Publié dans la Voix du Peuple n° 45 – 5 novembre 1965

Les trotskystes se reconnaissent décidément dans toutes les divagations révisionnistes. Le troisième congrès des khrouchtchéviens de Belgique − que ceux-ci avec un beau culot baptisent XVIe Congrès du Parti Communiste − les inspire visiblement.

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Nous avons eu droit ainsi, avant coup, à un brillant exercice de coupage de cheveux en quatre par Mandel occupant deux pages entières de la Gauche à analyser quelques points typiquement révisionnistes et néo-réformistes du rapport burnellien, pour proposer aussi vite d’autres thèses qui arrivaient parfois − c’est une performance qui mérite d’être soulignée − à s’enfoncer encore un peu plus dans le révisionnisme et le néo-réformisme.

Après coup, nous avons droit à un commentaire d’une page de Marcel Liebmann, qui, il n’y a guère, au même endroit, s’était érigé en grand-prêtre du culte de Léon Trotsky. Liebmann a découvert un autre grand homme : c’est René Noël, l’« Italien » du P.C.

On connaît le thème du congrès. La thèse officielle : groupons-nous autour du P.S.B. [Parti Socialiste Belge unitaire, ndlr], sous-entendu (mais à peine) pour nous y fondre à la première occasion venue, au besoin, après un petit stage dans l’Action Commune. Et en attendant, efforçons-nous de faire comprendre au parti de Spaak qu’il serait plus habile de sa part de sortir momentanément du gouvernement.

En face, l’opposition de Sa Majesté dont le leader apparent est Noël : le P.S.B. est irrécupérable. Faisons des alliances, comme le Rassemblement Démocratique Wallon à Cuesmes, où on groupe un peu tout le monde y compris libéraux (voir sa collaboration à la tribune de discussion du Drapeau Rouge) et le succès est assuré.

Liebmann frétille car il a trouvé son leader, ce Noël qu’il n’hésite pas à comparer à Togliatti. Cela va tellement loin que nous lisons dans l’article en question que l’an dernier, Noël aurait plaidé la cause du Parti Communiste Chinois. Voilà qui ne manquera pas d’étonner ceux qui ont lu la prose et encore plus entendu les paroles racistes de Noël durant la campagne électorale de Cuesmes.

FIERTÉ ET GANGSTÉRISME POLITIQUE

Quoi qu’il en soit, le rédacteur de la Gauche nous assure : « Cuesmes, c’est la grande fierté du P.C.B. (sic). Dans cette grosse commune du Borinage, bastion traditionnel du P.S.B., les communistes (resic), entraînés par Noël, se sont emparés de la majorité au conseil communal et de l’écharpe de bourgmestre. »

Les révisionnistes ont une bizarre conception de la fierté et Liebmann, qui sait très bien ce qui s’est passé à Cuesmes, a d’étranges trous de mémoire. Faut-il rappeler comment Noël, régent et directeur d’école, a fait des pressions scandaleuses sur des parrains de la liste du Parti Communiste Wallon, a usé de menaces et de chantages pour obtenir l’annulation de notre liste régulièrement déposée ? C’était ignoble et tellement ignoble que l’enquête menée à l’issue de ces faits a conduit à prouver la bonne foi de nos militants et les procédés inqualifiables de Noël.

Il en est très normalement résulté l’annulation des élections d’octobre, non seulement par la députation permanente de la province de Hainaut, mais encore, Noël lui-même se pourvoyant en appel, par une décision du Conseil d’Etat. Le fait qu’ensuite le sénateur khrouchtchévien ait remporté un « succès » à Cuesmes n’enlève rien à son infamie.

Nos lecteurs savent – et Liebmann sait – quels procédés Noël a employé durant sa campagne électorale, la brutalité et les méthodes de gangsters utilisées par ses hommes de main. Il est vrai que, comme on dit dans la région, « quand on couche avec un chien, on attrape ses puces ». Liebmann a probablement les alliées qu’il mérite.

Il est une chose qui me stupéfie. Comment se fait-il que, cinq mois après les faits, la Gauche ne soit pas encore parvenue à parler de l’accord réalisé – probablement sous les auspices de la franc-maçonnerie – entre les khrouchtchéviens et le P.L.P. ?

Il est vrai que Liebmann a probablement de bonnes raisons de ménager la franc-maçonnerie. Cet accord a abouti à l’élection, par 8 conseillers révisionnistes et par 6 conseillers P.L.P. [Parti de la liberté et du progrès, ancêtre de l’actuel MR, ndlr], de Jean Terfve comme sénateur provincial de Liège.

Cet accord aussi a amené l’intervention du P.L.P. in extremis dans la campagne électorale de Cuesmes : un tract, signé par Hanotte, député et animateur des manifestations chauvines de coloniaux en juillet 1960 ; par Jottrand, sénateur, administrateur de la Banque de Bruxelles et avocat des patrons charbonniers ; par Gherards, conseiller provincial de style poujadiste, appelait à voter Noël. Le P.L.P. à Cuesmes avait eu aux élections de mai 700 voix − les 700 voix qui manquaient au Togliatti du Borinage pour obtenir la majorité absolue.

Le P.L.P. a comblé du même coup le maître et l’élève, Terfve et Noël.

NOEL, TOUT DÉVOUÉ AU P. S. B.

L’opposition de Noël au P.S.B. est une chose bien récente et je ne parlerai ici que de ce que je peux prouver.

Est-il indifférent de dire aujourd’hui, à l’heure de la grève des rédacteurs du Drapeau Rouge, qu’au temps où Noël était permanent du Parti − exactement directeur de la publicité à la presse communiste − il lui fut accordé, grâce aux bons soins de Jean Terfve, l’autorisation d’exercer en cumul des fonctions rémunérées de directeur à l’école industrielle de Cuesmes ? Il est des « permanents » qui n’ont pas connu les durs sacrifices que sait si bien évoquer Burnelle.

La direction de la publicité du D.R. ne réussit pas à Noël. Il refit carrière dans l’enseignement. Dès lors, l’amitié spectaculaire de Noël et du bourgmestre Plumart fut bien connue au Borinage. Ce dernier eut même maille à partir avec ses amis politiques qui ne comprenaient pas qu’était permis à Noël était interdit à un enseignant membre du P.S.B. : le cumul du mandat parlementaire et d’une fonction enseignante. Hurez, ex-collaborateur de la Gauche en sait quelque chose.

Par contre, Noël n’était pas un ingrat envers Plumart. En 1952, pour les élections communales de Cuesmes, le bouillant directeur mit son veto à la présentation d’une liste communiste et la section vola en éclats. En 1958, il n’y eut pas non plus de liste à Cuesmes. Mais au même moment, Noël, qui habitait Mons, faisait prendre des sanctions contre les militants qui, soutenus par l’unanimité de la section, avaient refusé qu’il conduise la liste communiste à la suite, de sa part, d’une invraisemblable série d’actes hostiles au Parti.

J’ai souvenance d’un fait particulièrement ahurissant qui s’était déroulé auparavant et j’y fus mêlé. A la suite dégâts miniers, un côté entier de la rue du Peuple à Cuesmes s’était effondré. Le Comité de la Fédération boraine du Parti avait mené une action en faveur des sinistrés et avait mis en accusation les fautes graves du bourgmestre Plumart.

J’avais été chargé par le Comité fédéral de rédiger à ce sujet l’article de la Voix Boraine, supplément au Drapeau Rouge Magazine. A l’insu de tous, Noël s’est rendu à l’imprimerie et a modifié mon article, transformant les critiques adressées à Plumart en un éloge inconditionnel.

Les plaintes à la direction du Parti ne donnèrent rien. Ceux qui depuis des semaines menaient, selon les statuts, la lutte contre l’opportunisme de Noël et de ses amis, durent ou courber l’échine ou se révolter. Quelques semaines plus tard, j’étais exclu en même temps que quinze autres camarades dont trois fondateurs du Parti.

La vérité, c’est que le P.S.B. de Cuesmes a fait la force électorale de Noël. En en faisant le directeur d’une école technique ou il se conduisit pourtant maintes fois en patron de combat (comme le prouve une très récente condamnation encourue par lui devant le Bureau régional de la C.G.S.P.-Enseignement). En le faisant parader encore comme conférencier du C.L.E.O. en la Maison du Peuple de Cuesmes.

En outre, ce qui frappe l’observateur, c’est la passivité totale de la Fédération boraine du P.S.B. durant la deuxième campagne électorale communale. On allait voir ce qu’on allait voir, disait-on à l’avance. On n’a rien vu du tout et la section socialiste locale semblait totalement paralysée.

S’ils n’ont pas les mêmes trous de mémoire que lui, les amis de Liebmann, ces membres du P.W.T. borain [Parti Wallon des Travailleurs, structure trotskyste fondée au début ’65 après que l’entrisme fut déclaré incompatible avec l’appartenance au P.S.B. et que les trostkystes regroupés autour du journal La Gauche en furent expulsés, ndlr] si dévoués au sénateur, pourront peut-être lui raconter que pendant la grande grève de décembre 1960-janvier 1961, Noël fit à plusieurs reprises, en une taverne de la Grand-Place de Mons, des réunions pour les convaincre, eux et d’autres, de ne pas créer un parti socialiste de gauche.

Ils pourront lui dire que, peu avant les dernières élections communales, Noël y alla de plusieurs éditos de la Voix Boraine pour dire, dans le style coup de poing américain qu’il affectionne, qu’ils ne pouvaient pas créer un nouveau parti, qu’ils avaient à rejoindre le sien ou bien à rester là où ils étaient.

Puis, Noël changea d’avis à ce sujet, espérant beaucoup d’un P.W.T. aux mains d’hommes qui, en grande partie lui sont dévoués.

UN PION DE RECHANGE DU RÉVISIONNISME

Il est bon de rappeler qui est Noël au moment où le révisionnisme va probablement l’utiliser comme pion de rechange. A ce propos le silence de Terfve au congrès, après son fait d’armes du Drapeau Rouge, est peut-être symptomatique.

La politique du P.S.B. est actuellement tellement maladroite, la trahison de la classe ouvrière est tellement évidente, que l’effondrement de ce cheval de Troie de la bourgeoisie en secteur ouvrier peut être rapide et spectaculaire. Le 23 mai a fait retentir le glas. La nouvelle loi unique provoquera la colère ouvrière. Le P.S.B. risquera à ce moment de payer durement.

Les liquidateurs Burnelle, Beelen, Blume – les B.B.B. de l’intégration à la social-démocratie – risquent de sombrer dans la même débâcle. Pour sauver le parti révisionniste, il y aurait la tendance Noël ! Peut-être l’homme fait-il peu de poids ? Certains taiseux pourraient alors parler…

Mais ce qui est certain, c’est que Noël est un autre type de révisionniste, mais un révisionniste encore. Durant sa fameuse campagne de Cuesmes, il s’est vanté de n’avoir point de programme. Il s’est engagé, lui enseignant officiel à la retraite, a supprimer la fête des écoles officielles et à la remplacer par une fête commune aux deux réseaux d’enseignement.

Dans une intervention au Sénat, il a préconisé des universités communes à l’enseignement public et à l’enseignement clérical. S’il est tenu à une certaine réserve à la tribune d’un congrès, il ne fait pas mystère ailleurs que son but, c’est la création d’un « grand » parti de « gauche » ouvert un peu à tout le monde : révisionnistes, réformistes, démocrates-chrétiens, libéraux pour la circonstance baptisés progressistes.

C’est une autre variété de liquidation mais qui n’est pas loin de celle qu’Amendola et sa faction défendent dans le Parti Communiste Italien. Et c’est ce qui plait évidemment au trotskyste Liebmann.

Pour lui, le Congrès révisionniste est « en train de devenir un vrai congrès ». Il nous dit ce qu’il entend par là : une assemblée où les tendances s’affrontent quitte à se terminer par « ce que l’usage est convenu d’appeler une motion de synthèse » – nous dirions, nous, une « motion nègre-blanc », si chère à la S.F.I.O. En bref, il souhaite un congrès, un parti où les factions rivales s’affrontent et se déchirent, un parti sans unité où l’on parle beaucoup d’unité.

Que Liebmann et ses amis s’y reconnaissent, faut-il s’en étonner ? Notons bien que l’auteur de l’article n’est tout à fait dupe. Le parti des Terfve-Noël-Burnelle-Blume-Beelen-Moulin est enlisé dans les marécages du réformisme :

« … ces points de vue glissent vers une dangereux réformisme

la formule est inadmissible pour un marxiste… »

Puis il parle d’« affadissement » … et cætera.

Tout cela, à nos yeux, Liebmann est essentiel. Pour vous, c’est l’accessoire. Vous avez trouvé un homme. Vos emballements – Noël après Trotsky – vous poussent, dites-vous, au dialogue.

Et vous citez Drumeaux : « Nous allons continuer à travailler, c’est-à-dire à dialoguer… »

Eh bien, dialoguez ! Nous communistes, nous discuterons, nous polémiquerons. Mais surtout nous lutterons. Contre la bourgeoisie, contre l’impérialisme américain. Et par ce fait même, contre leurs agents en secteur ouvrier.

Fernand Lefebvre


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