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Le pouvoir au peuple. J’ai écouté tous les discours qu’on a prononcés ici. J’ai lu les journaux, j’ai lu les choses qu’ont imprimées les soit-disant groupes radicaux : on parle des atrocités commises au Vietnam, de la répression aux Etats-Unis. Je me demande si vous comprenez vraiment ce qui se passe. Je dois me poser la question à moi-même parce qu’en 1967 un tribunal mondial qui siégeait au Danemark, à Roskilde, a condamné les Etats-Unis à cause des atrocités commises au Vietnam par les troupes américaines et les ont estimées coupables de crimes de guerre.

Or, les Etats-Unis ont répliqué qu’ils étaient les gendarmes du monde et que leur préoccupation majeure était le maintien de la paix. Les journaux ont annoncé que des manifestations contre la guerre étaient prévues pour demain, et Nixon a dit ce matin qu’elles ne le feraient pas modifier d’un iota ses plans pour le Vietnam.

Je n’essaye pas de minimiser les efforts que vous faites en organisant ces manifestations. Je vous dis seulement qu’il est temps de nous fassions autre chose. Nous devons comprendre que notre combat est un combat mondial – un combat prolétarien mondial qui met aux prises opprimés et oppresseurs. Nous devons comprendre que nous devons cesser de parler en termes de pays et envisager le problème dans une perspective internationaliste.

Les Etats-Unis ont atteint la lune ; demain ils iront sur Mars et sur Vénus. En conséquences, le problème ne se pose plus en termes uniquement planétaires. Vous devriez vous offrir un petit voyage autour du monde et visiter les pays que j’ai vus. Vous verriez ce qu’a fait l’impérialisme américain. Dans son dernier article qui a paru dans le dernier numéro de notre journal, Eldridge Cleaver, notre ministre de l’Information, a écrit que l’oppression, dont sont victimes les membres des minorités ethniques américaines est une petite plaisanterie en comparaison des maux engendrés dans d’autres pays par l’impérialisme américain.

Chaque fois que les Vietnamiens livrent combat, ils combattent pour vous. Et le fait est qu’ils combattent et ont gagné la guerre. Vous devez comprendre cela. Bobby Seale a dit à peu près ceci : Ici, nous sommes dans le ventre de la baleine – mais vous devez faire votre part parce que votre inaction favorise la mise en esclavage de millions et de millions d’Asiatiques, d’Africains et de latino-américains, parce que le peuple doit exercer le pouvoir. Si cette Administration qui a le pouvoir, c’est de votre faute. Limiter votre action à des manifestations et à des marches, vous contenter de dire : nous refusons cela, ne vous conduira nulle part.

Nous avons déjà dit que la lutte que nous menons est une lutte des classes. A nos yeux, certains Noirs sont des porcs et certains Blancs également. Nous voulons créer un front uni de toutes les minorités ethniques opprimées, sans distinction de race, de couleur ou de croyance. Notre but est de renverser la classe dirigeante. Sartre a dit que l’Europe, cette mère agonisante du capitalisme, a accouché d’un monstre, l’impérialisme : ce monstre, ce sont les Etats-Unis d’Amérique.

Vous devez comprendre que le parti des Panthères Noires agit dans votre intérêt et dans celui du reste du monde. Vous devez vous rallier à lui et appuyer son action. Qu’un groupe de nègres descendent dans la rue et proclament leur haine des Blancs à la face du monde, voilà qui ne gêne personne. Nixon approuve ce genre de choses. Il favorise le développement du capitalisme noir.

En effet, il sait que la formation d’une soi-disant élite noire provoquera une nouvelle division parmi les Noirs. C’est pourquoi je suis contente de parler devant un groupe d’étudiants, et je remarque qu’il y a plus de 400 étudiants Noirs à San José. Or, il est probable qu’aucun d’eux n’attache la moindre importance à la guerre du Vietnam parmi nous.

Pour en revenir à la question que nous examinons, Nixon croit sûrement que s’il parvient à vous endoctriner, vous autres, les étudiants, il aura gagné la partie. Il sait en effet que s’il y parvient, demain vous endoctrinerez d’autres personnes. Vous devez y prendre garde, car demain vous serez les leaders et vous ferez partie de l’Establishment, demain vous serez directeurs de banques, fonctionnaires et tutti quanti.

Or, tous, ne pouvez vous permettre de laisser se poursuivre ce processus. Vous devez vous rappeler que l’objectif du parti est de déposséder de ses richesses la minorité possédante, les quelque 250 à 300 capitalistes qui contrôlent l’économie de ce pays. Cela semble absurde, mais il n’y a, dans ce pays, que 250 à 300 capitalistes. Ce sont eux qui détiennent la réalité du pouvoir, eux qui contrôlent le monde et disent ce qu’il faut faire dans ce pays et, par conséquent, dans le monde. Mais l’avenir est entre vos mains.

Vous savez ce qui s’est passé à Chicago. Je ne surprendrai personne en disant que les prétendus radicaux de la mère-patrie se sont conduits de façon fort décevante. J’ai assisté au procès et j’ai pu constater de visu qu’ils ne le prenaient pas au sérieux. Ils ne comprennent pas que le verdict a une importance capitale et que le respect des droits constitutionnels est suspendu à la décision du jury. Ils semblent penser que ce procès est une farce et Abbie Hoffmann les amuse manifestement beaucoup.

Vous disposez de la liberté de groupe et vous revendiquez la liberté individuelle. Nous formons un seul peuple, et ce pays est un seul pays. En fait, tous les peuples du monde ne forment qu’un seul peuple ; il s’ensuit que tant que chacun ne saura pas ce qu’est la liberté individuelle dans vos sociétés de hippies et de yuppies… Et je dis qu’au cours de ces six derniers mois, Nixon a déclenché une attaque massive contre le Parti des Panthères Noires, attaque dont, jusqu’à plus ample informé, nul n’a entendu parler.

J’ai parlé dans d’autres pays, en France, en Allemagne, en Angleterre. Or les gens n’arrivent pas à croire que des Américains, des gens comme vous et moi, puissent accepter sans réagir que de telles choses se produisent. Quand le procès de Chicago s’est ouvert, le président Bobby Seale était malade. Aucun médecin ne fut autorisé à le soigner. Il n’a pas d’avocat et n’a pas été autorisé à assurer sa propre défense parce que son avocat, Charles Garry, est actuellement hospitalisé en Californie. Or, comme c’est un Noir, nul ne s’en soucie. Il faut qu’il ne soit défendu par personne. […]

Les Vietnamiens sont un bon exemple de peuple victorieux. En dépit de toute sa puissance technologique, l’Amérique n’a pu vaincre au Vietnam. Chaque homme, chaque femme et chaque enfant était un résistant. Vous voulez savoir ce qui se passe au Vietnam ? Tous les hommes sont au front et les femmes et les enfants défendent leurs villages avec un courage indomptable. Il vous est sans doute très difficile de le voir, à vous autres, gens des classes moyennes et c’est pourquoi vous avez la plus grande responsabilité. Les gens qui comprennent ce qui ne va pas, parce que cela doit venir à la fois du dedans et du dehors.

Nous avons une pétition pour le contrôle de la police par la communauté, et ceux d’entre vous qui ne se sont pas familiarisés avec elle feront bien de le faire ; parce que c’est là un des moyens que nous mettons en oeuvre pour restituer au peuple le pouvoir. Ici dans vos collèges, vous manifestez. Vous dites que vous refusez ceci et cela et que vous voulez ceci et cela. Après quoi, vous vous asseyez tranquillement et proclamez que vous avez gagné.

Or vous n’avez rien gagné du tout. Il faut que vous compreniez que les gens qui contrôlent les collèges sont les mêmes que ceux qui sont influents dans les communautés. De sorte que votre job est les communautés. Les deux choses sont liées. N’essayez pas de les détacher l’une de l’autre. Je crois qu’il est temps que vous fassiez votre examen de conscience. Regardez d’abord en vous-mêmes. Efforcez-vous de comprendre ce que le Parti des Panthères Noires essaye de faire. Songez au nombre de vies que nous avons perdues en essayant de vous éduquer.

Nous sommes l’avant garde de quatre siècles de sueur, de sang et de larmes. Mais nous ne ferons la révolution que lorsque votre éducation sera terminée – et vous savez ce qui arrivera si vous persistez à rester assis placidement ? Le prix de l’édification de la société américaine a été l’assassinat de 50 millions d’indiens. Toute l’affaire a été ramenée par les gens à la mesure d’un roman rose intitulé « Les Indiens et les Cow-boys ». Mais pensez-y : six millions de Juifs ont été assassinés alors que les gens ne savaient pas ce qui arrivait. Vous êtes assis tranquillement et vous comprenez que c’est en train de se produire maintenant, et que le pouvoir est entre vos mains : vous êtes le peuple, donc le pays vous appartient.

Vous allez donc être obligés de mettre un terme à ce qui se passe. Vous ne le pourrez que si vous tenez compte de tous les aspects de la situation. Il faut que vous vous éduquiez et que vous éduquiez les gens, que vous assuriez l’éducation des Noirs des communautés. Parlez-en chaque fois que vous sortez. Il faut que vous expliquiez aux gens pourquoi ils nous ont divisé en groupes ethniques et en races, parce que, comme Fanon l’a dit – le capitalisme et le racisme – l’un est la cause, l’autre l’effet. Ce n’est pas parce qu’ils étaient noirs qu’ils ont importé d’Afrique des esclaves noirs. C’est parce que le développement du capitalisme l’exigeait. Quand il eut atteint son stade suprême – l’impérialisme – ils durent mettre au point de nouvelles méthodes pour diviser.

Le progrès technique est tellement rapide en Amérique que la plupart d’entre vous serez inemployables à votre sortie de collège. La valeur réelle du dollar est à présent de 75 cents. Que ceux qui vivent de crédit en prennent bonne note. Ils vous volent. Si vous avez observé les fluctuations du cours des changes, vous saurez que le mark est flottant, Or, tandis qu le mark allemand flotte, la valeur du dollar a diminué.

Alors attention à ce qui va se passer au cours des six mois à venir. Vous serez premiers à en subir le contre-coup. Les pauvres ne seront pas touchés, parce que de tout façon, ils ne possèdent rien. Mais vous, les membres des classes moyennes qui croyez posséder quelque chose, qui possédez des maisons qui valent chacune 20 000 dollars, vous allez avoir la mauvaise surprise de devoir payer des intérêts deux fois plus élevés que prévu. Prenez-en bonne note et informez-vous. Vous êtes étudiants, votre rôle est d’éduquer le peuple.

Le parti des Panthères Noires ne pourra suffire indéfiniment à cette tâche. Nous resterons sur la ligne de feu jusqu’à ce que chacun de nous ait été tué ou emprisonné par ces porcs de racistes, mais quelqu’un devra nous y relever.

Ne nous laissez pas mourir en vain.

Le pouvoir au peuple.

Les Panthères Noires,
le 25 octobre 1969.


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