se détacher du parti, d’échapper peu à peu à la direction de ce dernier. J’ai parlé de ce danger en analysant le danger de dégénérescence du parti. Inutile de répéter.

Ce danger est entretenu par l’existence d’éléments bureaucratiques bourgeois au sein de l’appareil étatique et considérablement renforcé par l’extension et l’importance croissantes de cet appareil. Notre devoir est de réduire le plus possible l’appareil d’Etat, d’en éliminer les éléments qui y introduisent le bureaucratisme et l’influence bourgeoise, de répartir les forces du parti dans les principaux centres de l’appareil d’Etat et de mettre ainsi ce dernier sous la direction communiste.

La quatrième difficulté peut également être surmontée par nos propres forces.

Cinquième difficulté. — Il est à craindre que les organisations communistes et syndicales ne s’éloignent de la masse ouvrière et ne négligent les besoins et les aspirations de cette masse. Ce danger provient de d’existence d’éléments bureaucratiques existant dans nombre d’organisations communistes et syndicales, y compris les cellules et les comités d’entreprises. Il s’est encore accru ces derniers temps par suite de l’adoption du mot d’ordre « Face à la campagne », qui a eu pour résultat de concentrer l’attention de nos organisations sur la paysannerie.

Beaucoup de camarades n’ont pas compris que, tout en faisant face à la campagne, il ne fallait pas tourner le dos au prolétariat, que notre nouveau mot d’ordre ne pouvait être réalisé que par les forces du prolétariat, que la négligence des besoins de la classe ouvrière ne pouvait que contribuer à détacher les organisations communistes et syndicale des masses ouvrières.

Quels sont les symptômes de ce danger ?

Premièrement, l’attention insuffisante de nos organisations communistes et syndicales aux besoins et aspirations des masses ouvrières.

Deuxièmement, l’inintelligence du fait que les ouvriers ont maintenant davantage le sentiment de leur dignité, qu’ils se sentent davantage classe dirigeante, qu’ils ne comprennent pas et ne souffriront pas les procédés bureaucratiques des organisations communistes et syndicales.

Troisièmement, l’incompréhension du fait qu’on ne doit pas donner aux ouvriers des ordres irréfléchis, que, maintenant, il ne s’agit plus de donner des ordres, mais de gagner la confiance de toute la classe ouvrière.

Quatrièmement, l’incompréhension du fait que l’on ne peut réaliser des réformes de quelque envergure dans le travail à l’usine sans éclairer préalablement les ouvriers sur la question, sans prendre leur avis dans des conférences industrielles.

Aussi est-il à craindre, comme l’ont montré les récents conflits du textile, que les organisations communistes et syndicales ne se détachent de la masse ouvrière et que des conflits n’éclatent dans les entreprises.

Telles sont les caractéristiques de la cinquième difficulté.

Pour la surmonter, il faut avant tout épurer les organisations communistes et syndicales de tous les éléments nettement bureaucratiques, renouveler les comités d’entreprises, stimuler l’activité des conférences industrielles, concentrer le travail du parti dans les grandes cellules industrielles et y détacher nos meilleurs militants.

Plus d’attention aux besoins et aux aspirations de la classe ouvrière! Moins de formalisme bureaucratique dans le travail de nos organisations communistes et syndicales, plus de respect pour la dignité des ouvriers !


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