LE PRÉSENT ET L’AVENIR AUX INTELLECTUELS

Jamais autant qu’aux jours où nous sommes, – et c’est logique, – n’ont pullulé les manifestes littéraires et les appels aux intellectuels.

Eh bien, tout submergés que nous soyons par cette paperasse et assourdis par cette cacophonie, – et précisément à cause de cela, – nous apportons notre appel à notre tour, par-dessus les autres.

Le premier devoir des intellectuels et des artistes est de discerner et d’entreprendre le net rôle social qui leur incombe.

D’abord, où en sommes-nous ?

Nous sommes dans une époque d’énorme progrès matériel, et en même temps, de faillite ; une époque de décomposition, nous sommes à la fin d’une certaine période de civilisation.

L’art et la littérature sentent la décadence, comme le reste. Je ne retiens que les titres de chapitres du trop long réquisitoire qui se dresse de lui-même : abondance, mais chaos, culte du détail, arguties, analyses quintessenciées, synthèses maladroites et incomplètes, contradictions, remise à neuf des vieilles, superstitions, – ignorance, confusion, désordre. Et aussi, objectivement, mercantilisme, grands procédés brutaux de publicité aux mains des puissances d’argent, réputations artificiellement hissées en enseignes, et imposées aux consommateurs comme des produits pharmaceutiques. Exploitation à l’américaine et mainmise par les entrepreneurs commerciaux non seulement sur le livre, mais sur les autres moyens publics de réalisation artistique : le théâtre, le music-hall, le cinéma, la radio.

Au milieu de tout cela, – et pour nous en tenir aux lettres, – percent des tentatives plus ou moins isolées de rénovation, mais qui, souvent, tournent à la caricature et se contentent du scandale. Quelques-unes de ces tentatives émanant de jeunes auteurs pleins de virtuosité et de talent, ne sont pas sans intérêt, ni sans portée; elles ont l’avantage de discréditer de vieux règlements d’école et des formules périmées.

Mais, jusqu’ici, elles ne s’appliquent guère qu’à la forme et ne dépassent pas le problème du renouvellement du mode d’expression, – la coquille des mots, si je puis dire.

Quant à la mentalité générale de la gent intellectuelle, époque d’incertitudes et de va-et-vient, de recherches, d’inquiétude. L’inquiétude, c’est la réaction organique, la colique des décadences. Ceux qui réfléchissent et qui s’efforcent de regarder un peu plus loin que l’immédiat, sont inquiets.

On cherche les voies, on cherche du neuf. On sent bien qu’un changement se prépare. Mais ne le comprend pas qui veut.

Notre réalisme social et philosophique nous permet de démêler le désordre de notre époque de transition, de remonter à ses causes et de constater qu’il est la résultante d’un état de choses parfaitement logique. La même doctrine assigne à l’idéologie son rôle et son importance, et nous permet de rallier, à cette lumière exacte, un grand nombre des inquiets du jour.

L’idéologie ne constitue pas, – et cela est notre premier principe, – lui domaine à part, distinct, sorte de paradis du rêve et de l’art. Elle doit faire corps avec l’évolution historique.

Par le langage, par la doctrine, par l’art, l’homme s’exprime et exprime son milieu, d’après des règles positives qui sont les mêmes pour les idées, pour les oeuvres et pour les événements. Il n’y a pas deux vérités, l’une théorique et l’autre pratique, il n’y en a qu’une.

Il importe donc de ne jamais les séparer par l’abstraction : à toute idée une réalité doit correspondre, sinon elle n’est qu’un mot sans consistance. On ne dissèque pas la vie.

ART NOUVEAU ET ORDRE NOUVEAU

En s’exprimant, on fixe et on bâtit. L’art, et, d’une façon. générale, la parole et l’écriture, sont des instruments de réalisation, ce sont des outils immenses aux mains des hommes.

Un art nouveau suppose donc comme « base » un stade nouveau caractérisé de l’évolution historique.

Mais il ne faut pas dire, connue nous l’entendons souvent, qu’il n’y r rien à faire tant que l’ordre nouveau n’est pas institué. L’esprit prend les devants.

Il trace les perspectives, il prépare les chemins, il remue et brasse les sentiments, il ébauche, et il ébranle, ou bien il affermit les convictions. Il apporte une clarté et une certitude. Tel est le sens ale notre matérialisme littéraire et artistique (le mot a déjà été employé, je crois, par Henriette Roland Holst).

En conséquence, nous ne considérons pas non plus l’idéologie comme devant arbitrairement régenter les faits. La thèse des prétendues élites conductrices, de l’aristocratie et de l’autocratie des penseurs, ne repose sur rien. C’est un bluff candide. Le chef qui conduit une foule libre doit, avoir été engendré d’abord par cette foule ou par toute une partie de cette foule.

Notre objectif est celui-ci : se conformer à l’impulsion des faits réels et d’une doctrine logique en prenant conscience des contingences et de leurs enchaînements.

Prendre conscience des réalités, c’est leur obéir, et non les plier à des formules ou à des fantômes.

Nous appliquons au bloc de la vie collective et de son expression idéale, le beau précepte lapidaire des stoïciens vis-à-vis de la divinité : « Je n’obéis pas à Dieu, je suis de son avis. »

INDIVIDU ET HOMME SOCIAL

Mais il est entendu que nous considérons surtout et avant tout l’homme social, et non l’homme en soi (qui est une fiction), et non l’individu.

Cela demande à être clairement défini et fermement posé.

L’individu n’est pas une fiction. Au contraire, c’est la cellule réelle de l’humanité. Nous ne contestons pas l’importance centrale de l’individu. Kart Marx ne l’a pas contesté non plus, comme le lui reprochent légèrement ceux qui le connaissent mal.

Chacun da nous est pour ainsi dire double : il est unité et individu par son bagage spécifique, sa crise personnelle, sa position particulière dans le drame éternel du bonheur, du désir, de la mort.

Chacun de nous est aussi partie intégrante du tout social, goutte de foule, chiffre dans la collectivité; et la collectivité est elle-même un organisme. Il y a, comme disaient les anciens, l’homme intérieur et l’homme extérieur.

On ne résout pas cette profonde antinomie humaine en supprimant – ou, plutôt, en faisant semblant de supprimer – un des éléments en cause, puisque tous les deux existent dans la vérité pratique.

Si on scinde artificiellement l’individualisme et l’objectivisme social, le premier se dérègle, et le second se momifie ; et il ne reste plus que deux de ces abstractions nébuleuses chères aux poètes, dictateurs de la fantaisie.

Mais, à l’heure actuelle, l’individu nous intéresse moins que l’ensemble, et nous laissons le particulier pour nous consacrer au collectif.

L’individu, le cas isolé, l’aventure personnelle, ont régné jusqu’ici dans la littérature et dans l’art. Si l’on ne peut pas prétendre que tout a été dit à ce sujet, – car on ne peut pas prévoir les chefs-d’oeuvre – il est certain qu’on en a dit, répété et ressassé, l’essentiel. Et maintenant, on veut regarder ailleurs.

Il faut cesser de tourner en cercle autour de l’esprit et du coeur individuels et de s’obstiner à prendre d’assaut le mur de la vie privée. Il faut laisser de côté, pour un temps, les cas exceptionnels, les soliloques, et les analyses centripètes, l’affaire spéciale de M. X et de Mme Y, de moi et de toi.

Il faut entrer dans le domaine de l’ensemble.

Tout nous y pousse. D’abord la fatalité économique et historique qui assigne aujourd’hui au collectif un rôle grandissant, et lui donne la marque, et déjà, la forme, de l’avenir. Qu’on le veuille ou non, c’est le règlement de la vie de l’ensemble qui est en question par-dessus tout aujourd’hui. Bon gré mal gré, au jour où nous sommes, la solidarité humaine nous tombe sur les épaules.

Mais il ne s’agit pas seulement d’adaptation à d’urgentes et grandioses exigences sociales.

Il y a dans cette voie un progrès, un acquis graduel, une création continue – que ne donne pas le piétinement de l’individualisme, le sempiternel recommencement personnel.

Et cela seul doit suffire à décider de la voie à suivre, les hommes qui ont dans le coeur et dans l’esprit la volonté de faire ici-bas besogne effective.

C’est donc dans ce sens, celui des rapports des hommes entre eux, que le devoir nous commande de nous orienter aujourd’hui.

Nous ne tomberons pas dans cet « extrême » qui consisterait à faire, soit de l’homme social, soit de la collectivité, une entité, une chose en soi. Les adversaires sophistiques du marxisme, et même parfois les maladroits marxistes, tendent à transformer le matérialisme historique ou économique, en matérialisme pur et simple, et à considérer « l’objectivisme dogmatique » comme un mécanisme dont les rouages se meuvent en dehors de toute influence individuelle, de tout facteur psychologique.

Cela est trahir la pensée de Marx en abusant du mot matérialisme, et méconnaître tout ce qu’a de souple et de vivant le réalisme marxiste – qui mérite par son ampleur d’être considéré moins comme une doctrine que comme un nouvel état d’esprit, une nouvelle méthode de polarisation des forces créatrices, en harmonie avec la vie et la logique, la nature et la science.

Si les phénomènes économiques se développaient exclusivement et fatalement dans le plan matériel, les choses se feraient toutes seules, toutes les situations établies se trouveraient justifiées au fur et à mesure, et ce ne serait que creuse démagogie de dire aux prolétaires d’en modifier le cours en brisant eux-mêmes leurs chaînes, et c’est pourtant cela qu’il faut leur dire.

L’école bernsteinienne s’est hypnotisée sur ce déterminisme étroit, et en a tiré une sorte d’opportunisme socialiste qui devait l’amener à toutes sortes de concessions.

Les phénomènes historiques obéissent à des lois, comme tous les phénomènes. Mais ils ne s’accomplissent pas automatiquement. Ils ne sont pas totalement entraînés sur une pente invincible.

L’homme peut les maîtriser comme il peut maîtriser les éléments et canaliser les fleuves, qui sont soumis à des lois physiques. L’aventure des hommes sur la terre n’est géométrie fatale que dans la mesure où les hommes l’ignorent.

C’est là la raison d’être de la propagande qui est une initiation claire. Je dirais volontiers, pour résumer cet aperçu, que nous devons considérer l’homme en tant qu’individu social.

Cette conception, qui a donné au milieu du XIX° siècle sa véritable substance au socialisme, comme jadis Bacon l’avait fait, pour la science, et Kant, le géant des penseurs, pour toute la philosophie, est riche et féconde. Elle élimine la « chose en soi », elle contrôle la valeur fiduciaire de la formule et de la tradition, elle anéantit la superstition et les fantômes, elle remplace un « idéal » sentimental et nuageux, un idéal de contes de fées, par un but final scientifique.

Elle mêle profondément l’abstrait au concret.

Elle a pour elle les forces organiques de la multitude humaine. Elle relève des puissances naturelles. C’est la voix et le frisson d’une marée montante.

Par là, on peut dire qu’elle est beaucoup plus profondément idéaliste que les pompeuses utopies des chevaliers ou apôtres de l’idéal verbal.

Telles sont les raisons pour lesquelles l’honnête homme qui veut penser honnêtement doit s’arracher – au moins pour les temps qui viennent – au culte sans fond et sans but de chacun, et s’orienter vers la cause de tous.

LES DEUX ORGANISATIONS SYNDICALES

Notre méthode rationnelle, scientifique, qui apporte ses évidences brutales et sa luminosité sur le remuement historique actuel et sur tout son cortège d’idéaux et d’idées, nous permet d’y voir net, et de discerner, comme je l’ai dit, les organisations motrices.

C’est, en premier lieu, l’organisation du capitalisme, celle des exploiteurs des masses, c’est-à-dire de la classe dirigeante. universelle, qui est elle-même entre les mains d’une oligarchie de grands financiers, maîtres suprêmes des conjonctures présentes.

La concurrence et la centralisation capitalistes qui se sont exercées jusqu’ici, ont pris des proportions prodigieuses par suite du progrès industriel, du perfectionnement de l’outillage, du développement des entreprises et de cette gravitation des fortunes et des entreprises privées – les petites absorbées par les moyennes et les moyennes par les grosses, – que les précurseurs ont si bien définie, et prévue. Cette évolution a mis la souveraineté terrestre entre les mains des Américains – les seuls riches – : Arrivés à un degré formidable de puissance d’absorption, ils se mettent à coloniser tout ce qui est colonisable dans notre vieux continent. La Bourse de New-York est devenue le pôle d’attraction et de direction, de convergence et de divergence du mouvement mondial, le centre de la grande machine qui fait tout marcher.

C’est là-bas que se placarde l’image même du capitalisme : progrès matériel, richesse torrentielle remplaçant tout, pensée atrophiée.

Contre l’organisation des exploiteurs, celle des exploités. Le prolétariat contre le capital. Révolution et contre-révolution.

Tels sont les deux courants fondamentaux, profonds, réels.

Tous les mouvements, toutes les tendances qui groupent des adhérents, ou simplement fourmillent dans le cerveau du monde contemporain, se rattachent directement, ou indirectement, à un de ces deux courants contraires.

Sans doute, la lutte est encore bien inégale. Sauf en Russie, les forces vives sont du côté du capitalisme : institutions, lois, forces d’État.

Nous assistons, de plus, au développement du fascisme, suprême réaction de la réaction, et que dans cet aperçu général et succinct je me contenterai de définir : une organisation de lutte offensive destinée à faire échouer l’organisation commençante du prolétariat, et obtenue par une levée en masse des classes moyennes.

L’atout des exploités, ce n’est pas leur puissance propre, insuffisamment cohérente encore, ce sont les résultats désastreux du système triomphant de l’enrichissement individuel, c’est-à-dire le malheur humain. L’ordre établi n’est plus viable.

Il est condamné par son hypertrophie même, et par son absurdité foncière qui transparaît de plus en plus à travers les moyens artificiels qui l’ont maintenu jusqu’à ce jour : la violence et la tromperie.

Car, à l’appareil de coercition dont dispose le capitalisme impérialiste régnant, s’ajoute toute une propagande idéologique qui s’y appuie et qui l’appuie. Fort de moyens de publicité considérables, de séculaires traditions, et d’un pli d’esclavage invétéré ; utilisant démagogi­quement la peur du nouveau et de l’inconnu, travestissant les idées et les actes de ses adversaires, le grand système parasitaire est parvenu jusqu’ici à avoir pour lui le consentement de la grande majorité des hommes.

Cette idéologie d’oppression est extrêmement diverse et multiforme, tantôt ouverte, tantôt maquillée, et dissimulée.

On en rassemble l’essentiel dans la formule courante : l’idée de l’Ordre.

Ordre signifie ici : ordre établi, et on doit comprendre : le système de l’exploitation de l’homme par l’homme.

Par un jeu de mots, par un véritable illusionnisme qui tend à faire passer « ce qui est » pour « ce qui est normal », grâce à toutes espèces de scolastiques et de dialectiques qui justifient et renforcent l’oeuvre de conservation sociale, la plupart des gens, je le répète, sont présentement partisans de l’ordre des privilégiés et des parasites.

Le grand moteur de cet ordre consacré qui fut l’ordre féodal avant d’être – par un changement d’étiquettes – l’ordre bourgeois, qui fut la tyrannie des aventuriers couronnés, des dynasties royales, avant d’être celle des vastes hommes d’affaires – émane de la notion de Dieu.

C’est dans la conception de Dieu qu’on a puisé les éléments de cette falsification énorme de l’évolution naturelle de l’humanité, de ce sacrifice des masses au profit de quelques personnes.

En effet, la présence de Dieu démolit toute l’oeuvre humaine. C’est un grand transformateur qui refait tout. C’est urne contre-réalité qui écrase la réalité.

Mais Dieu n’est qu’un mot audacieux. Le kantisme qui a remis définitivement à l’endroit la philosophie, a fait table rase de la réalité concrète de Dieu. C’est une création de l’esprit et du coeur à laquelle on accorde une existence distincte par la même opération de folie qui fait croire à l’halluciné que sa vision, toute intérieure, existe à l’extérieur. C’est la Formule par excellence. Imposée par la magie et le terrorisme, cette invention a permis de faire complètement dévier l’ordre des choses.

On comprend l’effort désespéré des réactionnaires et des conservateurs pour écarter la possibilité d’une « société sans Dieu ». Ils sont hantés par ce spectre.

Si la foudre théâtrale d’au-delà leur échappe, tout leur échappe. Aussi c’est là le mot d’ordre primordial des idéologues contre-révolutionnaires – depuis ceux de l’Action Française qui se prétend uniquement nationaliste, jusqu’aux catholiques de toutes nuances, aux néo-chrétiens et aux néo-thomistes qui sont à la mode. Ils développent sous toutes les formes la thèse de Joseph de Maistre pour qui la Révolution Française était d’essence satanique parce qu’elle excluait Dieu des affaires humaines. Ils ne veulent pas qu’on touche à la divinité et à sa thérapeutique d’outre-tombe qui remet toutes les échéances et tous les règlements dans l’au-delà, et écrase, en attendant, les vivants, par l’obéissance et la résignation.

Mais ce qui est plus grave, c’est que Dieu a un grand nombre d’ersatz. Il n’y a pas seulement le Dieu qui est installé au milieu de l’appareil religieux.

Il y a toute, une série d’idoles abstraites et de religions laïques qui sont tout aussi néfastes et tout aussi fallacieuses que celle des églises, car elles résultent de la même opération illicite : donner une valeur en soi, une existence distincte et redoutable à des concepts ou à des rêves (la justice, la raison, la paix), en faire des entités alors que ce ne sont que des idées générales émanant de l’esprit, des formes de cet esprit, et des termes descriptifs.

Charles Rappoport, dans sa Philosophie de l’Histoire, dit excellemment que l’a priori est « le remplaçant de Dieu ».

Ces précisions nous permettent d’expliquer, et, si je puis dire, de déjouer, les divergences et les dissensions superficielles que nous voyons apparaître parmi ceux qui sont groupés en fait sous la bannière de la Défense de l’Ordre.

Que nous importent les polémiques de boutique du nationalisme intégral dont chaque grand pays a sa pépinière, avec quelque secte dissidente, quelque Jeunesse Patriote, Ligue Civique ou Faisceau, voire avec le Vatican et le pape !

Les défenseurs de l’Ordre prennent comme plateforme tantôt le classicisme, tantôt l’antisémitisme, tantôt la religion patriotique. Ils vont chercher leurs arguments aussi bien dans l’arsenal des religions d’État que dans la soi-disant sagesse de l’antiquité païenne.

Un scribe militant comme M. Maurras est tout aussi païen que catholique. Du reste, le christianisme, vaste synthèse artificielle fabriquée par Saint Paul avec le monothéisme et le messianisme juifs, mélangé à certains dogmes du stoïcisme et du platonisme, et à des mythes gréco-orientaux, est fortement teinté de paganisme ; et le fait chrétien ne s’est substitué au fait impérial romain qu’en lui ressemblant servilement. De même Saint Paul a prêché de la façon la plus catégorique, la plus absolue, et la plus éhontée, l’obéissance passive aux princes et aux puissances établies. C’était avant tout un défenseur de l’Ordre.

Quant à l’hellénisme, c’est une conception, superficielle et écourtée, de l’immédiat et du présent, qui, en réalité, et nonobstant ses prétentions, ne fut pas plus « la raison », que le christianisme n’a été l’amour, que le mosaïsme officiel n’a été la justice, ou le droit romain, le droit.

Laissons donc ces messieurs se chamailler entre eux. Laissons la Jeune République se détacher, s’il lui plaît, du Parti démocrate populaire issu du Sillon. Laissons telle publication intitulée le Mouvement, qui pousse l’orthodoxie et la charité chrétiennes jusqu’à indiquer nominalement dans sa chronique italienne des victimes à Mussolini, empoigner furieusement l’Action Française. Tournons-nous d’un autre côté.

Les mêmes choses sont à dire, une fois pour toutes, des pacifistes ou moralistes qui rêvent un perfectionnement de la nature humaine, et divinisent, laïquement, l’amour et la bonté. En apportant leur utopie dans la lutte sociale réaliste, ils donnent le change, détournent les attentions et les énergies, empêchent qu’on ne remonte aux causes des anomalies (ce qui est le seul moyen honnête de les combattre), font perdre de vue les voies pratiques de l’organisation disciplinée, et les conquêtes positives. Ils sont, qu’ils le veuillent ou non, du côté des conservateurs.

Et la même chose enfin est à dire des « démocrates », des républicains, radicaux, radicaux-socialistes, et même, de beaucoup de socialistes.

Les champions des demi-mesures, des palliatifs momentanés, de la réparation provisoire, des collaborations de classes et du progrès « petit à petit » dans le cadre des absurdes institutions actuelles (autant d’illusions et de pièges), ont beau émettre de sonores diatribes contres les horreurs de la guerre, l’exploitation du travail et les extravagances du fascisme. Ils sont tous, par la force des choses et de la logique, défenseurs de l’ordre établi et ennemis effectifs de la multitude humaine.

Avant d’être nationalistes, avant d’être chrétiens, catholiques, avant d’être libéraux et démocrates, tous ces prédicateurs sont les auxiliaires du statu quo.

D’ailleurs, leur unité – leur union sacrée – se reconstitue comme par enchantement dès qu’il s’agit de faire la guerre aux vrais révolutionnaires. C’est la vérité de fait qui doit nous ouvrir les yeux.

N’oublions jamais que, pour l’organisation capitaliste, la tâche est seulement de maintenir ce qui est ; pour les autres, de détruire ce qui est et de le remplacer. Il est clair que des éléments très disparates peuvent concourir à une oeuvre de conservation (même les indifférents et les neutres, qui font poids mort), mais qu’il n’en est pas du tout de même pour ceux qui poursuivent une révolution profonde. On peut trouver ici l’emploi de deux préceptes célèbres de l’Évangile.

Les conservateurs peuvent dire : « Celui qui n’est pas contre moi est avec moi », les révolutionnaires doivent dire : « Celui qui n’est pas avec moi est contre moi ».

En face de ce monde d’ennemis et de faux amis, le peuple – le prolétariat – cherche à être lui-même, à édifier un statut humain par la prise du pouvoir qui lui permettra de briser les vieilles formes d’État et de bâtir une société selon la loi du travail et de l’intérêt général (dans l’ordre actuel des choses, l’intérêt général, la collaboration des victimes avec des bourreaux n’est qu’une duperie), par l’abolition des classes et de l’État.

On peut dire que cette oeuvre basée sur l’égalité politique et la production, est une oeuvre de démocratie, mais de démocratie intégrale n’ayant rien de commun avec le verbalisme démocratique qui s’épand des tribunes officielles de nos soi-disant républiques.

NOTRE PROGRAMME

L’heure n’est plus de se perdre dans les discussions subtiles, ni de découvrir ou de collectionner des nuances. Il faut sortir de toute la mythologie.

Notre devoir, à nous tous intellectuels, écrivains et artistes, travailleurs des professions libérales, est – après celui de voir clair – de balayer tous ces sophismes et toutes ces folies dont la misère humaine a été gavée.

Il nous faut donner conscience aux exploités pour qu’ils conforment leurs actes à la raison et à leurs intérêts vitaux. Il nous faut signifier brutalement l’accord lumineux de la volonté des foules, avec l’ordre rationnel et naturel des choses et avec le droit à la vie.

Sur quelles bases pouvons-nous tenter de réunir dans tous les milieux intellectuels, les éléments suffisants pour préparer les temps nouveaux ? Ce ne sera pas sur un programme politique – mais sur trois grands et larges principes d’action, que voici :

1° – Rapprocher les travailleurs manuels et les travailleurs intellectuels.

Ceux-ci sont du reste eux-mêmes des exploités voués à la misère ou bien à la mendicité et à la servilité vis-à-vis des puissants et des riches.

2° – Lutter contre la propagande réactionnaire et archaïque de l’idéologie et de la culture bourgeoises.

3° – Dégager et aider l’éclosion d’un art collectif.

Ce qui doit nous pousser dans le collectif, ce ne sont pas seulement les raisons de vertigineuse opportunité que j’ai indiquées, mais le sens que nous devons avoir, de la grandeur et de la vie. L’art se renouvellera par en bas, comme la société. Un champ illimité s’ouvre devant cette renaissance dont nous percevons déjà quelques signes. Qu’est-ce que la danse d’un couple à travers sa destinée, à côté des orages, des raz-de-marée, et des avalanches humaines!

Tels sont les trois points sur lesquels doit se réaliser un groupement international et une unité. Ces principes majeurs s’ajustent à la réalité et ouvrent réellement l’avenir.


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