« A certains moments de la lutte révolutionnaire les difficultés prévalent sur les conditions favorables (…). Malgré cela, dans les efforts accomplis par les révolutionnaires, les difficultés sont graduellement dépassées, une nouvelle situation avantageuse apparaît et la situation défavorable cède la place à celle plus favorable » (Mao-Tsé-Toung).

Comme nous l’avons vu, le cadre général de l’affrontement à notre époque est marqué de façon déterminante par l’accélération de la dynamique d’intégration des économies à l’échelle mondiale en de grandes zones régionales, et par l’intensification du mouvement de concentration des capitaux en de grands oligopoles multinationaux avec une extension planétaire.

Ces processus se déroulent dans un contexte dominé par la direction et les instruments capitalistes et, en conséquence, ils ne peuvent que déterminer l’explosion violente de contradictions entre toutes les forces en présence.

Nous ne sommes donc pas à l’aube de « l’ère de la paix, de développement et de stabilisation » dont parle la bourgeoisie occidentale en toutes occasions.

Au contraire, de « vieux » ou de « nouveaux » conflits se multiplient rapidement à chaque niveau de la formation sociale capitaliste.

Les zones métropolitaines du centre impérialiste sont traversées de long en large par des stratégies capitalistes toujours plus intégrées et homogènes: la restructuration industrielle, la redéfinition du marché du travail et la dérégulation économique et sociale accroissent comme jamais par le passé la polarisation entre richesse et pauvreté, entre développement et sous-développement dans ces zones mêmes; elles abaissent le pouvoir d’achat en augmentant le coût des services et en exacerbant globalement les conditions de vie des classes les plus défavorisées.

Dans ce contexte, les niveaux de médiation sociale explosent rapidement, et les contradictions de classes s’aiguisent.

Dans toute l’Europe et dans toutes les situations le prolétariat se heurte toujours plus à l’actuelle régimentation des pouvoirs de la bourgeoisie impérialiste.

Le déploiement des stratégies de pénétration des monopoles capitalistes occidentaux sur les trois continents génère la marginalisation d’économies préexistentes et la prolétarisation croissante de la plus grande partie de la population dans ces zones, provoquant en même temps la paupérisation et la famine dans la destruction de toutes les conditions autonomes de subsistance.

Pour les pôles capitalistes l’exigence à disposer en permanence d’une armée industrielle de réserve détermine une dislocation de la force de travail et des lignes de développement et de sous-développement, avec entre autres des mouvements massifs de migration des zones des trois continents [Afrique, Asie, Amérique latine] vers les métropoles du centre.

Ainsi les peuples des trois continents sont-ils toujours plus placés dans un rapport d’affrontement direct avec la bourgeoisie impérialiste.

Afin de déterminer la hiérarchie de pouvoir dans le système impérialiste, les grands monopoles multinationaux, les blocs impérialistes et les simples nations s’affrontent dans le cadre de la concurrence/compétition capitaliste.

Tenaillée par l’exigence des profits dans la crise capitaliste persistante, la bourgeoisie des centres impérialistes accroît son agressivité aux quatre coins des trois continents, aussi bien au niveau économique que politique, en retirant toute marge de manœuvre et d’existence propre aux fractions des bourgeoisies nationales qui s’y reproduisent.

Le reflet politique de tout ceci étant qu’il existe aujourd’hui bien peu d’espace à des politiques et à des stratégies qui ne soient pas strictement subordonnées aux exigences du système impérialiste occidental.

C’est une conséquence directe de la dislocation du « camp des non-alignés » qui, dans le bouleversement du bipolarisme, n’a pas pu trouver un rôle autonome, comme cela s’est conformé très clairement lors de la guerre du Golfe.

Nous parlons bien d’explosion violente de contradictions car, aujourd’hui, elles se traduisent non seulement en termes de destruction économique, appauvrissement, aliénation et oppression de classe, mais elles se concrétisent également − et à notre époque davantage encore − dans des processus de guerre.

Il ne s’agit pas seulement de dénombrer la succession des guerres de « basse » ou « moyenne » intensité qui ont précédé le massacre du peuple irakien − comme le font les technocrates pourris de l’impérialisme.

En affirmant cela nous voulons mettre en évidence à quel point aujourd’hui sortir de ce cadre de crise capitaliste est de moins en moins possible en dehors d’une rupture radicale de la globalité de l’ordre capitaliste dans toutes les zones du monde, et sans la réaffirmation d’une perspective communiste de révolution mondiale, et de sa forme de guerre de longue durée.

La période des restructurations innovatrices de la formation sociale capitaliste a jeté des masses croissantes d’hommes et de femmes dans la dimension universelle de leur existence et de leur lutte, et ce en les mettant immédiatement face à la destructivité du capitalisme.

Cette nouvelle qualité de l’affrontement détermine le processus révolutionnaire à notre époque, et elle doit être portée par les forces communistes afin de susciter et de lier les énergies et les tensions émancipatrices de libération sociale dans toutes les zones du globe.

Dans la formation sociale capitaliste au niveau mondial, les mutations en cours déterminent de nouvelles configurations et conditions générales du combat avec lesquelles les mouvements et les forces révolutionnaires se mesurent dans les principales réalités de la lutte.

La fin du « bipolarisme » Est/Ouest est un de ces facteurs de transformation. Depuis longtemps le bloc des Etats à économies centralisées [les pays « socialistes »] avaient cessé de représenter un point de référence idéologique pour les processus révolutionnaires, vu la nature de classe qu’ils assumaient; mais longtemps leur opposition aux USA avaient pu de fait constituer un terrain de développement pour de nombreux mouvements révolutionnaires et de libération, surtout sur les trois continents.

Aujourd’hui les événements vérifient combien cet espace s’est réduit pour tout le monde.

La persistance et la radicalisation de la contradiction de classes entre le prolétariat métropolitain et la bourgeoisie impérialiste dans la métropole du centre, l’effondrement du Pacte de Varsovie comme système politico-militaire et le développement d’un affrontement ouvert entre le prolétariat et les fractions bourgeoises dans les pays de l’ex-COMECON et les processus de prolétarisation plus accentués encore dans les trois continents inscrivent toujours plus la contradiction prolétariat international / bourgeoisie impérialiste comme cœur de toute stratégie et perspective révolutionnaire de nos jours.

Ceci ne signifie pas la disparition des spécificités et des caractéristiques particulières des luttes dans les diverses zones géopolitiques, fruits des différences de composition de classe ou des conditions diverses des contradictions avec la bourgeoisie impérialiste.

Nous voulons dire que l’élément stratégique sur lequel les révolutionnaires peuvent aujourd’hui fonder leur orientation est le processus d’unité, de recomposition et de constitution en classe du prolétariat international.

La nécessité de concevoir et de construire concrètement une nouvelle dimension de l’internationalisme prolétarien vit depuis longtemps dans la pratique des forces révolutionnaires les plus avancées.

Les développements de ces dernières années dans l’affrontement général avec la formation des zones régionales intégrées (comme en Europe et dans les autres parties du monde), la pression et l’initiative des puissances impérialistes pour subordonner les zones des trois continents – liant ainsi indissolublement les deux types de processus révolutionnaires, dans le centre et la périphérie -, l’unité des stratégies capitalistes que les prolétaires doivent affronter dans toutes les aires du globe et qui tend à les homogénéiser comme classe, offrent à l’exigence d’un nouvel internationalisme prolétarien les bases objectives concrètes, et une importance fondamentale dans une perspective révolutionnaire.

Dans le cadre actuel de la crise, la réduction des marges de manoeuvre des capitalistes dans la chasse aux profits, et donc la nécessité qui est leur à coloniser toujours plus tout le domaine de la vie sociale, et la dynamique violente des contradictions qui risquent de mettre en question leur régimentation et leur pouvoir, oblige l’impérialisme à déchaîner une contre-révolution aussi bien ouverte que préventive.

Ce n’est certainement pas un fait nouveau. Depuis 20 ans en effet la lutte de classe doit affronter la contre-révolution préventive. Mais il est évident que nous sommes face à un saut de qualité dans les formes et dans l’intensité des instruments mis en oeuvre.

De la militarisation croissante du conflit social, déterminée par le rétrécissement des marges de compromis et de médiation entre le prolétariat et le pouvoir bourgeois, à la dépolitisation, c’est-à-dire l’oeuvre systématique d’élimination des contenus de classe dans tout mouvement social et toutes luttes sociales, à la destruction de tout les mouvements et forces de classe qui maintiennent une identité antagoniste et qui rompent le cadre de l’intégration sociale.

A tout cela il faut ajouter la capacité acquise depuis longtemps par la contre-révolution d’anticiper les dynamiques d’organisation prolétarienne et révolutionnaire, et ce même dans la phase de faiblesse traversée par la guérilla métropolitaine.

Ces éléments sont désormais un fait permanent, et caractéristique de la gestion des conflits sociaux dans tous les Etats européens-occidentaux.

L’orientation révolutionnaire actuelle ne peut se fonder sur l’objectif d’empêcher le développement des processus d’intégration et de concentration capitalistes en cours; ceux-ci ne font qu’exprimer la tendance historique à la mondialisation des forces productives.

Au contraire, il faut que les révolutionnaires se hissent dans le combat à la hauteur de cette nouvelle qualité, pour déterminer la rupture avec un ordre impérialiste qui étrangle les forces productives et la dimension sociale de l’être humain.

Il faut donc construire les conditions pour détruire le pouvoir impérialiste, dans les contours qu’il assume à notre époque.

Adapter la « projectualité » révolutionnaire à ce niveau et à cette qualité n’est pas un processus simple ni cumulatif; la complexité et la profondeur même des bouleversements en cours rendent difficile aux avant-gardes la confrontation avec leurs propres tâches.

Et ce n’est pas un hasard si aujourd’hui le débat sur ce thème est très ouvert. L’expérience de la guérilla en Europe occidentale a déjà concrètement établi les premiers éléments de cette indispensable refondation de la stratégie révolutionnaire.

De notre côté nous pensons, avec la guérilla européenne, que le positionnement dans une perspective révolutionnaire signifie toujours construire et porter les pratiques de pouvoir prolétarien au niveau réel sur lequel se jouent les rapports de pouvoir entre les classes.

En conséquence, la perspective d’un processus révolutionnaire dans notre zone ne peut que se développer en référence à la construction de l’organisation révolutionnaire du prolétariat européen et de la guérilla européenne, interactivement aux mouvements et aux processus révolutionnaires de la zone Méditerranée/Moyen-Orient, et plus globalement du monde entier.

Non seulement parce que les révolutionnaires aujourd’hui doivent affronter une contre-révolution intégrée sur le continent européen.

Mais également parce qu’en tout premier lieu la dynamique de la lutte de classe et la composition du prolétariat – strictement intégrée et tendanciellement homogène au niveau européen – établissent la possibilité et la nécessité d’élever à ce degré et à cette qualité la dialectique avec le mouvement de lutte et de résistance et la construction et l’organisation du pouvoir prolétarien.

Parce que les processus de concentration capitaliste et les interrelations entre la dimension nationale et la dimension supranationale du système de pouvoir impérialiste rendent possible et nécessaire la mise en place de la capacité de désarticulation à ce niveau.

De nos jours les forces révolutionnaires se mesurent à ces tâches et à ces pivots politiques, et en cela elles partent des points les plus avancés de leur expérience, celle de la guérilla et celle de l’ensemble du parcours du mouvement révolutionnaire ici en Europe occidentale.

Aujourd’hui, il est temps de pleinement valoriser les contenus qui ont caractérisé le processus de front révolutionnaire anti-impérialiste depuis son apparition et la pratique des organisations révolutionnaires qui lui donnèrent l’impulsion initiale.

Et, simultanément, les multiples expériences du mouvement de résistance révolutionnaire ont démontré combien la nouvelle qualité du combat entre prolétariat international et bourgeoisie impérialiste peut et doit être développée dans le cadre élargi des luttes de masse.

Unir les diverses luttes du prolétariat sur le continent et les amener à une stratégie contre le pouvoir impérialiste, en liant le combat ici dans le centre aux luttes des prolétaires et des peuples des trois continents, est le concept de fond qui a caractérisé la pratique du front.

Et c’est un contenu vital, car il saisit l’aspect fondamental de la lutte pour le pouvoir entre le prolétariat international et la bourgeoisie impérialiste à notre époque: la dimension internationale du processus révolutionnaire.

LUTTER ENSEMBLE !

1992


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