Interview réalisée par l’A.P.E.P.

1. – Pourriez-vous nous donner des détails sur l’expérience vécue par le peuple chilien depuis le coup d’état militaire fasciste ?

Le coup d’état militaire fasciste au Chili ne signifie pas seulement pour le peuple chilien la répression la plus monstrueuse qu’il ait eu à subir au cours de son histoire, mais prend place également dans l’histoire contemporaine comme l’une des répressions les plus brutales et sanglantes que jamais pays ait du souffrir.

Plus de 30.000 personnes ont été assassinées. Plus de 150 mille autres sont passées par les prisons et les camps de concentration et plusieurs milliers s’y trouvent encore. Les tortures les plus brutales et les plus raffinées ont été et continuent d’être appliquées comme procédure « normale » d’interrogatoire ou comme simple vengeance.

Divers tribunaux internationaux ont dénoncé, entre autres, comme tortures utilisées : l’application d’électrodes sur les parties génitales, anus et gencives ; viols collectifs ou au moyen d’animaux ; immersion dans des bains d’excréments ou de pétrole ; brûlures à l’acide ou au feu ; mutilations, fractures, coupures, « torniquetes » ; séjours dans des tambours métalliques jusqu’à provoquer la déchirure des tympans ou la folie, etc…

A ces tortures physiques, employées par les fascistes sadiques qui gouvernent le Chili, doivent être ajoutées un grand nombre de tortures psychiques : fusilations simulées, violations ou tortures en présence de membres de la famille, obligation de réaliser dans le plus simple appareil les tâches les plus humiliantes et dégradantes devant la troupe, etc…

Mais la répression ne s’est pas seulement traduite par des actes de violence directe contre les personnes ; elle a entraîné la destruction complète des institutions et garanties démocratiques bourgeoises existant au Chili depuis plusieurs décennies.

Ont été supprimés : le Parlement, les élections (jusqu’aux registres brûlés), tous les partis politiques, la Centrale Unique des Travailleurs ainsi que toutes les autres organisations syndicales, la plus grande partie des organes de presse, radio, télévision. On a assisté à la mise à feu, comme au Moyen Age, des livres considérés comme subversifs, à l’élimination à l’intérieur des universités de tous les professeurs, élèves, chaires et même carrières susceptibles d’avoir aux yeux des fascistes certaines affinités avec le marxisme.

Les législation et procédure les plus rigoureuses ont été et sont observées au cours des procès tenus devant des tribunaux militaires comme en période de guerre. Et cependant, même ces normes légales les plus dures ne sont pas respectées dans la pratique et l’arbitraire le plus répressif est de ‘rigueur. Depuis le golpe, le pays a été maintenu dans une situation d’exception : état de siège ou état de guerre et couvre-feu en permanence.

Les droits syndicaux les plus élémentaires ont été abolis : droit de grève, d’élection, de réunion, etc… ainsi que les privilèges sociaux et économiques déjà conquis par les travailleurs. Des dizaines de milliers parmi ceux-ci ont été expulsés de leur travail, et ce au mépris de toutes les garanties légales. La journée de travail a, peu à peu, été prolongée arbitrairement dans de nombreuses entreprises et les congés légaux ont été supprimés.

Tous ces actes de répression sont intervenus après que les militaires fascistes aient déclaré une véritable guerre au peuple : bombardement du Palais Présidentiel et assassinat du Président de la République, bombardement et prise d’assaut des poblaciones, industries, écoles, fundos et autres points de concentration des masses. A la veille du coup d’état déjà, une purge impitoyable était entreprise à l’intérieur des casernes afin d’éliminer, au sein même des Forces Armées, les éléments non ouvertement favorables aux golpistes.

Et je voudrais, en conclusion de ce qui vient − trop brièvement − d’être dit sur ce qu’a été et continue d’être la répression fasciste au Chili depuis le coup d’état militaire, rapporter l’opinion exprimée par Leopoldo Torres, Secrétaire Général du Mouvement des Juristes Catholiques et membre de la Commission Internationale des Juristes, après qu’il eut enquêté au Chili en octobre 1973, c’est-à-dire au moment où la répression commençait : «… La situation et les actes criminels de la junte au Chili peuvent être qualifiés de tentative de génocide ainsi qu’il est défini dans la Convention des Nations Unies ».

2. – Comment expliquer selon vous que le gouvernement Allende et les forces politiques et syndicales qui le soutenaient − lesquelles apparemment étaient assez nombreuses (plus de 40% des voix encore en mars 73) − aient opposé une résistance aussi faible au coup d’état fasciste ?

Nous touchons là à l’aspect clef indispensable pour comprendre les évènements survenus au Chili. Des centaines de livres et brochures ont été écrits dans le but de dénoncer la brutalité du coup d’état fasciste au Chili. Mais aucune analyse critique véritable n’a été faite de la politique qui a rendu possible le coup d’état, c’est-à-dire de la politique opportuniste des dirigeants du vieux parti « communiste » du Chili, lesquels se sont servis de la campagne de dénonciation des crimes fascistes pour détourner l’attention et faire oublier leur propre responsabilité. Mais l’expérience tragique du Chili a prouvé à nouveau au moins très clairement une chose, et c’est que l’opportunisme, le réformisme et le faux marxisme sont véritablement l’antichambre du fascisme.

L’impuissance du gouvernement de l’Unité Populaire à réaliser son programme de réformes et à empêcher le coup d’état est à attribuer à l’idéologie et à la politique qui le dominaient, c’est-à-dire la politique et l’idéologie opportunistes imposées par les dirigeants du parti « communiste » pro-soviétique sous la conduite de Corvalàn.

L’écrasement du gouvernement de l’UP ainsi que la tragédie vécue par le peuple chilien en conséquence du coup d’état fasciste ne sont autre que l’expression de l’échec éclatant de l’illusion qui veut que le socialisme puisse être atteint par une « voie pacifique ».

Ce qui est arrivé au Chili prouve que « la voie pacifique » n’autorise même pas des réformes relativement avancées, et donc moins encore un cheminement quelconque vers le socialisme. Les dirigeants du vieux PC « sovietincha », ainsi que Corvalàn lui-même aimait à l’appeler, ont essayé d’appliquer cette « voie pacifique » au Chili, et ce pour répondre aux exigences de leurs patrons et mentors idéologiques, les dirigeants soviétiques. Les résultats de cette expérience anti-marxiste et révisionniste du marxisme parlent d’eux-mêmes.

On ne peut être plus éloquent. Et cependant, certains dirigeants de ce même faux parti communiste, comme Volodia Teitelboim par exemple, s’entêtent dans leurs erreurs et continuent d’affirmer, avec le plus grand cynisme et un manque total de responsabilité, que les 3 années de survie de l’UP et de son gouvernement sont la preuve de la viabilité de la « voie pacifique » au socialisme. Ce qui démontre bien la nécessité de démasquer et d’immobiliser ces traîtres qui persistent dans leur intention de conduire, tels des agneaux, le peuple chilien à l’abattoir.

Le programme de réformes de l’UP affectait les intérêts de certaines entreprises de l’impérialisme yankee, de l’oligarchie terrienne et de la bourgeoisie monopoliste chilienne, c’est-à-dire précisément des secteurs de la classe dominante qui contrôlaient le pouvoir au Chili.

Car la victoire de l’UP lors des élections présidentielles de 1970 ne lui avait permis d’obtenir qu’une faible partie de ce pouvoir réactionnaire : une partie du pouvoir exécutif. Le Parlement, la Justice, la plus grande partie des mass-media (presse, radio, télévision, etc.), les entreprises fondamentales et, par-dessus tout, les Forces Armées, pilier de l’Etat bourgeois, demeuraient aux mains des réactionnaires.

Et bien que le programme de l’UP eut été réformiste, il n’entendait pas liquider à fond le pouvoir économique (et encore moins politique) des principaux ennemis de classe du peuple chilien, pas plus qu’il ne voulait réellement confier au peuple les biens reconquis.

Il s’agissait donc, vu le contexte dans lequel on entendait réaliser ces réformes, d’une aventure véritablement « gauchiste ». En d’autres termes, on a prétendu agir comme si le pouvoir avait été conquis, et cela sans l’avoir conquis.

La « logique » de cette absurdité doit être recherchée dans le projet opportuniste que les dirigeants soviétiques ont voulu faire appliquer au Chili par l’équipe « pro-soviétique » sous la direction du vieux PC. Selon l’idée − absurde − de base, les entreprises yankees et les secteurs réactionnaires chiliens directement atteints par les réformes et expropriations, tolèreraient néanmoins ces dernières si elles intervenaient dans le contexte de leurs propres lois et institutions.

En d’autres mots, on partait de l’idée fausse, anti-marxiste et en opposition avec toute l’expérience historique mondiale, qu’un élément de la superstructure − la fidélité prétendue des réactionnaires aux institutions démocratiques bourgeoises − serait plus fort que la base économique des intérêts de classe de ceux-ci. Et ces marxistes de pacotille osent ensuite se plaindre !

Les résultats obtenus par eux sont à peu près comparables à ceux qu’obtiendrait tout mauvais médecin qui tenterait de soigner un malade avec des doses insuffisantes d’antibiotiques, et qui ne réussirait qu’à multiplier et rendre plus virulents encore les microbes qu’il voulait précisément combattre.

Car, comme il fallait s’y attendre, les réactionnaires chiliens et les entreprises impérialistes, directement atteintes dans leurs intérêts, réagirent et firent front violemment, utilisant de façon implacable tous les moyens légaux et extra-légaux à leur disposition pour renverser le gouvernement Allende.

De façon paradoxale, on pourrait presque dire qu’en luttant pour renverser le gouvernement de l’UP, ils ont donné aux faux marxistes qui dirigent le vieux PC du Chili un caractère de classe véritablement « marxiste », Ils ont utilisé toutes les institutions et toutes les lois à leur service, agissant parallèlement de manière illégale, clandestine et terroriste ; ils ont tiré parti de LEURS Forces Armées et formé des groupes armés illégaux; ils ont rallié, autour de leurs intérêts concrets, de vastes secteurs des masses dans le but politique très clair de renverser le gouvernement ; ils ont fait obstruction aux plans du gouvernement en s’aidant des lois et des institutions en place, sabotant simultanément et dans la pratique l’économie, etc…

La direction de l’UP et le gouvernement Allende quant à eux, opérant dans le cadre de la politique opportuniste imposée par Corvalàn et sa clique, se trouvaient absolument impuissants à combattre une pareille offensive.

Examinons en 3 points ce qui a paralysé ces derniers alors qu’ils subissaient les coups implacables de leurs tout puissants ennemis de classe.

Il s’agit, en tout premier lieu, de leur résistance et de leur incapacité à mobiliser les grandes masses populaires pour écraser les réactionnaires et conquérir réellement le pouvoir. Ils ne pouvaient le faire car tel n’était pas le but recherché par les mentors idéologiques de l’expérience UP, les dirigeants du vieux PC, qui ne désiraient en fait qu’une chose : développer l’aire de l’état aux dépends des entreprises de la grande bourgeoisie et de l’impérialisme pour dresser là leur propre bourgeoisie bureaucratique. En d’autres termes, développer un capitalisme d’état sous couvert d’un pseudo-socialisme comme en URSS, Tchécoslovaquie, Pologne et autres nations d’Europe Orientale.

En second lieu, nous trouvons la prétention de l’UP de réaliser des réformes, qui détruisaient en grande partie la base économique des secteurs dominants, étrangers et nationaux, en se soumettant rigoureusement à la légalité et institutionnalisé de l’Etat bourgeois, au lieu de le détruire. Et ce, alors que les réactionnaires faisaient ouvertement fi de leurs propres lois et institutions.

Et enfin, en troisième lieu et comme autre aspect de ce qui vient d’être dit, la croyance stupide et anti-marxiste que les Forces Armées chiliennes étaient neutres et se limiteraient à exiger le respect par tous des institutions en place. C’est-à-dire, la conviction qu’il ne s’agissait pas en fait de forces répressives au service des classes dominantes.

Et nous voyons le gouvernement Allende et les forces qui le soutenaient, alors qu’ils agonisaient sous les coups féroces des réactionnaires (ainsi que de vastes secteurs moyens et de certains travailleurs mêmes gagnés à la cause des réactionnaires en conséquence de la crise) se refuser à mobiliser le peuple pour combattre ces ennemis et conquérir le pouvoir, et se soumettre aux lois et aux institutions bourgeoises qui leur liaient totalement les mains.

Et ils couvrirent de louanges et accordèrent toujours plus de facilités et de pouvoirs aux Forces Armées, lesquelles se préparaient à donner le coup de grâce à ce même gouvernement et à l’UP, ainsi qu’au peuple chilien.

Et le comble fut atteint lorsque tous les parlementaires, y compris ceux de l’UP, approuvèrent la loi dite du « contrôle des armes », loi férocement répressive et qui accordait aux Forces Armées le droit de pénétrer dans tout local ou bâtiment susceptible d’abriter des armes avec, pour corollaire, des punitions très sévères pour toutes les personnes en possession de celles-ci.

Les militaires fascistes utilisèrent à fond cette loi pour préparer soigneusement et plusieurs mois à l’avance le coup d’état, terrorisant les masses par leurs interventions brutales, envahissant les syndicats, fundos, poblaciones et maisons particulières. Et ceci, alors même que les groupes civils fascistes transportaient tranquillement des armes et multipliaient les assassinats et attentats terroristes dans tout le pays.

Mais même cette situation n’a pas alerté les dirigeants de l’UP et n’a pas fait naître en eux le moindre doute sur le caractère réel et réactionnaire des Forces Armées chiliennes. Et l’impérialisme yankee a continué de verser des crédits aux Force Armées pour l’achat d’armements alors qu’il bloquait tous les crédits et versements au gouvernement Allende.

Il ne s’agit donc pas, comme l’ont affirmé certains, d’un échec du aux erreurs fondamentales commises par l’UP, erreurs qui éventuellement pourraient être corrigées si ces derniers avaient à nouveau l’opportunité d’arriver au gouvernement.

C’est la politique même et la ligne qui l’inspire qui sont erronées et opportunistes : la politique qui prétend que l’on peut s’emparer des biens de l’impérialisme et de l’oligarchie sans mobiliser fondamentalement les masses pour combattre et renverser les forces armées répressives au service de ces secteurs dominants ; la ligne qui comprend la politique plus ou moins comme un jeu de cartes, et celui qui « tire » le plus grand nombre de votes, respectueux des règles du jeu, remettra sa bourse au vainqueur.

Il est également faux de croire, comme l’expérience chilienne l’a démontré, que ceux qui mettent au premier plan la voie électoraliste au pouvoir, ceux qui se servent du peuple sans l’autoriser à conquérir réellement le pouvoir, soient capables − comme ils le promettent souvent − de changer de route au moment voulu, c’est-à-dire lorsque les réactionnaires prennent les armes pour leur barrer le chemin.

Au Chili, les dirigeants du vieux PC se sont tout d’abord livrés à toutes sortes de bravades et de menaces envers ceux qui voulaient renverser le gouvernement, pour tenter ensuite d’émouvoir les réactionnaires en démobilisant de fait le peuple avec la consigne larmoyante : « non à la guerre civile ». Ces dirigeants, en agissant ainsi, ont certes pu freiner toute guerre civile du peuple contre les golpistes, mais non la guerre des Forces Armées et des groupes fascistes contre le peuple.

Ce qui est arrivé au Chili, n’est donc que la conséquence logique de toute la politique traître des révisionnistes, politique qui constitue la réponse à votre question puisqu’elle explique pourquoi il n’y a pas eu de résistance coordonnée au sein des forces soutenant le gouvernement de l’UP au moment du coup d’état fasciste.

3. – Quelle a été la politique du Parti Communiste Révolutionnaire du Chili vis-à-vis du gouvernement de l’UP et des forces le soutenant ?

Le PCR n’a pas tenté de s’incorporer comme parti à l’Unité Populaire, considérant (comme les faits l’ont démontré) que la ligne politique au sein de cette coalition était la ligne opportuniste des dirigeants du vieux PC, lesquels prétendaient abuser le peuple en le persuadant de conquérir le pouvoir et de réaliser le socialisme par la « voie pacifique et électorale ».

Le PCR a cependant décidé de s’unir aux organismes de masses, à la base, avec les ouvriers, paysans, employés, étudiants et autres secteurs moyens, qu’ils soient indépendants ou militants des partis de l’Unité Populaire, pour dévoiler le caractère véritable du gouvernement de l’UP et mettre en avant un programme réellement révolutionnaire.

Il fallait, avant tout, montrer aux masses que les réformes proposées par l’UP (et plus encore le socialisme) étaient irréalisables dans le cadre de la voie légaliste et pacifiste imposée par les faux dirigeants communistes. Il fallait insister sur la nécessité d’appuyer les luttes populaires et d’aider le peuple à se préparer, idéologiquement et matériellement, pour affronter une contre-offensive de l’impérialisme yankee et des réactionnaires internes sur tous les fronts, y compris et fondamentalement une contre-offensive armée.

Révéler que l’UP n’entendait pas construire le socialisme mais bien élargir le capitalisme d’état, c’est-à-dire passer d’un capitalisme dépendant à une situation comme celle que connaissent désormais − par dégénération du socialisme − des pays comme l’URSS, la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Hongrie, etc…

Le programme révolutionnaire du PCR, conséquemment anti-impérialiste, anti-monopoliste et anti-latifundiste, se proposait d’anéantir radicalement la base économique et politique de ces secteurs de classe dominants au Chili, donnant dans le même temps des garanties et attirant, au côté du prolétariat, les secteurs moyens de l’industrie, du commerce et de l’agriculture.

Et bien que le PCR n’ait jamais hésité à promouvoir un programme réellement révolutionnaire, visant à écraser les principaux ennemis de classe du peuple chilien et à renverser l’Etat bourgeois pour conquérir réellement le pouvoir pour le peuple, il s’est également mobilisé de façon active pour défendre les réformes anti-impérialistes et anti-oligarchiques de l’UP en bute aux attaques des réactionnaires de l’intérieur et de l’impérialisme yankee.

Face à la ligne réformiste et opportuniste récalcitrante que les dirigeants « communistes » pro-soviétiques avaient dictés à l’UP, le PCR s’est efforcé, grâce à la lutte des masses et en regroupant les militants et dirigeants les plus conséquents des forces de l’UP et des forces marginales à celle-ci, de créer un pôle de regroupement révolutionnaire, un centre de direction revendiquant une ligne d’action et un programme plus avancés, une alternative révolutionnaire à même de mobiliser les masses populaires contre les golpistes et d’attirer parallèlement les secteurs moyens.

En octobre 72, s’est présentée une certaine possibilité de créer ce pôle révolutionnaire et de faire subir un revirement au réformisme PC. Au cours de ce mois en effet, les secteurs réactionnaires tentèrent de renverser le gouvernement en paralysant l’industrie, le commerce, les transports et certains services professionnels.

Face à cette offensive patronale, de vastes secteurs populaires, le prolétariat en particulier, se mobilisèrent. Les travailleurs, regroupés à l’intérieur des Cordons industriels (assemblées de délégués ouvriers des quartiers industriels) et des Commandos communaux (délégués ouvriers, étudiants, pobladores), s’opposèrent activement et combativement à la grève patronale, réussissant à reprendre en main l’initiative. Et ils firent fonctionner les industries sans les patrons, les commerces sous le contrôle populaire.

De nombreux moyens de transport furent réquisitionnés ; on procéda à la distribution directe d’aliments et autres produits de base dans les poblaciones et les industries. Des brigades furent mises sur pied pour protéger les industries des tentatives de sabotage des réactionnaires, etc…

Et pourtant, le gouvernement et certains dirigeants importants de l’UP, sous la pression des dirigeants du vieux PC, tournèrent le dos aux masses et signèrent un pacte avec les réactionnaires et leurs Forces Armées, pacte qui spécifiait que les réactionnaires abandonnaient l’offensive en échange d’une série de concessions et de la promesse, de la part du gouvernement, de paralyser la contre-offensive populaire alors en pleine ascension.

Ce qui se traduisit dans la pratique par la désignation d’un cabinet militaire (qui devait apparaître comme la cause immédiate de la cessation de la grève patronale), le retrait des militants de l’UP des Cordons et des Commandos, la suppression de toutes les attributions que ces derniers avaient conquis de fait, et enfin la présentation − au moyen d’un déploiement monstrueux de propagande − des élections parlementaires de mars 73 comme la tâche la plus importante, comme un plébiscite devant révéler clairement qui, de l’opposition ou du gouvernement, bénéficiait de l’appui populaire.

Comme il fallait s’y attendre, les élections parlementaires − qui ne permirent pas aux réactionnaires d’obtenir suffisamment de votes pour destituer légalement Allende − ne firent qu’accélérer les préparatifs du coup d’état. Et cette fois le peuple, qui avait vu son offensive précédemment freinée par le gouvernement, se trouvait démobilisé. La seconde grève patronale, qui devait prendre place quelques mois après les élections, ne rencontra plus la réponse populaire vigoureuse d’octobre 72.

Voilà les faits qui ont servi d’antichambre directe au coup d’état fasciste. Les dirigeants du PC pro-soviétique tentèrent bien de conjurer cette nouvelle offensive en poussant Allende à transiger sur son programme, mais il était déjà trop tard.

4. – Pourquoi le Parti Communiste Révolutionnaire et son activité furent-ils relativement peu connus et peu influents durant le gouvernement de l’Unité Populaire ?

Pour être clair, je répondrai à votre question − par ailleurs assez complexe − en parlant de ses aspects subjectifs d’abord et de ses aspects objectifs ensuite. Aspects subjectifs, dans la mesure où ils ont trait à la maturité et à la capacité de notre Parti ; objectifs, dans la mesure où ils touchent aux difficultés concrètes rencontrées par notre Parti dans la mise en œuvre de sa politique.

En ce qui concerne les aspects subjectifs, nous devons reconnaître que notre Parti, bien qu’ayant pour l’essentiel une ligne correcte, n’a pas été à la hauteur du moment politique difficile et complexe vécu par le Chili. Nous avons commis, en ce qui nous concerne, des erreurs dues à un manque de maturité, des erreurs aussi dans l’application de la ligne politique (tendances sectaires dans sa matérialisation) et d’autres erreurs encore, qui nous empêchèrent de surmonter les immenses difficultés du moment et de gagner les grandes masses populaires à une voie révolutionnaire correcte, ainsi que nos documents de base l’entendaient.

D’autre part, très peu parmi les actions organisées et dirigées réellement par notre Parti durant le gouvernement de l’Unité Populaire furent publiquement connues comme telles. A l’inverse de certaines organisations, bénéficiant au Chili d’une image publicitaire correspondant assez peu à ce qu’elles étaient et faisaient réellement, le PCR est la seule organisation qui ait réalisé et dirigé autant d’actions sans les entourer d’une publicité fracassante.

Deux facteurs fondamentaux interviennent ici pour expliquer ce qui vient d’être dit : le propos délibéré tout d’abord, tant de la part des forces les plus réactionnaires que de la gauche réformiste traditionnelle, d’interdire et de saboter toute information concernant le PCR. Plus grave encore, de nombreuses actions portant clairement le caractère du PCR furent publiquement attribuées à d’autres organisations, lorsque celles-ci ne se les arrogèrent pas d’elles-mêmes sans la moindre pudeur. Il était clair que ni les uns ni les autres n’entendaient divulguer ce qui avait trait à l’application d’une véritable ligne marxiste-léniniste.

Il faut ajouter à ceci le fait que le PCR, pour des raisons de principe (justifiées dans les faits), a toujours voulu garder secrète l’activité fondamentale du Parti, y compris durant le gouvernement de l’UP. Ce qui, bien entendu, interdisait au Parti de faire connaître comme siennes une série d’actions de masse que pourtant il dirigeait : nombreuses occupations de terres, d’usines, campagne pour la liberté des ouvriers de Saba, organisation de comités de solidarité et de cordons industriels, etc… Facilitant en ceci l’intention des forces bourgeoises de l’opposition et du gouvernement de dissimuler notre influence.

Mais la réponse à votre question resterait cependant incomplète si nous ne parlions pas des immenses difficultés concrètes, objectives, auxquelles s’est heurté notre Parti dans la réalisation de sa politique et le renforcement de son influence au sein des masses. Il faut préciser, à ce sujet, que c’est uniquement grâce aux gigantesques moyens économiques mis à sa disposition que la politique bourgeoise, tant de droite que de « gauche » (laquelle se qualifie de marxiste !), a pu se réaliser.

La première, en effet, a compté avec l’appui de l’impérialisme yankee et de puissants secteurs économiques de l’intérieur.

La seconde a été épaulée par le social-impérialisme soviétique, les gouvernements appartenant au Pacte de Varsovie, ainsi que lesdits partis « communistes » pro-soviétiques. Les partis bourgeois et petits bourgeois de l’opposition et du gouvernement contrôlaient durant l’UP presque toutes les entreprises du pays, 150 stations de radio, 11 journaux (tirant quotidiennement à près d’un million d’exemplaires), de nombreuses revues et 3 chaînes de télévision !

Pour la seule campagne électorale parlementaire de mars 73, l’opposition et le gouvernement ont dépensé ensemble près de 100 millions de dollars. L’opinion publique, le peuple chilien, fut en grande partie mobilisée − c’est-à-dire trompée − par cette politique bourgeoise qui étalait force millions.

La politique bourgeoise au Chili (de la droite et de la « gauche » traditionnelle) fonctionne dans la pratique comme une grande entreprise commerciale, au moyen de milliers de fonctionnaires politiques, syndicaux ou d’état, d’une propagande au style commercial, de nombreux bureaux et locaux politiques et de centaines de parlementaires, etc …

Il est clair qu’un parti comme le nôtre, disposé réellement à servir le peuple et non à se servir de lui, n’ayant de lien avec aucune super-puissance ou grands intérêts internes, ne pouvait que très difficilement contrer l’influence nocive que cette immense machine à tromper exerçait sur les masses. Désormais les masses populaires, jour après jour, pas après pas, comprennent de mieux en mieux par qui et pourquoi de telles sommes d’argent ont été utilisées, et deviennent de plus en plus imperméables à la tromperie. Mais il faut cependant les convaincre encore et encore de toute la fourberie de ces tentatives, lesquelles, assument constamment des formes plus subtiles. C’est là une tâche très ardue.

Il fut particulièrement difficile de faire comprendre au peuple la mystification contenue dans la politique des faux communistes instrumentalisée au moyen de l’UP. Car le réformisme et l’opportunisme, sous le manteau du « marxisme », lançaient des consignes programmatiques répondant aux aspirations des masses. Il était évidemment très attrayant de penser pouvoir se libérer de l’exploitation sans devoir faire face à la dure nécessité de combattre les ennemis de classe par les armes.

Telle était la « voie pacifique » au socialisme, aussi attrayante que fausse et suicidaire. D’autre part, l’opposition venimeuse des plus grands exploiteurs internes et internationaux au gouvernement de l’UP ne leur permettait pas de voir clairement que les dirigeants pro-soviétiques ne cherchaient, en fait, qu’à implanter une forme de capitalisme d’état, une nouvelle forme d’exploitation. Et nombreux furent ceux qui se laissèrent convaincre que l’on progressait réellement vers le socialisme, et ce d’autant plus que la propagande des forces les plus réactionnaires tendait à leur faire croire la même chose.

Beaucoup réagirent donc en emboîtant le pas à l’opposition au gouvernement liée aux intérêts golpistes. Ces deux exemples font comprendre à eux seuls quels furent, entre autres, quelques-uns des problèmes auxquels nous nous sommes heurtés durant le gouvernement de l’UP pour divulguer une ligne révolutionnaire correcte.

Le parti du prolétariat ne peut, vu les intérêts qu’il sert (des secteurs les plus pauvres et les plus exploités), réaliser sa politique au moyen de l’argent en convertissant son activité politique en entreprise commerciale. Il ne peut le faire, non seulement parce qu’il ne dispose pas des ressources pour ce faire, mais surtout et fondamentalement parce que tel n’est pas le moyen adéquat pour convaincre le peuple de la nécessité de se libérer par ses propres forces.

C’est essentiellement au travers de son expérience et de sa lutte que le peuple doit apprendre à faire la distinction entre ceux qui le trompent et ceux qui, véritablement, représentent ses intérêts immédiats et à long terme. Dans une bataille où l’essentiel consisterait à utiliser le plus de moyens publicitaires ou autres pour manipuler extérieurement le peuple, les secteurs exploiteurs auront toujours le dessus. Et si ces moyens se révèlent insuffisants (ainsi qu’on l’a vu au Chili) ces secteurs n’hésitent pas à recourir à la force brute.

Pour cette raison, notre Parti a basé et basera son activité politique sur les liens directs entre ses militants, ses organismes et les masses, s’efforçant, en prenant principalement appui sur ces dernières et en élisant parmi elles son détachement d’avant-garde, de gagner sa confiance.

Tel est le seul moyen valable et durable de mobiliser de vastes secteurs du peuple pour le pousser à la lutte en lui permettant de découvrir, à travers elle, qui sont ceux qui le trompent et comment combattre effectivement la violence dissimulée, en dernier recours, derrière la tromperie.

La propagande et le fait de tirer parti des garanties légales existantes constituent également des instruments de grande importance, mais uniquement comme compléments au travail révolutionnaire direct au sein des masses, comme compléments aux leçons que le peuple tire de sa propre lutte sous la direction du Parti. C’est pourquoi notre Parti se refuse à spéculer et à recruter, sans discrimination, ses adhérents en enflant artificiellement son image publicitaire au moyen de la propagande, moyen que nous jugeons peu sûr, vicié et malsain.

C’est sur base de leur combativité et de leur prise de conscience dans la pratique (et non sur de simples paroles), que nos militants sont recrutés parmi les masses. Une politique qui suit et lutte avec de tels principes, face aux immenses ressources utilisées par les divers courants bourgeois pour leurrer le peuple, ne peut certes progresser de façon aussi spectaculaire que certains courants politiques réactionnaires ou opportunistes lorsque ceux-ci deviennent « à la mode ».

Mais chacun de ses progrès, de ses pas en avant, sont infiniment plus solides et efficaces dans la mesure où ils correspondent à une implantation plus solide et efficace parmi les masses. Combien de partis bourgeois ou petit-bourgeois ont été ainsi « à la mode » au Chili, connaissant une gloire aussi éclatante que fugace ! Mais, lorsqu’un parti révolutionnaire gagne un vaste secteur d’influence parmi le peuple, il ne s’agit pas d’une chose passagère, d’une conquête formelle de votes ou de publicité mais d’une avance réelle du peuple qui, sous sa direction, se lance sérieusement à l’assaut du pouvoir.

C’est donc là, en quelque sorte, un fait irréversible, démontrant pour la première fois que le peuple ne se laisse plus tromper, mais décide désormais de lutter, en se servant de ses propres forces, pour faire la révolution.

La situation, telle qu’elle se présente actuellement au Chili, confirme la justesse de notre décision de ne pas créer un parti fondé sur les facilités légales et sur l’argent (publicité de style commercial, abondance de fonctionnaires, locaux, etc.…), procédés qui sont quelquefois tolérés pat les réactionnaires.

Certes, nous tirons parti de ces facilités légales lorsqu’elles existent, mais sans leur conférer un caractère permanent et en maintenant, en conséquence, la structure clandestine et l’activité illégale comme caractéristiques essentielles de notre politique.

A l’inverse de certaines organisations, qui se limitent à vouloir influencer extérieurement les masses au moyen de la propagande ou de tout autre procédé bureaucratique, nous préférons baser notre politique sur des liens directs avec les masses.

Les partis qui ont agi comme des entreprises commerciales pour vendre leur politique aux masses, s’adaptant aux facilités légales qui existaient au Chili, ont été, avec l’implantation du fascisme, mortellement atteints. En effet, ils ne disposent plus désormais de leurs habituels moyens de propagande, de fonctionnaires sûrs, de locaux publics, de la machinerie d’état, de parlementaires, officiers municipaux ou bureaucrates syndicaux. Ils ne disposent même plus du droit légal d’agir comme parti. Ils se sont vus contraints de transférer les restes de leur appareil bureaucratique et propagandiste à l’étranger. Nous disons bien les restes, car des milliers et des milliers parmi leurs militants ont été assassinés ou se trouvent encore en prison.

Notre parti, par contre, bien que n’ayant pas joui durant le régime antérieur de la popularité que confère l’usage sur une grande échelle des moyens de publicité et des facilités légales, a cependant réussi à conserver presque intacts ses liens avec les masses ainsi que les forces qui lui sont nécessaires pour combattre le fascisme. II s’est limité à renforcer les mesures de clandestinité auxquelles il se conformait déjà durant le gouvernement antérieur. II a supprimé la publication légale de certaines revues, mais il a intensifié la diffusion de matériaux clandestins. Une douzaine seulement parmi ses militants se trouvent à l’étranger, travaillant également de façon active pour appuyer la résistance à l’intérieur du pays.

Tout ceci a permis au PCR, précisément dans le cadre des conditions très dures imposées par le fascisme, d’amplifier considérablement son travail politique. Et ce, non seulement parce que son expérience de la clandestinité inspire confiance aux masses − qui acceptent de s’organiser et de lutter sous sa direction en évitant tous les risques inutiles −, mais aussi et surtout parce que les masses commencent à réaliser que cette organisation a été la seule à les inciter, depuis le début, à se préparer à ce qui inévitablement devait arriver, comme elle a été la seule force ayant toujours dénoncé le caractère réactionnaire des Forces Armées chiliennes, se niant en conséquence à leur faire confiance et à les couvrir de louanges.

5. – Le Chili connaît aujourd’hui la plus grande inflation du monde et traverse une crise que la dictature est incapable de surmonter. Pourriez-vous nous expliquer comment une telle situation a pu se produire ?

Le Chili traverse en effet − ainsi que vous le signalez − la crise économique la plus grave de son histoire. Et l’on peut dire que les souffrances du peuple qui sont à attribuer à la super-exploitation qui l’écrase (c’est à dire les souffrances qui dérivent de la réduction brutale à 1/3 de son pouvoir d’achat moyen des années 68 et 69, celles dues au chômage qui touche près de 20% de la population active, à la suppression de nombreux privilèges sociaux anciens, de même qu’à la réduction sévère de toutes les aides fiscales aux organismes de sécurité sociale) sont plus grandes et ont des conséquences plus vastes que les souffrances qui relèvent directement de la répression féroce et brutale décidée par les fascistes.

Chaque maison voit défiler chaque jour une moyenne de 10 à 15 enfants ou adultes venus mendier un peu de pain ; la mortalité infantile a atteint des chiffres tels qu’on croirait davantage vivre au Moyen Age qu’à notre époque ; de nombreuses personnes se suicident parce qu’elles n’ont plus de quoi subsister ou alimenter leur famille. Le peuple chilien se voit littéralement décimé par la famine et la misère plus que par les balles et les tortures des fascistes.

L’esprit réactionnaire de la junte fasciste et son désir de servir les grands exploiteurs nationaux et impérialistes, qui furent à l’origine du coup d’état, sont tels qu’ils ont conduit le pays à des extrêmes, à une crise beaucoup plus grave que celle des derniers mois de l’Unité Populaire.

Il s’agit là, pour l’essentiel, d’une politique qui autorise, sans discrimination et sans contrôle, la mise à sac de tout le pays par la bourgeoisie monopoliste et financière, les grands propriétaires terriens et les monopoles impérialistes yankees. Pour servir ces intérêts, la junte s’est efforcée d’offrir aux exploiteurs internes et aux investisseurs étrangers possibles une main-d’œuvre bon marché en réduisant brutalement le salaire ou appointement réel des travailleurs et en supprimant d’anciennes conquêtes sociales.

Elle a éliminé tout contrôle étatique sur les prix et a réduit la production de certains articles de consommation populaire, prétendant, ce qui est absurde dans un pays où règnent les grands monopoles, que la « libre concurrence » pouvait freiner l’inflation, Elle a élevé et élève de façon constante le cours du dollar pour lui faire « suivre » la hausse accélérée des prix internes, favorisant de ce fait les monopoles impérialistes et la haute bourgeoisie exploiteuse et accélérant dans le même temps et de façon précipitée le processus inflationniste.

Elle a supprimé, au profit des monopoles internationaux et de leurs intermédiaires de l’intérieur, les mesures protectionnistes touchant l’importation d’articles également produits au Chili. Elle a réduit radicalement, toujours au bénéfice des monopoles, les crédits précédemment accordés à la petite et moyenne industrie, au petit et moyen commerce, poussant massivement ces entreprises à la faillite par la réduction de la demande, une forte concurrence externe et le gonflement considérable de l’importation.

Elle s’est engagée à payer de fortes indemnités pour les entreprises impérialistes expropriées ; elle a rendu à leurs propriétaires (ou vendu au plus offrant) les industries expropriées par l’UP ainsi que celles, nombreuses, qui naquirent comme entreprises d’état. Elle a également restitué de nombreux latifundia expropriés. Elle a promulgué le Statut de l’Investisseur pour annuler les effets de la Décision 24 qui intervenait communément en faveur des pays du pacte andin en imposant certaines restrictions aux investisseurs étrangers. Elle a réduit brutalement l’aide fiscale et le budget de plusieurs ministères, comme les Travaux Publics, provoquant par la contraction de la demande et la répression politique un chômage terrifiant.

L’attitude des secteurs de la bourgeoisie monopoliste chilienne, intimement liés à l’oligarchie terrienne et aux manipulateurs du grand commerce de l’exportation et de l’importation, prouve qu’ils ne se fient guère aux capacités des militaires comme administrateurs du gouvernement et de l’économie.

Pas plus qu’ils ne s’illusionnent sur la stabilité politique de leur dictature, basée sur une répression criminelle et qui les conduit rapidement à l’isolationnisme international et interne. Ce qui explique qu’ils se contentent de profiter au maximum, et le plus rapidement possible, de la politique de libéralisme économique pratiquée par la junte fasciste et de la super-exploitation imposée au peuple. En dépit des récriminations et des menaces mêmes formulées par les membres de la junte fasciste, ils ont refusé d’investir leurs bénéfices fabuleux dans l’industrie, se limitant à spéculer, ou plus simplement encore à envoyer leur argent à l’étranger.

Les investisseurs étrangers, quant à eux, en dépit des garanties honteuses et anti-patriotiques qui leur sont présentées, refusent de placer des fonds au Chili. L’hebdomadaire libéral anglais « The Observer », dans un article intitulé « Non au général Pinochet », signale que ce gouvernement est « incapable de payer ses dettes » et que « Pinochet n’apparaît pas seulement comme un tyran cruel mais aussi comme un administrateur incompétent ».

De son côté, la revue « Business Week », liée à certains secteurs financiers yankees, remarque : « Il faut être courageux pour s’aventurer au Chili ». Il est donc clair que les cercles monopolistes internes comme les réactionnaires chiliens qui promurent le coup d’état, s’ils considèrent les généraux comme des « chiens policiers » efficaces pour tuer et torturer, s’en méfient par contre (et à juste titre) comme administrateurs. Pour cette raison, et étant donné le danger d’un soulèvement populaire favorisé par la crise et la super-exploitation brutale des travailleurs, un grand nombre parmi ces secteurs cherche actuellement un moyen de les remplacer à la tête du gouvernement.

Ce mécontentement gagne de plus en plus les secteurs moyens industriels, commerçants, professionnels et d’agriculteurs qui, pour la plupart, se laissèrent entraîner à la suite des ultra-réactionnaires golpistes.

Ces secteurs constituent actuellement, après les travailleurs, les principales victimes de la crise économique catastrophique à laquelle la junte a conduit, en un temps record, tout le pays.

La demande, en effet, est tombée verticalement à la suite des hausses successives et exorbitantes des, prix et de la congélation des salaires et des appointements ; les crédits qui leur étaient précédemment accordés ont été sévèrement réduits ; les produits qu’ils doivent importer· sont de plus en plus nombreux, alors que le cours du dollar augmente tous les 15 jours ; la concurrence étrangère a été favorisée par rapport à leurs produits, etc…

Des centaines de petites et moyennes entreprises ont été ainsi conduites à la faillite ; et la crise commence désormais à affecter certaines entreprises de plus grande importance. Les secteurs monopolistes en ont profité pour les racheter presque toutes à bas prix, et poursuivent actuellement leur œuvre d’expropriation des secteurs moyens en achetant à moitié prix les caisses d’épargne conduites à la faillite par la junte et mises en vente par les institutions d’épargne.

Et dès lors, la tendance monopoliste déjà existante au Chili s’accentue rapidement, rendant toujours plus absurde la vieille politique rancie de la « libre concurrence » que les militaires fascistes s’obstinent à maintenir. Et ces secteurs monopolistes, qui ne connaissent aucune concurrence, loin de réduire leurs prix les élèvent toujours plus pour se défendre de la contraction constante de la demande.

En résumé, on peut dire que si le gouvernement Allende a eu besoin de l’ « aide » de la CIA pour sa « desestabilización » et pour l’intensification de la crise économique qui a servi de base au coup d’état, la junte militaire fasciste, par contre, n’a besoin d’aucune aide externe et réussit par ses seuls efforts à ruiner l’économie du pays.

6. – Quelles sont les possibilités, selon vous, de mettre un point final au fascisme au Chili et que peut-on-faire en Europe pour y contribuer ?

Deux tendances fondamentales se sont développées au Chili parmi ceux qui désirent, pour l’une ou l’autre raison, en finir avec la dictature fasciste. La tendance majoritaire, exprimant les aspirations et intérêts du peuple chilien, est composée par ceux qui pensent que, pour renverser la junte fasciste, il faut mettre l’accent sur la lutte, à l’INTERIEUR du Chili, de tous les vastes secteurs directement atteints par sa politique ainsi que des mécontents ou victimes de la féroce répression.

L’autre tendance cherche, essentiellement par des manœuvres internationales, à convaincre l’impérialisme nord-américain de mettre en place au Chili un gouvernement moins sauvagement répressif et à la politique économique plus sensée. Ce courant souhaite que la junte actuelle soit substituée par quelques militaires aux apparences « plus démocratiques », et cela comme transition pour préparer l’arrivée au gouvernement de certains personnages pro-yankees de la Démocratie Chrétienne.

Au sein de ce deuxième courant, qui cherche à promouvoir de l’extérieur et avec l’aide des Etats Unis un changement de gouvernement au Chili, une lutte aiguë oppose les serviteurs du social-impérialisme soviétique (les dirigeants du vieux PC) aux serviteurs les plus fidèles de l’impérialisme yankee (Frei et autres dirigeants démocrates-chrétiens). Frei et ceux qui lui emboîtent directement le pas (et qui à l’intérieur de ce parti représentent le courant golpiste) entendent exclure du gouvernement post-junte tous ceux qui représentent au Chili les intérêts du social-impérialisme soviétique.

Ces derniers, qui se sont rapprochés des leaders démocrates-chrétiens en exil − les plus visés par la junte − désirent entrer à tout prix dans le très étrange amalgame, même comme le plus dédaigné parmi ses ingrédients, qui prendra, pensent-ils, la place des fascistes au gouvernement. Et les dirigeants du vieux PC entraînent à leur suite dans ces manœuvres certains dirigeants du Parti Socialiste et d’autres collectivités moins importantes de l’Unité Populaire.

Tous les efforts de ces derniers secteurs visent avant tout à ne pas être exclus d’un éventuel changement de gouvernement « gracieusement » promu par l’impérialisme nord-américain. C’est pourquoi ils menacent de provoquer une scission au sein de la Démocratie Chrétienne − en s’efforçant de resserrer toujours plus leurs liens avec les dirigeants de ce parti en exil − au cas où Frei voudrait les exclure.

Et l’on a vu encore tout récemment, comme résultat de ces efforts forcenés, les dirigeants DC en exil signer un pacte avec ·certains dirigeants des partis de l’UP, à l’exclusion du vieux PC, lequel a apparemment accepté de s’éclipser momentanément pour permettre à ceux qui le suivent directement, et qui se trouvent à la tête de certains partis de l’UP, de maintenir leurs liens avec l’« aile gauche » de la DC, freinant de ce fait le courant hégémonique représenté par Frei. Ceci pour voir comment réagira Frei et son équipe.

Le plus grave dans tout cela, c’est de voir que les dirigeants de l’UP se laissent manœuvrer par les agents du social-impérialisme soviétique, et continuent de faire tout leur possible pour empêcher le peuple et le développement de sa lutte antifasciste d’intervenir dans la construction de l’avenir du Chili.

Ils poursuivent donc l’application de la politique que les faux dirigeants communistes défendaient alors que l’impérialisme yankee et les réactionnaires préparaient le coup d’état au Chili. C’est-à-dire la politique qui visait à freiner la mobilisation populaire, désarmer idéologiquement et matériellement le peuple avec la loi du « Contrôle des Armes » et le mot d’ordre honteux « non à la guerre civile », et enfin qui cherchait à freiner les réactionnaires en transigeant avec eux sur le programme de réformes. Et ils tentent actuellement, une fois de plus, au moyen de conciliabules internationaux et en tournant le dos au peuple et à sa résistance héroïque contre le fascisme, de se faire admettre sous un nouveau régime de dictature légale moins déprécié, pour administrer ce que les bêtes fascistes ont bien voulu laisser du Chili.

La vérité est que la brutalité de la junte, son isolement international et interne et l’échec de sa politique économique sont tels que l’impérialisme yankee craint de voir s’étendre au Chili, en dépit de la répression, un mouvement populaire interne incontrôlable et capable de renverser la junte. Il préfère donc, sans plus attendre, manœuvrer afin d’écarter les membres de la junte pour les remplacer par un gouvernement qui, tout en défendant les mêmes intérêts réactionnaires, offre une image formelle plus acceptable et applique ‘une politique économique moins absurdement réactionnaire.

Quant aux agents pro-soviétiques qui dirigent le PC, ils appréhendent également un soulèvement populaire qui irait à l’encontre de leur désir de récupérer certaines garanties légales pour récidiver dans leur dessein de tromper le peuple et de vendre leur capitalisme d’état travesti en socialisme. C’est pourquoi ils déploient tant d’efforts pour ne pas être laissés de côté lorsque la junte sera remplacée.

Il est certain que, quel que soit le régime qui supplantera le fascisme, il créera des perspectives plus favorables pour l’activité politique révolutionnaire au sein des masses.

Toute concession sera démagogique et ne sera accordée que pour contenir les masses. Mais l’on peut déjà affirmer que, vu la maturité atteinte par le peuple chilien après l’expérience opportuniste de l’UP et de la dictature fasciste, ces concessions démagogiques n’auront aucun effet profond. Les révolutionnaires, néanmoins, ne doivent pas se contenter de tirer profit d’un remplacement de la junte fasciste en acceptant de se plier aux manœuvres des agents de l’impérialisme nord-américain ou du social-impérialisme soviétique.

Notre Parti, ainsi que l’immense majorité des militants et dirigeants honnêtes des partis qui répudiaient le fascisme, entend regrouper et unir tous les plus vastes secteurs populaires afin de les mobiliser et de les préparer à diverses formes de résistance et de lutte pour renverser la junte militaire fasciste. Et s’il est vrai que certains secteurs − qui furent compromis dans le coup d’état fasciste, comme l’impérialisme yankee et certains dirigeants de la Démocratie Chrétienne − s’efforcent de remplacer la junte avant que celle-ci ne soit renversée par le peuple, il ne faut pas pour autant arrêter la lutte populaire et céder à ces manœuvres.

Il faut, au contraire, intensifier la lutte populaire de résistance pour accélérer la mise au rancart des fascistes. Cette lutte populaire antifasciste nous donnera de plus la force d’affronter la démagogie et la tromperie de ce gouvernement post-junte, de surmonter l’opportunisme et les accommodements des faux dirigeants communistes, et de mobiliser le peuple pour conquérir réellement le pouvoir sous une ferme direction prolétaire.

En dépit de la répression sanglante de la junte, ce mouvement de résistance antifasciste de vastes secteurs populaires s’est renforcé au Chili. Et il y a eu des grèves, de petites manifestations, propagande clandestine antifasciste, exécution de tortionnaires et de mouchards, sabotages de la production, travail au ralenti, ainsi que mille autres formes clandestines et même ouvertes de résistance au fascisme.

Les secteurs les plus avancés du peuple sont en train de s’organiser en créant des centaines de petits comités clandestins de résistance dans les usines, fundos, poblaciones, écoles, hôpitaux, bureaux et autres points de rassemblement des masses. Et les secteurs populaires mêmes qui ne s’incorporent pas − de façon organisée − à la résistance, soutiennent largement ceux qui luttent et qui sont poursuivis par la junte. Et l’on entend de plus en plus les gens se plaindre ouvertement du chômage, de la famine et de la répression, et ce dans les commerces, les lieux de travail, les moyens de transport et, en général, tous les lieux de regroupement. La situation devient de plus en plus explosive, se muant en opposition toujours plus franche à la junte militaire fasciste.

Notre Parti travaille fondamentalement à l’INTERIEUR du Chili, s’unissant, à la base même, avec d’autres forces politiques antifascistes et de vastes secteurs indépendants dans le but de créer des comités clandestins de résistance chargés d’organiser l’opposition massive au fascisme. Ces comités expriment les revendications immédiates des masses et défendent un programme très ample pour unir près de 95% du peuple contre le régime fasciste.

Le Parti travaille également, depuis la base même et ensemble avec d’autres forces politique et indépendantes, pour regrouper − autour de ce programme commun antifasciste − tout le peuple sur une échelle nationale et à l’intérieur d’un Front du Peuple antifasciste. L’idée de s’unir autour d’un Programme Minimum pour développer la résistance et renverser la junte, a fait également son chemin parmi les militants des partis antifascistes et les dirigeants honnêtes et indépendants qui se trouvent en dehors du Chili. Ces secteurs se sont heurtés violemment avec les dirigeants du vieux PC et tous ceux qui, par opportunisme, se soumettent à ses manœuvres, assujettissant et sabotant même la résistance interne dans le but d’obtenir que l’impérialisme et ses agents remplacent la junte et leur ouvrent les portes.

Le PCR a obtenu de grands succès comme centre moteur de la formation des comités de résistance antifascistes et cela parce qu’il avait, dès le début, estimé à leur juste valeur l’expérience du gouvernement de l’UP et la nature véritable des Forces Armées chiliennes. Il avait vu juste également en prédisant ce qui allait arriver. Le Parti et ses liens avec les masses se sont donc fortifiés rapidement en dépit de la très dure répression.

En ce qui concerne la deuxième partie de votre question, je pense que les forces de l’extérieur opposées au régime fasciste chilien peuvent aider effectivement et fondamentalement notre peuple par la propagande, la solidarité avec ceux qui se trouvent poursuivis et persécutés, l’aide matérielle et politique à la résistance, etc. Mais il est important que cette aide aille à ceux qui organisent véritablement, et A L’INTERIEUR du Chili, la résistance populaire pour renverser le fascisme.

Aider en effet ceux qui, comme nous le disons au Chili, « veulent tirer les marrons du feu avec la patte du chat » impérialiste ne favorise en rien le développement de la lutte populaire antifasciste interne, qui est la seule lutte décisive. Il ne faut pas non plus que la propagande à l‘extérieur se limite strictement à dénoncer les horreurs commises par la junte, bien que cela évidemment soit juste et nécessaire. Il faut également tirer les conclusions critiques en ce qui concerne la politique opportuniste qui a rendu possible l’implantation du fascisme. Il faut dénoncer les responsables principaux de cette politique opportuniste car elle est toujours en vigueur tant pour obtenir le remplacement de la junte que pour le futur politique du Chili.

Quant à nous, et quelles que soient les manœuvres des super-puissances et de leurs agents pour sauver la continuité de l’Etat bourgeois dans le futur, nous sommes convaincus que le peuple, fort de son expérience du fascisme et de l’opportunisme qui lui a ouvert la porte, trouvera la véritable voie de lutte qui le conduira au pouvoir.


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