Réponse au camarade S.

[Pravda, n° 152, 3 juillet 1928]

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Camarade S.

Il est faux de dire que le mot d’ordre de Lénine : « Aboutir à une entente avec le paysan moyen sans abandonner, l’espace d’une seconde, la lutte contre le koulak et en s’appuyant uniquement sur la paysannerie pauvre », — mot d’ordre formulé dans son article sur Pitirime Sorokine, — est un mot d’ordre de la « période des comités de paysans pauvres », celui de la « fin de la période dite de neutralisation de la paysannerie moyenne ». C’est tout à fait faux.

Les comités de paysans pauvres furent constitués en juin 1918. Fin octobre 1918, nos forces à la campagne prenaient déjà le dessus sur le koulak, et le paysan moyen s’orientait vers le pouvoir soviétique.

Ce tournant a motivé la décision du C.C. visant à abolir la division du pouvoir entre les Soviets et les comités de paysans pauvres, à renouveler l’effectif des Soviets cantonaux et communaux, à intégrer dans les Soviets nouvellement désignés les comités de paysans pauvres et, par suite, à liquider ces derniers.

Cette décision fut promulguée, comme on le sait, le 9 novembre 1918, au VIe congrès des Soviets. J’ai en vue la décision adoptée par le VIe congrès des Soviets le 9 novembre 1918 sur la réélection des Soviets communaux et cantonaux et l’intégration des comités de paysans pauvres aux Soviets.Quand parut l’article de Lénine : « Les révélations précieuses de Pitirime Sorokine », où à la place du mot d’ordre de neutralisation du paysan moyen il préconise l’entente avec ce dernier ?

Le 21 novembre 1918, c’est-à-dire presque deux semaines après que fut adoptée la décision du VIe congrès des Soviets. Dans cet article, Lénine déclare nettement que la politique d’entente avec le paysan moyen s’impose du fait de l’orientation de ce dernier vers nous.

Voici ce que dit Lénine :

Notre tâche, à la campagne, est de renverser le propriétaire foncier, de briser la résistance du koulak, exploiteur et spéculateur. Pour cela, nous pouvons nous appuyer uniquement sur les semi prolétaires, sur la « paysannerie pauvre ».

Mais le paysan moyen ne nous est pas hostile. Il a été, est et restera hésitant : la tâche qui consiste à agir sur les hésitants n’est pas identique à celle visant à renverser l’exploiteur et à triompher de l’ennemi actif. Aboutir à un accord avec le paysan moyen sans abandonner, l’espace d’une seconde, la lutte contre le koulak et en s’appuyant uniquement sur la paysannerie pauvre, — voilà la tâche de l’heure, car c’est aujourd’hui précisément que, pour les raisons énoncées ci-dessus, la paysannerie moyenne ne va pas manquer de s’orienter vers nous. (Lénine, Œuvres complètes, t. XV, page 564.)

Qu’est-ce à dire ?

Cela veut dire que le mot d’ordre de Lénine ne se rapporte pas à la vieille période, à celle des comités de paysans pauvres et de la neutralisation du paysan moyen, mais à une période nouvelle, période d’entente avec ce dernier. Il marque ainsi non la fin de l’ancienne période, mais le début de la période nouvelle.

Votre affirmation concernant le mot d’ordre de Lénine est fausse non seulement au point de vue formel, pour ainsi dire sous le rapport chronologique, mais aussi quant au fond.

On sait que le mot d’ordre de Lénine sur l’entente avec le paysant moyen a été proclamé, à titre de mot d’ordre nouveau, au VIIIe congrès de notre parti (mars 1919).

On sait que le VIIIe congrès du P.C. a jeté les bases de notre politique d’alliance solide avec le paysan moyen ; que notre programme, celui du P.C. de l’U.R.S.S., a été adopté également au VIIIe congrès du Parti ; que ce programme comporte des articles concernant l’attitude du Parti envers les différents groupes ruraux : paysans pauvres, moyens, koulaks.

Que lisons-nous dans ces articles du programme du P.C. de l’U.R.S.S. sur les groupements sociaux de la campagne et sur l’attitude du Parti à leur égard ? Ecoutez :

Dans toute son activité rurale, le P.C. de l’U.R.S.S. s’appuie, comme par le passé, sur les forces prolétariennes et semi-prolétariennes de la campagne ; il les organise, avant tout, en une force indépendante ; il crée des cellules rurales du Parti, des organisations de paysans pauvres, des syndicats d’un type spécial de prolétaires et semi-prolétaires ruraux, etc. ; il les rapproche par tous les moyens du prolétariat urbain, les arrache à l’influence de la bourgeoisie campagnarde et des intérêts de la petite propriété.

A l’égard du koulak et de la bourgeoisie campagnarde, la politique du P.C. de l’U.R.S.S. consiste à lutter résolument contre leurs velléités d’exploitation, à briser la résistance qu’ils opposent à la politique soviétique.

Pour la paysannerie moyenne la politique du P.C. de l’U.R.S.S. consiste à l’entraîner, graduellement et méthodiquement, à l’œuvre d’édification socialiste. Le Parti s’assigne pour tâche de la dissocier des koulaks, de la gagner aux côtés de la classe ouvrière par la sollicitude qu’il lui témoigne, en combattant son esprit retardataire au moyen d’une action idéologique et non par des mesures de contrainte ; en cherchant toujours, dès que ses intérêts vitaux se trouvent en jeu, à aboutir à des ententes pratiques avec elle ; en lui faisant des concessions lors de la détermination des moyens destinés à réaliser des transformations socialistes. (VIIIe congrès du P.C. de l’U.R.S.S. Compte-rendu sténographique.)

Essayez donc de trouver une différence, si petite soit-elle, ne fût-ce que verbale, entre ces points du programme et le mot d’ordre de Lénine. Vous la chercheriez en vain, celle-ci étant inexistante.

Bien mieux : il est hors de doute que le mot d’ordre de Lénine, loin de contredire les décisions du VIIIe congrès sur la paysannerie moyenne, constitue la formule la plus précise et la plus réussie de ces décisions.

Or, chacun sait que le programme du P.C. de l’U.R.S.S. fut adopté en mars 1919, au VIIIe congrès du Parti, qui a examiné tout spécialement la question de la paysannerie moyenne, tandis que l’article de Lénine contre Pitirime Sorokine, préconisant une entente avec le paysan moyen, avait paru en novembre 1918, quatre mois avant le VIIIe congrès du P.C.

N’est-il pas clair que le VIIIe congrès du P.C. a confirmé sans réserve le mot d’ordre de Lénine proclamé dans son article contre Pitirime Sorokine, comme un mot d’ordre dont le Parti doit s’inspirer dans son activité à la campagne pour toute la période actuelle de l’édification socialiste ?

En quoi consiste la quintessence du mot d’ordre de Lénine ? En ce qu’il fixe de main de maître la triple tâche du P.C. à la campagne, tâche se traduisant par une seule formule lapidaire :

a) appuie-toi sur la paysannerie pauvre ;

b) organise l’entente avec le paysan moyen ;

c) poursuis sans discontinuer la lutte contre le koulak.

Essayez donc de retrancher de cette formule un des éléments qui la composent pour en former la base du travail à la campagne, à l’heure présente, sans tenir compte des autres éléments, et vous vous trouverez immanquablement acculé dans une impasse.

Est-il possible, dans les conditions actuelles de l’édification socialiste, d’organiser une entente effective et durable avec le paysan moyen, sans s’appuyer sur la paysannerie pauvre et sans mener la lutte contre le koulak ?

Non.

Est-il possible dans le cadre du développement actuel d’engager une lutte heureuse contre le koulak sans s’appuyer sur la paysannerie pauvre et sans aboutir à une entente avec le paysan moyen ?

Non.

Comment mieux exprimer par un mot d’ordre général, cette triple tâche du Parti à la campagne ?

Je pense que le mot d’ordre de Lénine est l’expression la plus heureuse de cette tâche. Il faut avouer qu’on ne saurait mieux dire que ne l’a fait Lénine.

Pourquoi est-il nécessaire de souligner l’utilité du mot d’ordre de Lénine précisément à l’heure actuelle, dans les conditions présentes du travail à la campagne ?

C’est que, aujourd’hui précisément, on voit se manifester, parmi certains de nos camarades, une tendance qui consiste à mettre en pièces la triple tâche indivisible du Parti à la campagne et à en dissocier les différents éléments.

Cet état de choses se trouve confirmé au travers de notre campagne de stockage des blés, en janvier-février dernier. Tous les bolcheviks se rendent compte qu’il est indispensable d’établir une entente avec le paysan moyen. Mais ce que d’aucuns semblent ignorer, c’est la façon dont il faut s’y prendre.

Les uns croient pouvoir établir une entente avec les paysans en abandonnant ou en affaiblissant la lutte contre le koulak, sous prétexte que celle-ci pourrait, voyez-vous, effaroucher une partie — la partie aisée — de la paysannerie moyenne.

D’autres croient pouvoir établir une entente avec la paysannerie moyenne en abandonnant le travail d’organisation de la paysannerie pauvre ou bien en en affaiblissant le rythme : l’organisation de la paysannerie pauvre, voyez-vous, pourrait aboutir à l’isolement de celle-ci, or l’isolement risque de nous aliéner les paysans moyens.

Toutes ces déviations de la juste ligne engendrent l’oubli de la thèse marxiste selon laquelle le paysan moyen est une classe hésitante, l’entente avec celle-ci ne peut être durable que si l’on engage une lutte à outrance contre le koulak, et si l’on accentue le travail parmi la paysannerie pauvre ; sinon, on risque de voir le paysan moyen pencher vers le koulak, en tant que force.

Rappelez-vous les paroles de Lénine dites au VIIIe congrès du P.C. :

Il importe de déterminer notre attitude envers la classe gui n’occupe pas une position stable nettement définie. Le prolétariat, dans sa majeure partie, est pour le socialisme ; la bourgeoisie, dans sa majeure partie, est contre le socialisme : il est donc aisé de déterminer les rapports entre ces deux classes.

Mais lorsque nous passons à la paysannerie moyenne, il se trouve que celle-ci est une classe hésitante. Elle est en partie propriétaire,en partie travailleuse. Elle n’exploite pas les autres représentants des travailleurs.

Elle a eu, durant des décades, à livrer des efforts inouïs pour défendre sa situation, à subir l’exploitation des propriétaires fonciers et des capitalistes ; mais elle demeure propriétaire, malgré tout ce dont elle a eu à souffrir. Aussi, notre attitude à l’égard de cette classe hésitante offre-t-elle d’énormes difficultés. (VIIIe congrès du P.C. de l’U.R.S.S. Compte rendu sténographique, p. 300.)

Mais il est encore d’autres déviations de la juste ligne, non moins périlleuses que les précédentes. Souvent la lutte est livrée contre le koulak, d’une façon si maladroite et si inconsidérée que les coups viennent frapper le paysan moyen et pauvre.

Résultat : le koulak reste indemne, l’alliance avec le paysan, moyen se trouve endommagée et une partie de la paysannerie pauvre tombe provisoirement sous la coupe du koulak qui mène un travail de sape contre la politique soviétique.

Souvent des tentatives sont faites pour substituer à la lutte contre les koulaks la dépossession de ces derniers, et à l’approvisionnement en céréales — la réquisition, oubliant que la dépossession des koulaks, à l’heure présente, est chose absurde, et que la réquisition, loin d’être une alliance, revient à lutter contre le paysan moyen.

D’où proviennent ces déviations de la ligne du Parti ? Elles proviennent de l’incompréhension que la triple tâche du Parti à la campagne est une tâche unique et irréductible. De l’incompréhension du fait que l’on ne saurait dissocier la lutte contre les koulaks de l’entente avec le paysan moyen, et ces deux tâches prises ensemble — de la transformation de la paysannerie pauvre en appui du Parti à la campagne 1.

Que faut-il entreprendre pour que toutes ces tâches ne se dissocient pas les unes des autres au travers de notre activité actuelle à la campagne ?

Il faut, pour le moins, préconiser un mot d’ordre directeur capable de grouper tous ces objectifs en une seule formule universelle, et d’empêcher, en conséquence, la séparation de ces tâches les unes d’avec les autres.

Existe-t-il dans notre arsenal du Parti une telle formule, un tel mot d’ordre ?

Oui, c’est le mot d’ordre de Lénine : « Aboutir à une entente avec le paysan moyen sans abandonner, l’espace d’une seconde, la lutte contre le koulak et en s’appuyant uniquement sur la paysannerie pauvre ».

Voilà pourquoi je pense que ce mot d’ordre est le plus utile et le plus universel ; qu’il importe de le mettre au tout premier plan précisément à l’heure actuelle, dans les conditions présentes de notre travail à la campagne.

Selon vous, le mot d’ordre de Lénine est un mot d’ordre « d’opposition », et vous demandez dans votre lettre :

« Comment se fait-il que… ce mot d’ordre d’opposition ait été publié, pour le 1er mai 1928, par la Pravda…? Comment expliquer la présence de ce mot d’ordre dans les colonnes de la Pravda, organe du C.C. du P.C. de l’U.R.S.S.? N’est-ce pas là une faute d’impression ou bien est-ce un compromis avec l’opposition, sur la question du paysan moyen ? »

Vous n’y allez pas de main morte, camarade S. Mais vous feriez bien de procéder « en douceur », de peur, votre zèle aidant, d’être amené à conclure à la nécessité d’interdire la publication de notre programme qui confirme entièrement le mot d’ordre de Lénine (c’est indéniable !), programme élaboré en majeure partie par Lénine (qui ne saurait être taxé d’opposition !) et adopté par le VIIIe congrès du Parti (lui aussi n’en est pas, de l’opposition !).

Ayez donc plus de respect pour certains articles de notre programme sur les groupements sociaux, à la campagne ! Ayez donc un peu plus d’estime pour les décisions du VIIIe congrès du P.C. sur la paysannerie moyenne ! Quant à votre phrase au sujet du « compromis avec l’opposition dans la question du paysan moyen », je présume qu’elle ne vaut pas la peine qu’on s’y arrête : vous l’aurez prononcée sans y trop réfléchir.

Une chose paraît vous chiffonner, c’est que le mot d’ordre de Lénine et le programme du P.C. de l’U.R.S.S. adopté au VIIIe congrès comportent une entente avec le paysan moyen, cependant que, dans son discours, Lénine préconise une alliance solide avec la paysannerie moyenne.

Vous y percevez, apparemment, quelque chose comme une contradiction. Peut-être même seriez-vous enclin à supposer que la politique d’entente avec le paysan moyen implique pour ainsi dire un abandon de la politique d’alliance avec ce dernier. C’est faux,camarade S., c’est une grande aberration.

Voilà bien le cas des gens qui ne voient que la lettre du mot d’ordre, mais ne savent pas en percevoir la portée ; le cas des gens qui ne savent pas l’historique du mot d’ordre sur l’alliance, sur l’entente avec la paysannerie moyenne ; des gens capables d’imaginer que Lénine, qui a proclamé dans son discours d’ouverture au VIIIe congrès, l’ « union solide » avec le paysan moyen, se soit déjugé en déclarant, dans un autre discours prononcé à ces mêmes assises et dans le programme du P.C. adopté au VIIIe congrès, que ce qu’il nous faut actuellement, c’est une politique d’ « entente » avec la paysannerie moyenne.

Qu’est-ce à dire ? Le fait est que Lénine et le P.C., par le truchement du VIIIe congrès, ne voient aucune différence entre le terme « entente » et celui d’ « alliance ». Partout, dans tous ses discours prononcés au VIIIe congrès, Lénine établit le signe d’égalité entre la notion « alliance » et celle d’ « entente ». On peut en dire autant de la résolution du VIII » congrès sur « L’attitude envers la paysannerie moyenne ».

Comme Lénine et le Parti ne tiennent pas la politique d’entente avec le paysan moyen pour une politique accidentelle et passagère, mais pour une politique durable, ils avaient et ils continuent d’avoir toutes les raisons de considérer la politique d’entente avec la paysannerie moyenne comme celle d’une alliance solide avec cette dernière et, vice-versa, la politique d’une alliance solide avec le paysan moyen- comme une politique d’entente avec ce dernier.

Il suffit de consulter le compte rendu sténographique du VIIIe congrès du P.C. et la résolution adoptée par ce même congrès sur la paysannerie moyenne, pour s’en convaincre.

Voici un passage du discours prononcé par Lénine au VIIIe congrès :

Il arrive souvent que, par l’inexpérience des fonctionnaires soviétiques, par le fait des difficultés en présence, les coups destinés au koulak s’abattent sur la paysannerie moyenne. Sur ce terrain, nous avons commis maintes erreurs.

L’expérience que nous avons recueillie en ce sens nous permettra de faire tout ce qui est nécessaire pour éviter nos errements à l’avenir.

C’est là une tâche qui se pose devant nous, non en théorie, mais en pratique. Vous vous rendez parfaitement compte que la tâche ne laisse pas d’être difficile.

Nous ne possédons pas les bienfaits nécessaires pour en pourvoir les paysans moyens ; or, ceux-ci sont des matérialistes, des praticiens ; ils exigent des bienfaits matériels concrets que nous ne sommes pas à même de leur fournir et dont le pays aura à se passer peut-être encore pendant de longs mois de lutte ardue, lutte qui, dès à présent, nous promet la victoire totale.

Mais nous pouvons prendre maintes dispositions en ce qui concerne notre pratique administrative ; améliorer notre appareil ; redresser toute une masse d’abus. Nous pouvons et devons corriger et redresser la ligne de notre parti qui ne s’oriente qu’insuffisamment vers l’alliance, vers l’entente avec la paysannerie moyenne. (VIIIe congrès du P.C. de l’U.R.S.S. Compte rendu sténographique.)

Ainsi, vous voyez que Lénine ne fait pas de différence entre l’« entente » et l’ « alliance ».

Nous reproduisons ci-après des passages tirés de la résolution du VIIIe congrès sur « L’attitude envers la paysannerie moyenne » :

Confondre les paysans moyens avec les koulaks, étendre aux premiers, dans telle ou telle mesure, les dispositions dirigées contre ces derniers, reviendrait à enfreindre, de la façon la plus grossière non seulement tous les décrets du pouvoir des Soviets et toute sa politique, mais encore les principes fondamentaux du communisme, qui préconisent l’entente du prolétariat avec la paysannerie moyenne en période de lutte résolue livrée par le prolétariat en vue du renversement de la bourgeoisie, condition essentielle nécessaire pour passer sans encombre à la suppression de toute exploitation.

La paysannerie moyenne, qui a des racines économiques relativement fortes du fait de l’infériorité de la technique agricole par rapport à celle de l’industrie, même dans les pays.

Capitalistes avancés sans parler déjà de la Russie, se maintiendra un laps de temps assez prolongé après qu’aura éclaté la révolution prolétarienne. Aussi la tactique des fonctionnaires soviétiques à la campagne, comme celle des militants du P.C., doit-elle prévoir une période durable de collaboration avec la paysannerie moyenne…

…La politique parfaitement juste du pouvoir soviétique à la campagne assure, ainsi l’alliance et l’entente du prolétariat victorieux avec la paysannerie moyenne…

…La politique du gouvernement ouvrier-paysan et du P.C. doit continuer à s’inspirer du même esprit d’entente du prolétariat et de la paysannerie pauvre avec le paysan moyen. (VIIIe congrès du P.C. de l’U.R.S.S. Compte rendu sténographique.)

Ainsi, vous voyez que la résolution ne fait pas non plus de différence entre les termes « entente » et « alliance ».

A noter que la résolution du VIIIe congrès ne contient pas un seul mot de l’ « alliance solide » avec le paysan moyen. Est-ce à dire qu’elle s’écarte, par cela même, de cette alliance ? Non, évidemment.

Gela veut dire seulement que la résolution établit le signe d’égalité entre le terme « entente », « collaboration » et le terme « alliance solide ».

Cela se conçoit du reste : il ne saurait y avoir d’ « alliance » avec le paysan moyen sans qu’il y ait « entente » avec lui ; l’alliance avec le paysan moyen ne saurait être « solide » sans qu’il y ait entente « durable » et collaboration avec lui.

Tels sont les faits.

De deux choses l’une : ou bien Lénine et le VIIIe congrès du P.C. ont abandonné la déclaration léniniste concernant l’ « alliance solide » avec la paysannerie moyenne, ou bien il faut reconnaître que Lénine et le VIIIe congrès du Parti communiste ne font aucune différence entre le terme « entente » et le terme « alliance solide ».

Quiconque ne veut pas être la victime d’un inutile ergotage ; quiconque tient à pénétrer le sens du mot d’ordre léniniste préconisant l’appui sur la paysannerie pauvre, l’entente avec le paysan moyen et la lutte contre le koulak, — ne peut pas ne pas comprendre que la politique d’entente avec la paysannerie moyenne est en même temps une politique d’alliance solide avec cette dernière.

Votre erreur consiste en ce que vous n’avez pas compris le subterfuge malhonnête de l’opposition et êtes tombé dans le piège que vous tendait votre adversaire. Les filous de l’opposition se multiplient en protestations pour faire croire qu’ils sont pour le mot d’ordre de Lénine sur l’entente avec la paysannerie moyenne ; ce faisant, ils lancent une allusion provocatrice comme quoi l’ «entente » avec le paysan moyen est une chose, et l’ « alliance solide » en est une autre.

C’est ainsi qu’ils courent deux lièvres à la fois : d’abord, camoufler leur véritable position à l’égard de la paysannerie moyenne, position qui implique non point l’entente avec cette dernière, mais le « désaccord » (Voir le discours bien connu du membre de l’opposition, Smirnov, que j’ai cité à la XVIe conférence du P.C. de Moscou) ; ensuite, faire mordre à l’hameçon d’une différence spécieuse entre les termes « entente » et « alliance » les naïfs parmi les bolcheviks, les embrouiller à fond et les écarter de Lénine.

Comment réagissent à cela certains de nos camarades ? Au lieu d’arracher le masque des opposants, au lieu de les convaincre de mensonge, à l’égard du P.C., au sujet de leur position authentique, au lieu de cela ils mordent à l’hameçon, se laissent prendre au piège et écarter de Lénine.

L’opposition fait du bruit autour du mot d’ordre de Lénine ; les membres de celle-ci s’essaient au rôle de partisans du mot d’ordre léniniste : aussi, devons-nous nous désolidariser de ce mot d’ordre de peur d’être confondus avec l’opposition, de nous voir accuser de « composer avec l’opposition… ».

Voilà la logique de ces camarades. Et ce n’est pas là un exemple unique de la filouterie de l’opposition.

Prenez, par exemple, le mot d’ordre d’autocritique. Les bolcheviks ne peuvent pas ne pas savoir que le mot d’ordre d’autocritique est la base de l’activité de notre parti, le moyen de fortifier la dictature prolétarienne, le fond de la méthode bolchevik de formation de cadres.

L’opposition fait du battage pour faire croire que le mot d’ordre d’autocritique a été inventé par elle ; que le P.C. lui a emprunté ce mot d’ordre et capitulé ainsi devant l’opposition.

Ce faisant, l’opposition veut aboutir pour le moins à deux choses :

en premier lieu, cacher à la classe ouvrière l’abîme qui existe entre l’autocritique de l’opposition ayant pour but de détruire la discipline du Parti, et l’autocritique bolchevik qui s’assigne pour tâche de renforcer cette discipline ;

en second lieu, faire mordre à l’hameçon les naïfs et les obliger à se désolidariser du mot d’ordre lancé par le Parti en fait d’autocritique.

Comment réagissent certains camarades ? Au lieu d’arracher le masque des filous de l’opposition et de défendre l’autocritique bolchevik, ils se laissent prendre au piège, s’écartent du mot d’ordre d’autocritique, marchent sous la houlette de l’opposition et… capitulent devant elle, pensant à tort qu’ils se désolidarisent ainsi de l’opposition.

On pourrait multiplier ces exemples à l’infini.

Or, dans notre travail, nous ne pouvons marcher sous la houlette de qui que ce soit. Nous ne pouvons d’autant plus nous inspirer dans notre activité de ce que disent à notre sujet les hommes de l’opposition. Nous devons suivre notre chemin, en déjouant les savantes manœuvres de l’opposition et en venant à bout des erreurs de certains de nos bolcheviks qui se laissent prendre à la provocation des opposants.

Souvenez-vous de ce qu’a dit Marx : « Suivez votre chemin, et laissez dire. »

le 12 juin 1928.
Pravda, n° 152, 3 juillet 1928.

  1. Il en résulte que les déviations de la ligne juste créent un double danger pour la cause de l’alliance entre ouvriers et paysans : le danger émanant de ceux qui, mettons, entendent transformer les mesures extraordinaires provisoires en vue du stockage des céréales, en l’orientation permanente ou durable du Parti, et le danger émanant de ceux qui veulent utiliser la suppression des mesures extraordinaires pour donner libre cours au koulak, proclamer la liberté complète du commerce, sans que ce dernier soit régularisé par les organes de l’État.

    Aussi est-il nécessaire, pour assurer une ligne juste, d’engager la lutte sur deux fronts.

    Je saisis l’occasion pour marquer que notre presse ne se conforme pas toujours à cette règle ; elle pèche parfois par son esprit quelque peu unilatéral. Il arrive, par exemple, que l’on dénonce ceux qui cherchent à transformer les mesures extraordinaires pour le stockage des blés, — mesures d’ordre provisoire, — en orientation permanente de notre politique, ce qui constitue une menace pour l’alliance entre la ville et la campagne.

    Très bien. Mais ce qui est mal et faux, c’est lorsqu’on ne critique pas assez et qu’on ne dénonce pas ceux qui menacent l’alliance par un autre côté ; ceux qui se livrent aux pratiques petites-bourgeoises, insistent pour que soit atténuée la lutte contre les éléments capitalistes de la campagne et instaurée la liberté complète du commerce, sans que l’État exerce sur ce dernier un rôle régulateur, — ce qui a pour effet de compromettre l’alliance, par un autre bout. Voilà ce qui est mal. Voilà — pour l’esprit unilatéral.

    Il arrive également que l’on dénonce ceux qui contestent, mettons, la possibilité et l’utilité d’encourager les exploitations paysannes individuelles, petites et moyennes, qui, au stade actuel, forment la base de l’économie rurale.

    Cela est très bien, mais ce qui est mal et faux, c’est lorsque, parallèlement, on néglige de dénoncer ceux qui cherchent à infirmer l’importance des collectivités agricoles et des fermes d’État, ceux qui ne voient pas que le relèvement de la production paysanne, petite et moyenne, doit être complété pratiquement par la tâche consistant à développer l’édification des kolkhoz et sovkhoz. Une fois de plus — esprit unilatéral.

    Pour assurer une juste ligne, il importe donc de livrer la lutte sur deux fronts et de se départir de tout esprit unilatéral


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