1. Les débuts de l’esclavage et du mouvement de libération des noirs

Honneur à Fred Hampton

a) les débuts de l’esclavage raciste

C’est en 1518 que la monarchie espagnole réussit pour la première fois à amener des esclaves noirs en Amérique, après avoir massacré les populations indigènes. Beaucoup de noirs se révoltèrent, s’enfuirent et fondèrent des petites républiques indépendantes dans les zones délaissées par les colons européens.

Le commerce triangulaire, fondé sur la traite des esclaves noirs d’Afrique vers l’Amérique par les Européens, permit une accélération de l’accumulation primitive du capital, aboutissant à l’industrialisation. Le commerce triangulaire était mené au départ par des marchands portugais et espagnols, puis par des Anglais et des Français.

Les bateaux chargés d’esclaves partaient d’Afrique de l’Ouest pour arriver à Bahia (Brésil), Saint-Domingue, Haiti, Cuba et la Virginie. Les bateaux repartaient après chargés de sucre, de tabac, puis de café et de coton. Le tout était produit par les esclaves enchaînés aux plantations. Les bateaux repartaient après d’Europe vers l’Afrique, chargés de pacotilles puis de produits textiles.

Au milieu du 19ème siècle les Etats du sud des USA produisaient ainsi les 3/4 de la production de coton. Les esclaves noirs produisaient le produit d’exportation essentielle des USA et la matière première fondamentale pour l’industrie européenne en développement.

Il faut noter que les politiques de colonisation n’auraient pas pu avoir lieu sans la grande offensive patriarcale au 15ème siècle en Europe. La chasse au sorcière a détruit les communautés de femmes, les connaissances féminines quant à l’avortement et la contraception en général, la sexualité lesbienne… Les femmes furent forcées à avoir entre 10 et 20 enfants.

Cette donnée patriarcale faut également savoir qu’au départ il y eut des tentatives de mise en esclavage d’européens. Les Espagnols abandonnèrent très vite au XVIème siècle devant le manque d’ »esclaves » potentiels. Les Anglais vendirent eux 90 jeunes femmes aux colons de Virginie, pour des kilos de tabac.

Autre fait important : les noirs avaient au départ (au 17ème siècle donc) encore la possibilité de se « racheter » ou d’être affranchi, puis d’avoir des propriétés et de voter. Les africaines et africains n’étaient alors que la minorité des esclaves, composés alors en majeure partie d’occidentaux « esclaves à temps partiel » pour ainsi dire. Ces « indentured servants » travaillaient en moyenne 7 années dans les plantations. Selon une loi de 1640, toute femme de chambre blanche qui désobéissait pouvait devenir esclave.

A la fin du 17ème siècle, l’esclavage « changea » de forme, et tous les esclaves étaient noirs. Le racisme devint alors une forme de domination reconnue et pratiquée à encore plus grande échelle. En 1660 les lois interdirent aux noirs de posséder des terres, de voter, de se marier avec des blancs. A cela s’ajoutent les interdictions d’aller à l’école, de s’organiser, de se rassembler, de travailler dans des postes qualifiés. L’idéologie de la suprématie blanche vint alors justifier la domination et l’exploitation des esclaves.

Au milieu du 19ème siècle les esclaves noirs – hommes, femmes, enfants à partir de 10 ans – travaillaient à 90% dans l’agriculture. Le fouet était le plus souvent la méthode pour « éduquer » les esclaves, voire la torture. La résistance des femmes noires, utilisant des moyens de contraception afin de limiter les naissances, fut brisée par la violence, les viols. Parfois les femmes noires tuaient leurs propres enfants pour ne pas en faire des esclaves.

Le viol était une méthode institutionnalisée de terrorisme contre les femmes noires, qui n’avaient pas le soutien des hommes noirs. Ces derniers étaient également éduqués de manière chrétienne, c’est-à-dire qu’on leur expliquait que la femme était inférieure, et qu’ils ne devaient pas faire des « travaux de femmes ». Les femmes étaient cantonnées dans certains métiers spécifiques (cuisine, santé, ménage…) et le patriarcat des hommes noirs en était renforcé.

A la fin du 18ème siècle, 40% de la population des Etats du Sud des USA étaient des Africains devenus esclaves (et seulement 10% dans les Etats du Nord). En 1860 dans les Etats du Sud 1733 familles (formant le 1/3 de la population blanche des Etats du Sud) possédaient chacune au moins une centaine d’esclaves.

En 1830 3777 personnes possédaient des esclaves.

b) la lutte de libération des noirs dans les Etats du Sud des USA

Les 300 années d’esclavage des noirs furent marquées par 250 révoltes des esclaves. Sans compter les incendies, les sabotages, les empoisonnements, les cours de lecture et d’écriture organisés en cachette.

Il y eut également la communauté « maroon », qui existait depuis 1642 en Floride, et avait été fondé par des noirs en fuite. Les Indiens Séminoles s’enfuirent là-bas vers 1750, et à partir de 1812 les USA tentèrent de détruire la communauté, qui se transforma en 1816 en « Etat séminole afro-indien ». Il s’agissait d’une fédération de villages d’Africains et de Native-Americans, qui résistèrent ensemble à l’armée des USA jusqu’en 1842.

Mais la communauté maroon n’était pas la première « zone libérée » :

– en 1598, sur le territoire du Brésil actuel, des Africains fondèrent une république de Palmares, plus grande en taille que la Belgique actuelle. Cette république sut se défendre des attaques néerlandaises et portugaises jusqu’en 1696 ;

– en 1739 la Jamaïque gagne son indépendance après une révolte conduite par le général Kojo (Cudjoe) ;

Toussaint L'Ouverture (gravure)

Toussaint L’Ouverture (gravure)

– de 1791 à 1804 c’est Toussaint L’Ouverture qui conduit la révolte à Saint-Domingue / Haiti, avec Christophe et Dessalines, contre les Français. Le but, un Etat noir reconnu par les nations du monde, sera définitivement anéanti en 1844 par l’arrivée de colons espagnols et la séparation de Saint-Domingue de Haiti par l’Espagne et les USA.

Il faut noter ici que Toussaint L’Ouverture est considéré comme le fondateur du nationalisme noir. Il a dépassé le repli isolationniste à la maroon, de la même manière que Tecumseh l’a fait à la même époque pour la « nation rouge ».

Le mouvement lancé va s’amplifier : le 7 octobre 1800 1.000 personnes africaines armées et guidées par le général Gabriel Prosser marchent sur la ville de Richmond en Virginie. C’est une date symbole pour les Afro-Américains en lutte pour leur propre nation.

Les blancs répondirent par la répression et l’organisation de milices imposant l’interdiction de sortir entre 6 heures du soir et 6 heures du matin à tous les noirs.

Au niveau international c’est en 1807/8 que le trafic d’esclaves fut officiellement interdit, après avoir coûté la vie à plus de 30 millions d’Africains et africaines. Mais rien ne changea aux USA. Le mouvement pour l’abolition de l’esclavage ne réussit pas à s’imposer dans la rédaction de la constitution (guerre d’indépendance, 1775-1783).

Le second mouvement abolitionniste, issu d’une révolte en 1831, était confronté à trois problèmes centraux le divisant :

– le rôle de la femme (interdite de présence lors des réunions) ;

– le soutien ou non au projet de rapatriement demandé par l’American Colonization Society qui veut expulser les noirs au Liberia ;

– la question de la violence.

David Walker, un « affranchi », a formulé théoriquement la dernière question. Voulant au départ une lutte démocratique pour modifier les lois, il se prononcera ensuite pour un gouvernement des noirs pour les noirs. Ce second abolitionniste a eu de l’écho dans les classes populaires blanches, elles aussi confronté à la brutalité anti-démocratique du régime.

Le mouvement des femmes, essentiellement petit-bourgeois, s’est lancé comme conséquence des luttes démocratiques des noirs.

Harriet Tubman

Harriet Tubman

Les noirs organisèrent également clandestinement des « fuites » vers des zones libérées. Harriet Tubman construisit ainsi un « undeground railroad » (chemin de fer clandestin), avec des passeurs et des bases (les « safe-houses »). Tubman s’était également enfui, et entendait aider les autres à s’enfuir vers les USA du nord et le Canada, où l’esclavage n’existait plus grâce aux réalités industrielles. En 1850 fut en réponse créé une nouvelle loi, le « fugitive slave act », permettant la traque et les primes pour les esclaves s’étant enfuis. Les noirs organisèrent alors des groupes d’auto-défense.

2. La formation des USA modernes

a) les contradictions nord/sud et la guerre de sécession

Les USA du nord avaient développé une industrie et un secteur bancaire, tandis que les USA du sud s’appuyaient sur une agriculture basée sur l’esclavage. La situation se fit conflictuel au milieu du 19ème siècle. Jusqu’en 1860 en effet le Sud avait nommé tous les présidents, et fournissait surtout leurs matières premières à l’Angleterre.

Les Etats du nord en eurent assez, et durent réagir afin de pouvoir modifier les impôts, le crédit et l’ensemble des politiques. L’objectif principal était d’empêcher les Etats du Sud d’élargir leurs plantations ; les USA étaient alors, comme l’Etat d’Israël, un Etat de colons s’élargissant. L’Office of Indian Affairs dépendaient du ministère de la guerre, et la Cour Suprême avait confirmé en 1823 que les terres conquises appartenaient aux USA. Entre 1787 et 1860 les USA passèrent de 13 Etats fondateurs à 33 Etats, de 4 millions de personnes à 31.

A chaque conquête les native indians furent repoussé vers l’Ouest. Puis au Sud il y eut l’expansionnisme aux dépens de Mexique : furent fondés les Etats du Nouveau Mexique, de Californie, du Texas. Des parties des Etats du Nevada, d’Utah, du Colorado et de l’Arizona ont également été prises au Mexique. La lutte armée contre l’occupation, forte notamment en 1890 avec « Las Gorras Blancas » regroupant 1500 personnes, dure jusqu’à aujourd’hui.

La tension entre le Nord et le Sud fut partiellement résorbée avec le compromis Clay, donnant à chaque Etat le droit ou non de pratiquer l’esclavage traditionnel. Mais en 1854 lorsque le Kansas voulut abolir l’esclavage 3000 soldats du Missouri intervinrent et brûlèrent les habitations des noirs, et détruisirent en mai 1856 totalement la ville de Lawrence. Deux partis furent alors fondés : le parti républicain défendait les intérêts des industriels du nord, le parti démocrate les intérêts du sud. Puis une guérilla de blancs et de noirs écrasa en 1856 l’intervention pro-esclavage.

La guérilla se développa sous la conduite de John Brown qui tenta de fonder un Etat noir, mais elle sera elle-même écrasée par les troupes US. La date de la pendaison de John Brown fut considérée dans des dizaines de villes comme une date de deuil pour les noirs.

Cicatrices de flagellation

Lorsqu’en 1861 un président républicain fut élu (Lincoln), 11 Etats du sud firent sécession et fondèrent les CSA (Confederate States of America), dont le gouvernement provisoire fut reconnu par les Français et les Anglais. Les Etats du nord déclarèrent alors la guerre, disposant de 22 millions de personnes et d’une industrie forte, alors que le sud n’avait que 5 millions de blancs et 4 millions de noirs en opposition à l’esclavage. Parmi les 2,1 millions de soldats de l’armée nordiste, 180.000 étaient noirs.

Dans la vallée du Mississippi et en Caroline du Sud les noirs occupèrent les plantations et les gérèrent eux/elles-mêmes. Après la victoire la situation fut très tendue, et Lincoln assassiné en 1865. Les deux thèses quant à son meurtrier expliquent bien la situation : soit il s’agit d’un sudiste radical, soit d’un membre des républicains radicaux, partisans de la légalisation du pouvoir noir dans les plantations occupées. Le nouveau président, Andrew Johnson, ancien propriétaire d’esclaves, organisa une amnistie générale, une politique de réconciliation générale, et une lutte armée pour récupérer les terres occupées. Mais le rêve de la New Afrika s’est réalisé et ne quittera plus le cœur des nationalistes noirs.

b) le nouvel apartheid (1850-1914)

Beaucoup de blancs au sud n’acceptèrent pas la fin de l’esclavage suite à la défaite face au nord, en 1867 les républicains accordèrent le droit de vote aux hommes noirs pour empêcher l’arrivée au pouvoir des démocrates. Aux groupes violents de « vigilantes » succéda alors le Ku Klux Klan, pratiquant un terrorisme organisé pour empêcher aux noirs de voter.

L’esclavage n’avait été de plus aboli que formellement. Les esclaves libérés dépendaient toujours de leurs anciens propriétaires en raison de « contrats » de dettes. Les « arrangements », où les noirs louaient des terres un certain prix, se révélèrent être des pièges forçant au travail pour rembourser les dettes.

Les « black codes » empêchaient les noirs de vivre correctement : des amendes et la prison étaient le lot s’ils/elles pêchaient, n’avaient pas leurs papiers, chassaient, portaient une arme… Et la mort était le lot de ceux et celles accusés de vol par un ou plusieurs blancs.

Comme l’a analysé Marx, la lutte entre le nord et le sud se fondaient sur deux manières d’exploiter : l’esclavage tout court ou l’esclavage salarié. D’ailleurs en 1870 les lois de Jim Crow instaurèrent la ségrégation raciale, la séparation des noirs et des blancHEs dans les transports en commun, l’exclusion des noirs des écoles, théâtres, restaurants réservés aux blancs.

Le mode de scrutin fut modifié, « cassant » le vote des blancs pauvres et des noirs en raison du niveau d’étude demandé et des sommes à payer pour pouvoir voter. La cour suprême des USA accepta ses lois selon le principe du « separate but equal ».

Au niveau économique, le capital du nord avala très vite le sud, contrôlant les chemins de fer, les ports, l’agriculture, etc. La crise économique fut le lot des noirs, et elle fut telle avec les « locations » de terre qu’il fut renoncé à les poursuivre, notamment à cause de la résistance violente aux shérifs qui dura de la fin des années 1860 jusqu’aux années 1890.

Esclavage en Amérique - 1

La fin de siècle fut alors caractérisée par une grande augmentation de la brutalité et des actions violentes contre les noirs. Face aux lynchages et aux viols se formèrent des clubs de femmes noires, qui firent une conférence nationale à Boston en 1895. Elles luttèrent notamment contre l’exposition universelle de Chicago de 1893, diffusant la brochure « pourquoi l’Amérique de couleur n’est-elle pas représentée » et menant des marches contre la ségrégation.

Les USA continuaient également leur expansion : annexion des Philippines, de Hawaii, de Guam et d’autres îles du Pacifique, de Puerto-Rico, puis contrôle de Cuba, Panama, la république dominicaine, le Nicaragua, Haiti. Au niveau intérieur tout fut fait pour intégrer de force les réserves indiennes dans le tout américain.

En 1874 par exemple les peuples Lakota et Black Hills durent défendre leurs territoires militairement depuis qu’on y avait découvert de l’or.

Les années suivant 1914 vont en empirant pour la nation rouge : à partir de 1934 les USA imposèrent des gouvernements de tribu, devant être reconnus officiellement ; ceci cassant les structures historiques où étaient présentes beaucoup de femmes et possédant des perspectives sociales refusant les classes. En 1953 la politique de la « termination » cessa toute aide et imposa des impôts. Les réserves, déjà contrôlées et pillées, perdirent alors beaucoup de monde partant gagner sa vie dans les villes.

c) Le passage à la forme impérialiste et la résistance noire organisée (1914-1960)

Les années allant de 1900 à 1914 sont celles de l’éducation pour des afro-américains qu’on avait volontairement laissés dans l’analphabétisme avant et après l’esclavage. De nombreux groupes organisés se formèrent, comme le NAACP (National Association for the Advancement of Colored People) en 1905, qui passera de 330 membres en 1912 à presque 100.000 en 1919.

Ou encore l’UNIA (Universal Negro Improvement Association), fondée par Marcus Garvey et rassemblant jusqu’à 5 millions de personnes. Garvey défendait l’idée d’une nation noire où vivrait tous/toutes les noirs du monde entier. Il fonda la compagnie maritime « black star line », et était le partisan d’un capitalisme noir indépendant des blancs.

Marcus Garvey

Marcus Garvey

Dans le même esprit fut fondé la « Nation of Islam » (NOI) en 1930, conduite depuis 1934 par Elijah Muhammad. Leurs membres sont également connus sous le nom de « black muslims ».

Partisans d’un capitalisme noir dans les Etats du Sud et d’un Islam noir extrêmement puritain.

Plus intéressant est la formation du CPUSA (Parti Communiste des USA) en 1919, que rejoignirent les membres dirigeants de l’ABB (African Blood Brotherhood), anciens membres de l’UNIA partisans d’un Etat noir aux USA et de l’auto-défense armée contre les lynchages.

Le CPUSA organisa l’ANLC (American Negro Labour Congress) pour les noirs exclus du syndicat l’AFL (American Federation of Labour). Puis, sous l’impulsion de Staline, le CPUSA et l’Internationale Communiste considéra que les noirs des Etats du Sud formaient une nation opprimée. Les communistes devaient en ce sens soutenir la lutte démocratique-nationaliste pour l’indépendance de cette nation (il faut noter que les trotskystes rejettent cette analyse).

Lors de la montée du fascisme le CPUSA mena une politique de « front populaire » et mis entre parenthèses les revendications sociales pour que les USA entrent dans la seconde guerre mondiale. A la mort de Staline le CPUSA devint révisionniste et se transforma en parti social-démocrate/social-fasciste (allant jusqu’à accuser les Black Panthers d’être des « fascistes noirs »).

American-negro labour congress

American-negro labour congress

Traitons de l’aspect économique maintenant. La guerre de 1914 fit se cesser l’immigration européenne, et pour la première fois des noirs furent embauchés dans les industries du nord, passant de 550.000 en 1910 à 910.000 en 1920, avec un autre grand boom en 1945/47. La main d’œuvre noire devint l’armée industrielle de réserve, le sous-prolétariat de ce qui était désormais la première puissance impérialiste.

Dans les années suivant la crise de 1929, les noirs organisèrent de grands mouvements de lutte, étant les premiers touchés avec les femmes, les Native Americans, les Chicanos, les Puerto-Ricains. Le nombre de noirs dans les syndicats passa de 100.000 à 500.000 (puis 1,25 millions en 1945), dans le Parti Communiste des USA de 1.000 à 5.000. Mais la situation des femmes n’avança pas, beaucoup tombaient dans une nouvelle forme d’esclavage. Sur les 100.000 femmes de ménage noires de New York de 1934, 350 étaient syndiquées. En 1960 35% des travailleuses noires étaient employées de maison, 20% étaient balayeuses, repasseuses…

3. The beat goes on

a) la période précédant le black power

New York – Juillet 1964 – dans le quartier de Harlem l’agitation suit l’assassinat d’un jeune black de 15 ans par un policier blanc qui n’était pas en service. Le jeune aurait menacé le flic d’un couteau.

Les manifestations se transforment en émeutes : les voitures brûlent, les magasins sont pillés, les pavés, les barres de fer et les cocktails Molotov sont les (faibles) moyens utilisés pour affronter les forces de l’ordre. Les affrontements dans la rue durent pendant quatre nuits et trois journées, puis la vague déborde le quartier de Manhattan pour toucher le quartier de Brooklyn, dans le quartier black de Bedford-Stuyvesant.

D’autres villes sont également touchés, il y a ainsi des émeutes dans le ghetto de Rochester dans le nord-ouest de la ville de l’Etat de New York, après que deux policiers blancs aient arrêté deux jeunes black alcoolisés.

Répression en Alabama

Répression en Alabama

Le bilan de ces dix journées « chaudes » de New York et Rochester : 7 morts, 800 blessés dont 48 policiers, plus de 1000 arrestations, des millions de dégâts.

Ces mois « chauds » ont résonné dans toutes les USA. En été 1965, du 11 au 16 août, c’est le quartier black de Watts, à Los Angeles, qui flambe. Avec comme prétexte l’arrestation d’un black prétendument alcoolisé par des policiers blancs. La presse WASP (white anglo-saxon protestant) se déchaîne contre la « plèbe noire ». Résultat : 35 morts, 800 blessés, 700 maisons incendiées, dévastation sur un périmètre de 77 km², 500 millions de francs de dégâts.

Eté 1966, ce sont plus d’une vingtaine de villes qui soulèvent dans toutes les USA. Entre autres : Jacksonville en Floride, Sacramento en Californie, Omaha au Nebraska, New York, Los Angeles, San Francisco, Chicago. Dans cette dernière ville le prétexte fut que la police avait chassé des enfants qui profitaient d’une bouche à incendie pour se rafraîchir.

Le point culminant de cet été, ce fut à Cleveland, dans l’Ohio, avec les affrontements avec la garde nationale. A la fin de cet été il y avait 12 morts et 400 blessés.

En 1967, dans le quatrième « été brûlant », plus de 100 villes étaient touchées par les soulèvements, notamment Newark (dans le New Jersey, pas loin de New York) et Detroit. A Newark les heurts durèrent du 12 au 17 juillet après qu’un taxi black ait été arrêté.

A peine arrêtées des centaines de personnes se rassemblent et jettent des pierres et des bouteilles sur la police. Cette ville de 405.000 habitants se transforma en champ de bataille, il y eut 27 morts (dont 25 noirs), 2000 blessés. En 60 endroits il y avait des incendies, des blocs de maisons étaient criblé de balles, les magasins du centre-ville avaient été pillé, des engins blindés patrouillaient dans toute la ville avec des soldats armés de pistolet-mitrailleur, 1500 noirs furent envoyés en prison.

Mais ce qui se passa du 24 au 28 juillet à Detroit dépassa tout cela. Robert Kennedy parla « de la plus grande crise américaine depuis la guerre civile », le Washington Post de « la plus grande tragédie dans la longue histoire des explosions des ghettos de couleur ».

Après une razzia de la police contre un café clandestin black, c’est l’émeute et la répression. Les tanks sont dans les rues avec des parachutistes en formation, on tire contre les gens dans les rues et sur les places. Des dizaines d’hélicoptères mitraillent les fenêtres. Des pans entiers de la ville furent en feu, les rues étaient dévastées. Dans les quatre journées et nuits d’affrontements la police, la garde nationale et les parachutistes de la 82ème et 101ème division (qui s’étaient illustré au Viêt-Nam) reprennent le terrain, rue par rue, dans ce qui est tout de même la cinquième plus grande ville US, la capitale mondiale de l’automobile.

Le système judiciaire fut totalement débordé. La prison de Detroit, prévu pour 1200 prisonniers, en accueillit 1700. Dans les prisons pour mineurs 600 jeunes occupèrent une place prévue pour 120 personnes. Un garage souterrain de la police fut transformé en prison pour 1000 personnes. D’autres gens furent bloqués plus de 24 heures dans des bus. Donc pas de toilettes, pas de médecin, pas de droits, aucun contact avec des avocats.

41 personnes moururent à Detroit ces jours-là, 2000 furent blessées, 3200 arrêtées, des milliers sans endroit pour dormir. 1500 magasins furent pillés, 1200 incendies effectués, la production automobile arrêté. Il y eut pour plus de 7 milliards de francs de dégâts. H. RAP Brown, ancien leader estudiantin black, dit : « Avant la ville s’appelait Detroit, maintenant elle s’appelle Destroyed [détruite] ».

Ces soulèvement n’étaient pas des soulèvements organisés, mais ce qui les caractérise toutes c’est que leur prétexte fut une confrontation avec la police. A chaque fois une intervention de police fait déborder le vase. Les gens résistent à la police qui appelle des renforts, qui reçoivent des pierres et des bouteilles, suivent les pillages. Les symboles de la société blanche – magasins et flics- étaient attaqué.

Porteurs de cette vague : les jeunes. Les jeunes étaient plus conscients du racisme spécifique à l’encontre des noirs, ne croyaient pas en une action au sein des institutions, avaient déjà souvent participé à des actions politiques. Mais parlons de la structure sociale.

b) La structure sociale

Il y a aux USA en 1967 22 millions de noirs, c’est-à-dire donc 11,1% de la population. En 1900 90% d’entre eux/elles vivaient dans le Sud ; en 1966 plus que 55%, tandis que 37% étaient au Nord et 8% à l’Est. A ce moment donc les noirs forment 20% de la population du Sud, 8% de la population au Nord et 5% de celle de l’Ouest. 94% des personnes de couleur US étaient alors black.

Malcolm X

Malcolm X

Les noirs se concentraient principalement dans les grandes villes. 58,4% des noirs du sud vivaient dans des « urban areas », au Nord et à l’Ouest c’était à 95,3%. En 1960 il y avait 1.141.322 américains de couleur dans le ghetto de New York, il y a donc plus de noirs que dans une ville africaine. Les noirs vivent en ghetto, les blancs occupent la proche banlieue. Harlem était d’ailleurs un quartier très chic avant l’installation des noirs dans les ghettos. La bourgeoisie blanche évite les noirs et forment des zones à part, comme Beverly Hills à Los Angeles.

Le chômage est de 9,3% dans les ghettos, à 30% on travaille « au noir ». 37,2% des jeunes femmes étaient au chômage, 31,4% des jeunes hommes.

Ce n’est donc pas étonnant que 40,6% des non-blancs vivent sous le seuil de pauvreté. On peut évidemment remonter ces chiffres puisqu’il est difficile de comptabiliser les plus pauvres. Dans les ghettos 52% des enfants avaient moins de 16 ans, 61% en dessous de 21 ans. Donc, la faim. Le Report by the Citizen’s Board of Inquiry into Hunger and Malnutrition in the United States considéra en 1965 qu’entre un tiers et la moitié des pauvres souffraient de la faim et de la malnutrition. Les aides sociales n’amenaient rien, et de toute façon les ¾ en étaient exclus à cause de la politique des Etats.

Le rapport parle – pour chaque enfant – de manque de vitamine et de sels minéraux, de maladies des oreilles et des yeux, de maladies parasitaires (et de bactéries) comme d’anémies, maladies du cœur, etc. Est clairement parlé de sous-alimentation.

« Nous avons vu des enfants qui avaient des plaies ouvertes, des blessures et des déformations chroniques non traitées aux bras et aux jambes. Nous avons vu des appartements sans eau courante, qui étaient remplis de moustiques et de mouches porteuses de bactéries.

Nous avons vu des enfants qui étaient content, quand ils pouvaient manger une fois par jour – de la nourriture avec insuffisamment de vitamines, de sels minéraux, d’albumine. Nous avons vu des enfants qui ne recevaient pas de lait à boire et pas de fruits, pas de légumes ou de viande à manger. Ils vivaient de produits alimentaires à base d’amidon – du gruau, du pain et de la bouillie ».

Mauvaise qualité des logements, la structure familiale désorganisée, faible attention à la santé et manque de moyens, faible espérance de vie, forte criminalité caractérisent la vie du ghetto. 56% des non-blancs vivent dans des logements caractérisés comme « substandart », 28,3% des logements étaient surpeuplés (1960). 23,7% des familles non-blanches avaient une femme à la tête de la famille (1966).

Cela signifie que les femmes noires étaient les seules à gagner de l’argent et ne pouvaient compter sur l’aide d’un homme. Plus les familles étaient pauvres, plus ce chiffre est fort : il est à 42% pour les familles sous le seuil de pauvreté. 26,3% des enfants étaient nés hors mariage (1965). Les enfants sont donc très vite confrontés à la violence, et doivent rapidement apprendre à se mouvoir dans un environnement hostile.

Si l’on compare la situation avec celle de l’Amérique blanche, c’est encore plus net.

Les non-blancs sont 2,2 fois plus confrontés au chômage. Le sous-employement est 8,8 fois plus fort dans les ghettos en moyenne que la moyenne nationale (1966). Si 12,3% des jeunes blanches entre 16 et 19 ans étaient au chômage (dans les mêmes couches sociales), le taux est de 37,2% pour les non-blanches. Pour les garçons le rapport est de 17,2% contre 31,4%.

Quand les noirs avaient du travail, alors la position sociale était plus faible que celle des blancs (entre 85% et 99% des sales boulots étaient fait par des noirs). Un tiers des femmes noires travaillant étaient préposées de maison (1960).

De fait, le revenu d’une famille non-blanche revient à 58% d’une famille blanche (en moyenne, 1966). On notera également qu’en moyenne les familles blanches ont 3,3 enfants, les non-blanches 4. Mais le salaire par tête des noirs n’est que 45% de celui des blancs…

Soldat afro-américain au Vietnam

Soldat afro-américain au Vietnam

Les noirs vont en moyenne 9,1 années à l’école, les blancs 12,1 années (1966). A même travail et même qualification, le salaire varie infailliblement en faveur des blancs. La mortalité des noirs est le double de celle des blancs. Les mères noires meurent quatre fois plus que les mères blanches. Dans la première année les nourrissons noirs meurent deux fois plus que les blancs. L’espérance de vie est de 64 ans pour les noirs, 71 ans pour les blancs.

Au Viêt-Nam, où s’étaient engagé de nombreux noirs pour sortir de leurs conditions sociales, ils représentaient 11,5% des militaires, et 22% des tués, à cause de leur statut de chair à canon.

c) le racisme

« Notre peuple se divise en deux parties, deux sociétés – l’une est noire, l’autre blanche ». C’est ainsi que parle le Report of the National Advisory Commission on Civil Disorders de la situation aux USA et des soulèvements. Pour les noirs la police n’est pas qu’un prétexte à l’émeute, c’est le véritable symbole de l’oppression. La brutalité policière est l’expression de l’atmosphère globale, du cynisme de la société. La police a des attitudes clairement différentes selon les populations, blanches ou noires.

Les noirEs ont été amenés d’Afrique pour travailler dans les plantations des USA. L’abolition de l’esclavage en 1865 n’apporta pas les droits citoyens, mais un apartheid moderne. La guerre de Sécession ne fut d’ailleurs qu’une guerre entre les industriels du nord et les agriculteurs du sud pour la suprématie sur les USA. Comme le dit la plus haute cour de justice US – avec sa formule « divided but equal » – il s’agit d’ériger un nouvel apartheid. Il y a des écoles, des tramways, des toilettes pour les blancs, et d’autres pour les noirs. La discrimination est modernisée, adapté aux temps modernes. Les règles empêchent les noirs de voter (découpage des circonscriptions, juridiction…) et le KKK est là pour maintenir la terreur.

Stokely Carmichael et Charles V. Hamilton, deux activistes et intellectuels blacks, parlent dans leur livre « black power » de deux sortes de racisme : le racisme individuel et le racisme institutionnel. La première forme est condamnée par une grande partie de la société, donc par beaucoup de blancs. Mais la deuxième forme est oubliée : « Quand des terroristes blancs posent une bombe dans une église d’une communauté noire et tuent ainsi 5 enfants noirs, c’est un acte du racisme individuel, qui est vivement regretté par de larges parties de la société.

Black Power

Mais si dans la même ville – Birmingham dans l’Alabama – ce n’est pas 5 mais 500 nourrissons noirs qui meurent par an, parce qu’il manque de la nourriture adaptée, des logements et des soins médicaux, et quand mille autres s’écroulent, et dépérissent physiquement, psychologiquement, psychiquement, dans les quartiers noirs par la pauvreté et la discrimination, alors il s’agit du racisme institutionnel ».

Le racisme n’est pas une forme qui passe à côté de la société, mais au contraire la traverse de part en part, dans tous les rapports sociaux.

Carmichael et Hamilton voient trois domaines où l’oppression des noirs agit :

1) Le domaine politique est totalement dominé par les blancs. « En politique toutes les décisions qui influencent la vie des noirs sont prises par les blancs, par la structure blanche du pouvoir ». Les blancs réagissent en groupe monolithique contre les différentes stratégies des blacks. « Confronté aux exigences des noirs, les blancs de tous les partis s’unissent et forment un front fermé ».

Les noirs qui prennent des positions dans la structure de pouvoir :

– ne sont jamais tout en haut ;

– ne représentent plus les intérêts des masses noires ;

– participent de fait à l’Amérique blanche.

De fait ces éléments, qui ont un savoir-faire technique, intellectuel, ne participent plus à la communauté parce qu’ils sont liés au pouvoir. Et de toute façon les blacks sont écartés du réel exercice du pouvoir.

2) Le domaine économique est caractérisé par des structures d’exploitation, où les noirs sont un réservoir de main d’œuvre bon marché. En fonction de la situation les blacks sont embauchés ou licenciés, leurs salaires sont largement plus faibles.

Les marchandises sont vendues plus chers dans le ghetto que « dehors », la qualité est moins bonne. « Avec son salaire en dessous de la moyenne les gens de couleur paient des prix largement plus élevés pour des marchandises de moins bonne qualité et paie de surcroît plus pour leur logement que les blancs ».

3) Le domaine social est divisé. D’un côté il y a l’Amérique blanche avec ses normes et ses valeurs, ses idéaux et sa culture. De l’autre il y a l’Amérique noire, qui serait selon les blancs sans culture ni valeur. Les noirs sont (souvent) mis sur le même plan que les animaux.

Carmichael et Seale durant la campagne pour la libération de Huey Newton

Carmichael et Seale durant la campagne pour la libération de Huey Newton

Les consciences des blacks sont elles-mêmes colonisées, les blacks méprisent leur propre culture. C’est le statut de l’esclave heureux de son sort, processus bien connu.

« Ce doute amène les germes pour une haine de soi, une haine de groupe destructrice – le complexe noir – et pour un préjugé vis-à-vis de soi-même, qui ne laisse grandir aucune force ». Les noirs tentent d’imiter les blancs, croient réellement en leur infériorité.

Les canons de la beauté – peau blanche, cheveux blonds, yeux bleus – sont acceptés par les noirs. Toute une industrie fleurit dans la production de produits pour lisser les cheveux et blanchir la peau. Le caractère négroïde est considéré comme  » moche « . Plus la peau d’un noir est claire, plus on le/la considère comme intelligent.

Pour les deux auteurs de « black power », une telle intégration – imiter les blancs, refuser la culture noire – ne peut qu’échouer. Ils font un parallèle entre les ghettos des USA et les colonies du « tiers-monde », comme il y aurait des ressemblances frappantes. D’où la notion de « colonie dans la mère patrie ».

4. La lutte révolutionnaire-démocratique

a) Le mouvement pour les droits civiques

Depuis les années 40 l’Etat s’était efforcé d’effacer les traits les plus marquants du racisme institutionnel. Le point culminant a consisté en une décision de la haute cour de justice des USA le 17 Mai 1954 de considérer comme anticonstitutionnelle la division raciste à l’école, parce que la division des écoles ne donnaient pas les mêmes chances à tous. Cette loi évidemment ne changea rien.

C’est la NAACP (National Association for the Advancement of Colored People) qui a essentiellement été active. Cette association avait été fondée après la première guerre mondiale par des intellectuels noirs, des libéraux blancs et des entrepreneurs, était une organisation de la middle class black et n’a jamais eu de base populaire.

Le mouvement des droits civiques débute historiquement le 1er décembre 1955. Ce jour-là, à Montgomery en Alabama, la travailleuse black Rosa Parks refuse de céder sa place assise à un homme blanc. Cette place était réservée aux blancs, il y avait au fond du bus un endroit pour les noirs.

NAACP-logo

Elle fut arrêtée pour cela, suivant les lois locales sur la séparation des races. On avait déjà parlé auparavant d’un boycott des bus et avec le succès à Bâton rouge une année avant des pas en ce sens furent fait. Cette arrestation fut prétexte en conséquence à un boycott qui dura 12 mois. Jusqu’à ce que la haute cour de justice considéra la séparation comme illégale.

La lutte se fit dans la rue, avec des actions directes : boycott, manifestations, sit-ins, rupture avec la loi sur les séparations, avec par exemple les freedom rides, où des blancs et des noirs s’asseyaient les uns à côté des autres dans les transports en commun.

Le mouvement des droits civiques se limita principalement au sud, là où la séparation des races était la plus flagrante. On fit campagne pour le vote. En 1962 il n’y avait que 25% des blacks inscrits sur les listes dans le sud, à cause des restrictions imposées par les fonctionnaires. On espérait, en augmentant le potentiel de l’électorat noir, faire rentrer les noirs dans les administrations, casser les système des castes existant dans le Sud.

Il y avait de grandes organisations qui côtoyaient des organisations locales :

– le Southern Christian Leadership Conference (SLCC) était en 1957 l’organisation la plus connue internationalement, car fondée par Martin Luther King ;

– le Congress of Racial Equality (CORE), fondée en 1942 ;

– le Student Nonviolent Coordinating Comittee (SNCC ou aussi SNICK).

Ces trois groupes n’avaient pas de structures organisationnelles de haut niveau ; leur but n’était pas l’adhésion formelle. Les liaisons étaient plutôt fonctionnelles. Il y avait aussi tous les gens qui par leurs activités soutenaient le mouvement ; en 1960 il y avait 50.000 personnes dans les manifestations du mouvement.

Les membres du CORE et du SNCC venaient d’une sorte d’aristocratie ouvrière : leurs parents venaient du Sud, leurs familles étaient pauvres et appartenaient à la classe ouvrière, mais eux-mêmes étaient au College. Il s’agissait de gens engagés, plein d’espoir, avec l’idée de dépasser les limites de la politique orthodoxe du NAACP avec les méthodes de la désobéissance civile. Le SNCC n’était pas, et ce dès le départ, une organisation spécifiquement black, il y avait environ 60% de noirs et 40% de blancs.

L’analyse du mouvement des droits civiques est de fait pleine d’illusions, comme on peut le voir à travers les discours du pasteur Luther King qui a un « rêve, un rêve profondément ancré dans le rêve américain ». On est loin, comme on le verra par la suite, de la guerre anti-impérialiste contre les USA prônée par Georges Jackson. D’ailleurs l’hymne du mouvement était : « We shall overcome – some day ». Un jour…

George Jackson

George Jackson

La réponse du système fut claire. Insultes, coups, gaz, prison, torture, assassinat. L’espoir des blacks de modifier leur situation par des appels à la conscience des blancs ne marchait pas vraiment à 100%, malgré la sympathie d’intellectuels libéraux blancs, notamment du nord, qui pouvaient sympathiser avec le mode d’action et les revendications.

Le democratic party (les démocrates) a soutenu ce mouvement, mais seulement parce qu’il y avait de nouveaux votants, qui sympathisaient plus avec lui qu’avec les républicains, encore plus réactionnaire. Aussi les dollars de soutien allèrent principalement aux campagnes pour enregistrer les blacks comme votants.

Il y eut des succès, en deux vagues – 1957-1960 et 1964-1965. Il y eut même des interventions des troupes US pour imposer les lois. De fait, la violence contre les noirs (lynchage, terreur…) a été diminué, les blacks peuvent voter, ont plus de représentations politiques. De plus la conscience black s’est réveillé – black is beautiful. La haine de soi en a pris un coup.

Evidemment, ce qui satisfait la middle class ne suffit pas les masses noires. La misère matérielle est toujours là, malgré des « droits » qui ne sont en fait que formels. Et dès que les masses recommencèrent les soulèvements, la middle class qui a su conquérir une position plus sympathique pour elle s’empresse d’en appeler au calme et à l’ordre, au Law and Order, à l’intervention de la police et de l’armée.

Il y eut une partie du mouvement qui se radicalisa, revendiquant la fin de la discrimination dans les logements, le travail, etc. Mais le mouvement n’était pas prêt à cette lutte – d’autant plus que cette radicalisation coupait des libéraux blancs.

La conséquence est claire : il est nécessaire de trouver du neuf.

En 1965/66 le SNCC enlève le terme de « non-violent » de son sigle et le remplace par national. En 1966 les blancs sont exclus car d’aucune utilité dans la communauté black, leur est fait appel de s’organiser en tant que blancs.

A l’opposé du mouvement des droits civiques, il y avait la nation of islam, connu sous le nom de black muslims. Fondée en 1934 par Wali Farrad, elle était conduite depuis 1934 par le ministre Elijah Muhammad. Il s’agissait en premier lieu d’une secte religieuse, avec des règles strictes (pas d’alcool, de cigarettes, de drogues, de danses, de flirts, de cinémas, de perte de son emploi…).

A côté des temples dans les ghettos, il y avait des restaurants, des magasins, des écoles, et même une université (à Chicago). Il y avait un groupe d’auto-défense, Fruit of Islam. L’idéologie de la secte considère que les blacks sont choisis par Dieu et que les blancs doivent disparaître avec le démon blanc. Il n’y a pas grand-chose à voir avec le monde de l’Islam en fait, et d’ailleurs la Bible est plus cité que le Coran. Le but est un capitalisme noir, issu des efforts et de la création d’un Etat noir aux USA. Il y avait environ entre 75000 et 150000 membres dans 27 Etats.

Malcolm X et Mohammed Ali

Malcolm X et Mohammed Ali

Ceux-ci donnaient entre 1/3 et 1/4 de leur salaire à l’organisation. Le membre le plus connu était Mohammed Ali / Cassius Clay. La prise d’un nom arabe ou africain au lieu d’un nom américain est un phénomène en liaison avec cette « conscience » de l’oppression black.

Leur leader le plus connu était Malcolm Little, né en 1925 à Omaha, dans le Nebraska. On le connaît sous le nom de Malcolm X. Il considérait en effet que son nom avait été effacé par les blancs, volé. Il fut condamné en 1946 à 10 années de prison pour cambriolage, et contacta en prison des Black Muslims, et après sa libération anticipée en 1952 il devient leur leader et organisateur le plus significatif.

Il conduisit longtemps le temple de Harlem à New York. Début mars 1964, après un voyage à la Mecque, qui l’amena aussi dans des pays du Proche-Orient et d’Afrique, il rentra en conflit avec les Black Muslims. Il n’accepta plus leur théorie raciale ; il considéra que c’est plus la politique que la religion qui permettra une amélioration des conditions de vie des noirs. Il fonda le 8 mars une nouvelle organisation religieuse, la Muslim Mosque, Inc, puis une organisation de teinte non-religieuse et socialiste, l’Organization of Afro-American Unity (OAAU).

De Juillet à Septembre il voyagea encore deux fois en Afrique et au Proche-Orient, ce qui l’éloigna encore plus d’une théorie raciale et l’amena à un point de vue internationaliste. Il avait participé à la conférence de l’Organization of African Unity au Caire, où il prôna que les Etats africains amènent le problème racial US devant l’ONU.

Il ne réussit pas mais il y eut une résolution qui condamna la discrimination aux USA. Puis aux USA Malcolm X continua de « prêcher », mais cette fois, et à la différence du mouvement des droits civiques, en faveur de la violence révolutionnaire. Parce qu’ » en se mettant à genoux et en priant on n’obtient aucun droit ». Il prôna la formation de rifle clubs pour défendre les communautés black.

A un meeting qu’il tint le 8 avril 1964 à un rassemblement du Militant Labor Forum, d’ailleurs devant un public au ¾ blanc, il affirma que  » La révolution noire est en cours en Afrique, en Asie et en Amérique latine ; si je dis noir, alors je ne veux pas dire blanche, mais noir, marron, rouge ou jaune. Nos frères et nos sœurs en Asie, qui ont été colonisé par les Européens, et les paysans en Amérique latine, qui ont été colonisé par les Européens, tous ceux-là se retrouvent depuis 1945 dans une lutte pour éloigner de leurs pays les colonialistes et les puissances coloniales, les Européens.

C’est une véritable révolution. Révolution basée toujours sur la terre. Une révolution ne se base jamais sur la volonté que quelqu’un nous apporte une tasse de café intégrée. Des révolutions ne peuvent jamais être obtenues, si l’on tend sa joue à l’autre. Les révolutions ne se basent jamais sur le « tu aimeras tes ennemis et prieras pour ceux qui t’offensent et te poursuivent ».

James Meredith se rendant à l’université escorté par la police - 1962

James Meredith se rendant à l’université escorté par la police – 1962

Et les révolutions ne sont jamais mené simplement en chantant « we shall overcome ». Les révolutions se basent sur les effusions de sang, les révolutions ne sont jamais des compromis, ne reposent jamais sur des négociations.

Les révolutions ne reposent jamais sur une sorte de cadeaux ; les révolutions ne reposent pas non plus sur la demande mendiante d’être accepté dans une société corrompue ou un système corrompue. Les révolutions renversent les systèmes. Et sur cette terre il n’y a pas de système qui se soit révélé plus corrompue, plus criminelle que ce système qui colonise en 1964 encore 22 millions d’Afro-américains, qui a toujours comme esclaves 22 millions d’afro-américains ».

Il modifia encore une fois son nom, en El Hajj Malik El Shabazz. Mais c’est sous le nom de Malcolm X qu’il est le plus connu. Il se fit descendre le 21 février 1965, pendant une allocution à Harlem. La fille de Malcolm accuse les Black Muslims et a d’ailleurs essayé de tuer celui qui est leur leader ou au moins un responsable moral de l’assassinat de celui dont la signification pour le mouvement black est grand : Malcolm X. L’OAAU elle s’écroula peu après.

b) la théorie du « Black Power ! »

Lorsque le 6 Juin 1966 James Meredith, figure symbolique du mouvement pour les droits civiques, se fit descendre lors d’une Freedom March dans le Mississippi, le mouvement « we shall overcome » se divisa. L’exigence de l’aile radicale, « freedom now », se transforma également en « we shall overrun ». Stokely Carmichael utilisa le terme de « black power » comme slogan et résuma ainsi la pensée d’une partie du mouvement.

Black Power « est un appel aux noirs de ce pays à s’unir, de reconnaître leur héritage, de développer un sens civique ». Il s’agit que les noirs aient des propres buts, conduisent leurs propres organisations, les défendent, refusent les institutions racistes et les valeurs de la société existante.

Il s’agit « d’en arriver à nos propres notions, avec lesquelles nous nous définirions nous-mêmes ainsi que notre relation avec la société ».

L’importance des propres définitions du mouvement a été souvent soulignée par Stokely Carmichael. Il cita ainsi un livre d’enfant de Lewis Caroll, Alice derrière le miroir. [Le traducteur de ce texte n’ayant pas lu l’œuvre en question, problème ! Résumons ainsi : il y a un personnage qui dit à Alice : « quand j’utilise un mot, alors c’est que je le considère comme juste – pas plus, pas moins ». Alice répond : « oui mais il se pose la question de savoir si on ne peut pas donner un autre sens au mot ». Et le personnage de dire alors : « la seule question qu’il se pose est de savoir qui est le plus fort, c’est tout ».]

Le livre de Carmichael et Hamilton, Black Power, sous-titré la politique de la libération en Amérique, tente de définir et résumer ce concept. Le point de départ est l’analyse de l’Amérique noire comme colonie dans la mère patrie, comme dit plus haut.

Stokely Carmichael

Stokely Carmichael

Etant donné que cela ne sert à rien d’espérer de l’Amérique blanche qu’elle abandonne ses discriminations, il faut que les noirs organisent leur propre pouvoir : Black Power. Il s’agit de défendre ses propres intérêts que personne d’autre ne peut défendre. Pour pouvoir participer à une société pluraliste (avec les blancs) il faut d’abord être uni si l’on veut être sur un plan d’égalité.

Évidemment, on peut se douter que la critique classique et petite-bourgeoise, celle du « racisme à l’envers », a fusé. Mais cela est faux, parce que les noirs n’oppriment aucun autre groupe, mais veulent s’auto-définir et s’auto-réaliser sans la domination d’autres groupes. « La pleine participation au processus de décision, tant que cela touche la vie des noirs ».

Pour gagner ce contrôle, il ne suffira donc pas de gagner des positions dans la structure de pouvoir. On cite l’exemple de la case de l’oncle Tom. « Une image d’apparition noire n’est pas encore un ’pouvoir noir’ ».

On doit également se débarrasser du principe de non-violence. Les blancs l’utilisent, on doit pouvoir répondre. L’auto-défense sera le maître mot des Black panthers.

Ce n’est que lorsqu’on en sera arrivé au black power que sera possible un travail avec des groupes blancs. Pour ne pas reproduire indéfiniment la situation du mouvement des droits civiques : une collaboration entre des blancs tout puissants et des noirs dépendants.

En se positionnant comme Black Power, les noirs entendent refuser le racisme des blancs, ne pas accepter les règles du jeu. Exactement comme les autonomes se refusent à participer aux institutions, partis et syndicats révisionnistes et bourgeois pour rompre totalement avec le système impérialiste-capitaliste. Il n’y a pas à accepter l’exploitation (ou le racisme), il faut organiser un contre-pouvoir éliminant ces oppressions.

Le concept de Black Power proposé est plus un cadre qu’un programme. C’est dans la pratique que va se décider concrètement la construction du Black Power.

c) la naissance du Black Panther Party

Le 15 octobre 1966 Huey P. Newton et Bobby Seale fondent à Oakland, en Californie, le Black Panther Party for Self-Defense.

Huey P Newton

Huey P Newton

Parlons un peu de la biographie de ces deux personnes. Huey Percy Newton est né le 17 février 1942 à Oak Grove, en Louisiane. Il est le plus jeune d’une famille de sept enfants. Son père, ouvrier, trouve du travail à Oakland et ils partent tous là-bas.

Newton vit dans la rue, et comme tout le monde a des problèmes avec la police et a des procès. En 1962 il est condamné en sursis pour avoir attaqué un policier. En 1964 il prend 8 mois ferme et 3 ans avec sursis pour avoir planté quelqu’un [avec un couteau]. Il est allé au Merritt College à Oakland et pendant peu de temps à la San Francisco Law School. Il travaille à ce moment-là avec quelques petits groupes politiques des noirs.

Bobby Seale est né le 22 octobre 1936 à Dallas au Texas. Il grandit avec un frère, une sœur et un cousin. Il devient mécano après une enfance pauvre, va à l’armée dont il est viré, puis se retrouve dans l’aéronautique. En 1960 il va à Oakland, et va de temps en temps au Merritt College, où il rencontre en septembre 1962 Newton.

Ils travaillent de temps en temps dans les mêmes groupes politiques, mais pas au même moment. En été 66 ils ont tous les deux un travail dans le programme d’aide aux pauvres, Seale comme maître d’œuvre, Newton comme Community-Organisator.

Leur nouveau parti n’avait rien à voir avec le Lowndes Country Freedom Organization, qui si elle avait également comme symbole une panthère, se voulait alternative aux partis démocrate et républicain (évidemment c’est l’échec aux élections).

Le Black Panther Party for Self-Defense se distingue de ce groupe déjà par l’appel à l’auto-défense armée organisée des noirs contre les attaques de la police, et les agressions contre les racistes blancs. C’était un de leur point central. Newton expliqua que leur symbole l’exprimait clairement : « la panthère est un animal qui n’attaque jamais.

Mais s’il est attaqué ou poursuivi, alors il se soulève et efface celui qui l’attaque ou l’agresse – absolument, de manière décidé, totalement, à la base, de fond en comble ».

Il ne s’agit pas de la première tentative d’auto-organisation. Robert F. Williams, secrétaire du NAACP à Monroe, en Caroline du Nord, appelle depuis 1957 à se défendre contre la terreur du KKK. Lorsque le FBI voulut l’arrêter en 1961, il s’enfuit à Cuba, puis en Chine populaire. La seconde tentative a consisté en la formation des Deacons for Defense and Justice en différents endroits de la Louisiane. Mais le mouvement des droits civiques n’est pas remis en question, on se considère plus comme une partie de ce mouvement. L’utilisation des armes ne définissait pas une nouvelle stratégie, mais simplement une défense nécessaire.

Les Panthers eux allèrent plus loin, en automne 68 les termes « for Self-Defense » sont enlevés, on veut renforcer le côté parti avec un programme politique, pas le côté « auto-défense ».

Le programme en dix points qui suit est le programme du parti. Il n’a jamais été changé, sauf en ce qui concerne le point 3. Le 27.12.1969 on remplace la formule « par l’homme blanc » par « par les capitalistes ».

L’agitation commença avec 1000 exemplaires de ce programme dans la communauté d’Oakland. Ils discutèrent dans la rue, expliquèrent le programme. On ne peut pas vraiment parler de parti, avec seulement deux personnes. Néanmoins Newton se proclama ministre de la défense du parti et Bobby Seale président.

Le premier adhérent fut Bobby Hutton, 15 ans. « Cela commença ainsi : avec des rassemblements dans la rue, en parlant beaucoup de violence et avec un peu de bagarres à l’intérieur de la communauté d’esprit noire et beaucoup d’enrôlement – personne ne sait combien – dans la rue ».

Bobby Hutton

Bobby Hutton

Newton et Seale parlèrent en fait principalement du point 7, celui de l’auto-défense. Ils prônèrent la formation de groupes de 3-4 pour liquider les policiers racistes, lancer des bombes incendiaires et en fait, comme but, la liquidation de l’armée d’occupation blanche.

Leur première arme fut un fusil M-1 et un pistolet 9mm. Ils reçurent cela d’un révolutionnaire japonais, qui les donnèrent gratuitement (Newton et Seale n’avaient pas d’argent mais persuadé le camarade de le donner afin qu’ils « puissent commencer à préparer le peuple à un combat révolutionnaire ». Ils étudièrent les règles du port d’armes, apprirent le droit quant à ce sujet.

Ils formèrent une infrastructure organisationnelle : un local au coin de la 56ème rue et de la Grovestreet, à Oakland fut loué. Le premier janvier 1967 le bureau officiel du parti est ouvert. Fin janvier il y a déjà 25 personnes qui s’y rencontrent. Le parti eut bientôt entre 30 et 40 membres.

Le Black Panther Party est né.

5. Le BPP se développe : théorie et pratique

a) le programme du BPP

Octobre 1966. Programme du Black Panther Party.

Ce que nous voulons, en quoi nous croyons

1. Nous voulons la liberté. Nous voulons les pleins pouvoirs, définir le destin de notre peuple noir.

Nous pensons que nous, noirs, ne seront pas libres avant de pouvoir définir nous-mêmes notre destin.

2. Nous voulons le plein-emploi pour notre peuple.

Nous pensons que le gouvernement des Etats-Unis est responsable et doit faire en sorte que chacun ait un travail ou un revenu assuré. Nous pensons que, si les hommes d’affaire blancs américains ne nous donnent pas le plein-emploi, alors les moyens de production doivent être pris aux hommes d’affaire et donné au peuple, afin que tous les membres du peuple puissent être organisé et employé et atteindre un haut niveau de vie.

3. Nous voulons que notre peuple noir ne soit pas plus longtemps volé [par l’homme blanc] [par les capitalistes].

Nous pensons que ce gouvernement raciste nous a volés, et nous exigeons maintenant la dette en souffrance de « quarante hectares et deux mulets ». Quarante hectares et deux mulets nous ont été promis il y a cent ans comme réparation pour le travail d’esclave et le génocide.

Nous prenons aussi comme contrepartie l’argent que nous distribuerons dans nos nombreux quartiers. Les Allemands aident maintenant les Juifs en Israël à cause du génocide à l’encontre du peuple juif. Les Allemands ont tué six millions de Juifs. Les racistes américains ont participé au meurtre de plus de cinquante millions de noirs, nous considérons donc notre revendication comme modeste.

4. Nous voulons des logements décents, dignes.

Nous pensons que les propriétaires blancs ne donnent pas à notre peuple noir des logements décents, alors les maisons et le pays devraient être transformés en propriété sociale, afin que notre peuple puisse construire pour ses gens et fournir des logements décents avec l’aide du gouvernement.

5. Nous voulons une formation, qui découvre la véritable essence de la société américaine décadente. Nous voulons une formation, qui nous apprenne notre véritable histoire et nous fasse comprendre notre position dans la société d’aujourd’hui.

Nous croyons en un système d’éducation qui transmette à notre peuple une compréhension de lui-même. Si un quelqu’un ne possède pas une compréhension de soi-même ainsi que de sa position dans la société et le monde, alors il n’a quasiment pas perspective pour comprendre quelque chose d’autre.

Bobby Seale

Bobby Seale

6. Nous voulons que tous les noirs soient libérés du service militaire.

Nous pensons que nous, noirs, ne devons pas être obligés à lutter pour la défense d’un gouvernement raciste qui ne nous protège pas.

Nous ne voulons pas combattre ou tuer des membres d’autres peuples de couleur, qui sont comme nous trompé par le gouvernement raciste blanc. Nous voulons nous défendre contre la coercition et la violence de la police raciste et des militaires racistes, et cela quel que soient les moyens nécessaires [by any means necessary].

7. Nous voulons l’arrêt immédiat de la brutalité policière et des meurtres de personnes noires.

Nous pensons que nous pouvons mettre une fin à la brutalité policière dans nos quartiers noirs, dans la mesure où nous organisons des groupes d’auto-défense noirs, qui se donnent comme tâche de défendre nos communes noires contre l’oppression raciste et la brutalité de la police. Le deuxième amendement de la constitution des Etats-Unis accorde le droit d’avoir des armes sur soi. Nous pensons ainsi que tous les noirs devraient être armés pour l’auto-défense.

8. Nous voulons la libération de tous les noirs qui sont emprisonnés dans les prisons fédérales, les prisons d’Etat, de canton et de villes ou dans des pénitenciers.

Nous pensons que tous les noirs devraient être libéré des nombreux pénitenciers et prisons, parce qu’il ne leur a pas été donné de procès juste et sans parti pris.

9. Nous voulons que tous les noirs dans les débats judiciaires soient jugé par un jury qui soient leurs égaux ou viennent du même quartier noir, comme le prévoit la constitution des Etats-Unis.

Nous pensons que les cours de justice devraient s’en tenir à la constitution, afin que soient donné aux noirs des débats judiciaires justes. Le quatorzième amendement de la constitution des Etats-Unis donne à chacun le droit d’être jugé par son semblable, cela signifie du même environnement économique, social, religieux, géographique, du même milieu, de la même histoire et du même environnement racial. Ainsi le tribunal sera obligé de choisir un jury de la communauté d’esprit noire dont provient l’accusé noir. Nous sommes et serons encore exclusivement condamné par un jury blanc, qui n’a aucune compréhension pour « l’homme moyen » du quartier noir.

BPP : petits-déjeuners pour le peuple

BPP : petits-déjeuners pour le peuple

10. Nous voulons la terre, le pain, les logements, l’éducation, les habits, la justice et la paix ; et comme but politique important un référendum mené par l’ONU dans toute la colonie noire, auquel seuls les citoyens noirs ont le droit de participer ; ce référendum doit décider de la perspective du peuple noir quant à son destin national.

Quand il est au cours de l’histoire nécessaire à un peuple de défaire des nœuds politiques qui ont été la liaison avec un autre peuple, et de prendre parmi les puissants de cette terre sa situation propre et égale selon les lois de la nature et de son créateur, alors cela réclame une attention mesurée aux avis de l’humanité qui nomme les raisons qui forcent à couper ces liens.

Nous considérons les vérités suivantes comme évidentes : tous les gens sont fait pareils et munis par leur créateur de droits inaliénables ; à ces droits appartiennent la vie, la liberté, et la recherche du bonheur.

Pour leur assurance il y a parmi les hommes des gouvernements, dont la justification de la violence provient de l’approbation des personnes régies ; quand une forme de gouvernement agit de manière destructive quant à ce but, alors le peuple a le droit de modifier ou abolir cette forme de gouvernement et de mettre en place un nouveau gouvernement ; il se construira sur la base et ses pleins pouvoirs s’organiseront dans la forme qui est d’après lui le plus approprié pour entraîner sa sécurité et son bonheur.

Etre malin nécessite ne pas vouloir modifier des gouvernements existant depuis longtemps pour de petites raisons et passagère ; conformément à cela toute l’expérience a montré que les gens tendent à supporter, tant que les malheurs sont encore supportables, plutôt d’en arriver à l’abolition des formes habituelles du droit.

Mais s’il y a une longue chaîne d’outrages et de ruptures du droit, qui invariablement suivent les mêmes desseins, qui manifeste l’intention de les soumettre à une domination violente totale, alors les gens ont le droit et le devoir de secouer un tel gouvernement et de prendre de nouvelles dispositions pour sa future sécurité.

b) l’organisation du BPP

Voilà quant au programme. Nous avions parlé du local qui avait ouvert. Revenons y. Chaque mercredi soir des cours sont tenus pour la formation politique. Chaque samedi il y a des réunions, où on discute du programme en dix points. On s’entraîne également à l’utilisation des armes.

L’arsenal grossit de plus en plus, grâce à l’apport des militants ou l’achat. L’argent nécessaire à cela provient de la vente du petit livre rouge de Mao. Achetés à bas prix dans une librairie chinoise de San Francisco ils sont revendus avec bénéfice sur le campus de Berkeley. Les manifestations se révélèrent aussi un bon endroit pour la vente.

Le petit livre rouge était également utilisé de manière interne comme matériel de formation. Ce qui était central pour les panthères consistait en les passages où Mao traitait de la nécessité de la lutte armée, de son rôle dans la lutte de libération. Comme mot d’ordre pour le Black Panther Party, Newton prit une citation de lui : « la politique c’est la guerre sans effusion de sang, et la guerre c’est la politique avec effusion de sang, c’est la continuation de la politique, mais avec effusion de sang ». Et également : « nous parlerons du pouvoir politique qui est au bout du fusil ».

Le pouvoir militaire se voit ainsi confié une grande signification quant à la résolution des problèmes des blacks. Partant de l’analyse que les USA est un système défendant ses intérêts par la violence, et rend ainsi absurde les mouvements de droits civiques non-violents et pacifistes, le Black Panther Party tire la conclusion que la violence est nécessaire pour arriver à ses objectifs.

A côté du petit livre rouge de Mao, et des œuvres de Che Guevara, à côté des œuvres de Malcolm X, le travail de Frantz Fanon est loin d’être déconsidéré. Frantz Fanon est un français assez vite parti en Allemagne. C’est lui le théoricien de la décolonisation des consciences, notamment avec son livre « les damnés de la terre ». Fanon analyse les effets psychologiques de la décolonisation en Algérie, et en arrive à la conclusion de la nécessité de la réappropriation sociale, de la réappropriation de son humanité, par la violence contre la domination.

Ministère de l'information du BPP

Ministère de l’information du BPP

Comme on le voit, un grand rôle est donné à la conscience. Newton et Seale avaient intensément étudié avant la fondation du parti, et particulièrement le travail de Fanon quant au rôle de la violence dans le processus de libération. Eldridge Cleaver, qui ne rentra que plus tard au BPP, qui était alors journaliste, dit que le livre de Fanon était la « bible » des militants blacks aux USA.

Il définissait ainsi les points centraux de l’analyse de Fanon : « à un certain stade de modification psychologique d’un peuple opprimé, qui a pris en charge la lutte pour sa liberté, il se développe dans l’inconscient collectif un penchant pour la violence. Le peuple opprimé a le souhait indomptable de tuer celui qui le domine. Mais cette sensation réveille immédiatement nombre de doutes ; car dès que le peuple est conscient de sa volonté d’aller contre l’esclavagiste, il recule effrayé de cette impulsion. La violence revient sur elle-même, et les opprimés se battent entre eux : ils s’entre-tuent et se font tout ce qu’ils entendaient faire aux oppresseurs ».

Ceci provenant du fait que les opprimés sont impressionnés par l’ennemi et le considèrent comme invincibles. De fait la violence sociale se dirige contre eux-mêmes, au lieu d’assumer la violence révolutionnaire.

La volonté de tuer l’ennemi, l’oppresseur, est vu comme normal ; c’est la voie nécessaire pour dépasser la déformation de la personnalité et devenir être humain.

La violence est donc utile dans le processus de libération des blacks, elle est justifiée historiquement, elle est nécessaire, et cette nécessité est un point de départ des panthères.

A côté de la connaissance juridique des ports d’armes, le BPP a fait un bulletin d’informations juridiques en 13 points, afin que les gens puissent mieux se défendre. A tous les niveaux – autodéfense comme pour l’aide juridique ou matérielle, par les repas gratuits – le BPP se veut au service de la communauté. C’est une expérience très forte, qui aujourd’hui encore devrait être un point de départ à nombre de travaux révolutionnaires ici.

c) les activités du BPP

Le BPP, à ce moment-là, a comme activité centrale la démonstration de force. Les membres vont armés dans les partys et les rassemblements, servent de gardes du corps à des noirs célèbres, entendent faire comprendre à la police qu’il y a désormais des moyens de se défendre dans la communauté black.

Ainsi, souvent, les Black panthers se moquent de la police, jouent les durs à quelques mètres d’eux. Sans qu’il y ait confrontation directe, mais avec une victoire morale qui crée le mythe Black Panther. Le BPP résiste, et tous les jeunes blacks font voir que la résistance est possible, qu’il n’y a plus de soumission morale à faire. Ainsi se pose par la suite la question des modifications de la situation matérielle. Une conscience nouvelle se propage à travers l’activité du BPP. En avril 1967, le BPP est composé d’à peu près centre membres.

Le premier avril 1967, Denzil Dowell, un black est tué par la police dans le North Richmond. Il s’avéra par la suite qu’il n’était pas armé au moment des coups de feu et qu’il avait les mains en l’air. Ce n’est évidemment pas pour autant qu’il y a une commission administrative.

1967 : démonstration de force du BPP au capitole

1967 : démonstration de force du BPP au Capitole

Deux blacks avaient déjà été tué par la police dans le North Richmond en décembre de l’année précédente. Etant donné qu’ils avaient des blessures dans le creux des aisselles, il était clair qu’ils avaient eux aussi les mains en l’air.

Les membres de la famille de Dowell appelèrent les panthères, dont ils avaient entendu parler. Les journaux parlaient de trois blessures alors qu’il y en avait six, disaient que Dowell voulait s’enfuir après un cambriolage mais le bâtiment en question n’a jamais été cambriolé. Tout fut fait (traces de balles, de sang, etc.) pour bien prouver aux panthères que Dowell a bien été assassiné alors qu’il n’avait pas d’armes et ne tentait pas de s’enfuir.

Le BPP en profita pour discuter avec la population, tint des rassemblements dans les rues. Dans ces rassemblements on parle du programme en dix points, de l’expérience du BPP en tant que parti pour le black power et de la nécessité de former des groupes d’autodéfense. « Chacun doit avoir une carabine chez soi – chacun ».

Après le deuxième rassemblement dans la rue, presque tous des 300-400 participants au débat adhérèrent au BPP. Dans la San Francisco Area, le BPP était donc devenu fort et en tout cas le groupe black le plus radical et le mieux organisé. Ils allèrent voir la direction de la police et obtinrent qu’une commission d’enquête soit effectuée.

Dans ce cadre sortit le premier numéro de la feuille d’info The Black Panther, Black Community News Service. Tirage : entre 5000 et 6000 exemplaires.

Parlons maintenant de Leroy Eldidge Cleaver, qui va être le responsable du journal. Il est né le 31 août 1935 à Little Rock dans l’Arkansas, comme fils d’un serveur de restaurant qui jouait du piano et d’une prof de collège. Il avait deux frères et deux sœurs. En 1946 la famille part à Phoenix dans l’Arizona puis à Los Angeles où elle rejoint le ghetto. Cleaver va deux fois en maison de correction : 1947 et en 1952, fait trois ans de prison à Soledad (1954-57).

En 1958 il est condamné à 14 années d’emprisonnement pour « viol et tentative de meurtre » contre une femme blanche. En prison il change, s’autocritique, rejoint la Nation of Islam, rompt comme Malcolm X avec elle et devint un de ses partisans. Il lut beaucoup, et commença à écrire. Après la publication de certains de ses travaux il put sortir le 12 décembre 1966.

Il obtint le statut de rédacteur dans la revue Ramparts grâce à ses talents littéraires. Cette revue était à l’origine une revue trimestrielle libérale destinée aux catholiques novices. Il a à partir de février 67 des contacts avec le BPP. S’il émet au départ quelques réserves, lors d’un rassemblement de 65000 personnes contre la guerre du Viêt-Nam le 15 avril 67 il rejoint le BPP et devint rapidement ministre de l’information.

Une loi devant passer contre le port d’armes, le BPP voulut faire un coup d’éclat au Capitole. Il voulait que des hommes armés se mettent devant, fassent lecture à la presse – toujours présente là-bas – d’une déclaration. En fait les panthères rentrèrent dans le Capitole, à Sacramento en Californie, le deux mai 1967.

En ce temps il était possible d’avoir une arme dans la tribune du public. Mais au lieu de rentrer dans cette tribune ils rentrèrent directement au niveau des parlementaires. Ils furent refoulés dans une autre salle, certains se firent prendre leurs armes (pour les récupérer par la suite). Après avoir lu plusieurs fois à la presse la déclaration, ils repartirent.

La déclaration est en fait celle du ministre de la défense, qui appelle toute la population US – particulièrement la population black – à prendre en considération les lois racistes de Californie, qui veulent rendre sans force les noirs face à la violence policière, la brutalité, la terreur, le meurtre et l’exploitation. La guerre du Viêt-Nam est considéré comme « une guerre raciste, de génocide », et sont critiqués les camps de détention destinés aux jaunes (et utilisé contre les japonais résidant aux USA pendant la seconde guerre mondiale).

Ces camps seront aussi destinés aux noirs qui se rebellent, car la barbarie US est sans limites, depuis le génocide des indiens et le parcage des survivants dans des réserves. Est également parlé d’Hiroshima et Nagasaki, comme quoi la vie des gens de couleur ne compte pas vraiment pour les USA. « Tout prouve le fait que les dominants raciste d’Amérique ne connaissent qu’une seule politique pour les gens de couleur : oppression, génocide, terreur et violence crue ».

Considérant que toutes les complaintes, les prières des Blacks n’ont jamais amené que plus de terreur, de violence, que l’escalade de la violence est parallèle au Viêt-Nam (avec les attaques) et aux USA (avec les troupes, l’oppression de la population noire des ghettos), le BPP affirme que le temps de l’autodéfense est venu. Le population noire doit s’armer contre cette terreur « avant qu’il ne soit trop tard ». Il faut tracer une frontière, que la population noire s’élève comme un seul homme.

Si les Black panther ne furent pas arrêté en sortant du capitole, ils le furent quelques pâtés de maison plus loin à une pompe à essence. Le mot d’ordre de la direction de la police : « Arrêtez les tous, pour n’importe quelle raison ».

Eldridge Cleaver

Eldridge Cleaver

Parmi les arrêtés : Bobby Seale, Bobby Hutton et Eldridge Cleaver (qui était en sursis).

Motif qui fut plus tard développé : offense à l’égard de l’honneur du corps social donnant les lois. Les 24 inculpés purent sortir avec 2.2200 $ de caution chacun, soit 52.000 $ en tout. Bobby Seale et une autre panthère prirent 6 mois ferme, pour les autres ce fut moins grave. Eldridge Cleaver n’eut pas de problèmes puisqu’il fut prouvé qu’il n’avait pas d’armes et qu’il était rentré comme agent de presse.

Mais évidemment l’action fut un grand succès, au niveau national comme international. Le Times de Londres parla d’eux, les reporters se concurrençaient pour avoir des interviews des leaders du BPP. Ainsi sortit le deuxième numéro de The Black Panther, avec comme titre La vérité sur Sacramento. Le parti, jusqu’en octobre 67, augmenta pour atteindre 700 membres. Principalement organisé dans la Bay Area, il y avait deux groupes qui s’étaient formés sur la côte Est : un à Jersey City (en mai 67) et un autre à Newark (en octobre 67).

6. Le BPP face aux USA

a) la vision des USA du BPP

Le BPP est un mouvement, qui a véritablement comme cœur le primat de la pratique. En son sein, le courant marxiste-léniniste est prédominant. Idéologiquement, le BPP se veut d’ailleurs parti marxiste-léniniste. Le BPP prend le maoïsme et l’adapte à sa situation particulière. Il s’agit d’un processus dialectique, où l’analyse marxiste permet une compréhension et une réadéquation de la lutte révolutionnaire en fonction de la situation donnée.

Les USA sont considérés selon un axe double : société de classe capitaliste et raciste, où le profit est le moteur du mode de production. La société US, décadente, est appelée Babylone. Le capitalisme en est au stade du C.M.E. (capitalisme monopoliste d’Etat), selon l’analyse globale des révolutionnaires alors.

Le Pentagone est le symbole même du complexe militaro-industriel, de la liaison industrie-armée. Pour le BPP le racisme n’est pas une forme isolée, issue de la « méchanceté » des blancs, mais provient du capitalisme. Le racisme divise les travailleurs, oppose un groupe à un autre, pervertit la lutte de classe en lutte de race, et ainsi contribue à perpétuer le système.

Si le capitalisme est fondamentalement raciste, il serait pour autant faux de penser que son abolition aurait comme conséquence la disparition du racisme. Ce dernier est trop ancré chez les blancs, même si un autre système faciliterait sa disparition.

Le BPP reprend évidemment dans son analyse la thèse du Black Power, celle de « colonie dans la mère-patrie », et parla souvent – en raison de la dispersion des ghettos – de  » colonie décentralisée « . La police est logiquement comprise comme  » armée d’occupation  » ayant comme fonction d’assurer l’oppression des noirs, les prisonniers noirs doivent être considérés comme prisonniers politiques.

Le BPP alla même plus loin et parla d’unité de l’Amérique noire, et de nation à l’intérieur de la nation. Ce statut était également reconnu aux autres minorités (portoricaine, indienne…) des USA. Néanmoins la définition est large : les travailleurs blancs sont considérés comme « colonisés » en raison de leur position dans le capitalisme.

Le BPP lutte pour le socialisme, comme utopie à réaliser pour tout le monde, et pas que pour les ghettos. Disparition de l’impérialisme au niveau mondial, abolition de la propriété privée des moyens de production, orientation sur les besoins des gens et non les profits, contrôle des gens de la production et la distribution de la richesse sociale, coparticipation de chacun au processus social, fin de l’exploitation et du travail aliénant, abolition de l’Etat. Tels sont les grands traits de la société pour laquelle se bat le BPP.

Pour le BPP il n’y a donc pas de capitalisme noir de possible. Bien sûr il pourrait exister (et de fait existera), mais ne profitera qu’à une petite couche de gens qui ont rompu avec la situation de la communauté. Les masses seraient toujours exclus de développements sociaux.

Les noirs ne peuvent de toute façon pas atteindre des positions clefs du système. Et aucune solution ne peut provenir du système. Newton dit par exemple dans une interview que si les noirs avaient des logements décents, un haut niveau de vie, si les peuples n’étaient plus exploités, grâce à Kennedy et Lindsay, alors c’est que Kennedy et Lindsay auraient aboli le système ! Ce qui de fait ne s’est pas passé. Un capitalisme noir ne pourrait être qu’une sous-économie gérée par des managers noirs et au profit global des monopoles « blancs ». Et dès lors il y aurait toujours exploitation des masses.

b) l’analyse de classe du BPP

Pour le BPP la société US est divisée en classes économiques et couches ethniques. A la tête de cela il y a la classe dominante, qui possède le capital et les moyens de production. Cette classe contrôle les USA et est quasiment exclusivement blanche.

Cette classe dominante, pour perpétuer sa domination, achète des gens pour diriger la société dans un sens qui leur soit favorable, pour contrôler les institutions sociales, dont les représentants les plus flagrants sont l’armée et la police, sans lesquels cette classe ne pourrait plus exercer sa domination.

La classe antagoniste, les plus exploités, les manipulés et les contrôlés, sont pour le BPP à rechercher dans les groupes ethniques : noirs, mexicains, puerto-ricains, indiens, eskimos… Tous ceux-là font partie de la même couche, ils sont discriminés et exploités ensemble. On compta même des blancs pauvres et des middle-class estudiantines des College, parce qu’ils sont aussi opprimés, en tant qu’individus. Mais il ne s’agit pas d’une classe, ni en soi ni pour soi, elle est divisée dans les conditions objectives.

Il y a ainsi une division : la classe ouvrière de la mère patrie, le lumpenprolétariat de la colonie. Les travailleurs blancs, ont au cours du temps pu s’installer relativement confortablement, avec les représentations syndicales, les accords sur les salaires, les lois de protection sociale, la sécurité sociale.

Campagne pour la libération de Huey Newton

Campagne pour la libération de Huey Newton

Ils se sont faits achetés, et ne forment ainsi qu’un « mouvement disposé de manière extrêmement non-révolutionnaire, réformiste, qui n’est intéressé que par de plus hauts salaires et plus de sûreté de l’emploi ». Ils n’ont plus rien à voir avec la classe ouvrière, le prolétariat dont parlait Marx à son époque. Ils sont donc l’aile droite du prolétariat.

L’aile gauche est formée par le « lumpenprolétariat », qui s’est reconnu dans les Panthers, mais un « lumpenprolétariat » défini très précisément.

Il s’agit de ceux qui n’ont pas de lien assuré avec les moyens de production et les dispositions de la société capitaliste, qui sont une armée de réserve de chômeurs mais ce de manière permanente, qui n’a jamais travaillé et ne travaillera jamais, qui ne peut de toute façon pas trouver de travail, n’a pas de formation, qui est remplacé par les machines, la robotique, qui n’est pas recyclé, tous ceux qui vivent de l’aide sociale. Sont ainsi intégrés les  » criminels « , les  » voleurs « . Ceux qui ne veulent pas de travail, haïssent le travail, qui ne règlent pas leur montre selon les horaires définis pas un porc, mais bien plutôt attaquent les patrons, ceux que Huey P. Newton appelle les  » capitalistes illégitimes « .

Si l’opposition travailleurs/lumpen est claire dans la  » mère patrie « , dans la colonie il y a beaucoup plus de liens, de rapports, les frontières disparaissent.

Comme on le voit la définition marxiste de « lumpen » est utilisée différemment qu’à son origine au XIXème siècle. Pour le BPP, le lumpen est dans le prolétariat, il est un peu l’équivalent du « prolétaire extra-légal » italien. Ceci alors que pour Marx et Engels (sans tomber dans les détails), il y a opposition fondamentale entre le prolétariat et la classe déclassée qu’est le lumpen, classe se vendant au plus offrant dans les situations révolutionnaires.

Néanmoins, la ligne la plus importante au sein du BPP – celle de Newton et de Seale – est celle de l’unité en une seule classe des travailleurs blancs et de couleur, au sens où il y a identité des intérêts objectifs. Seul Cleaver parlera de deux classes ouvrières, et sans avoir l’importance de Newton et bien sûr de Seale.

c) le BPP comme organisation-marxiste-léniniste pensée Mao-Tsé-Toung

Au niveau global, le Black Panther Party se comprend comme élément du front anti-impérialiste des mouvements de libération des trois continents : Afrique, Asie, Amérique latine. Il s’agit d’un concept maoïste, citons pour cela la R.A.F. qui définit cette ligne :

« S’il est juste que l’impérialisme américain est un tigre de papier, c’est-à-dire qu’en dernier recours il peut être vaincu ; et si la thèse des communistes chinois est juste, que la victoire sur l’impérialisme américain est devenu possible par le fait que dans tous les coins et bouts du monde la lutte soit menée contre lui, et qu’ainsi les forces de l’impérialisme soient éparpillées et que par cet éparpillement il soit possible de l’abattre – si cela est juste, alors il n’y a aucune raison d’exclure un pays quel qu’il soit ou une région quelle qu’elle soit parce que les forces de la révolution sont particulièrement faibles, les forces de la réaction particulièrement fortes »

Le BPP, suivant la ligne marxiste-léniniste, comprend ainsi l’analyse marxiste de renversement du capitalisme par la violence : « révolution violente par le prolétariat contre l’appareil d’Etat bourgeois d’oppression de classe et de répression. Violence révolutionnaire contre la violence de classe contre-révolutionnaire, effectuée par la pression particulièrement répressive de l’outil armé de l’Etat ». Dictature du prolétariat, donc.

Il y a pour le BPP double oppression, il faut donc mener conjointement une lutte de classe et une lutte de libération. A cause de cela il est nécessaire que les opprimés s’organisent en fractions avant de former « l’alliance de tous les exploités de cette société ».

C’est pourquoi il n’y a que des noirs dans le BPP. Le travail avec des groupes blancs est accepté à condition qu’ils soient radicaux, et donc combattent leur propre racisme et acceptent l’autonomie du BPP.

Le BPP suit le principe de Malcolm X selon lequel il ne peut pas y avoir d’unité des noirs et des blancs avant qu’il y ait une unité des noirs.

Etant donné que le  » lumpenprolétariat » noir est le plus pauvre et le plus opprimé, il est considéré, suivant Fanon et son analyse dans « les damnés de la terre », comme la couche la plus révolutionnaire, la plus en avant dans la lutte.

Qu’importe qu’à la base il s’agisse de noirs ayant cambriolé, trafiquant du haschisch ou encore qu’ils soient homosexuels [le BPP est au départ propriétaire de valeurs homophobes, avant autocritique], la dynamique pratique/théorie/pratique – selon le programme en 10 points – amène les « frères » à s’organiser, à devenir révolutionnaires.

Les membres du BPP sont avant-garde, les cadres du peuple noir par des actions. « Le parti BP est la lumière du phare qui montre aux gens noirs la voie de la libération ». Il s’agit d’apporter la conscience, de faire apprendre la stratégie de la résistance à l’appareil du pouvoir. Reconnaître l’ennemi, l’abattre.

Le BPP suit donc les principes léninistes de l’organisation – avec le principe des cadres. Cette nécessité s’exprime par la force de l’impérialisme. « A un système comme celui-ci on ne peut résister qu’avec une structure organisationnelle encore plus fermement discipliné et structuré  » dit Newton. Ce qui est en rupture avec le Black Power de départ qui se comprenait comme mouvement et refusait l’organisation considérée comme « bureaucratisation ».

Dans le BPP, il y a plusieurs divisions :

– Capitaine (coordinateur, chargé de vérifier si les responsabilités sont bien prises)

– Lieutenant (sécurité)

– Sergent (chef de service)

– Caporal (chef des sous-services)

Une panthère régulière n’a pas de formation, un Buck Private (recrue) était en formation, un Privates (privé) était une panthère qui avait fini sa formation – 6 semaines d’école politique du parti.

Les membres travaillent par la suite constamment politiquement, et doivent chaque jour s’informer de la situation politique actuelle. Ce qui montre la force et la capacité d’action, d’intervention du BPP.

Les membres doivent également connaître les juridictions en vigueur, informer quotidiennement des activités et des expériences faites.

Ils doivent également savoir utiliser les armes.

Il y a 8 règles (empruntées au Petit Livre Rouge de Mao, dans les passages sur l’Armée Populaire de Libération) :

1 – parle poliment
2 – paie vraiment ce que tu achètes
3 – rend toujours ce que tu empruntes
4 – paie pour tout ce que tu endommages
5 – ne frappe pas les gens, ne les insulte pas
6 – ne casse pas la propriété ni la récolte des masses pauvres, opprimées
7 – ne prend pas de liberté auprès des femmes
8 – si l’on prend des prisonniers, ne les maltraite pas

Et trois règles principales :

1 – obéis aux décisions dans toutes tes actions
2 – ne t’empare pas d’une seule aiguille ni d’un fil des masses pauvres et opprimées
3 – donne à tous ce qui a été pris à l’ennemi attaqué

Les panthères doivent suivre ces principes, régulièrement publiés dans  » The panther « . Le comité central, les travailleurs des organes centraux et locaux, font en sorte que ces règles soient suivies, ainsi que tous les différents gradés dont nous avons parlé. Il y a des suspensions et des mesures disciplinaires qui peuvent être prises. Sont exclus les panthères prenant des narcotiques.

Il ne faut pas non plis posséder sur soi des narcotiques ou de la Marihuana, utiliser des armes sans raisons, voler des panthères ou même les masses en général. En cas d’arrestation on donne son nom et son adresse, mais on ne signe rien. Il y a un travail quotidien à faire. Toutes les localités doivent avoir du matériel juridique et médical. Quant à l’organisation, c’est le centralisme démocratique, efficacité et autant de démocratie que possible, qui joue.

Les panthères portent des uniformes : chemise bleue, pantalon et blouson noir, béret basque noir.

Panthers en uniforme

Panthers en uniforme

Aucun membre ne recevait de salaires, mais en pratique ceux qui travaillaient tout le temps pour le parti étaient aidé. On entrait dans le BPP à partir de 16 ans, les plus jeunes allant dans la Young Panther, où l’on apprenait l’histoire du peuple noir – qui n’est pas apprise à l’école, évidemment – ainsi que les fondements de l’analyse révolutionnaire ; mais n’avaient pas à avoir d’armes.

Les femmes du BPP doivent être l’égal des hommes et le chauvinisme masculin doit être combattu. Théoriquement c’est l’égalité absolue qui doit régner, c’est un des buts du socialisme. Les panthères y travaillent dans le parti et la Community. Les femmes panthères utilisaient donc aussi des armes, et une règle interdit aux hommes d’utiliser la violence contre des femmes.

La division du travail est modifiée : les femmes n’ont plus à rester chez elles si elles ont des enfants, elles pouvaient les amener à un endroit où ils seraient gardé – par une femme ou un homme. Le ménage doit être fait par l’homme et la femme. Les femmes, dans le parti, n’ont pas à faire que les travaux écrits. Les rôles traditionnels doivent être cassés, le socialisme doit être vécu dans chaque maison des panthères.

C’est une grande rupture avec le reste du mouvement noir, qui était totalement imprégné du sexisme, même théorisé et défendu.

Comme nous le voyons, le BPP est légal, et a même des revendications pas forcément très radicales à premier abord. C’est toujours le primat de la pratique qui compte.

Au niveau stratégique par contre, le BPP a fait une énorme erreur. La dialectique légalité/illégalité n’est absolument pas saisie, et le BPP considère qu’il doit faire du travail légal tant qu’il peut, et par la suite s’il le faut rentrer dans l’illégalité, le peuple connaissant alors suffisamment le BPP pour être au courant.

Ce qui est une erreur grave, qui va coûter la vie au BPP ainsi qu’à la Gauche Prolétarienne en France, et qui trouve son origine dans le plan extrêmement schématique Etat-bourgeoisie/peuple sans utiliser les méthodes du matérialisme historique et dialectique.

7. Le BPP en lutte et son extermination

a) servir le peuple !

Au départ, le BPP s’occuper surtout des problèmes immédiats de la Community. On fait installer un feu rouge à un carrefour dangereux, pour que les enfants de l’école puissent traverser sans danger, on fait en sorte que les mères des enfants battus par les maîtres portent plainte.

Primat de la pratique – servir le peuple. Les fondements de l’analyse maoïste, la ligne de masse. Le BPP organise des déjeuners gratuits pour les enfants, on demande aux entrepreneurs de l’argent pour les financer.

En janvier 69 ce sont 20 enfants d’Oakland qui reçoivent ce déjeuner, en décembre 30000 enfants à travers tous les USA. Le gouvernement, lorsqu’il constat que les panthères apportaient plus de nourritures que les aides sociales, réagira en augmentant ses contributions institutionnelles.

Des vêtements furent donnés aux enfants et teen-agers par le BPP, des voyages gratuits furent organisés pour que les familles des prisonniers puissent aller voir leurs membres enfermés. En été 69 c’est un programme médical, avec médicaments, étudiants en médecine, pour apporter les soins les plus élémentaires, comme la prévention (vaccins..) et le traitement des  » maladies des pauvres  » comme la tuberculose et l’anémie des cellules du cervelet.

On organisa des Liberation Schools, tout fut fait pour apporter l’idée, la volonté de résister. On organisa des séances de débat, en trois niveaux : explication du programme en dix points aux masses, débat sur les théoriciens (comme Mao) pour les cadres et enfin ceux concernant la direction.

Le BPP travailla à faire rentrer les gens sur la liste électorale, pour pouvoir être dans les jurys des procès. Des brigades armées furent organisées pour surveiller la police patrouillant dans les ghettos, afin d’empêcher les attaques. Dans certaines villes certaines actions furent effectuées contre les dealers.

Au-delà de la Community, le BPP se dirigea vers les travailleurs, et des groupes travaillèrent dans les syndicats. Revendication : 30 heures par semaine sans diminution de salaire.

Cela change des révisionnistes d’aujourd’hui, qui ne proposent 35 heures que pour aménager le capitalisme et empêcher les chômeurs de se révolter.

Il s’agit pour le BPP de pousser les travailleurs à prendre le contrôle de l’appareil productif, à maîtriser la donnée  » travail « .

Les positions du BPP furent diffusées dans The Black Panther, hebdomadaire de 24 pages. En 1969 il sortait à 125.000 exemplaires, et était le journal révolutionnaire le plus lu aux USA. On y trouvait des informations, des théories, des nouvelles internationales, particulièrement d’Afrique, ainsi que des services.

Le BPP fit également des prises de positions « symboliques » : en 69 Eldridge Cleaver demande au gouvernement du nord Viêt-nam de libérer les prisonniers US si les USA libéraient les prisonniers politiques aux USA même… Ou encore en août 70 la proposition de Newton au Front de Libération National d’envoyer une troupe de volontaires au Viêt-Nam… Le FNL salua ce « geste amical ». Il y eut également de bons contacts avec des révolutionnaires japonais, le mouvement de libération du Québec et Cuba, et une grande solidarité avec les pays décolonisés et les mouvements de libération.

b) l’affrontement avec les USA

Le 28 octobre 1967, après une fusillade avec la police tôt le matin, Newton se fait arrêter. Il est grièvement blessé au ventre. Un policier est tué, un autre blessé, la quatrième personne présente – une panthère – est indemne. Newton est accusé de meurtre, et risque la chambre à gaz s’il est déclaré coupable. La « free Huey » campaign devint un point central de l’activité du parti. C’est Charles R. Garry, un avocat blanc qui est choisi – Bobby Seale l’appelle « le Lénine des salles d’audience ».

Huey P Newton et Charles R Garry

Huey P Newton et Charles R Garry

Le BPP fait en premier une alliance avec le Peace and Freedom Party, qui avait été formé en 67 en alternative aux deux grands partis (démocrate et républicain). Il s’opposait entre autres à la guerre du Viêt-nam. Il put concourir d’abord en Californie puis dans la plupart des Etats. Dans le cadre de l’alliance Newton fut choisi comme candidat au congrès, Seale à la chambre des représentants, Kathleen Cleaver dans un quartier de San Francisco et Eldridge Cleaver comme candidat à la présidence. Ce dernier reçut 195.135 voix, Newton 25000. Le but n’était bien sûr pas la victoire, mais la démonstration que l’élite noire n’avait plus aucun lien avec la communauté.

Au départ le BPP était sceptique quant à une telle alliance. Le CPUSA (le PC des USA, devenu révisionniste) avait vu ses candidats pourchassés par le FBI. Et puis il y avait le risque d’être encore utilisé et instrumentalisé par des blancs. Mais il y avait la possibilité d’informer quant à la situation de Newton. Le Peace and Freedom Party accepta étonnamment vite la revendication « libérez Huey ! » et aussi le programme en dix points, qui n’est pas assimilé, mais considéré comme le programme du BPP auquel le Peace and Freedom Party veut contribuer. The Movement, un journal clandestin révolutionnaire de San Francisco, salua ce soutien à Newton.

Le BPP fut aussi soutenu matériellement par le Peace and Freedom Party.

D’autres alliances furent faites : pour un travail anti-raciste des blancs et un contrôle de la police dans les Communities.

Il y eut également deux membres du BPP qui se sont présentés comme candidats indépendants au parlement en été dans l’Etat du Washington (Seattle).

Le 17 février 1968, pour le 26ème anniversaire de Newton, le BPP fit un rassemblement de solidarité dans l’auditorium d’Oakland, sous le mot d’ordre : Come see about Huey. A côté des leaders du BPP et du Peace and Freedom Party, Stokely Carmichael tint le discours. Regardons sa biographie.

Il est né le 29 juin 1941 à Port-of-Spain à Trinidad. Sa famille part en 1943 à New York, il vient à Harlem en 1952. Il a une vie très pauvre, mais put aller dans de bonnes écoles du Bronx. Après avoir refusé des bourses de hautes écoles blanches, il étudie la philosophie et la politologie à l’université Howard à Washington, où il y a surtout des noirs.

Il la quitte en 1964 avec un Bachelor-Grad. Il est engagé depuis 1960 dans le mouvement des droits civiques et prend part aux Freedom Rides. Il a été en tout arrêté 35 fois. En 1965 il adhère au SNCC, dont il est le représentant jusqu’en 1967. Il voyage cette année-là à Londres, où il prend part au Congrès The Dialectics of Liberation, avec Herbert Marcuse, Ronald D. Laing, John Gerassi, Paul M. Sweezy, David Cooper et d’autres, qui se tint du 15 au 30 juillet.

Il participa aussi à la conférence OLAS (Organizacion Latinoamericana de Solidaridad), qui eut lieu du 31 juillet eu 10 août à La Havane (Cuba). En novembre il alla à Stockholm pour le tribunal Russell des droits de l’homme. Il alla également à Prague, Hanoï, Alger, le Caire, et Paris.

En 68 il se marie avec la chanteuse sud-africaine Miriam Makeba.

Oakland est sa première apparition depuis ces voyages. Il critiqua l’alliance du BPP avec le Peace and Freedom Party, composé à majorité de blancs. Il appela au lieu de cela à un Black United Front, devant unir tous les noirs, de droite comme de gauche.

A cette occasion fut aussi annoncée la fusion du SNCC avec le BPP. Carmichael, membre depuis 67 du BPP dont il est maréchal, devint premier ministre d’honneur. Rap Brown, membre depuis 63 du SNCC, responsable en 1966 pour l’Alabama et représentant après Carmichael, devient ministre de la Justice. James Formann, également un haut responsable du SNCC, devient ministre des affaires étrangères. Un autre grand succès fut le rassemblement de 10.000$. Un jour après un même meeting eut lieu à Los Angeles.

A ce moment, la répression contre le BPP se durcit. Les photos des leaders sont dans tous les commissariats de la Bay Area, leurs voitures sont suivies. Le bureau du parti est constamment surveillé, les perquisitions s’intensifient.

Le 16 janvier 1968, à 3h30 du matin, des commandos tactiques spéciaux, une troupe spéciale de la police de San Francisco, forcent la porte de l’appartement d’Eldridge et Kathleen Cleaver. Ils les menacent – ainsi qu’Emory Douglas qui est présent (ministre de la culture). Ils cherchent des documents pour procéder à une arrestation – mais c’est l’échec.

Katheen et Eldridge Cleaver

Katheen et Eldridge Cleaver

Le 25 février 1968, à deux heures du matin, c’est chez Bobby Seale qu’on perquisitionne, il est – lui et sa femme – jeté du lit, et arrêté pour tentative de meurtre. La même nuit 6 autres panthères sont arrêtées pour les mêmes motifs, dont David Hilliard, chef d’état-major, et Alpentrice « Bunty » Carter, ministre de la défense. Mais les accusations sont par la suite enlevées ; de plus la perquisition chez Seale était illégale et il y a eu de fausses déclarations de la police au juge.

Dans la semaine il y eut 16 panthères d’arrêtées pour des motifs bidon.

Lorsqu’en mars il y eut à nouveau une perquisition chez Cleaver, Newton donna des directives claires : ceux qui rentrent comme des gangsters seront traités comme des gangsters ; les panthères ne se défendant pas seront exclues. L’escalade est de fait acceptée par le BPP, qui ne compte pas se laisser faire. Les panthères doivent avoir les connaissances et le matériel technique pour défendre leurs logements.

Le 3 avril 68 une unité de la police rentre les armes à la main dans une église d’Oakland où des panthères se réunissent. Lorsqu’ils virent qu’il n’y avait pas les leaders qu’ils cherchaient, ils repartirent.

c) les services secrets contre le BPP

Le BPP rentra suffisamment en conflit avec le FBI – sans doute à partir de septembre 68, pour que le Federal Bureau of Investigation (qui s’occupe de fait de ce que les R.G. et la DGSE s’occupent en France) programme l’élimination de ce parti.

Nom de code : COINTELPRO. Pour Counterintelligence-programme. Le but du jeu, selon les termes du FBI : « le but de ce programme est de neutraliser les groupes noirs extrémistes, d’empêcher la violence par ces groupes et empêcher des coalitions de groupes noirs extrémistes ».

Le FBI se débrouille donc pour que soient attaqué les individus et organisations qui lui déplaisent. Dans les années 40-50 le CPUSA (le PC des USA) fut une grande cible. En 1960 il y a 2.370 COINTELPRO’s qui sont menées. Contre le SDS qui rassemble les étudiants révolutionnaires, les différents groupes noirs, contre les organisations pour l’indépendance du Puerto-Rico, et même contre Martin Luther King. Le BPP est alors considéré par J.Edgar Hoover, chef du FBI, comme le plus grand danger pour la sécurité intérieure des USA. Le seul accroc pour le COINTELPRO fut la perquisition de ses bureaux, à Media en Pennsylvanie, le 8 mars 1971 par un groupe nommé Citizen’s Commission to Investigate the FBI. Le COINTELPRO dut changer de nom…

Eldridge Cleaver au festival culturel panafricain - Alger 1969

Eldridge Cleaver au festival culturel panafricain – Alger 1969

Le FBI mène – c’est cela le COINTELPRO – différentes campagnes, systématiques et à plusieurs niveaux. Et cela avec l’aide de groupes réactionnaires, bien entendu.

Surveillance

Elle est absolue pour les groupes ou individus cibles. Contrôle du courrier, surveillance électronique, filatures, observations, etc. Il s’agit de mettre sous pression les gens, de leur faire croire qu’il y a « an FBI agent behind every mailbox ». Au-delà de l’information il s’agit d’une démonstration de force du système.

Courrier : fausses lettres

Par des fausses lettres il s’agit de « foutre la merde » entre différents groupes ou individus. On pousse à la violence, à la concurrence, on fait monter la sauce. Un principe connu, malheureusement négligé par la gauche.

Opérations de manipulation

Des faux tracts, de fausses affiches se chargent de faire passer une fausse image – évidemment négative – des groupes. De fausses informations sont données aux médias, il s’agit de préparer l’opinion à la contre-révolution, à la violence contre les révolutionnaires.

Attaque de la contre-information

Taxes contre les journaux de gauche, mauvaise distribution, on va jusqu’à renverser des produits chimiques sur les revues, on empêche les apparitions dans les médias…

Arrestations permanentes

Il ne s’agit pas tant d’arrêter les gens que de leur faire perdre leur temps, leur argent, d’empêcher un travail politique conséquent, de fixer sur la répression…

Indics et provocateurs

Il s’agit de mener des actions illégales qu’on attribuera à tel ou tel groupe, de développer de fausses informations, d’organiser des provocations nombreuses et diverses…

Pseudo-groupes

Il s’agit ici de faire vivre des groupes qui n’existent pas réellement, mais l’argent permet d’entretenir un courant chargé d’amener les gens à des voies de garages, d’amener à des divisions fictives, de fausses oppositions…

Rumeurs…

Il s’agit d’inventer des preuves, empreintes, etc. On isole les gens un par un pour les « retourner », c’est-à-dire les transformer en indics. « Tu es sympa, aides nous et tu n’auras pas de problèmes, sinon… ».

Police politique

On donne aux entreprises les positions politiques des employés et ouvriers, ainsi qu’aux institutions de crédits…

On fait peur aux témoins d’actions du FBI contre les révolutionnaires, etc.

Meurtres

On liquide directement les membres des groupes.

8. L’apogée du BPP et sa liquidation physique

a) l’assassinat de Martin Luther King et les tentatives de front révolutionnaire

Le 4 avril 1968, Martin Luther King est descendu, à Memphis. Les ghettos explosent. 72 villes sont touchées, il y a 32 morts, 13.876 arrestations, au moins 2.266 blessés selon le journal Guardian pour les quatre premiers jours. Le lendemain le New York Times parle de 125 villes touchées, 2600 blessés et 21.270 arrestations.

Parmi les morts, que 5 blancs et pas un seul policier. 45 millions de $ de dégâts. 55000 soldats sont intervenus avec la police, dont 21.000 soldats des troupes régulières et 34.000 de la garde nationale. Pour la première fois depuis 35 ans il y a des soldats devant le Capitole ; la police encercle la maison blanche à un point tel que Newsweek affirme qu’on se croirait dans la capitale d’une république bananière.

Le 6 avril 68, quelques jours après avoir appris que la police les attaquerait, des panthères répliquent à la police dans la ville d’Oakland. Bobby Hutton est tué à bout portant, alors qu’il sortait avec Cleaver les mains en l’air et aveuglés par les gaz. Cleaver fut blessé à la jambe. 7 panthères furent accusées de meurtres.

Un jour après le BPP organisa un pique-nique dans le De Fremery Park d’Oakland. Cela avait été prévu longtemps auparavant pour soutenir les frais de justice de Newton et la campagne électorale. Le BPP se prononça l’abandon des émeutes spontanées mais pour l’organisation des noirs, l’autodéfense.

En 68 il n’y eut pas d’été chaud, « seulement » quelques petites rébellions spontanées. Une raison fondamentale était le renforcement de la répression. Mais il y eut une nouvelle occasion. Du 26 au 29 août se déroula la convention du parti démocrate, où doit être nommé le candidat à la présidence. Il y avait 6000 soldats, 6000 membres de la garde nationale et 12000 policiers.

Et des milliers de manifestants, qui profitaient de cela pour protester contre la guerre du Viêt-Nam, appelé à cela par la National Mobilization to End the War in Vietnam, une organisation centrale de groupes anti-guerre.

Il y avait des hippies, des Yippies (hippies politisés), des révolutionnaires, des gangs de motards, des émeutiers, des activistes blacks, des groupes minoritaires du parti démocrate.

La fin de la semaine précédant la convention les manifestants se regroupèrent dans le Lincoln Park. Seale tint un discours, appelant à l’autodéfense armée.

Les bagarres qui s’ensuivirent avec la police furent provoquées par la tentative de dégager les manifestants du parc. Les médias bourgeois parlèrent de « terreur policière » tellement les charges furent violentes. Pendant quatre jours ce fut l’émeute, et la terreur, contre tout ce qui bougeait.

Le procès contre Newton, commencé le 15 juillet 68, finit le 8 septembre. Entre deux et quinze ans ferme, alors qu’il n’y a pas de preuves qu’il ait eu une arme, alors qu’on a trouvé que deux armes : celles des policiers, alors que toutes les balles tirées provenaient de ces pistolets, alors qu’il n’y aucune preuve après les études en laboratoires que Newton eut tiré. De plus on accusait Newton d’avoir tué un policier, mais pas d’avoir blessé le second ! Il s’agit bien d’une accusation politique.

Dans la première semaine d’août 68, le comité central du SNCC arrête la liaison avec le BPP, affirmant que l’union n’a été faite que par certains individus et que les modalités de l’union n’ont pas été étudiées. C’est le résultat d’un manque de confiance.

A peine les membres du SNCC arrivés, Cleaver les qualifia de « hippies noirs », et ce devant un public blanc. Le SNCC – considéré comme une organisation en train de disparaître – ne voulait pas se subordonner au BPP. Rap Brown et James Forman quittèrent le BPP. Le COINTELPRO joua aussi. Le FBI organisa la rumeur que Stokely Carmichael était un agent de la CIA. Le FBI fit un faux « rapport de Carmichael à la CIA » et le déposa dans la voiture d’un de ses amis, téléphona à la mère de Carmichael pour lui dire que des panthères voulaient le tuer, etc.

Le FBI voulait aussi isoler le BPP des autres groupes noirs, comme US. US était là pour United Slaves, il s’agissait d’un groupe nationaliste de Californie du sud, qui était critiqué par le BPP comme « nationalistes culturels ». L’idéologie de US était simpliste : tout ce qui est noir est bien, tout ce qui est blanc est mal. Bobby Seale parla de racisme noir et affirma que ce n’est pas en mettant des habits traditionnels que le peuple aurait le pouvoir.

Le FBI fit faire de faux tracts, caricaturant chaque groupe et signant de l’autre. Cela aboutit au meurtre d’Alpentrice « Bunchy » Carter, chef panthère de Los Angeles, et de John Huggins, ministre d’information de Californie du sud, par des membres d’US. Plus tard deux autres panthères furent blessées par derrière et un autre, Sylvester Bell, tué.

Alpentrice Bunchy Carter

Alpentrice Bunchy Carter

De fait le FBI promit à US de ne pas engager de poursuites si des membres du BPP était tués… US agit par simple concurrence, pour reprendre le terrain au BPP.

b) le BPP à son apogée et son éclatement interne et sa destruction militaire par les USA

C’est en 68 que le BPP atteint une signification nationale, profitant du travail du SNCC, dans les ghettos de Cleveland et Chicago par exemple.

Le BPP avait entre 3 et 5.000 membres, dans environ quarante groupes locaux. Rien qu’à New York entre mai et Juin le BPP s’agrandit de 800 nouveaux membres.

Cleaver fut libéré 60 jours après son arrestation. Mais l’Adult Authority porta plainte et Cleaver devait retourner finir ses cinq ans (de sursis à l’origine) à partir du 27 novembre. Il fit des meetings et plongea dans la clandestinité. En fait il rentra avec sa femme dans sa maison, et une autre panthère ressortit avec elle pour répondre à des interviews d’autres panthères, la police et des manifestants derrière. Lui s’enfuit, déguisé en vieil homme, jusqu’à New York puis Montreal, et enfin, caché dans une armoire sur un bateau, jusqu’à Cuba.

En décembre 68 eut lieu une conférence des « Captains » de 45 localités, et Bobby Seale dut faire un séminaire d’études idéologiques.

Début 69 le BPP s’est élargi, n’a plus d’unité ni de cohésion, et est bien plus un rassemblement de groupes locaux. Newton est en prison, Cleaver en exil, les nouveaux membres sont peu formés. Les infiltrés et les provocateurs s’accumulaient (il y en avait au moins 67 en 1969). Et la police attaquait constamment les infrastructures du parti.

C’est pourquoi en janvier 69 le parti fait le ménage. Ce sont plus de 1000 panthères qui voient leur statut remis en question.

Puis il y eut juillet 69. Carmichael, qui vivait depuis 3 mois en Guinée, quitte le parti. Il critiqua l’alliance avec les blancs et la coupure du reste des mouvements noirs. Il critiqua aussi le  » dogmatisme  » et les méthodes autoritaires de l’organisation.

Quant à Cleaver, en conflit avec le régime cubain, découvert dans son exil par un agent de presse de Reuter, il partit en Algérie, où ouvrit une section internationale du BPP, grâce aux Vietcongs. 30 panthères y travaillaient.

En été, lors du festival culturel panafricain qui se tint du 21.7 au 1.8. à Alger, sous l’égide de l’Organisation pour l’unité africaine, le BPP ouvrit un centre d’information afro-américain. Miriam Akeba et Stokely Carmichael y firent des apparitions.

Du 18 au 21 se tint à Oakland la National Revolutionary Conference, avec 4000 participants, pour former l’United Front Against Fascism. En raison de la répression grandissante – de la mi 1967 à la mi-1969 28 panthères avaient été exécuté, 100 étaient derrière les barreaux, plusieurs centaines attendaient d’être jugé, les bureaux étaient saccagés ; alors qu’on ne pouvait pas prouver qu’une seule panthère est blessé ou tué un policier – le BPP considéra que le fascisme menaçait. On parlait déjà de camps. Le conseiller du président, Brezinski, l’avait déjà proposé pour les noirs lors des révoltes urbaines de 67. Et ces camps existaient déjà, créés pour les gens d’origine japonaise pendant la guerre.

Militants BPP à la prison de San Francisco - 1970

Militants BPP à la prison de San Francisco – 1970

L’analyse du BPP part du travail de Georgi Dimitrov sur le fascisme, tel qu’il a été tenu au VII Congrès de l’Internationale communiste en 1935. Le programme : formation de la conscience, aides sociales immédiates, front uni avec les révolutionnaires blancs, autodéfense armée, politique de refus du nationalisme, information et propagande comme stimulation des plans révolutionnaires, autogestion des ghettos et différentes méthodes de luttes anti-impérialistes.

De nombreux problèmes furent soulevés, comme celui de la politisation du mouvement pour la paix, pour une campagne de pétition en faveur de la décentralisation, pour le contrôle des communautés de la police. Ce dernier point fut refusé par le SDS agonisant, car il n’avait pas l’intention de réclamer cela dans des quartiers blancs, la police devenant à ce moment-là encore plus contrôlé par les racistes. Il y eut également le débat avec les Weathermen, qui voulaient immédiatement lancer la lutte armée.

[Initialement on trouve dans la brochure publiée une photo de la révolte des prisonniers d’Attica (prison de « maximum security » à New York) en septembre1971. 85% des prisonniers étaient noirs, Portoricains, Mexicains. L’Attica Liberation Faction organisée à l’intérieur prônait une politique révolutionnaire et 26 revendications, se révolta après la mort de Georges Jackson et fut écrasée (32 morts).]

Le BPP fut lui de plus en plus confiné dans une lutte pour la survie. En 69 la répression augmenta, presque 20 panthères furent tuées, d’autres arrêtées pour des motifs ridicules. Cela arrivait particulièrement aux 50 membres les plus actifs. il y eut du 1 janvier 68 au 31 décembre 69 739 arrestations, avec 5 millions de $ de cautions. C’était un bon moyen pour l’Etat d’affaiblir financièrement le BPP. En fait dans 90% des cas il y eut non-lieu.

Début 1968 20 bureaux du BPP furent occupés et dévastés par la police, entre autres à Detroit, Boston, NY, LA, Chicago, Denver, New Haven, Indianapolis, San Diego, Sacramento, Seattle, Des Moines, Albany… Les médias et les politiciens préparent l’opinion à une liquidation du BPP.

c) l’apparition de groupes de guérilla et la fin du BPP

Le BPP est lui quand même reconnu comme avant-garde dans la lutte de libération au cœur de la bête. Le SDS se divisa quant à cette question à son congrès de 69. La tendance se reconnaissant dans le Progressive Labor Party maoïste considérait tout nationalisme comme réactionnaire, et diffamait tout ce qui ne soutenait pas la Chine : l’URSS, le Vietnam, Cuba, le BPP, ainsi que les deux autres grandes tendances du SDS.

Celles-ci considéraient au contraire que les luttes de libération nationale étaient à l’avant-garde de la révolution. Donc le BPP. Les jeunes étaient également vu comme la couche sociale la plus opprimée et la plus à la marge, donc à organiser.

Ces deux tendances s’appelaient Revolutionary Youth Movement (I et II). Le RYM 1 forma les Weathermen, d’après le titre d’une chanson de Bob Dylan : « pas besoin d’être un Weathermen [prophète de la météo] pour savoir où le vent souffle ».

Le terme « men » oubliant les femmes, l’organisation pris les noms successifs pour mener ses actions de guérilla urbaine : Weatherpeople, Weather Underground Organization. Les cellules de cette organisation avaient un type spécifique de collectivité : destruction de la monogamie, de la soumission de la femme vis-à-vis de l’homme, expériences avec des drogues.

Les minorités s’organisèrent également selon le modèle du BPP (structures, programmes, lien avec la communauté) :

– le Young Lords Party fut formé chez les Portoricains, à partir de streetsgangs (Chicago, NY…), travaillant dans les centres de production, cœur de la révolution et prônant la lutte armée pour la libération ;

– les red guards en 67 dans la communauté chinoise puis I Wor Kuen, ce qui signifie à peu après « le poing levé au nom de la paix et de la justice », avec beaucoup d’impact dans la population âgée ;

– les brown berets chez les mexicains, à partir de streetgangs de l’Est de L.A. avec 60 groupes locaux, ainsi que Los Siete de la Raza, comité de soutien à des gens arrêtés pour avoir attaqué des policiers en civils qui mènera des actions à la BPP ;

– l’united native americans chez les indiens est plus une initiative de citoyens (occupation de l’île d’Alcatraz de novembre 69 jusqu’à juin 71 par 200 indiens de différentes tribus, du Mount Rushmore pendant trois mois) tandis que l’AIM (american indian movement) prend le BPP comme modèle et a en deux ans une renommée nationale ;

– les blancs s’organisèrent en Young Patriots Organization à partir de streetgangs travaillé depuis 63 par le SDS et d’une bande de motards. Ils adaptèrent le programme du BPP et eurent une candidate pour le Peace and Freedom Party. Un autre groupe naquit à New York ; la police écrasa ces deux groupes.

En 69 se forma Rising Up Angry, à partir de prolétaires extra-légaux blancs et de travailleurs, qui mena des aides à la communauté.

Le Black Workers Congress, issus de groupes d’opposition noire dans l’industrie automobile (notamment Chicago, Detroit, NY), organisa de grandes grèves. Il rejoignit la League of Revolutionary Black Workers, dont une partie fonda un Black Workers Congress, considérant comme trop indiscipliné et nationaliste l’autre groupe. Le BWC voulait organiser les luttes de toutes les minorités (asiatiques, noirs, etc.) contre le capital. Il s’agit d’une organisation marxiste-léniniste, avec comme but un parti ouvrier et une perspective internationaliste. En 1971 il y avait des groupes dans 25 localités, le secrétaire général était l’ancien SNCC et BPP James Forman.

Il est clair que tous ces groupes sont en liaison avec une pratique proche de la guérilla. Il n’y avait pas coordinations des activités, mais les actions se faisaient en série. En cinq ans il y aura au moins 1391 actions armées/attentats, dont 423 contre la police et 101 contre l’armée. Toutes définies par la lutte révolutionnaire. Les coûts sont énormes, comme l’incendie des bâtiments d’une commission pour l’atome à Rocky Flats, dans le Colorado (45 millions de $).

Le FBI organise lui la répression. Il y a au moins 100 000 noms de militants radicaux, 323 millions d’informations médicales et 279 millions de surveillance psychiatrique.

La guerre du Vietnam est de plus en plus perdue. Il y a 12000 désertions en une fois en Europe, des mutineries, 56 000 désertions. Il y a eu 1970 500 désertions par jour. On attendra bientôt la centaine de mille.

On pratique le « fragging », c’est-à-dire l’élimination des supérieurs/officiers avec une grenade à fragmentation (plusieurs centaines de cas). Il y a au moins 10 soldats de couleur passant chez les Vietcongs par jour. La plupart du temps ils sont à l’arrière, mais des fois mêmes sur le front, contre les soldats US, comme par exemple ces deux soldats d’élite qu’on retrouve morts en 1970, tués par leurs propres anciens « collègues ».

Les sabotages se multiplient, particulièrement sur les bateaux où de petites pièces endommagées entraînent plusieurs mois de paralysie. Une blague court : « Nixon et son ministre de la défense sont à la Maison-Blanche. Une grande foule de manifestants se rapprochent toujours plus. Nous devons faire quelque chose dit Nixon. Appelez l’armée. Et le ministre de la défense : désolé, monsieur le président, c’est l’armée. »

En 1969 Bobby Seale se fait arrêter, enchaîné, les fers aux pieds, doubles menottes, alors qu’il n’y avait pas d’accords entre les états pour cela. Il est accusé de « conspiracy », notamment pour la manif à l’occasion du congrès démocrate de 68. D’autres personnalités sont arrêtées, comme les yippies Jerry Rubin et Abbie Hoffman, Rennie Davis de la National Mobilization to End the War in Vietnam et co-fondateur du SDS, Tom Hayden également co-fondateur et ancien représentant du SDS, David Dellinger de Mobilization, John Froines et Lee Weiner.

Le procès commença le 24 septembre. L’avocat de confiance de Seale étant à l’hôpital, cela commence mal, les autres avocats ne voulant pas de lui et le juge lui refusant de se défendre tout seul, comme il le voulait selon la constitution. Protestant, il fut frappé et enchaîné à une chaise pour le reste du procès.

Bobby-Seale-2

Bobby-Seale

Le FBI inventa des témoins et fit une provocation en envoyant de fausses menaces à deux membres du jury : « on vous surveille – les Black Panthers ».

Résultat : quatre ans ferme pour insulte au tribunal, rien pour l’accusation originelle à cause du « manque de preuves ». Les sept accusés furent déclarés innocents, mais cinq furent accusés d’avoir provoqué des émeutes et pour cela avoir dépassé les frontières entre Etats. Cette vieille loi fut néanmoins cassé et le jugement avec.

Seale fut accusé de meurtre, en raison de violence contre des flics infiltrés dans le BPP, violence causé par des provocateurs. Mais le manque de « preuves » fit qu’il sorti de prison.

La répression, elle, continue. Ceux qui organisent les contacts et les initiatives politiques entre les groupes des différentes communautés et le BPP sont arrêtés pour des motifs bidon, puis descendus, comme Fred Hampton. Le BPP était également facilement infiltrable : le FBI n’eut aucun mal à liquider les accords faits et même à les transformer en conflits. De plus, les perquisitions étaient ainsi très « fructueuses ».

Parlons également de Georges Jackson, arrêté à 18 ans, en 1960, pour avoir volé 70 $ dans une pompe à essence et condamné à vie. Il lit Marx, Engels, Lénine, Mao, et écrit un livre qui sera préfacé par Jean Genet : Soledad Brothers : The prison letters of Georges Jackson, puis Blood in my eye. Dans la prison californienne de Soledad (solitude en espagnol) en 70 un gardien avait tué trois prisonniers noirs, et même les prisonniers blancs racistes pensaient qu’il s’agissait d’une exécution pure et simple.

Le gardien fut acquitté. Trois jours plus tard un gardien se fait tuer. 3 personnes furent accusées, dont Jackson, on les appela les Soledad Brothers. Jackson était rentré au BPP en 70 et devenu maréchal. Le FBI fit un plan bidon pour tuer des accusés BPP et les soledad brothers.

Il s’agissait d’amener des armes dans la salle du tribunal et de faire intervenir la police, en faisant croire qu’il y une tentative de la part des panthères de prendre des otages et réclamer un avion pour partir en Algérie, pays socialiste, avec les prisonniers. Les infiltrés dans le BPP devaient proposer le plan de « libération » pour que les panthères elles-mêmes prennent l’initiative.

Mais Géronimo Pratt, un des théoriciens de la Black Liberation Army , au courant de cette tentative de prise d’otages, fait bloquer l’action. Mais Jonathan Jackson, frère de Georges et âge de 17 ans, ne fut pas prévenu à temps et mena l’action seul. Il donna des armes aux prisonniers et partirent avec le juge pour prendre un avion. La police était évidemment déjà sur place et tira. Deux prisonniers furent tués, ainsi que Jonathan et le juge, le procureur sera paralysé, le troisième prisonnier et un juré très grièvement blessés. Cela se passa le 7 août 1970.

Jonathan Jackson

Jonathan Jackson

Mais le BPP – contrairement à ce que voulait le FBI – ne fut pas du tout discrédité. Bien au contraire, l’action fut saluée, et on critiqua le FBI pour qui la vie humaine ne comptait pas.

Le lendemain, Angela Davis, figure de proue du comité de solidarité des Soledad Brothers, eut un mandat d’arrêt contre elle pour meurtre, etc.

Angela Davis était au CPUSA et était devenu prof de fac (à l’UCLA à L.A.). Elle passa dans la clandestinité, mais fut arrêtée en octobre 1970. Newton lui fut libéré en août 70, et le revolutionary people’s constitutional convention rassembla 10 000 personnes pour former une nouvelle constitution défendant réellement les libertés et continuer l’United Front against Fascism à Philadelphie en septembre. La deuxième session à Washington en décembre eut un peu moins de succès.

Mais le BPP s’était considérablement effrité. Il était présent dans une centaine de villes, avec un noyau dur d’à peu près 900 militants. Il était populaire chez les noirs mais en proie à une sévère répression. Il perdait son impact ; malgré le nombre de militants il arrêta les aides à la communauté en 70, et jusqu’à fin 70 40 panthères furent encore assassinées et 85 blessées.

Ce qui devait alors arriver : la scission, de fait la fin du mouvement, le BPP n’ayant pas trouvé les moyens de dépasser le reflux.

9. fin de l’histoire du BPP, la Black Liberation Army et la situation actuelle

a) la scission dans les restes du BPP et les derniers meurtres de militants

La scission s’exprime réellement début 71. 21 panthères arrêtées en 69 pour possession d’armes et d’explosifs sortirent un texte critique « New morning – changing weather » en référence aux Weathermen. Le texte appelait à la formation de groupes armés, la nécessité de l’union des groupes ethniques avec les révolutionnaires blancs dans un processus de lutte armée : « Nous du tiers-monde devons nécessairement détruire cette société cybernétique hautement automatisée ou serons détruits par elle – maintenant ».

La direction du BPP est critiquée pour son incapacité contre-révolutionnaire à prendre le camp de la lutte armée.

Le 23.1.71 Pratt est exclu, ainsi que sa femme Sandra et trois autres panthères. Le 5.2. deux membres du groupe de 21, libérés sur caution, partent en Algérie. Les deux autres membres libérés sur caution sont remis en prison. Sont publiés dans The Black Panther les noms des expulsés, notamment les deux panthères parties en Algérie et ainsi responsables de la mise en prison de deux autres.

Pratt est exclu notamment pour ses critiques et sa  » tentative  » d’éliminer physiquement Newton, qui a de fait le contrôle du BPP (ou de ce qu’il en reste). Le 20.2. il prend le titre de Supreme Servant of the People à la place de Supreme Commander. Le 26.2. il a une discussion télévisée avec Cleaver (alors en Algérie), ce dernier critiquant les exclusions faites des 21 panthères ayant émis des critiques.

Newton prend des mesures disciplinaires contre Cleaver. La rupture est consommée. Le parti implose.

Tout le monde s’insulte, fait un procès politique à l’autre. Si l’on se réfère à l’expérience des autres partis, on voit qu’il manque une ligne directrice, de la même manière qu’en Italie chez les Brigades Rouges, apogée du mouvement communiste. C’est un reflux en catastrophe pas géré, il n’y aura pas non plus de « retraite stratégique » (comme par exemple en Italie avec le petit noyau dur des derniers brigadistes continuant la lutte).

C’est la débandade ! La base attaque la direction comme « bureaucratique » et « autoritaire », proteste contre le centralisme non démocratique.

On critique la ligne de Newton, trop « masse » et pas assez lutte armée. Newton organise le 5.3.71 un intercommunal day of solidarity, pour présenter sa conception, avec entre 2000 et 4000 personnes, c’est-à-dire moins que prévu et avec seulement entre 10 ou 20% de blacks. La plupart des blancs sont là pour la musique, même s’il y a évidemment sympathie.

Le 8.3.71 Robert Webb, pro-Cleaver est tué après une altercation avec des vendeurs de The Black Panther. Le bureau BPP de New York, de fait quartier général de la tendance de Cleaver, accuse Newton. The Black Panther va par la suite paraître avec un copyright, avec des dessins diffamant vulgairement Cleaver. Plus tard de nombreuses personnalités panthères se prononcent pour Newton, ainsi que Bobby Seale. Les symboles militaires disparaissent de The Black Panther, le 17.4. Un partisan de Newton, Samuel Napir, est retrouvé tué.

Evidemment le FBI balance autant d’huile sur le feu qu’il le peut. Mais parlons des différentes stratégies que proposent Newton et Cleaver :

– la théorie des ghettos blacks comme colonies est gardée par Cleaver. Newton la considère comme fausse, mais ne propose rien à la place. Il amène la notion d’ »Intercommunalism », mais cela ne fait que rejoindre la position internationaliste qui était celle du BPP depuis le départ. Rien de bien nouveau donc.

– le « lumpenproletariat » est considéré par les deux comme classe la plus exploitée et avec donc un rôle d’avant-garde dans la révolution. Pour les deux cette classe forme la base du BPP. Pour Cleaver il y avait des divergences d’intérêts entre le « lumpenproletariat » et la classe ouvrière, intérêts non antagonistes, mais empêchant pour l’instant une lutte commune. Il s’intéressait depuis longtemps à la culture de la jeunesse blanche et voyait en elle un partenaire possible. Pour Newton au contraire il y a identité commune des intérêts du « lumpenproletariat » et de la classe ouvrière, il faut former un parti « prolétarien conséquent » et orienté sur la lutte de classe.

– La guérilla urbaine est une question centrale. Avant la scission le BPP s’y acheminait, avec des textes proches du petit manuel du guérillero urbain de Carlos Marighella. Cleaver considérait qu’il fallait passer dans la clandestinité, parce que la répression est trop forte et qu’il y avait une base noire sympathisante large. Il voulait organiser un front révolutionnaire nord-américain unissant les révolutionnaires de toutes les ethnies, organiser un front politico-militaire.

Elmer "Geronimo" Pratt

Elmer « Geronimo » Pratt

Il rejetait le légalisme de Newton et Seale, Newton défendant une organisation légale de masse. Les community-programm ne purent ainsi être proposés que par Newton, qui voulait faire de « l’aide sociale » pour les besoins urgents des ghettos, puisque les USA seraient le dernier bastion que la révolution mondiale prendrait. Il s’agit de s’ancrer dans le ghetto, de relier l’aide matérielle au travail politique.

– Cleaver critiqua le manque de démocratie : le comité central a toujours été composé de membres présents à Oakland dès le départ. Ses propositions de personnes d’autres villes furent toujours refusées. Dans le bureau d’un responsable on pouvait lire sur le mur : « The lower level is subordinate to the higher level » . On critiqua le culte de la personnalité : le titre de Newton (suprême…) et le changement de nom des Liberation Schools en Huey P. Newton Youth Institutes.

La tendance de Cleaver disparaitra assez vite. Newton, lui, organisa une série de purges pour chasser les infiltrés et ceux qui étaient en désaccord (dont Bobby Seale). Le parti n’exista quasiment plus, en 73 il n’y avait plus que 150 membres à peu près, et ce dans la zone originelle de la bay area.

Newton ne s’en prononça pas moins pour la nécessité de continuer les Community programm, de reconnaître le mouvement homosexuel et le mouvement féministe comme partenaire politique possible. Il nomma Elaine Brown à la tête du parti lorsqu’il passa dans la clandestinité ; le parti étant lui déjà basé sur la non-violence, le parlementarisme, le travail social. Bobby Seale avait déjà affirmé en 1972 que la révolution se basait sur les élections.

Le capitalisme n’était plus fondamentalement critiqué ; le capitalisme noir devait dans une période de transition aider à élargir l’antagonisme entre la Community opprimée et la domination monopoliste. Newton dit : « ce que nous devons ainsi faire : renforcer les qualités positives du capitalisme noir jusqu’à ce que les négatives soient dépassées et ainsi bouleversent la situation ». Les capitalistes noirs devaient cofinancer le programme du parti. Mais le parti n’était plus une force politique. Et entre 81 et 83 tout disparaît.

b) la Black Liberation Army (BLA)

Il ne reste alors que la BLA, black liberation army. Elle s’appelait à l’origine, en 1970, l’Afro-american Liberation Army et était issue de l’expérience de la répression massive contre le BPP. Des structures clandestines s’étaient formées pour protéger ceux qui passaient dans la clandestinité d’éventuelles arrestations ou assassinats. Il n’y avait pas de structure centralisée, mais de petites cellules autonomes, nombreuses dans certaines villes.

Le programme minimal était le même que celui décidé le 31 mars 68 à Chicago comme union entre différents courants nationalistes et anti-impérialistes du mouvement noir, à savoir l’organisation Republic of New Afrika. Une république noire devait être formée à partir des Etats de Louisiane, Mississippi, Alabama, Georgia, et Caroline du sud. La ligne est fondamentalement politico-militaire, avec des actions que les blacks peuvent tout de suite comprendre (attaques contre la police…).

En 1973 la plupart des cellules avaient été anéanti, la plupart des combattants tués ou arrêtés. A la mi-70 on consolida les restes du BLA par le BLA-Coordinating-Committee. Une minorité forma sa propre organisation en 78, la Revolutionary Task Force (appelée aussi The Family) avec le soutien d’ancien Weathermen. Il y avait donc des activistes noirs, et blancs, dans le but d’une « modification révolutionnaire et d’un processus croissant d’unification ».

Le KKK est analysé, et comme conclusion on en arrive au fait que « les masses dans les quartiers urbains doivent former des unités d’auto-défense populaire afin de se défendre – maintenant !

On a besoin de programmes afin de poser pour nos jeunes des exemples révolutionnaires positifs et qui doivent être développés en théorie et en pratique – maintenant ! ».

Est également affirmé que les millions de $ nécessaires doivent être rassemblés sous contrôle des révolutionnaires pour les différents programmes dans les Communities. Au niveau culturel comme pour les médicaments. Est également affirmé la nécessité de ne jamais toucher des civils.

Et comme conclusion :

« Nous devons avoir une nation !

Nous devons avoir une armée !

Il n’y aura pas d’holocauste noir ! »

Assata Shakur, une des fondatrices de la BLA, fut libérée de sa prison par un commando de cette organisation et se réfugia à Cuba. Cette action fut extrêmement populaire. Sur de nombreux murs de ghettos on pouvait lire « Assata is welcome here ». Une membre (blanche) du commando la libérant fut arrêtée ; Silvia Baraldini est depuis toujours en prison et fait l’objet de tractations pour être amené dans une prison de son pays (l’Italie).

Silvia Baraldini

Silvia Baraldini

Il y eut de très nombreuses actions (contre des banques…), notamment en soutien à un hôpital et à des centres de soin destinés aux gens du South Bronx (New York). Lorsqu’en 81 une attaque contre un fourgon à West Nyack (New York) amena l’arrestation de membres de la revolutionary armed task force, ce fut le début de la fin, des arrestations s’en suivirent.

De plus l’organisation s’était en partie discréditée à cause du fait que certains des éléments avaient affaire à la drogue alors qu’était affirmé que la drogue était un moyen impérialiste pour empoisonner le peuple noir.

La BLA se trouve quant à elle – après l’écrasement de la mi-80 – « actuellement dans une phase de réorganisation des liaisons politiques du mouvement d’indépendance pour la New Afrika » (position en 1990).

Notons également qu’il y a eu d’autres groupes, très nombreux : la Symbionese Liberation Army (SLA) qui enleva Patricia Hearst pour réclamer 70 $ par pauvre des Usa à son père millionnaire. Patricia Hearst s’engagea après dans le SLA !

Il y eut The Son of Brinks, Armed Resistance Unit, Red Guerilla Resistance , Revolutionnary Fighting Group, United Freedom Front, la Brigade Georges Jackson…

c) La situation actuelle

Il est évident que quand un mouvement se termine les gens se dispersent et s’éloignent de la lutte de classe, et donc de la pratique de la lutte de classe.

Stokely Carmichael a pris le nom africain de Namen Kwamé Turé et participe au All African People’s Revolutionary Party fondé par Kwame Nkrumah avec comme but un socialisme panafricain. Il voyagea aux Amériques, en Afrique, dans les Caraïbes et au Proche-Orient.

Eldridge Cleaver, lui, résida à Paris grâce à Giscard après que l’Algérie en ait eu assez de son soutien à des noirs détournant des avions sur Alger. En novembre 75 il retourne aux USA se rendre et fut libéré en 76 sur caution. La justice bourgeoise ne le condamna finalement qu’à 2000 heures de travail dans une bibliothèque. Il était entre-temps devenu anticommuniste, chrétien et partisan du parti républicain.

Angela Davis fut libéré en 1972 grâce à une caution de 102.500 $ . Elle fut acquittée quelques mois plus tard. Elle voyagea dans les pays du « socialisme réel » (RDA, Tchécoslovaquie, Cuba…) et est depuis 77 prof de fac à San Francisco pour les Black Studies et les questions des femmes. Elle fit partie jusqu’en 91 du CPUSA (après un bref passage dans les années 60/70 au BPP), où elle fut exclue pour appartenance à l’aile exigeant des réformes dans le parti. Elle est toujours une réformiste critique reconnue.

Angela Davis et le professeur Donald-Kalish

Angela Davis et le professeur Donald-Kalish

Newton arrêta en 1972 d’être politiquement actif, et écrit quatre livres : To die for the people (72), Revolutionary suicide (73) puis ensemble avec le psychologue Erik H. Erikson In search of common ground (73) et avec Ericka Huggins Insights and poems (75). Il étudia la philosophie sociale. Devant les poursuites pénales et les rumeurs qui ne le lâchaient plus, il s’exila à Cuba, et voyagea dans le 1/3 monde. Il retourna à Oakland en 77 mais le FBI ne le lâcha pas pour autant. Perquisitions, accusations de meurtres, etc. Pendant ce temps-là il fut actif dans des projets d’éducation alternatives dans les Communities et fit un doctorat de philosophie : War against the panthers : a study in repression in america.

Newton craqua finalement et pris de la drogue, puis tenta de se libérer et fut à nouveau actif, notamment en faveur de Pratt (alors que Pratt avait été arrêté un peu à cause de Newton). Il fut retrouvé mort en août 89, dans des conditions bizarres (drogues ? FBI ?).

Elmer « Geronimo » Pratt fut arrêté en décembre 1970 à Dallas au Texas. Il fut accusé d’avoir cambriolé et tiré le 18 décembre 1968 avec un autre noir sur le couple Caroline et Kenneth Olson sur un terrain de tennis à Santa Monica en Californie. Depuis Geronimo est en isolement, ne put pas aller à l’enterrement de sa femme assassinée, qui était alors enceinte au huitième mois (en 1971).

Son procès commença en juin 1972, dès le 28 juillet il est considéré coupable. Pourtant Kenneth Olson, qui a survécu à sa femme, affirma que le meurtrier était rasé de près, ce qui n’est pas le cas pour Pratt depuis des années.

Et Olson avait identifié sur un album photo de la police une autre personne. Un troisième témoin parla d’une voiture qui était à peu près celle de Pratt, mais elle était tellement courante que toutes les panthère de L.A. l’avait ! Pratt avait un alibi : il était à une rencontre nationale du BPP, 400 miles au-dessus d’Oakland, mais la fraction de Newton ne dit rien à cause de la scission. Kathleen Cleaver aurait voulu témoigner mais le FBI veillait et envoya une lettre à son mari comme quoi il serait dangereux pour elle d’apparaître… De plus la rencontre du BPP avait été mis sur écoute par le FBI. Mais lorsqu’en 81 on l’écoute, les parties où il devait y avoir Pratt ont « disparu ».

Pratt avait été arrêté sur dénonciation d’un indic payé par le FBI. Le FBI nia que Pratt fut la liste du COINTELPRO ; et deux personnes du team de défense de Pratt au procès étaient des indics du FBI qui informaient de la stratégie de défense ! En mai 76 on accusa Pratt d’être le chef de la BLA à partir des prisons californiennes, un « top organizer ». Aujourd’hui, fin 95, Pratt est toujours en prison.

Bobby Seale, la tête du BPP, fut presque maire d’Oakland ; et lui et Elaine Brown firent une candidature non pas indépendante comme prévue au départ, mais finalement démocrate. En 1974 il quitte Oakland, et est aujourd’hui actif dans la Temple University Philadelphia, et est l’auteur de livres de cuisine, comme Barbecue with Bobby.

Au niveau des organisations, un état des lieux est plutôt difficile. L’Islam est devenu une valeur refuge pour beaucoup, mais sans pour autant que le communisme soit rejeté. On peut prendre l’exemple de Mike Tyson qui, devenu musulman lors de son passage en prison, s’est fait tatouer le portrait de Mao-Tsé-Toung [ainsi que Guevara, sur le ventre] (les photos de lui sont depuis souvent retouchées…).

Il faut bien comprendre que, pareillement à en Italie, c’est par la prison qu’est diffusée l’idéologie révolutionnaire, les cadres étant en prison ! Même si aux USA cela se passe dans une grande proportion (puisqu’il y a un million de prisonniers sociaux dans les geôles amérikkkaines).

On peut citer à ce sujet le MIM (Maoist Internationalist Movement), qui part du point de vue de la triple oppression (racisme, sexisme et capitalisme comme triple oppression) et du maoïsme, et considère le BPP comme l’avant-garde de la nation noire opprimée dans les années 70. Le MIM diffuse de la littérature révolutionnaire dans les prisons, diffuse les lettres des prisonniers en lutte, etc.

[Depuis quelques années nombreuses sont les accusations contre le MIM, censé être manipulé par la CIA. Ces affirmations semblent se confirmer.]

Existe aussi le NAPO (New African People’s Organisation), dont un représentant est passé donner des conférences en Allemagne il y a quelques années. En lutte pour la Nouvelle Afrique socialiste, le NAPO ne se veut pas « nationaliste noir » mais « néo-africain », car luttant dans le contexte bien précis de la domination de la nation noire dans les régions du Sud des USA.

Les islamistes sont également très puissants, sans faire pour autant l’unanimité. Ainsi en 1995, Qubilah Shabazz, fille de Malcolm X, tenta d’assassiner Louis Farrakhan, leader de la Nation of Islam (ce dernier groupe aurait été à l’origine du meurtre de Malcolm X). La position dominante des islamistes ne doit pas cacher le fait que la culture maoïste est toujours présente dans les mouvements noirs et que les maoïstes sont toujours en lutte.


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