Discours prononcé au Plénum du Comité central du Parti communiste de l’Union soviétique, le 19 novembre 1928

J’examinerai ici trois questions essentielles posées dans les thèses du Bureau politique.

Je parlerai d’abord de l’industrialisation du pays, et je m’attacherai à prouver que le facteur décisif en matière d’industrialisation est le développement de la production des moyens de production, développement qui doit se poursuivre à un rythme aussi accéléré que possible.

Ensuite, j’essaierai de démontrer que le rythme de développement de l’agriculture chez nous marque un retard sensible sur celui de l’industrie et que, par conséquent, la question actuelle la plus brûlante de notre politique intérieure est celle de l’agriculture et notamment, le problème des céréales, la question de savoir comment relever, remanier l’agriculture sur la base de la nouvelle technique.

Et enfin, la question des déviations, de la lutte sur les deux fronts.

Dans cet ordre d’idées je tâcherai de prouver qu’à l’heure actuelle le danger le plus sérieux pour nous est dans la déviation de droite.

I ­ Le rythme de développement de l’industrie

Le point de départ de nos thèses, c’est que le rythme accéléré de développement de l’industrie en général et de la production des moyens de production en particulier constitue l’idée maîtresse, la clé de voûte de l’industrialisation du pays, de la transformation de l’ensemble de notre économie nationale sur la base de l’évolution socialiste.

Mais que veut dire au juste le rythme accéléré du développement industriel ? Cela veut dire qu’il faut engager le plus de capitaux possible dans l’industrie. Or, cela entraîne un état de tension de tous nos plans budgétaires et extra-budgétaires.

En effet, le trait caractéristique de nos « chiffres de contrôle » pendant les trois dernières années, — en période de reconstruction, c’est qu’ils sont établis et réalisés sous le signe de la « tension ».

Que vous examiniez nos « chiffres de contrôle », que vous étudiiez nos propositions budgétaires, que vous vous entreteniez avec nos militants, ceux qui travaillent aux divers échelons du Parti ou ceux qui dirigent notre édification soviétique, économique et coopérative, partout et en toutes circonstances on voit apparaître un trait caractéristique, à savoir : la tension de nos plans.

On se demande si, en général, cette « situation tendue » nous est indispensable. Ne pourrions-nous pas nous en passer ?

Serait-il donc impossible d’adopter un rythme ralenti, de travailler dans une atmosphère plus « calme » ? Le rythme accéléré de développement de l’industrie, que nous avons adopté, ne devrait-il pas s’expliquer par la nervosité des membres du Bureau politique et du Conseil des commissaires du peuple ? Non, certes. Au Bureau politique et au Conseil des commissaires du peuple siègent des gens calmes et bien équilibrés.

En faisant abstraction de la situation extérieure et intérieure, nous pourrions certes adopter un rythme plus lent. Mais, tout d’abord, il est impossible de faire abstraction de la situation extérieure et intérieure ; en second lieu, si l’on tient compte de la situation actuelle, on est amené à conclure que c’est précisément cette situation qui nous impose le rythme accéléré du développement de notre industrie.

Permettez-moi, maintenant, de passer à l’examen de cette situation, de ces facteurs d’ordre extérieur et intérieur qui nous obligent à adopter un rythme accéléré pour le développement de notre industrie.

Facteurs extérieurs. — Nous avons pris le pouvoir dans un pays où la technique est extrêmement arriérée. A côté de quelques grosses unités industrielles, qui possèdent plus ou moins un outillage moderne, nous avons des centaines et des milliers d’usines et de fabriques dont la technique ne résiste à aucune critique au point de vue des réalisations modernes.

D’autre part, nous sommes entourés d’un grand nombre de pays capitalistes dotés d’une technique industrielle beaucoup plus développée et plus parfaite que la nôtre. Voyez ce qui se passe dans les pays capitalistes.

Dans ces pays, la technique non seulement fait des progrès, mais avance à pas de géant laissant en arrière les formes désuètes de la technique industrielle.

Or, voici ce qui se produit : notre pays est doté, d’une part, du régime le plus avancé du monde, le régime soviétique ; d’autre part, nous avons une technique extrêmement arriérée de l’industrie, laquelle est la base du socialisme et du régime soviétique.

Croyez-vous qu’en présence de cette contradiction il soit possible de faire triompher définitivement le socialisme ? Que doit-on faire pour liquider cette contradiction ?

A cet effet, nous devons rattraper et dépasser la technique moderne des pays capitalistes avancés. Nous avons rattrapé et dépassé les pays capitalistes avancés en ce qui concerne l’instauration d’un nouveau régime politique, du régime soviétique. Parfait.

Mais cela n’est pas suffisant.

Pour aboutir à la victoire finale du socialisme,nous devons rattraper et dépasser ces pays aussi sous le rapport technique et économique. Ou nous réaliserons cet objectif, ou nous ferons faillite. Cela est vrai non seulement du point de vue de l’édification du socialisme, mais cela est vrai aussi du point de vue de la sauvegarde de l’indépendance de notre pays dans le cadre capitaliste.

Or, il est impossible de sauvegarder l’indépendance de notre pays sans être pourvu d’une base industrielle suffisante pouvant assurer cette défense. Impossible de créer cette base industrielle, sans avoir une technique industrielle hautement développée. Voilà pourquoi nous avons besoin d’un rythme de développement accéléré de notre industrie.

L’état arriéré de la technique et de l’économie de notre pays n’a pas été voulu par nous. Ce retard est séculaire, il nous fut légué par le développement historique de notre pays. Ce retard se faisait sentir comme un fléau aussi bien dans le passé, dans la période pré-révolutionnaire, que depuis la révolution.

Lorsque Pierre le Grand, après avoir noué contact avec les pays plus avancés d’Occident, fit construire fébrilement des usines et des fabriques destinées à assurer le ravitaillement de l’armée et à renforcer la défense du pays, ce fut là une tentative originale de remédier à ce retard. On conçoit cependant aisément qu’aucune des anciennes classes, ni l’aristocratie féodale, ni la bourgeoisie, n’ait pu se charger de liquider cet état arriéré de notre pays.

Bien plus : ces classes non seulement n’étaient pas en mesure de s’acquitter de cette tâche, mais elles étaient même incapables de la formuler d’une façon plus ou moins satisfaisante.

Le retard séculaire de notre pays ne saurait être liquidé que sur la base de l’édification socialiste. Et seul le prolétariat, qui a instauré sa dictature et tient en main la direction du pays, réussira à mener à bien cette liquidation.

Il serait puéril de vouloir nous consoler en disant que puisque nous ne sommes pour rien dans le retard, que cet état de choses nous a été légué par l’histoire de notre pays, nous ne pouvons et ne devons pas en supporter la responsabilité.

Ce n’est pas juste. Dès l’instant où nous avons pris le pouvoir, où nous nous sommes chargés de transformer le pays sur la base du socialisme, nous revendiquons toutes les responsabilités. Et c’est parce que nous en revendiquons les responsabilités que nous nous devons de liquider notre retard technique et économique.

C’est pour nous une obligation, si nous voulons réellement rattraper et dépasser les pays capitalistes avancés.

Or, il n’y a que nous, bolcheviks, qui pouvons le faire et personne d’autre. Et c’est justement pour mener à bien cette tâche que nous devons réaliser systématiquement un rythme accéléré de développement de notre industrie. Or, il n’est personne qui ne se rende clairement compte aujourd’hui que nous sommes en train de réaliser un rythme accéléré de développement de notre industrie.

La nécessité de rattraper et de dépasser les pays capitalistes avancés sous le rapport technique et économique n’a pour nous autres bolcheviks, rien de nouveau ni d’imprévisible.

Cette question nous l’avons posée déjà en 1917, au cours de la période d’avant la révolution d’Octobre. Cette question fut soulevée par Lénine déjà en septembre 1917, à la veille de la révolution d’Octobre, pendant la guerre impérialiste, dans sa brochure intitulée la Catastrophe imminente et les moyens de la conjurer. Voici ce que dit Lénine à ce sujet :

« Elle [la révolution] a eu pour résultat de porter en quelques mois la Russie, dans l’ordre politique, au niveau des pays les plus avancés.

Mais cela ne suffit pas. La guerre est inflexible, elle pose la question en termes inexorables : périr ou rattraper et dépasser les pays avancés, même sur le terrain économique.

Il faut périr ou aller de l’avant à toute vapeur. La question est ainsi posée par l’histoire » (Lénine, Œuvres complètes, t. XXI, p. 234. Edit. Soc. Int.).

Voilà comment Lénine posait d’une façon tranchante la question de la liquidation de notre retard technique et économique.

Tout cela avait été écrit par Lénine à la veille de la révolution d’Octobre, pendant la période qui précéda la prise du pouvoir par le prolétariat, alors que les bolcheviks n’avaient encore ni pouvoir, ni industrie socialisée, ni un vaste réseau ramifié de coopératives, englobant des millions de paysans, ni exploitations agricoles collectives, ni fermes d’État.

Or, aujourd’hui, où nous possédons une certaine base réelle pour liquider à fond notre retard technique et économique, nous pourrions paraphraser le passage de Lénine à peu près comme suit :

« Nous avons rattrapé et dépassé les pays capitalistes avancés au point de vue politique, en instituant la dictature du prolétariat.

Mais ce n’est pas assez. Nous devons utiliser la dictature du prolétariat, notre industrie socialisée, le transport, notre système de crédit etc., la coopération, les exploitations agricoles collectives, les fermes d’État, etc. — pour rattraper et dépasser, les pays capitalistes avancés, sous le rapport économique aussi. »

L’application d’un rythme accéléré au développement de notre industrie ne s’imposerait pas aussi impérieusement qu’elle s’impose en ce moment, si nous possédions une industrie et une technique aussi avancées qu’en Allemagne, par exemple ; si le rôle de notre économie nationale était aussi important qu’en Allemagne, par exemple.

Dans ce cas, nous pourrions développer notre industrie à un rythme moins accéléré, sans avoir à craindre de nous laisser distancer parles capitalistes et sachant que nous pouvons les devancer d’un seul coup.

Mais, c’est qu’alors le retard technique et économique qui se fait vivement sentir chez nous serait inexistant. Il n’en est rien. Sous ce rapport, nous sommes en retard sur l’Allemagne et bien loin de l’avoir rattrapée au point de vue technique et économique.

Le rythme accéléré de développement industriel ne s’imposerait pas aussi impérieusement si, au lieu d’être l’unique pays de dictature du prolétariat, nous représentions un des pays de dictature du prolétariat ; si le prolétariat exerçait le pouvoir non seulement dans notre pays, mais aussi dans d’autres pays plus avancés, tels que l’Allemagne et la France.

Dans ce cas, l’encerclement capitaliste ne serait pas pour nous un danger aussi grave qu’il l’est aujourd’hui ; la question de l’indépendance économique de notre pays serait reléguée, tout naturellement, au second plan ; nous pourrions nous intégrer dans un système d’Etats prolétariens plus avancés, qui nous fourniraient des machines pour enrichir notre industrie et notre agriculture, en échange de matières premières et de produits alimentaires ; nous pourrions, par suite, développer notre industrie à une allure moins rapide.

Mais vous savez fort bien que ces conditions nous font encore défaut, et que nous sommes pour le moment l’unique pays de dictature du prolétariat, entouré de pays capitalistes dont beaucoup sont très en avant de nous au point de vue technique et économique.

Voilà la raison pour laquelle la nécessité de rattraper et de dépasser les pays capitalistes avancés dans le domaine économique, était, selon Lénine, une question de vie et de mort pour notre développement.

Tels sont les facteurs extérieurs qui commandent d’adopter un rythme accéléré de développement de notre industrie.

Facteurs intérieurs. — Mais en dehors des facteurs extérieurs, il en existe d’ordre intérieur qui nous commandent l’application d’un rythme accéléré de développement de notre industrie, base première de toute notre économie nationale.

Je veux parler du grand retard de notre agriculture, de sa technique, de son outillage. Je veux parler des petits producteurs qui forment dans notre pays la majorité prédominante, dont la production est en état de dispersion et les procédés de travail rudimentaires, et au milieu desquels notre grande industrie socialisée est comme une île en pleine mer, île dont la base s’élargit chaque jour, mais qui n’en est pas moins une île en pleine mer.

On répète couramment chez nous que l’industrie est l’élément dirigeant de toute l’économie nationale y compris l’agriculture ; que l’industrie est la clé au moyen de laquelle on réussira à remanier sur la base du collectivisme, l’agriculture arriérée et morcelée. Cela est tout à fait exact. Nous ne devons pas nous départir de ce principe l’espace d’une seconde.

Mais il ne faut pas oublier, d’autre part, que si l’industrie est un élément décisif, l’agriculture sert de base au développement de l’industrie, d’abord comme marché absorbant la production industrielle, puis comme pourvoyeur de matières premières et de denrées alimentaires, et enfin comme source de réserves pour l’exportation destinées à assurer l’entrée de l’outillage pour les besoins de l’économie nationale.

Pourra-t-on faire progresser l’industrie en laissant l’agriculture dans un état de technique absolument arriérée, sans assurer à l’industrie une base agricole, sans réorganiser l’agriculture et sans l’ajuster au niveau de l’industrie ? Non, évidemment.

Il en résulte que nous devons assurer au maximum à l’agriculture l’outillage et les moyens de production afin d’accélérer et d’activer sa réorganisation sur une nouvelle base technique.

Mais pour atteindre cet objectif, il est indispensable d’adopter un rythme accéléré de développement de notre industrie. Bien entendu, la reconstruction de l’agriculture éparpillée et morcelée est une chose infiniment plus difficile que la reconstruction de l’industrie socialiste unifiée et centralisée. Mais cette tâche s’impose à nous et nous devons nous en acquitter.

Or, on ne saurait résoudre cette question que sur la base d’un rythme accéléré de développement de notre industrie.

On ne saurait indéfiniment, interminablement, c’est-à-dire pendant une trop longue période, faire reposer le pouvoir soviétique et l’édification socialiste sur deux bases différentes : l’industrie socialiste la plus grande et la plus unifiée et la petite économie paysanne, arriérée et dispersée.

Il faut faire passer graduellement, mais systématiquement et avec persévérance, l’agriculture sur une nouvelle base technique, sur la base de la grosse production, en l’ajustant au niveau de l’industrie socialiste.

Ou bien nous nous acquitterons de cette tâche, et alors la victoire définitive nous sera assurée, ou bien nous l’abandonnerons sans résoudre le problème, — et alors la restauration capitaliste peut devenir imminente.

Voici ce que dit Lénine à ce sujet :

« Tant que nous vivons dans un pays de petits cultivateurs, le capitalisme possède en Russie une base économique plus solide que le communisme. Il faut se bien mettre dans la tête cette vérité. Tous ceux qui observent attentivement la vie de la campagne en la comparant à celle de la ville, savent que nous n’avons pas encore fait disparaître les racines du capitalisme ni sapé la base, le fondement de l’ennemi intérieur.

Celui-ci s’appuie sur la petite production ; or il n’est qu’un seul moyen de le battre en brèche, c’est de doter l’ensemble de notre économie nationale, y compris l’agriculture d’une nouvelle base technique, de la base technique de la grande industrie moderne.

Cette base ne peut être que l’électricité. Le communisme c’est le régime soviétique plus l’électrification de tout le pays. » (Lénine, Œuvres complètes, t. XXVI, VIIIe congrès panrusse des Soviets ».)

Comme on le voit, par électrification du pays, Lénine entend non la construction isolée de quelques stations électriques, mais « le transfert de l’économie nationale, y compris l’agriculture, sur une nouvelle base technique, sur la base technique de la grande industrie moderne », qui se rattache d’une façon ou de l’autre, directement ou indirectement, à l’électrification.

Le discours dont j’ai extrait ce passage a été prononcé par Lénine au VIIIe congrès des Soviets en décembre 1920, la veille même de l’instauration de la Nouvelle politique économique, quand il lança l’idée de ce que l’on a appelé le plan Goelro ; le plan d’électrification de l’ensemble du pays. En partant de ce fait, certains camarades prétendent que les idées exposées dans ce passage de Lénine sont inapplicables à la situation actuelle. Pourquoi ?

Parce que, — disent-ils, — depuis cette époque beaucoup d’eau s’est écoulée. C’est juste.

Nous avons aujourd’hui une industrie socialiste développée ; nous avons des exploitations agricoles collectives, comme un phénomène de masse ; nous avons de vieilles et nouvelles fermes d’État, un réseau serré de coopératives développées ; nous avons des dépôts de location d’outillage desservant les exploitations paysannes individuelles ; nous avons les contrats de consignations, nouvelle forme d’union entre la campagne et la ville ; or, nous pouvons dès aujourd’hui mettre en action tous ces leviers et bien d’autres encore pour placer graduellement l’agriculture sur la base de la technique moderne.

Tout cela est juste. Il n’en est pas moins vrai que malgré tout nous demeurons toujours un pays agricole, où prédomine la petite production. Or, c’est là l’essentiel. Et tant que ce facteur essentiel subsistera, la thèse de Lénine restera en vigueur : « tant que nous vivons dans un pays de petits cultivateurs, notre pays présente pour le capitalisme une base économique plus solide que pour le communisme ». Le danger de la restauration capitaliste n’est donc pas une phrase creuse.

Les mêmes idées sont exprimées par Lénine, quoique dans une forme plus tranchante, dans sa brochure « Sur l’impôt alimentaire », écrite déjà après l’introduction de la Nouvelle politique économique. (Avril-mai 1921.)

« Si nous entreprenons l’électrification du pays pour aboutir dans 10-20 ans, l’individualisme du petit cultivateur et le commerce libre, exercé par ce dernier sur le plan local ne seraient plus à redouter.

Mais sans l’électrification, le retour au capitalisme est imminent en tout état de cause. »

Et puis plus loin :

« 10 ou 20 années de rapports réguliers avec la paysannerie nous assureront la victoire à l’échelle internationale (même si les révolutions prolétariennes en gestation tardent à éclater). Sinon, nous serons voués aux horreurs de la terreur des gardes blancs pendant 20 ou 40 ans. » (Recueil Lénine, t. IV. p. 374. Edition russe.)

On voit donc que Lénine pose la question d’une façon tranchante : ou l’électrification, c’est-à-dire « le placement de toute l’économie nationale, y compris l’agriculture, sur une nouvelle base technique, sur la base de la grande production moderne », ou le retour au capitalisme.

Voilà comment Lénine pose la question des « justes rapports » avec les paysans. Il ne s’agit point de flatter les paysans ni de considérer cette flatterie comme des rapports rationnels.

Non, avec cette méthode on n’ira pas très loin. Il s’agit d’aider les paysans à faire passer leur économie « sur une nouvelle base technique, sur la base technique de la grande industrie moderne ». C’est là le moyen essentiel qui affranchira les paysans de leur misère.

Or, il serait impossible de donner à l’économie nationale une nouvelle base technique, sans appliquer un rythme accéléré de développement à notre industrie, et avant tout, à notre industrie des moyens de production.

Tels sont les facteurs intérieurs qui nous commandent un rythme accéléré de développement de l’industrie.

Voilà à quels facteurs, extérieurs et intérieurs, est due la tension des « chiffres de contrôle » de notre économie nationale.

Voilà la raison pour laquelle nos plans économiques, budgétaires et extra-budgétaires sont conçus sous le signe d’une « tension », sous le signe d’investissements considérables dans les grands travaux d’édification, ayant pour but de maintenir le rythme accéléré de développement de notre industrie.

On peut demander : « Où cela figure-t-il dans les thèses, à quel passage de nos thèses pouvons-nous nous référer ? » Une voix : Oui, où cela est-il dit ?

Le montant des investissements dans l’industrie pour 1928/29, indiqué dans les thèses en fait foi. Car celles-ci portent le nom de thèses sur les « chiffres de contrôle ». N’est-ce pas ainsi ? Une voix : Oui.

Eh bien, dans ces thèses il est dit que nous engageons dans l’industrie, au titre de grands travaux de construction pour 1928/29, 1.650 millions de roubles.

En d’autres termes, nous investissons dans l’industrie, cette année, 330 millions de roubles de plus que l’année dernière. Ainsi, non seulement nous conservons le rythme accéléré de développement industriel, mais nous franchissons encore un pas en avant, en engageant dans l’industrie une somme supérieure à celle de l’an dernier, c’est-à-dire en élargissant les grands travaux de construction relativement et absolument.

C’est là le pivot des thèses sur les « chiffres de contrôle » de l’économie nationale. Or, l’essentiel a échappé à bon nombre de nos camarades. Ils ont critiqué sous toutes leurs faces les thèses sur les chiffres de contrôle, sans avoir pu discerner l’essentiel.

II ­ Le problème des céréales

J’ai traité jusqu’ici la première question fondamentale des thèses, celle du rythme de développement de notre industrie. Passons maintenant à la deuxième question fondamentale, à savoir : la question des céréales. Ce qui caractérise nos thèses, c’est qu’elles s’attachent au problème du développement de l’agriculture en général et sur celui des céréales en particulier.

Cette orientation est-elle juste ? Je crois que oui.

Déjà, à la séance plénière de juillet, on a dit que le point le plus faible dans le développement de notre économie nationale était l’état extrêmement arriéré de notre agriculture en général, de notre économie des céréales en particulier.

Ceux qui prétendent que notre agriculture est en retard sur l’industrie et s’en plaignent font preuve de légèreté. L’agriculture a été et sera toujours en retard sur l’industrie.

Cela est surtout vrai dans nos conditions où l’industrie est concentrée au maximum et l’agriculture dans un état de dispersion extrême. Il est clair que l’industrie unifiée se développera plus rapidement que ne le fera l’agriculture éparpillée.

De là le rôle dirigeant de l’industrie à l’égard de l’agriculture. Aussi le retard habituel de l’agriculture sur l’industrie n’autorise-t-il pas encore à poser la question des céréales.Le problème de l’agriculture et, en particulier, celui de la production des céréales ne font leur apparition que lorsque le retard habituel de l’agriculture sur l’industrie se transforme en un rythme excessivement lent de développement.

Ce qui caractérise l’état actuel de l’économie nationale c’est que le rythme de développement de la production des céréales marque un retard démesuré sur le rythme du développement industriel, cependant que la demande de céréales, de la part des villes et des centres industriel en plein essor, prend des proportions colossales.

Notre tâche n’est pas de ralentir le rythme du développement industriel au niveau de l’économie des céréales (il n’en résulterait que de la confusion qui ferait rétrograder toute l’évolution), mais de rajuster le développement de la production des céréales au rythme du développement de l’industrie, pour relever le rythme du développement de la production des céréales à un niveau susceptible d’assurer le progrès rapide de toute l’économie nationale, de l’industrie et de l’agriculture.

Ou bien nous nous acquitterons de cette tâche, et c’est ainsi que le problème des céréales sera résolu, ou bien nous ne nous en acquitterons pas, et alors la rupture entre la ville socialiste et la campagne des petits cultivateurs est imminente. Voilà comment la question se pose.

Voilà en quoi consiste le problème des céréales.

Est-ce à dire que nous assistons à un « temps d’arrêt » dans le développement de la production des céréales, voire même à sa « dégradation ». C’est ainsi que le camarade Froumkine formule la question dans sa seconde lettre que, sur sa demande, nous avons fait distribuer aujourd’hui aux membres du Comité central et de la Commission centrale de contrôle. Dans cette lettre, il dit ouvertement que l’agriculture se trouve dans un état de stagnation.

« Nous ne pouvons, — dit-il, — et ne devons pas parler dans la presse de dégradation, mais, à l’intérieur du Parti, nous n’avons pas à dissimuler que ce retard équivaut à une dégradation. » Cette affirmation du camarade Froumkine est-elle fondée ? Non, certes.

Nous autres, membres du Bureau politique, ne partageons nullement cette affirmation, et les thèses du Bureau politique sont entièrement en désaccord avec cette façon de présenter l’état actuel de la production des céréales.

En effet, qu’est-ce que la dégradation et en quoi doit-elle consister quant à l’agriculture ? Elle doit visiblement se manifester dans un mouvement de recul de l’agriculture, vers le bas, mouvement allant des nouvelles formes de culture aux formes moyenâgeuses.

Elle doit se traduire, disons par le passage des paysans de l’assolement triennal au système des jachères, de la charrue et de la machine modernes à la charrue primitive, des semences sélectionnées et de haute qualité aux semences non sélectionnées et de qualité inférieure, des procédés modernes de culture aux procédés primitifs, et ainsi de suite.

Mais en est-il vraiment ainsi ?

Nul n’ignore que des dizaines et des centaines de milliers de « feux » paysans passent chaque année de l’assolement triennal à l’assolement quadriennal et plus, remplacent les semences de qualité inférieure par celles de qualité supérieure, l’araire par la charrue moderne et les machines, les procédés anciens de culture par des procédés modernes de culture. Y a-t-il là dégradation ?

Le camarade Froumkine aime en général à s’accrocher aux pans du vêtement de tel ou tel membre du Bureau politique pour justifier son point de vue à lui. Il est fort possible qu’en l’espèce il cherche également à s’accrocher aux pans du vêtement du camarade Boukharine et s’efforce de démontrer que ce dernier dit « la même chose » dans son article : « Notes d’un économiste ».

Or, le camarade Boukharine est loin de dire « la même chose ». Dans son article, le camarade Boukharine a posé de façon abstraite, théorique, la question de la possibilité ou du danger de la dégradation.

Abstraitement parlant, cette façon de poser la question est fort possible et logique.

Mais que fait le camarade Froumkine ? Il transforme la question abstraite de la dégradation éventuelle en un fait accompli de la dégradation agricole. Et c’est ce qu’il appelle analyse de l’état de la production des céréales. Rien de plus ridicule.

Il serait bien bas, le régime soviétique, si, à la onzième année de son existence, il avait amené l’agriculture à une dégradation ! Mais un tel régime mériterait qu’on le chassât et non qu’on le soutînt ! Et il est certain que les ouvriers auraient depuis longtemps renversé un tel régime, s’il avait amené l’agriculture à la dégradation. Ce sont les spécialistes bourgeois de tout ordre, qui crient à la dégradation de l’agriculture qu’ils voient en songe.

A un moment donné Trotski aussi avait crié à la dégradation. Je ne pensais pas que le camarade Froumkine irait s’engager dans cette voie épineuse.

Sur quoi le camarade Froumkine cherche-t-il à baser son affirmation relative à la dégradation ?

D’abord sur ce fait que cette année la surface des terres cultivées en céréales se trouve être inférieure à celle de l’année dernière. A quoi cela tient-il ? A la politique du gouvernement soviétique peu-têtre ? Non certes.

Cela s’explique par la perte des blés d’hiver dans la région des steppes de l’Ukraine et, en partie, dans le Caucase du Nord, ainsi que par la sécheresse qui a sévi cet été dans la même région de l’Ukraine.

Sans ces facteurs climatériques défavorables, auxquels l’agriculture se trouve entièrement soumise, nous aurions, cette année, une superficie de terres cultivées en céréales dépassant de un million de « déciatines » au moins celle de l’année dernière.

Il essaie de fonder ensuite son assertion sur le fait que cette année notre production globale de céréales ne dépasse que de très peu celle de l’année dernière (de 70 millions de pouds) et que la récolte de froment et de seigle est inférieure à celle de l’année dernière de 200 millions de pouds environ. Mais comment faut-il expliquer ce fait ?

Toujours par les mêmes phénomènes climatériques : sécheresse et perte des blés d’hiver provoquée par la rigueur des froids. Sans ces facteurs climatériques défavorables, la production globale de céréales dépasserait cette année de 300 millions de pouds celle de l’année dernière.

Comment peut-on faire abstraction de facteurs aussi sérieux que la sécheresse, le gel, etc., facteurs décisifs pour la récolte dans telles ou telles régions ?

Nous nous assignerons aujourd’hui la tâche d’élargir de 7 % la surface d’ensemencement, de relever de 3 % le rendement du sol et d’augmenter de 10 %, je crois, la production globale de céréales. Il est hors de doute que nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour nous acquitter de ces tâches.

Mais il n’est pas impossible, malgré toutes les mesures que nous aurons prises, que nous ayons à faire face à une récolte insuffisante, partielle, à une période de sécheresse ou de gel dans telle ou telle région.

Il est possible que l’ensemble de ces circonstances entraîne un fléchissement de la production globale de céréales par rapport à celle prévue par nos plans, voire même à celle de cette année.

Est-ce à dire que l’agriculture « décroît », que cette « déchéance » est imputable à la politique du gouvernement soviétique ; que nous avons « privé » le paysan de ce qui lui servait de stimulant économique, que nous l’avons « dépouillé » de la perspective économique ?Il y a quelques années, Trotski était tombé dans la même erreur en affirmant que tes « pluies » n’exerçaient aucune influence sur l’agriculture. Rykov lui a répliqué, soutenu par l’immense majorité des membres du Comité central.

Aujourd’hui Froumkine tombe dans la même erreur, en négligeant les conditions de climat qui jouent un rôle décisif pour l’agriculture, et en s’efforçant d’imputer à la politique de notre parti tous les malheurs.

Quels sont les moyens et les voies propres à relever le rythme de développement de l’agriculture, en général, et de la production des céréales en particulier ? Nous en repérons trois : a) relever le rendement du sol et élargir la surface cultivable des exploitations individuelles des paysans pauvres et moyens ; b) développer les exploitations agricoles collectives ; c) élargir les vieilles fermes d’État et en créer de nouvelles.

Ces points figurent déjà dans la résolution du Plénum de juillet. Les thèses qui ne font que reprendre ce qui a été dit au Plénum de juillet, posent la question en plus concret, en la commentant par des chiffres relatifs aux capitaux engagés. Ici encore, le camarade Froumkine a trouvé le moyen de s’accrocher.

Il croit qu’il suffit que la culture individuelle tienne le premier rang et que les exploitations agricoles collectives et fermes d’État viennent en deuxième et troisième lieu pour assurer le triomphe de son point de vue.

Cela est ridicule. Bien entendu, si on se place au point de vue de l’importance de telles ou telles formes d’agriculture, il faudra mettre au premier plan les exploitations individuelles qui fournissent presque six fois plus de blé-marchand que les fermes collectives et d’État.

Mais si on se place au point de vue du type de culture, au point de vue des formes de culture qui nous sont le plus proches, il faudra mettre au premier plan les fermes collectives et d’État, qui constituent le type supérieur d’agriculture comparativement aux exploitations individuelles paysannes.

Est-il besoin de démontrer que les deux points de vue sont également acceptables ? Quelles mesures faut-il prendre pour que notre travail suive les trois chemins indiqués, pour que soit réalisée pratiquement une accentuation du rythme de développement de l’agriculture et, avant tout, de la production des céréales ?

Il faudra, avant tout, attirer l’attention des cadres de notre parti sur l’agriculture et, en premier lieu, sur les problèmes concrets relatifs à la production des céréales. Il faut abandonner les généralités et le bavardage sur l’agriculture en général ; il est temps de nous occuper enfin de rechercher les mesures pratiques, susceptibles de relever la production des céréales conformément aux conditions respectives des diverses régions.

Il est temps de passer de la parole à l’acte, d’aborder enfin la question concrète de savoir comment relever le rendement du sol et élargir la surface d’ensemencement des exploitations individuelles des paysans pauvres et moyens ; comment améliorer et développer ultérieurement les exploitations agricoles collectives et les fermes d’État ; comment organiser l’aide que les exploitations collectives et fermes collectives fourniraient aux paysans, au point de vue de leur ravitaillement en semences de meilleure qualité, en meilleures espèces le bétail ; comment organiser l’aide aux paysans en machines et outillage agricoles par l’intermédiaire de dépôts de location ; comment élargir et améliorer les contrats de consignation et, en général, la coopération agricole, etc.

Une voix : C’est du praticisme !

Un tel praticisme nous est absolument nécessaire, sinon nous risquons de noyer dans un verbalisme creux sur l’agriculture en général, la solution nécessaire de la question des céréales.

Le Comité central a décidé que des rapports concrets concernant les questions du développement de l’agriculture seront faits par nos

militants responsables des principales régions de blé au Conseil des commissaires du peuple et au Bureau politique.

Au cours de ce Plénum, vous entendrez le rapport du camarade Andréev sur les moyens de résoudre le problème des céréales dans le Caucase du Nord.

Je pense que plus tard nous aurons à entendre des rapports analogues de l’Ukraine, de la Région centrale du Tchernoziom (Terre noire), du Volga, de la Sibérie, etc. Cela est absolument indispensable pour attirer l’attention du Parti sur le problème des céréales, et pour inciter enfin, les cadres de notre parti à aborder concrètement les questions se rattachant à la production des céréales.

Il faut, en second lieu, que nos militants du Parti travaillant dans la campagne sachent faire une distinction rigoureuse, au cours de leur travail, entre les paysans moyens et les koulaks, ne les mettent pas tous dans le même sac et ne frappent pas le paysan moyen alors que c’est le koulak qu’il faut battre. Il est temps de liquider ces soi-disant erreurs. Prenons, par exemple, la question de l’imposition individuelle.

Une décision du Bureau politique et une loi correspondante autorisent d’appliquer l’imposition individuelle à 2­3 % seulement des « feux » paysans, soit à la partie la plus riche des koulaks. Or, que voyons-nous en réalité ? Il existe des régions où l’imposition individuelle est appliquée à 10 %, 12 % et même plus de la population paysanne, ce qui fait qu’une partie des paysans moyens se trouve lésée.

N’est-il pas temps de mettre un terme à ce crime ?

Au lieu d’envisager des mesures concrètes pour liquider ces abus et tant d’autres, nos chers « critiques » se mettant en frais d’imagination, proposent de remplacer les mots « la partie la plus riche des koulaks » par « la partie la plus forte des koulaks » ou par « la partie supérieure des koulaks ». Comme si cela ne revenait au même ! Il est établi que nous avons 5 % de koulaks.

Il est également établi que la loi n’impose à titre individuel que 2-3 % seulement des « feux » paysans, soit la partie la plus riche des koulaks. Il est établi que, dans la pratique, cette loi est transgressée dans un grand nombre de régions.

Or, les « critiques », au lieu de préconiser des mesures concrètes pour liquider ces phénomènes, se livrent à une critique verbale, s’obstinant à ne pas vouloir se rendre compte que ce faisant, ils n’avancent pas les choses d’un seul iota.

On dirait de vrais exégètes.

Une voix : On propose d’imposer individuellement tous les koulaks.

Oui, mais alors il faudra réclamer l’abrogation de la loi instituant l’imposition individuelle de 2 à 3 %. Or, que je sache, personne n’a réclamé l’abrogation de la loi sur l’imposition individuelle. On prétend que l’extension arbitraire de l’imposition individuelle a pour but de compléter le budget local.

Mais est-il permis de compléter le budget local en violant la loi, en transgressant les directives du Parti ? Le Parti existe encore chez nous, il n’est pas encore liquidé. Le régime soviétique existe encore, il n’est pas encore liquidé. Et si le budget local manque de ressources, il faut poser la question du budget local, au lieu d’enfreindre les directives du Parti, de violer les lois.

Ensuite, il faut continuer de stimuler les exploitations individuelles des paysans pauvres et moyens. Il est certain que l’augmentation, déjà décrétée, du prix des blés, la mise en application des lois révolutionnaires, l’aide pratique donnée aux paysans pauvres et moyens par la voie des contrats de consignation, sont autant de mesures propres à stimuler notablement l’activité économique des paysans.

Froumkine croit que nous avons tué ou presque tué ce stimulant en dépouillant le paysan de sa perspective économique.

C’est absurde. S’il en est ainsi on ne comprend plus sur quoi repose l’alliance de la classe ouvrière et des grandes masses paysannes, car on ne saurait pas prétendre que cette union soit une union morale.

Il est grand temps de comprendre que l’union de la classe ouvrière et des paysans est une union raisonnée, l’union des intérêts de deux classes, une union de classe des ouvriers et des grandes masses rurales, ayant pour but d’assurer des avantages réciproques. Il va de soi que si, en dépouillant le paysan de sa perspective économique nous avons tué ou presque tué ce qui sert de stimulant économique à la paysannerie, nous n’arriverions pas à réaliser l’alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie.

Il est évident qu’on ne saurait parler ici de « créer » ou de « tuer » le stimulant de l’activité économique de la paysannerie pauvre et moyenne. Il s’agit de renforcer ce stimulant et de le développer à l’avantage réciproque de la classe ouvrière et des principales masses de la paysannerie. Voilà de quoi parlent les thèses sur les chiffres de contrôle de l’économie nationale.

Enfin, il est nécessaire de renforcer l’approvisionnement de la campagne en marchandises. J’entends par là aussi bien des articles de consommation que (surtout) des marchandises d’ordre industriel (machines, engrais, etc.), susceptibles de relever la production agricole.

On ne peut dire que tout est pour le mieux dans ce domaine. Vous n’ignorez pas que la disette de marchandises est loin d’être liquidée et qu’elle ne le sera pas de sitôt. Dans certains milieux de notre parti, il existe cette illusion que nous pouvons, dès maintenant, liquider la disette de marchandises.

Malheureusement cela est faux. Il ne faut pas oublier que la disette de marchandises est liée, d’une part, au mieux-être des ouvriers et des paysans et à l’accroissement colossal de la capacité d’achat de marchandises, dont la production, qui augmente d’année en année, ne suffit pas à faire face à toute la demande et, d’autre part, à la période actuelle de la reconstruction industrielle.

La reconstruction de l’industrie comporte un déplacement de ressources du domaine de la production des moyens de consommation vers celui de la production de moyens de production.

Sans cette condition, il ne saurait y avoir de reconstruction industrielle sérieuse, surtout dans nos conditions soviétiques. Mais qu’est-ce à dire ?

Cela veut dire que l’on engage des capitaux dans les travaux de construction de nouvelles entreprises ; que le nombre des villes et des nouveaux consommateurs s’accroît, tandis que les nouvelles entreprises ne pourront fournir de nouvelles quantités de marchandises que dans 3 ou 4 ans.

Il apparaît donc clairement que cette circonstance ne saurait favoriser la liquidation de la disette de marchandises. Faut-il en déduire que nous devons nous croiser les bras et avouer notre impuissance face à la disette de marchandises ?

Non. Nous pouvons et devons prendre des mesures concrètes pour atténuer, pour affaiblir cette disette. Cela est possible et nous devons le faire dès maintenant.

Pour cela, il faut accentuer l’activité des branches d’industrie dont dépend directement l’essor de la production agricole (l’usine de tracteurs de Stalingrad, celle de machines agricoles de Rostov, celle de trieurs de Voronèje, etc.).

A cet effet, il faudra aussi renforcer, dans la mesure du possible, les branches d’industrie susceptibles d’augmenter la quantité de marchandises manquantes (draps, verrerie, clous, etc.).

Le camarade Koubiak a fait remarquer que d’après les chiffres de contrôle de l’économie nationale, on accorde cette année aux exploitations agricoles individuelles moins de facilités que l’année dernière.

Je crois que ce n’est pas exact. Le camarade Koubiak ne tient visiblement pas compte du crédit de 300 millions de roubles que nous avons consenti cette année aux paysans par contrat de consignation (presque cent millions de plus que l’année dernière).

Si l’on tient compte de ce fait — impossible de ne pas le faire — on comprendra que nous donnons, cette année, aux exploitations individuelles plus d’avantages que l’an dernier. Quant aux exploitations agricoles collectives et fermes d’État, anciennes et nouvelles, nous y investissons 180 millions de roubles environ (soit 75 millions de plus que l’année dernière).

Il faut surtout prêter une attention suivie aux exploitations agricoles collectives et d’État et aussi aux contrats de consignation. Ces formes de culture ne doivent pas être considérées seulement comme un moyen servant à augmenter nos ressources en céréales.

Elles constituent en même temps une forme nouvelle de trait d’union entre la classe ouvrière et les principales masses paysannes. Les contrats de consignation ont déjà été suffisamment examinés chez nous, et je ne m’étendrai pas longuement sur ce sujet.

Tout le monde se rend compte que l’application des contrats de consignation en masse permet d’unifier les efforts fournis par les exploitations paysannes individuelles ; elle apporte un élément de constance aux rapports entre l’État et les paysans, et renforce ainsi l’alliance entre la ville et la campagne.

Je voudrais attirer votre attention sur les exploitations agricoles collectives et surtout sur les fermes d’État, qui sont comme des leviers aidant à transformer l’agriculture sur la base de la technique moderne, à opérer une révolution dans l’esprit des paysans et à libérer les masses rurales de la routine et de leurs habitudes séculaires.

L’apparition des tracteurs, des grosses machines agricoles et des colonnes de tracteurs dans nos régions productrices de blé n’est pas sans laisser des traces sur les exploitations agricoles des localités environnantes.

L’aide que nous apportons aux paysans des localités environnantes en semences, machines et tracteurs sera certainement appréciée par les paysans ; ils y verront une preuve de puissance et de solidité de l’État ouvrier qui s’efforce de les acheminer vers un essor sérieux de l’agriculture. Jusqu’à présent, nous avons négligé cette circonstance, et, je crois qu’aujourd’hui encore nous n’en tenons pas suffisamment compte.

Je crois cependant que c’est là l’essentiel de ce que les exploitations agricoles collectives et les fermes d’État donnent et peuvent donner, en ce moment, pour résoudre le problème des céréales et renforcer l’alliance de la ville et de la campagne, dans ses nouvelles formes.

Tels sont les voies et les moyens que nous aurons à suivre pour résoudre la question des céréales.

III ­ La lutte contre les déviations et l’attitude conciliante à leur égard

Nous abordons maintenant la troisième question fondamentale de nos thèses, celle des déviations de la ligne léniniste.

La base sociale des déviations est la prédominance de la petite production dans notre pays, la naissance d’éléments capitalistes engendrés par la petite production, l’atmosphère petite-bourgeoise qui enveloppe notre parti et, enfin, la contamination de certains chaînons de notre parti par cette atmosphère.

Voilà, dans ses grandes lignes, la base sociale des déviations. Toutes ces déviations revêtent un caractère petit-bourgeois.

A quoi se ramène la déviation de droite dont il est question ici principalement ?

A quoi tend-elle ? Elle tend à s’adapter à l’idéologie bourgeoise ; elle tend à adapter notre politique aux goûts et aux besoins de la bourgeoisie « soviétique ».

Quel risque courons-nous de voir la déviation de droite triompher dans notre parti ? Ce serait la débâcle idéologique de notre parti, le déchaînement des éléments capitalistes, la multiplication des chances de restauration capitaliste ou, comme disait Lénine, le « retour au capitalisme ».

Où vont-elles surtout se nicher les tendances de droite ? Dans notre appareil soviétique, économique, coopératif et syndical, ainsi que dans l’appareil du Parti, notamment aux échelons ruraux de la base.

Y a-t-il parmi nos militants du Parti des colporteurs de la déviation de droite ?

Oui, certainement. Rykov a cité l’exemple de Chatounovski qui s’est prononcé contre la construction du Dniéprostroï. Il est évident que Chatounovski s’est laissé glisser vers la déviation de droite, vers l’opportunisme grandement affirmé. J’estime cependant que le cas de Chatounovski n’est pas caractéristique de la déviation de droite, de son aspect politique. Je crois qu’ici la palme revient à Froumkine.

(Rires.) Je parle de sa première lettre (juin 1928), ensuite de sa deuxième lettre qui a été distribuée ici aux membres du Comité central et de la Commission centrale de contrôle (novembre 1928).

Analysons ces deux lettres. Envisageons d’abord la « thèse fondamentale » de la première de ces lettres.

1. « La campagne, à part une portion insignifiante des paysans pauvres, est contre nous. » Est-ce vrai ? Non, évidemment. Si cela était vrai, il ne resterait plus aucune trace de l’alliance entre la ville et la campagne. Dire que depuis le mois de juin (date de la première lettre) presque six mois se sont déjà écoulés, et quiconque n’est pas aveugle se rend compte que l’alliance entre la classe ouvrière et les masses fondamentales de la paysannerie subsiste et se renforce. Pourquoi Froumkine a­t­il besoin d’écrire une absurdité pareille ? Pour faire peur au Parti et le rendre moins intransigeant à l’égard de la déviation de droite.

2. « L’orientation adoptée depuis quelque temps a dépouillé les paysans moyens de toutes perspectives d’avenir. »

Est-ce vrai ? Pas le moins du monde. Il est évident que si, au printemps de cette année, les principales masses de la paysannerie moyenne n’avaient pas eu de perspectives d’avenir, elles se seraient bien gardé d’étendre les emblavures de printemps dans les principales régions de la production de blé. Les emblavures de printemps s’effectuent chez nous en avril et mai.

Or, la lettre de Froumkine date de juin. Quel est en régime soviétique le principal stockeur de céréales ? L’État et la coopération qui s’y rattache. Il est évident que si la paysannerie moyenne était dépourvue de perspectives économiques, si elle se trouvait en état de « divorce » avec le régime soviétique, elle se garderait bien d’agrandir les emblavures de printemps pour complaire à l’État, qui est le principal stockeur. Froumkine avance là une absurdité manifeste. Il essaie une fois de plus d’intimider le Parti, en étalant les « horreurs » de cette absence de perspectives, afin d’arracher au Parti des concessions en faveur du point de vue que lui, Froumkine, défend.

3. « Il faut rebrousser chemin vers le XIVe et XVe congrès. » Que le XVe congrès ait été invoqué ici sans rime ni raison, cela ne fait pas l’ombre d’un doute. Ce qui importe ici, ce n’est point le XVe congrès, mais le mot d’ordre : Rebroussons chemin vers le XIVe congrès.

Qu’est­ce à dire ? Cela veut dire qu’il faut renoncer à « accentuer l’offensive contre le koulak ». (Voir la résolution du XVe congrès.)

Je ne veux pas dire du mal du XIVe congrès. Il n’en est rien. Si je le dis, c’est parce qu’en nous engageant à rebrousser chemin vers le XIVe congrès, Froumkine conteste les progrès que le Parti a réalisés dans l’intervalle du XIVe au XVe congrès et qu’en niant ces progrès il tire le Parti en arrière.

Le Plénum de juillet du C.C. s’est prononcé à ce sujet. Il a déclaré nettement dans sa résolution que ceux qui cherchent à « passer sous silence la décision du XVe congrès — à développer l’offensive ultérieure contre le koulak — sont les colporteurs de tendances bourgeoises dans notre pays ».

Je dirai franchement à Froumkine que le Bureau politique, en formulant ce passage dans la résolution du Plénum de juillet, visait précisément Froumkine et sa première lettre.

4. « Développer au maximum l’aide aux paysans pauvres qui rejoignent les exploitations agricoles collectives ». Nous avons toujours, dans la mesure de nos forces et de nos possibilités, accordé le maximum d’aide aux paysans pauvres qui rejoignaient ou non les collectivités agricoles.

Il n’y a là rien de nouveau. Ce qui est nouveau dans les résolutions du XVe congrès, c’est qu’il nous a posé comme tâche primordiale le développement intensif du mouvement de collectivisation.

En disant que nous devons accorder le maximum d’aide aux paysans pauvres allant aux exploitations agricoles collectives, Froumkine tend à esquiver, à éluder la tâche imposée au Parti par le XVe congrès et qui consiste à développer largement les exploitations agricoles collectives.

Au fond, Froumkine s’affirme contre le renforcement du secteur socialiste à la campagne, c’est-à-dire contre le développement des exploitations agricoles collectives.

5. « Il ne faut pas développer les fermes d’État sur un rythme intense et ultra ­intense ». Froumkine ne peut pas ignorer que nous ; ne faisions que commencer un travail sérieux visant à élargir les fermes d’État et à en créer de nouvelles. Froumkine ne peut pas ignorer que nous engageons à cette fin beaucoup moins de ressources qu’il n’en faudrait si nous avions des réserves.

Les mots « sur un rythme intense et ultra-intense » nous ont été servis ici pour « faire peur » aux gens et dissimuler ainsi l’opposition de l’auteur à toute extension plus ou moins sérieuse des fermes d’État. Froumkine s’affirme ainsi contre le renforcement du secteur socialiste rural dans le sens de la construction des fermes d’État.

Réunissez maintenant toutes ces thèses de Froumkine et vous aurez les caractéristiques de la déviation de droite.

Voyons maintenant la seconde lettre de Froumkine. Qu’est-­ce qui la distingue de la première ? C’est qu’elle aggrave les erreurs de la première. La première lettre disait que les paysans moyens manquaient de perspectives d’avenir.

Or, la seconde parle de la « dégradation » de l’agriculture. La première lettre recommandait de rebrousser chemin vers le XIVe congrès pour affaiblir l’offensive contre le koulak. Dans la seconde lettre nous lisons : « Nous ne devons pas gêner la production des économies agricoles koulaks ». La première lettre ne parle pas du tout de l’industrie.

La seconde développe une « nouvelle » théorie d’après laquelle il faut engager le moins de capitaux possible dans l’industrie. Il y a cependant deux points sur lesquels les deux lettres sont d’accord : c’est en ce qui concerne les exploitations agricoles collectives et les fermes d’État.

Dans l’une et l’autre des deux lettres Froumkine s’affirme contre le développement des exploitations agricoles collectives et fermes d’État. Il est donc évident que la seconde lettre ne fait qu’aggraver les erreurs de la première.

J’ai déjà parlé de la théorie de la « dégradation ». Il est hors de doute que cette théorie a été inventée de toutes pièces par les spécialistes bourgeois prêts à proclamer la faillite du régime soviétique. Le camarade Froumkine s’en est laissé imposer par les spécialistes bourgeois qui pullulent au commissariat des Finances.

Aujourd’hui, il essaie lui-même d’en imposer au Parti, afin de le rendre moins intransigeant à l’égard de la déviation de droite. Pour ce qui est du problème des exploitations agricoles collectives et des fermes d’État, il a été déjà suffisamment débattu. Aussi, n’y reviendrai-je plus.

Voyons les deux autres points : les exploitations koulaks et les investissements de fonds dans l’industrie.

Au sujet des exploitations koulaks Froumkine dit « que nous ne devons pas gêner la production des économies agricoles koulaks ».

Qu’est-ce à dire ? Cela veut dire que nous ne devons pas empêcher le koulak de développer son économie. Mais que veut dire : ne pas empêcher le koulak exploiteur de développer son économie ? Cela veut dire : libérer le capitalisme dans les campagnes, lui lâcher la bride, lui laisser la liberté d’action.

C’est là le vieux mot d’ordre des libéraux français : « laisser faire, laisser passer », c’est-à-dire laisser la bourgeoisie se livrer à ses occupations, la laisser agir en toute liberté. Ce mot d’ordre avait été arboré par les anciens libéraux français, pendant la Révolution française, pendant la lutte contre la féodalité qui gênait la bourgeoisie et entravait son évolution.

Il s’ensuit que nous devons aujourd’hui abandonner le mot d’ordre socialiste visant à limiter de plus en plus l’activité des éléments capitalistes (voyez les thèses sur les chiffres de contrôle) passer au mot d’ordre bourgeois-libéral qui vise à ne pas entraver le développement du capitalisme dans la campagne.

Aurions-nous l’intention, nous autres bolcheviks, de devenir des libéraux ? Qu’y a-t-il de commun entre ce mot d’ordre libéral de Froumkine et la ligne du Parti ?

Froumkine : Camarade Staline, lisez aussi les autres articles.

Je lis le passage tout entier : « Nous ne devons pas gêner la production des économies agricoles koulaks, tout en combattant les conditions d’esclavage de leur exploitation . » Eh ! Bien, camarade Froumkine, croyez-vous que la seconde partie de la phrase redresse la situation et ne l’aggrave pas ?

Que veut dire la lutte contre « l’exploitation esclavagiste » ? La lutte contre les conditions d’esclavage de l’exploitation n’est-elle pas le mot d’ordre de la révolution bourgeoise contre les méthodes féodales ou semi-féodales d’exploitation ?

En effet, nous avons formulé ce mot d’ordre lorsqu’il s’agissait de la révolution bourgeoise, en distinguant la forme esclavagiste d’exploitation que nous cherchions à liquider, de la forme non esclavagiste, dite « progressiste » de l’exploitation que nous ne pouvions à ce moment ni enrayer ni supprimer, puisque le régime bourgeois continuait à exister. Mais, à ce moment, nous nous acheminions vers la République démocratique-bourgeoise.

Or, aujourd’hui, nous avons, si je ne m’abuse, la révolution socialiste qui vise — et ne peut pas ne pas viser — à l’abolition de toutes les formes d’exploitation aussi bien esclavagistes que non esclavagistes.

Vous voulez donc, Froumkine, que nous abandonnions la révolution socialiste que nous sommes en train de réaliser et de pousser en avant, pour rebrousser chemin vers les mots d’ordre de la révolution bourgeoise ? Comment pouvez-vous, Froumkine, vous laisser aller à une telle absurdité ?

D’autre part, que veut dire : Ne pas entraver le développement de l’économie koulak ? Cela veut dire : laisser la liberté au koulak. Et que veut dire : laisser la liberté au koulak ?

Cela veut dire lui donner le pouvoir. Lorsque les libéraux bourgeois de France demandaient à la féodalité de ne pas s’opposer au développement de la bourgeoisie, ils formulaient des revendications concrètes pour conférer le pouvoir à la bourgeoisie. Et ils avaient raison. Pour assurer son développement, la bourgeoisie a besoin d’exercer le pouvoir.

Donc, pour être conséquent il faut dire : laissez le koulak accéder au pouvoir, car il faut se rendre compte qu’on entrave forcément le développement des koulaks, en leur retirant le pouvoir et en le concentrant aux mains de la classe ouvrière. Telles sont les conclusions qui s’imposent à la lecture de la seconde lettre de Froumkine.

Les grands travaux d’édification industrielle. Lors de la discussion des chiffres de contrôle nous étions en présence de trois chiffres : le Conseil supérieur de l’économie nationale demandait 825 millions de roubles ; la Commission des plans d’État (Gosplan) n’en accordait que 750 millions. Le commissariat du peuple aux Finances ne consentait à donner que 650 millions.

Quelle décision fut prise à ce sujet par le Comité central de notre Parti ? Il fixa le chiffre à 800 millions, soit une somme de 150 millions supérieure à celle qu’offrait le commissariat des Finances.

Que le commissariat du peuple aux Finances en offrait moins, cela n’a rien d’étonnant : la parcimonie de ce commissariat est connue de tous, et il ne saurait en être autrement.

Mais la question n’est pas là. Froumkine s’en tient au chiffre de 650 millions non par parcimonie, mais en vertu d’une théorie fraîchement éclose sur les « possibilités » en présence : il affirme dans sa seconde lettre et dans un article spécial publié par l’organe du commissariat des Finances, que nous aggraverons à coup sûr la situation de notre économie nationale en accordant au Conseil supérieur de l’économie nationale plus de 650 millions de roubles au titre des grands travaux d’édification.

Qu’est-ce à dire ? Cela signifie que Froumkine s’affirme contre le rythme actuel de développement de l’industrie, ne se rendant visiblement pas compte que le ralentissement de ce rythme de développement est de nature à empirer pour de bon l’état de toute notre économie nationale.

Et maintenant joignez ensemble ces deux points de la seconde lettre de Froumkine, le point concernant l’économie koulak et celui des grands travaux de construction industrielle, ajoutez-y la théorie de la « dégradation » et vous verrez apparaître la physionomie de la déviation de droite.

Voulez-vous savoir ce qu’est la déviation de droite et sous quel aspect elle se présente ? Lisez les deux lettres de Froumkine, étudiez-les et vous serez fixés.

Voilà donc la physionomie de la déviation de droite.

Mais les thèses ne parlent pas que de la déviation de droite. Elles parlent aussi de la déviation dite de « gauche ». Qu’est-ce au juste que la déviation de « gauche » ? Existe-t-elle réellement dans le Parti ?

Des tendances hostiles au paysan moyen, comme l’affirment nos thèses, des tendances à la surindustrialisation du pays, etc. se font-elles réellement jour dans notre parti ? Oui, certes. A quoi donc se ramènent-elles ?

Elles se ramènent au trotskisme.

Déjà le C.C. élargi de juillet l’avait constaté. Je veux parler de la résolution bien connue sur la politique du stockage des blés, où il est dit que nous devons engager la lutte sur deux fronts : contre ceux qui cherchent à nous faire rebrousser chemin depuis le XVe congrès — c’est la droite — et contre ceux qui entendent transformer des mesures extraordinaires en l’orientation permanente du Parti — ce sont les tendances de « gauche », les tendances trotskystes. Il est évident que des éléments trotskistes et la tendance à l’idéologie trotskiste se manifestent au sein de notre parti. Je crois que lors de la discussion d’avant le XVe congrès, 6.000 membres du Parti ont voté contre notre plate-forme.

Une voix : Dix mille.

Je crois que si dix mille ont voté contre, deux fois dix mille militants du Parti sympathisant avec le trotskisme n’ont pas voté du tout, puisqu’ils n’étaient pas venus aux réunions. Ce sont les mêmes éléments trotskistes restés dans le Parti et qui ne se sont pas encore— j’imagine — affranchis de l’idéologie trotskiste.

En outre, il est, je crois, des éléments qui ont rompu, par la suite, avec l’organisation trotskiste et sont revenus au Parti, sans s’être dégagés totalement de leur mentalité trotskiste ; ceux-là aussi ne se font évidemment pas faute de propager leurs idées parmi les membres du Parti.

Enfin, on assiste à une certaine renaissance de l’idéologie trotskiste dans maintes organisations de notre parti. Mettez ensemble tous ces faits et vous aurez tout ce qu’il faut pour trouver dans le Parti une déviation vers le trotskisme.

Rien d’étonnant : est-il possible qu’avec l’atmosphère petite-bourgeoise qui entoure le Parti et la pression qu’elle exerce sur lui, ce dernier soit affranchi de toutes tendances trotskistes ? Faire arrêter et déporter les cadres des trotskistes est une chose ; en finir avec l’idéologie trotskiste, en est une autre. Cela est autrement difficile. Nous disons donc : là où il y a déviation de droite, il doit y avoir aussi déviation de « gauche ».

La déviation de « gauche » n’est que l’ombre de la déviation de droite. Lénine disait, en parlant des otzovistes [Tendance existant an sein du P.O.S.D.R. vers 1908-10 qui exigeait d’abord le rappel des députés s.d. de la IIIe Douma et qui eut ensuite encore d’autres points de vue propres.], que ceux de la « gauche » étaient des menchéviks à rebours. C’est tout à fait juste. Il en est de même pour ceux de la « gauche » d’aujourd’hui.

Ceux qui dévient vers le trotskisme ne représentent, au fond, que la droite à rebours, droite qui s’abrite derrière la phraséologie de gauche.

C’est pourquoi nous avons à mener le combat sur deux fronts : contre la déviation de droite et contre la déviation de « gauche ».

On peut nous objecter : puisque la déviation de « gauche » n’est, au fond, que la droite opportuniste, où est la différence entre elles et à quoi se résume la lutte sur deux fronts ?

En effet, puisque la victoire de la droite revient à augmenter les chances de succès de la restauration capitaliste, et si le triomphe de la « gauche » aboutit au même résultat, quelle différence y a-t-il donc entre ces deux déviations et pourquoi les appelle-t-on, l’une de « droite » et l’autre de « gauche » ?

Si la différence subsiste, en quoi consiste-t-elle ? N’est-il pas vrai que les deux déviations ont la même origine sociale, qu’elles sont des déviations petites-bourgeoises ? N’est-il pas vrai que l’une et l’autre, en cas de triomphe, aboutiraient aux mêmes résultats ? Où est donc la différence entre elles ?

La différence, c’est qu’elles ont des plates-formes distinctes, des tâches différentes, des méthodes d’action et des procédés différents.

Si la droite dit : « Il ne fallait pas construire le Dniéprostroï », et que la gauche, par contre, objecte : « Que voulez-vous que nous fassions d’un seul Dniéprostroï, donnez-nous en pour le moins un par an » (Rires), il faut croire que la différence est patente.

Si la droite dit : « Ne touchez pas au koulak, laissez-le se développer en toute liberté », la gauche, par contre, objecte : « Frappez aussi bien le koulak que le paysan moyen, parce que celuo-ci est propriétaire au même titre que le koulak », il faut reconnaître que la différence est manifeste entre ces deux déviations.

Si la droite dit : «Des difficultés surviennent, ne ferions-nous pas bien de capituler ? », la gauche, par contre, objecte : « Oh ! les difficultés, on s’en « bat l’œil » de vos difficultés, prenons notre élan » (Rires), il faut avouer qu’il existe bien une différence entre ces deux déviations.

Voilà donc un tableau de la plate-forme particulière et des procédés spécifiques de la « gauche ».

C’est à cela que tient, évidemment, la raison qui fait que la « gauche » réussit à attirer un certain nombre d’ouvriers à l’aide de phrases radicales sonores, et à se faire passer pour l’adversaire le plus résolu de la droite — encore que tout le monde sache que la déviation de droite et celle de « gauche » reposent sur la même base sociale, et qu’il leur arrive souvent deconjuguer leurs efforts pour combattre la ligne léniniste.

Voilà pourquoi nous autres léninistes devons combattre sur deux fronts : contre la déviation de droite et contre celle de « gauche ».

Mais si la tendance trotskiste représente la déviation de « gauche », est-ce à dire que la « gauche » soit plus à gauche que le léninisme ? Nullement. Le léninisme est le courant le plus à gauche (sans guillemets) dans le mouvement ouvrier mondial.

Nous autres, léninistes, nous avons fait partie de la IIe Internationale, avant la guerre impérialiste, comme la fraction extrême gauche des social-démocrates.

Nous avons quitté la IIe Internationale et prêché la scission au sein de cette Internationale, parce que nous ne voulions pas, en tant que fraction extrême gauche, coudoyer dans le même parti les traîtres petits-bourgeois du marxisme, les social-pacifistes et les social-chauvins. Cette tactique et cette idéologie ont été mises, plus tard, à la base de tous les partis bolcheviks du monde. Dans notre parti, nous autres, léninistes, nous sommes la seule gauche sans guillemets.

Voilà pourquoi nous ne représentons ni la droite ni la « gauche » dans notre propre parti.

Nous sommes le parti des marxistes-léninistes. Or, au sein de notre parti, nous combattons non seulement ceux que nous traitons ouvertement de droitiers, mais ceux encore qui veulent être plus « à gauche » que le marxisme, plus « à gauche » que le léninisme, en masquant leur nature de droite opportuniste sous des phrases radicales sonores.

Tout le monde comprendra que c’est par ironie qu’on applique le terme de « gauches » à ceux qui ne se sont pas encore affranchis des tendances trotskistes. Lénine appliquait aux « communistes de gauche » la dénomination de gauches, tantôt sans et tantôt avec guillemets.

Mais tout le monde se rend compte que c’est par ironie que Lénineles nommait ainsi, voulant souligner par là qu’ils ne sont radicaux

qu’en paroles, qu’en apparence, mais qu’en réalité ils représentent les tendances petites-bourgeoises de droite.

Peut-on sérieusement parler de radicalisme (sans guillemets), des éléments trotskistes qui, hier encore, formaient, avec les éléments franchement opportunistes, un seul bloc antiléniniste, et s’associaient ouvertement aux couches antisoviétiques du pays ? N’est-il pas établi qu’hier encore la « gauche » et la droite étaient liguées contre le Parti de Lénine, et que ce bloc était incontestablement soutenu par les éléments bourgeois ?

N’est-il pas évident que la « gauche » et la droite n’auraient pu se grouper dans un même bloc, si elles n’avaient pas de racines sociales communes, si elles n’étaient pas dotées d’une même nature opportuniste ? Le bloc des trotskistes s’est désagrégé il y a un an.

Une partie de la droite, tel le camarade Chatounovski, a abandonné ce bloc.

Par conséquent, ceux du bloc de droite s’affirmeront désormais comme les représentants de la droite, alors que la « gauche » cherchera à camoufler sa nature de droite sous des phrases gauchistes. Mais où est la garantie que la « gauche » et la droite ne finiront par se rejoindre un jour ? (Rires.) Il est évident qu’il ne saurait être question d’aucune garantie.

Mais dès l’instant où nous nous affirmons pour le mot d’ordre de lutte sur deux fronts, est-ce à dire que nous proclamons par là même la nécessité du centrisme dans notre parti ? Que veut dire : lutter sur deux fronts ? N’est-ce pas du centrisme ?

Vous savez que c’est justement ainsi que les trotskistes cherchent à représenter la chose ; ils disent : il y a la « gauche », c’est nous, les trotskistes, les « vrais léninistes » ; il y a la « droite », ce sont les autres ; il y a enfin les « centristes », qui oscillent entre la droite et la « gauche ». Cette conception de notre parti est-elle juste ?

Non évidemment. Seuls des gens dont les idées sont embrouillées et qui ont rompu avec le marxisme depuis longtemps peuvent émettre des opinions semblables.

Seuls des gens qui ne perçoivent pas la différence de principes entre le Parti social-démocrate d’avant guerre, parti du bloc des intérêts prolétariens et petits-bourgeois, et le Parti communiste — parti monolithe du prolétariat révolutionnaire — peuvent raisonner ainsi.

Le centrisme n’est pas une notion d’espace : ici, c’est la droite, là, c’est la « gauche » ; au milieu, les centristes.

Le centrisme est une notion politique. Son idéologie est celle du conformisme, l’idéologie de la subordination des intérêts prolétariens à ceux de la petite bourgeoisie au sein d’un parti commun. Or, cette idéologie est étrangère et contraire au léninisme.

Le centrisme est un phénomène inhérent à la IIe Internationale d’avant-guerre.

Il y avait là une droite (la majorité) et une gauche (sans guillemets) et des centristes, dont la politique consistait à farder, par des phrases gauchistes, l’opportunisme de la droite et de subordonner la gauche à la droite. En quoi consistait, à l’époque, la politique de la gauche, dont le noyau était constitué par les bolcheviks ?

A lutter vigoureusement contre les centristes, pour la séparation avec la droite (notamment au début de la guerre impérialiste) et à travailler à la formation d’une nouvelle Internationale révolutionnaire comprenant les éléments réellement gauches, réellement prolétariens.

Comment a pu surgir, à l’époque, ce rapport des forces et cette politique des bolcheviks à l’intérieur de la IIe Internationale ? Parce que la IIe Internationale représentait à ce moment le bloc des intérêts prolétariens et petits-bourgeois, pour servir les social-pacifistes et les social-chauvins petits-bourgeois.

Parce que les bolcheviks ne pouvaient pas ne pas concentrer à ce moment le feu contre les centristes qui cherchaient à subordonner les éléments prolétariens aux intérêts petits-bourgeois. Parce que les bolcheviks se voyaient obligés alors de prêcher la scission, sans laquelle les prolétaires n’auraient pas pu organiser leur propre parti révolutionnaire marxiste.

Peut-on affirmer qu’il existe aujourd’hui, dans notre parti, le même rapport des forces et que nous devons suivre la même politique que celle suivie par les bolcheviks dans les partis de la IIe Internationale de la période d’avant-guerre ?

Il est évident que non. Car ce serait méconnaître la différence de principes qui existe entre un parti du bloc des intérêts prolétariens et petits-bourgeois, et le parti monolithe du prolétariat révolutionnaire.

Là (chez les social-démocrates), le Parti avait une base de classe distincte ; ici (chez les communistes), il y en a une autre toute différente.

Là, au sein de la social-démocratie, le centrisme était un phénomène normal, puisqu’un parti représentant des intérêts hétérogènes ne peut se passer de centristes, et les bolcheviks étaient obligés de s’engager dans la voie de la scission. Ici (chez les communistes), le centrisme est inadmissible ; il est incompatible avec la discipline léniniste, puisque le Parti communiste est un parti monolithe du prolétariat et non un parti représentant les intérêts des différents éléments de classe.

Et puisque la force dominante dans notre parti est constituée par le courant le plus radical du mouvement ouvrier mondial (le léninisme), la politique de scission dans notre parti ne se justifie et ne peut être justifiée aucunement du point de vue léniniste.

Une voix : La scission est-elle possible ou non dans notre parti ?Il ne s’agit pas de savoir si la scission est possible ou non ; je tenais simplement à montrer que la politique scissionniste, dans notre parti léniniste monolithe, ne saurait être justifiée du point de vue léniniste. Quiconque ne comprend pas cette différence de principe agit à rencontre du léninisme, rompt avec ce dernier.

C’est pourquoi je pense que seuls les fous, des gens entièrement détachés du marxisme, peuvent affirmer sérieusement que la politique de notre parti, la politique de la lutte sur deux fronts est une politique centriste.

Lénine a toujours lutté sur deux fronts dans notre parti, il a combattu la « gauche » et les déviations franchement menchéviks. Parcourez la brochure de Lénine la Maladie infantile du communisme, consultez l’histoire de notre parti, et vous vous rendrez compte que celui-ci a grandi et s’est raffermi à travers la lutte contre les deux déviations — celle de droite et celle de « gauche ».

Lutte contre les otzovistes et les communistes de « gauche », d’une part ; lutte contre la déviation franchement opportuniste avant la révolution d’Octobre, pendant la révolution d’Octobre et depuis cette révolution, telles sont les phases que notre parti a traversées dans son évolution. Tout le monde se rappelle les paroles de Lénine disant que nous devons combattre l’opportunisme aussi bien que les doctrinaires de « gauche ».

Est-ce à dire que Lénine fut un centriste, qu’il ait suivi la politique du centrisme ? Non, évidemment.

Mais alors, qu’est-ce donc que les déviations de droite et de « gauche « ? En ce qui concerne la déviation de droite, on ne saurait l’assimiler à l’opportunisme des social-démocrates d’avant-guerre. La déviation vers l’opportunisme ce n’est pas encore de l’opportunisme.

Nous savons comment Lénine expliquait, dans le temps, l’idée « déviation ».La déviation à droite est une déformation qui n’a pas encore pris la forme de l’opportunisme et que l’on peut encore corriger.

Aussi ne doit-on pas identifier la déviation à droite avec l’opportunisme achevé. Quant à la déviation de « gauche », elle est l’opposé de ce qu’étaient ceux de l’extrême gauche dans la IIe Internationale d’avant-guerre, c’est-à-dire les bolcheviks.

Non seulement ils n’appartiennent pas à la gauche sans guillemets, mais ils sont, en fait, les mêmes droitiers, avec cette différence, toutefois, qu’ils dissimulent inconsciemment leur nature véritable sous des phrases gauchistes. Ce serait un crime contre le Parti que de ne pas voir l’abîme qui sépare la déviation de « gauche » des léninistes authentiques, les seuls représentants de la gauche (sans guillemets) dans notre parti.

Une voix : Et la légalisation des déviations ?

Si la lutte ouverte contre les déviations est une légalisation, il faudra avouer que Lénine les a « légalisées » depuis longtemps.

Ces droitiers aussi bien que ces « gauchistes », se recrutent parmi les éléments les plus variés des couches sociales non prolétariennes, éléments qui reflètent la pression de l’atmosphère petite-bourgeoise sur le Parti et la décomposition de certains maillons de notre parti.

Ex-adhérents à d’autres partis ; individus à tendances trotskistes ; fragments d’anciennes fractions dans le Parti ; militants du Parti en train de se bureaucratiser (ou qui se sont déjà bureaucratisés) dans l’appareil administratif, économique, coopératif, syndical, et qui, au sein de cet appareil, font bloc avec les éléments franchement bourgeois de ces appareils ; les membres du Parti aisés dans nos organisations rurales, qui s’apparentent aux koulaks, etc., telle est la source qui alimente les déviations à l’égard de la ligne léniniste. Il est évident que ces éléments sont incapables de s’assimiler quoi que ce soit de réellement gauche, de réellement léniniste.

Par contre, ce dont ils sont capables, c’est de faire naître une déviation franchement opportuniste ou la déviation dite de « gauche », qui masque son opportunisme sous des phrases gauchistes.

Voilà pourquoi la lutte sur les deux fronts est la seule politique juste du Parti.

Poursuivons. Les thèses déclarent que la méthode essentielle de lutte contre la déviation de droite doit être la lutte idéologique largement déployée. Est-ce juste ? Je crois que oui. Il serait bon de se rappeler l’expérience de la lutte contre le trotskisme. Par où avons-nous commencé le combat ? Est-ce par des mesures disciplinaires ?

Non, évidemment. Nous avons commencé la lutte par des moyens idéologiques. Nous l’avons livrée de 1918 à 1925. Déjà en 1924 notre parti, et, en 1925, le Ve congrès de l’I.C., avaient adopté une résolution sur le trotskisme en le qualifiant de déviation petite­ bourgeoise. Cependant, Trotski continuait de siéger, chez nous, aussi bien au C.C. qu’au Bureau politique.

Est-ce vrai ou non ? Oui. Donc, nous avons « toléré » Trotski et les trotskistes au Comité central. Comment se fait-il que nous ayons supporté leur présence dans les organes dirigeants du Parti ?

Mais parce que les trotskistes, à l’époque, en dépit de leurs divergences de vues avec le Parti, se soumettaient aux décisions du C.C. et observaient une attitude loyale. Quand nous sommes-nous mis à user à leur égard, dans une mesure plus ou moins large, de mesures d’organisation ?

Lorsqu’ils se furent constitués en fraction ; après qu’ils eurent créé leur centre, transformé leur fraction en un nouveau parti et appelé les masses à des manifestations antisoviétiques. Je crois que nous devons suivre la même voie pour la lutte contre la déviation de droite.

La déviation de droite n’est pas encore une tendance nettement affirmée, cristallisée, encore qu’elle prenne de plus en plus d’extension dans le Parti. Elle ne fait que se préciser et se cristalliser.Les droitiers ont-ils une fraction à eux ? Je ne le pense pas. Peut-on affirmer qu’ils ne se soumettent pas aux décisions du Parti ? Nous ne sommes pas encore fondés à les en accuser.

Peut-on affirmer que les droitiers finiront par constituer une fraction à eux ? J’en doute. Une conclusion s’impose : dans le stade actuel, la méthode essentielle de lutte contre la déviation de droite doit être une lutte idéologique largement déployée.

Cela est d’autant plus juste que parmi certains militants de notre parti se fait jour une tendance inverse, visant à amorcer la lutte contre la déviation de droite non par des méthodes idéologiques, mais par des mesures disciplinaires.

Voici ce qu’ils disent : Livrez-nous une dizaine ou une vingtaine de ces droitiers et nous ne serons pas longs à leur régler leur compte et à en finir avec la déviation de droite. J’estime, camarades, que de pareilles méthodes d’action ne sont pas justes ; elles nous sont préjudiciables.

C’est pour ne pas nous laisser aller à de telles méthodes, c’est pour orienter la lutte contre la déviation de droite dans la bonne voie que nous croyons de notre devoir de proclamer, haut et clair, qu’au stade actuel la méthode essentielle de lutte contre la déviation de droite, est la lutte idéologique.

Est-ce à dire que nous excluons l’éventualité de mesures disciplinaires ?

Non, évidemment. Cela veut dire, toutefois, que les peines disciplinaires doivent jouer ici un rôle secondaire : si les décisions ne sont pas violées par les droitiers, nous ne devons pas les exclure des organisations ou institutions dirigeantes.

Une voix : Et l’expérience de Moscou ?

Je pense que parmi les camarades dirigeants de Moscou il n’y avait pas de droitiers. Il y a eu au sein de cette organisation une position fausse envers la tendance de droite. Il serait plus exact de dire qu’il s’agissait là d’une tendance à la conciliation avec la déviation de droite. Mais je ne puis affirmer qu’une déviation de droite ait existé au Comité de Moscou.

Une voix : Et la lutte sur le terrain d’organisation ?

Oui, il y avait bien la lutte sur le terrain d’organisation, bien qu’elle n’y ait occupé qu’une place secondaire. Cette lutte s’est engagée parce qu’à ce moment on était à Moscou en pleine campagne électorale qui se poursuivait sur la base de l’autocritique, et que les militants des comités de rayon ont le droit de remplacer leurs secrétaires. (Rires.)

Une voix : Est-ce que les élections des secrétaires avaient été annoncées ?

Le remplacement des secrétaires par voie d’élection n’a jamais été défendu chez nous. L’appel de juin du Comité central déclare, en termes précis, que l’autocritique peut devenir un vain mot, si on n’accorde pas aux organisations de base le droit de remplacer n’importe quel secrétaire, n’importe quel comité. Que pouvez-vous objecter contre un tel appel ?

Une voix : Avant la conférence du Parti ?

Oui, mettons avant la conférence du Parti. J’aperçois un sourire d’augure sur le visage de certains camarades. Ce n’est pas bien. Je vois que certains d’entre vous brûlent de relever au plus vite de leurs fonctions tels représentants de la déviation de droite. Seulement, ce n’est pas là une solution. Bien entendu, il est plus facile de destituer des fonctionnaires que d’engager une vaste campagne d’éclaircissement pour expliquer aux masses en quoi consiste la déviation de droite, le danger de droite et comment on doit le combattre. Pourtant, le plus facile n’est pas le meilleur.

Donnez-vous donc la peine d’organiser une vaste campagne explicative contre le danger de droite, sans ménager votre temps, et vous verrez que plus cette campagne sera large et profonde, et plus la déviation de droite s’en ressentira. C’est pourquoi j’estime que le gros de notre lutte contre la déviation de droite doit être la lutte idéologique.

Quant au Comité de Moscou, je ne vois pas très bien ce que l’on pourrait ajouter à ce qu’a dit le camarade Ouglanov dans son discours de clôture au Plénum du comité élargi du Parti et de la Commission de contrôle de Moscou.

Il a déclaré littéralement ceci : « Que l’on se rappelle un peu l’histoire ; que l’on se souvienne comment, en 1921, je me suis battu avec le camarade Zinoviev à Léningrad, et l’on devra avouer qu’à ce moment la « bataille » était de beaucoup plus sérieuse. Nous fûmes vainqueurs parce que nous avions raison. Aujourd’hui, nous avons été battus parce que nous étions dans notre tort. Cette leçon nous servira. »

Ainsi le camarade Ouglanov a livré le combat aujourd’hui tout comme il l’avait fait, en son temps, contre Zinoviev. Mais à qui a-t-il livré la bataille ? A la politique du C.C., sans doute. A qui encore ? Sur quelle base ? Visiblement, sur la base de la conciliation avec la déviation de droite.

Voilà pourquoi les thèses soulignent avec raison la nécessité de combattre la conciliation avec les déviations de la ligne léniniste et, en particulier, la conciliation à l’égard de la déviation de droite et proclament cette lutte comme une des tâches urgentes de notre parti.

Enfin, une dernière question. Il est dit dans les thèses que nous devons, à l’heure actuelle, souligner surtout la nécessité de lutter contre la déviation de droite.

Qu’est-ce à dire ? Cela veut dire qu’à l’heure actuelle le danger de droite constitue la menace la plus grave pour notre parti. La lutte contre les tendances trotskistes, lutte ramassée, par surcroît, se poursuit chez nous depuis déjà une dizaine d’années. Cette lutte a abouti à la débâcle des cadres essentiels du trotskisme.

On ne saurait affirmer qu’au cours de ces derniers temps la lutte contre la déviation franchement opportuniste se soit poursuivie avec

autant de vigueur. Or, si cette lutte n’a pas été jusqu’à présent assez intense, c’est que la déviation de droite est encore chez nous, dans sa période de formation et de cristallisation ; elle se renforce et s’accroît dans la mesure où la pression petite-bourgeoise due aux difficultés engendrées par le stockage de blé se renforce. Voilà pourquoi nous devons diriger le gros de nos efforts contre la déviation de droite.

En terminant, je tiens à signaler, camarades, encore un fait dont on n’a pas parlé ici et qui, à mon avis, présente un intérêt considérable.

Nous, membres du Bureau politique, vous avons soumis nos thèses sur les chiffres de contrôle. Dans mon discours, j’ai défendu ces thèses que je considère comme absolument justes. Il est possible qu’elles comportent des amendements. Mais, dans leurs grandes lignes, elles sont justes et nous assurent la réalisation rigoureuse de la ligne léniniste.

Cela ne fait aucun doute. Je tiens à vous dire que ces thèses ont été adoptées au Bureau politique à l’unanimité. Je crois que ce point a de l’importance étant donné surtout les bruits que font courir dans nos rangs les personnes malveillantes, les ennemis de notre parti.

Je veux parler des bruits tendant à faire croire qu’il y aurait au sein du Bureau politique une déviation de droite, une déviation de « gauche », une tendance à la conciliation et bien d’autres choses encore.

Puissent ces thèses apporter une fois de plus, pour la centième ou cent et unième fois, la preuve que nous sommes tous, au Bureau politique, unis jusqu’au bout et le resterons. Je forme le vœu que le Plénum adopte avec la même unanimité l’essentiel de ces thèses. (Applaudissements).

Pravda n° 273,
24 novembre 1928


Revenir en haut de la page.