Editorial : Premier bilan d’un Premier mai

Le cortège du 1er Mai 2006 n’a pas été déshonorant.

Nous avons été heureusement surpris de voir qu’au lieu de la simple juxtaposition que l’on pouvait redouter, les thèmes du 1er Mai prolétarien classique et de la demande de régularisation des sans-papiers se sont fondus dans une seule manifestation des travailleurs « avec et sans papier » .

Si nous avions su qu’une telle fusion allait se produire, le Bloc ML n’aurait pas appelé, avec les camarades du MLKP, à une démonstration spécifiquement anti-capitaliste sur les marches de la Bourse.

Un mot sur l’échec de celle-ci. Cet échec est imputable à une propagande insuffisante de la part du Bloc pour cette démonstration, à une météo allant de pire en pire au fil des heures et, surtout, à ces spécificités du Bloc qui font que certains craignent comme la peste de se voir identifier à lui.

De là les regards croisés et les conciliabules, au moment de marcher sur la Bourse, de ceux qui avaient ouvertement envisagés de participer à ce rassemblement (genre : « Si la délégation X y va, on y va aussi » ). C’est regrettable et, surtout, c’est ridicule : quand on connaît la faiblesse du Bloc, le caractère chaotique de son histoire (à la mesure du caractère complexe de son projet), c’est vraiment nous faire beaucoup d’honneur que choisir de manifester ou non en fonction du poids relatif de notre présence… Enfin bref, l’effet d’entraînement qui avait produit une large participation au cortège que le Bloc avait organisé l’année passée (les groupes participants se ralliant au projet les uns après les autres) a joué, dans le cas du rassemblement de la Bourse, dans le sens inverse : la désaffection des uns entraînant la désaffection des autres. Voilà pourquoi nous nous sommes retrouvé quelques dizaines seulement à la Bourse.

Ce n’est pas bien grave : d’abord, nous l’avons dit, parce que l’heureuse fusion des thèmes a permis au cortège du 1er Mai de jouer son rôle idéologique minimum, ensuite parce qu’en définitive, l’essentiel n’est pas la démonstration de force que représente le 1er Mai, mais l’exercice de ces forces dans la lutte de classe révolutionnaire. Car enfin, s’il faut faire un bilan du 1er Mai, encore faut-il savoir de quoi l’on parle.

Si l’on veut faire du 1er Mai une démonstration de force, encore faut-il qu’il ne s’agisse pas d’une démonstration de bluff.

On connaît cette habitude de « rouler des mécaniques » en gonflant les délégations de proches, de sympathisants portant des drapeaux, marchant derrière des calicots, reprenant les slogans. Derrière ce procédé, il y a l’espoir (pas souvent réalisé)qu’en paraissant fort, on paraîtra avoir la capacité de peser sur la marche des choses, et on lèvera des hésitations devant l’engagement des militants potentiels. Cette habitude peut être discutée, mais si elle s’inscrit dans une démarche générale de lutte, il n’y a pas de quoi fouetter un chat.

Dans le cas contraire, si une organisation vole de bluff en bluff, si elle n’est jamais dans la lutte mais toujours dans la représentation de la lutte, on quitte le domaine des petites ruses de guerre pour entrer dans celui de l’imposture.

Cette question, qui interroge les groupes présents au 1er Mai, interroge directement le 1er Mai lui-même. Car enfin, de quoi s’agit-il donc ?

D’une journée de lutte s’appuyant sur une mémoire sociale et un patrimoine historico-culturel qui peuvent effectivement jouer un rôle de démultiplicateur de forces ? (Car on voit manifester le 1er Mai des personnes qui ne manifestent par ailleurs plus ; pour elles, ne pas participer à un 1er Mai serait une sorte de trahison — le 1er Mai est le dernier carré de leur conscience militante). Ou d’un pur rituel, aussi vidé de sens militant que l’Internationale chantée par Di Rupo et Onkelinckx devant une assemblée de bonzes du PS, ou que le 1er Mai organisé à Jodoigne par les libéraux ?

Nous savons infinies les capacités d’assimilation et de récupération du système. La transformation d’un jour de lutte (un jour de grève) en un jour férié officiel par l’Etat français pétainiste (pourtant modérément réputé pour son intelligence et sa finesse) en est une illustration. Et combien ces dispositifs d’assimilation, de désamorçage et de récupération se sont développés depuis. Des portraits du Che sur les paquets de cigarettes jusqu’aux RAF-shops en Allemagne, tout ce qui n’est pas rupture vivante, actuelle, immédiatement révolutionnaire, est digéré et transformé en marchandise. Le virus devient anti-corps.

Alors certes, il ne s’agit pas de faire des choix en fonction de ces mécanismes de digestion/neutralisation : on entrerait dans une démarche de pure provocation qui, par un faux paradoxe, est la plus facilement assimilable (on constate le même phénomène sur le front de l’art : les interventions/créations les plus radicales se retrouvent dans les musées et les grandes collections bourgeoises dès qu’elles ont atteint une petite notoriété). Seule la démarche révolutionnaire est inassimilable, qui vise consciemment et efficacement au renversement du mode de production capitaliste, à la destruction de son Etat, à la liquidation de son idéologie plaçant l’individu au centre de tout pour l’isoler de tout et le livrer seul au capital. (le parallèle avec l’art opère ici aussi : ce n’est qu’en se mettant organiquement au service du projet révolutionnaire que l’art devient irrécupérable par le système — organiquement, cela signifie pensé et créé dans et pour la lutte, pas « inspiré par la lutte » ou « dédié à la lutte »).

Nous voilà ramenés à la racine du projet du Bloc : définir une stratégie révolutionnaire claire, vivante, radicale, s’en donner les moyens, et la mettre en application.

En cela, nous sommes également ramenés aux questions qui se posaient après le 1er Mai 2005 (1). Une fois admis que l’essentiel n’est pas la démonstration du 1er Mai mais la réalité de la lutte que cette démonstration représente, il faut définir ce que nous voulons comme type de démonstration : l’idéal est-il vraiment les 1er Mai bonasses organisés par les PC révisionnistes dans les années 50 ? Quelles alternatives s’offrent à nous ?

Les manifestations révolutionnaires du 1er Mai à Zurich ont pris depuis deux ans un caractère particulier (2). Au défilé traditionnel s’ajoutent des dizaines d’initiatives de nature variable (comme des occupations surprises et temporaires de lieux publics par plusieurs groupes de quelques dizaines de militants, souvent avec badigeonnage et distribution de tracts, attaques contre des sièges du pouvoir capitaliste) qui restituent à l’ensemble de la journée un caractère de lutte. Cette évolution à fait suite à la difficulté croissante d’assurer une présence offensive dans le cadre d’un défilé classique : les différentes forces communistes, autonomes et anarchistes constituant le « bloc rouge et noir » étant encadrées par un dispositif policier écrasant, mobilisant le ban et l’arrière ban des flics du canton, et jusqu’à des renforts confédéraux. La nouvelle manière de faire a permis de concilier la nécessité d’une liberté de mouvement et la nécessité de répondre à un rendez-vous aussi prévisible que celui du 1er Mai. Le modèle n’est pas immédiatement transposable, dans la mesure où il repose sur une réalité politique qui n’est pas la nôtre, mais il devrait nourrir la réflexion sur ce que devrait et pourrait être un 1er Mai décent dans le désert militant bruxellois.

Bloc ML

(1) Cf. Clarté n°2, été 2005

(2) Cf. www.1_Mai.ch

Plate-forme de la nouvelle formule de Clarté

1. Présentation

Clarté est un périodique marxiste-léniniste.

Clarté est une publication qui rassemble plusieurs forces marxistes-léninistes (et des militants communistes non organisés) dans le but de donner une tribune vivante au marxisme révolutionnaire en Belgique.

Clarté se veut un espace de discussion, de formation et de propagande — un instrument de lutte favorisant la réunion des conditions idéologiques, politiques et organisationnelles nécessaires à la construction du Parti communiste révolutionnaire en Belgique et de l’Internationale communistes.

Outre les contributions des forces et des personnes participant à son comité de rédaction, Clarté publiera d’autres articles, analyses et documents qui contribueront à ses objectifs idéologiques, politiques, culturels etc.

2. Objectifs

2.1. Sur le front idéologique

Clarté luttera contre les idéologiques réactionnaires et anti-populaires telle que le sexisme, le racisme, la religion, le nationalisme, etc. Elle défendra les valeurs de l’internationalisme prolétarien, en défendant l’unité de lutte des communistes et des prolétaires wallons, flamands, bruxellois et immigrés (légaux et illégaux).

La Mère (Poudovkine)

La Mère (Poudovkine)

2.2. Sur le front théorique

Clarté luttera contre le révisionnisme moderne et toutes les corruptions des principes du marxisme-léninisme. Parmi ceux-ci le réformisme (qui maintient les luttes dans le cadre du système capitaliste) ; l’économisme (qui nie le rôle central de la politique et de la question du pouvoir) ; l’ouvriérisme (cette forme d’opportunisme qui détermine la politique révolutionnaire uniquement en fonction du niveau de conscience atteint par la classe ouvrière et donc suit la classe plutôt que de marcher à sa tête) ; le populisme (cette autre forme d’opportunisme qui détermine la politique révolutionnaire uniquement en fonction du niveau de conscience atteint par les masses populaires (et donc suit les masses plutôt que de marcher à leur tête) ; le légalisme (qui respecte le cadre légal défini par l’État bourgeois) ; le parlementarisme (qui prétend qu’une participation aux élections permet, à l’heure actuelle, autre chose qu’une légitimation du système bourgeois) ; le pacifisme (qui nie le rôle révolutionnaire de la violence dans l’histoire et laisse à la bourgeoisie le monopole de la force).

2.3. Sur le front politique

Clarté luttera pour la définition d’une véritable politique révolutionnaire de dépassement et de liquidation du système capitaliste, c’est-à-dire une politique qui considère comme nécessaires la construction d’une organisation d’avant-garde de lutte pour le communisme, comme nécessaires la révolution prolétarienne, la dictature du prolétariat et le socialisme.

2.4. Sur le front syndical

Clarté encouragera et soutiendra les luttes syndicales et défendra une ligne de classe dans le travail syndical, tout en mettant en garde les prolétaires sur les limites de ce travail. La lutte syndicale est un garde-fou nécessaire contre la pression des capitalistes, mais en finir avec le capitalisme exige une lutte spécifiquement politique, c’est-à-dire une lutte pour le pouvoir politique.

2.5. Sur le front de la solidarité

Clarté soutiendra les militants et organisations révolutionnaires, communistes, anarchistes, anti-fascistes, anti-impérialistes confrontés à la répression bourgeoise, en fonction du principe que, sur le front spécifique de la résistance à la répression, la solidarité prime sur les divergences politiques.

2.6. Sur le front culturel

Clarté valorisera et popularisera le vaste patrimoine culturel communiste et prolétarien en publiant non seulement des analyses et des articles relatifs à la production culturelle communiste et prolétarienne, mais aussi des éléments de cette culture, que ce soit sous forme de textes ou d’images.

3. Fonctionnement

Le comité de rédaction de Clarté rassemble les organisations et des collectifs ou des militants révolutionnaires. Les candidats au comité de rédaction seront cooptés à l’unanimité.

La Mère (Poudovkine)

La Mère (Poudovkine)

Clarté accueillera des luttes de ligne (avec publication de critiques, de réponses, etc.), dès le moment où le débat présente un réel intérêt théorique et politique, et non un simple positionnement réciproque d’organisations.

Le comité de rédaction assume l’ensemble du contenu de Clarté (avec les divergences qui peuvent apparaître entre les contributions) comme étant l’expression vivante du courant marxiste-léniniste en Belgique.

Tous les articles et analyses devront respecter le cadre de cette plate-forme. En cas d’impossibilité d’arriver à un accord dans le comité de rédaction sur la conformité à la plate-forme d’une contribution, il appartiendra au Bloc ML de trancher.

Chaque article ou analyse sera signé ; les organisations signeront de leur nom, les individus d’un pseudonyme.

L’équipe technique de Clarté reste provisoirement inchangée, chaque groupe participant au Comité de rédaction emportera autant d’exemplaires de Clarté qu’il le souhaitera, en versant à l’équipe technique le prix coûtant des exemplaires en question. La différence entre le prix coûtant et le prix de vente financera les activités militantes de ceux qui en auront assuré la vente.

4. Histoire

Le nom de Clarté a une histoire.

Constitué par Henri Barbusse, Paul Vaillant-Couturier et d’autres intellectuels démocrates et révolutionnaires, le groupe Clarté a édité la revue du même nom quijoua dans l’entre-deux-guerres un rôle de premier plan dans la lutte contre la guerre, l’impérialiste et le fascisme.

En octobre 1941, sous l’occupation nazie, c’est le nom de Clarté que retient Honoré Willems lorsqu’il fonde dans la clandestinité le journal de la Fédération bruxelloise du Parti Communiste. Ce Clarté- là paraîtra jusqu’en novembre 1946, mais Honoré Willems n’en verra pas les derniers numéros : il aura été fusillé par les nazis le 26 février 1944.

Lorsqu’en réaction à l’abandon des principes du marxisme révolutionnaire par le Parti Communiste, de nombreux camarades quittèrent le PC en novembre 1967 pour former le Parti Communiste Marxiste-Léniniste de Belgique, c’est une nouvelle fois Clarté qui fut retenu comme nom de la publication centrale. Le Clarté du PCMLB paraîtra jusqu’en décembre 1978.

Le 1er mai 2005, le Bloc Marxiste-Léniniste, fondé deux ans plus tôt, reprend le nom Clarté pour son organe central. Dans sa nouvelle formule du 1er mai 2006, avec un comité de rédaction élargi à d’autres forces communistes révolutionnaires en Belgique, Clarté poursuit son engagement sur le front de la lutte des classes, vers la révolution prolétarienne, vers le Communisme.

La Mère (Poudovkine)

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Actualité politique

A propos de la lutte des dockers

Comme un bruit de vitres brisées…

La lutte contre la directive européenne Bolkenstein de libéralisation totale des services dure depuis des années. Dans les ports, elle signifie le remplacement des dockers par les marins embarqués dans le tiers-monde, sous-payés et doublement exploités, pour les travaux de charge et décharge dans les ports européens. Il s’agit d’augmenter encore les profits des grands armateurs au prix d’un dégradation des conditions de travail et de la sécurité des travailleurs.

Les dockers d’Europe avaient déjà obtenu une première victoire, quand le parlement a rejeté en 2003 un projet « d’ouverture à la concurrence » des services portuaires. Un nouveau projet a été rejeté le 18 janvier. Ce jour là, dix milles dockers étaient venus de tous les ports de l’Europe pour protester. Ils ont brisés 100 m² de vitres du Parlement européen et rossés les policiers qui voulait les en empêcher.

La riposte bourgeoise a été rapide : neuf dockers belges, deux Français, un Espagnol et un Néerlandais ont été arrêtés et jugés en « comparution immédiate » devant le tribunal correctionnel de Strasbourg pour « dégradations, violences et rébellion à agent » . Un docker belge a écopé de quatre mois de prison ferme avec interdiction de territoire d’un an. Un ressortissant espagnol a été condamné à cinq mois d’emprisonnement avec sursis. Un docker français du Havre a été condamné à un mois de prison avec sursis, tandis qu’un ressortissant de Saint-Nazaire a écopé d’une peine de trois mois ferme.

La solidarité s’est organisée avec ces dockers, mais il est un aspect des événements qui, dans le mouvement de solidarité entoure d’un silence gêné : il s’agit des violences massives et organisées qui ont caractérisé la manifestation de Strasbourg.

Ce silence n’est pas le fait des forces ouvertement bourgeoises (qui condamnent les violences comme elles condamnent toute la lutte des dockers), ni celui de la social-démocratie qui est le relais du système bourgeois chez les travailleurs plutôt que d’être le relais des intérêts des travailleurs dans le système. Non, ce silence est le fait des forces qui prétendent relever de la « lutte de classe », de la lutte prolétarienne, voire de la révolution communiste.

Ce que l’on a entendu de plus radical sur ces violences est qu’elles sont « explicables » (on entend presque « excusables » ) parce que les dockers en ont gros sur la patate, parce que la directive était vraiment scandaleuse, etc., etc. Il s’agirait de « débordements » , du résultat spontané d’une réaction émotive. C’est occulter le caractère organisé de ces violences qui, d’ailleurs, avaient des précédents (on avait déjà entendu le bruit des vitres brisées rue de la Loi, en mars 2003, lors de la manifestation des dockers à Bruxelles contre cette même directive).

Ce profil bas se retrouve aussi dans la volonté d’organiser la solidarité en présentant les dockers arrêtés comme innocents de toute violence. Cela va de PTB qui parle des dockers belges « boucs émissaires de la police française » , au calamiteux avocat strasbourgeois dégoté par la FGTB qui a plaidé en dénonçant… les dockers espagnols — les « vrais violents » selon lui. Nous ne savons rien de l’implication réelle des dockers condamnés pour les violences de Strasbourg. Mais nous ne voulons refusons d’occulter le caractère massif de ces violences : il ne s’agissait pas de gestes d’isolés.

Ce profil bas se retrouve enfin dans les « mises en perspectives » de ceux qui exposent que la violence des dockers est infime par rapport à la violence de la directive : employer des travailleurs du tiers-monde sous-qualifiés pour une tâche aussi dangereuse, c’est choisir un nombre élevés de morts et de mutilés par accidents de travail pour augmenter le profit des armateurs. Il est juste de faire remarquer cela, mais en rester là, c’est à nouveau occulter l’aspect fondamental de la question.

En réaction à cette volonté générale d’occulter le phénomène de violence massive, systématique et organisée des dockers, le Bloc Marxiste-Léniniste affirme que non seulement ces violences étaient légitimes, mais qu’elles étaient opportunes : en attaquant le parlement européen (et la police qui tentait de les en empêcher), les dockers ont fait la meilleure chose qu’ils avaient à faire. Ils ont parlé à la bourgeoisie le seul langage qu’elle comprenne.

La détermination avec laquelle la manifestation a été menée a été le complément parfait de la grève totale dans les ports d’Europe. L’une sans l’autre n’aurait sans doute pas suffit. Le rapport de force entre les travailleurs et les eurocrates larbins des capitalistes, en a été directement affecté, et il y a là des leçons à tirer.

Les dispositifs anti-grève de la bourgeoisie (avec, notamment, le recours systématique aux astreintes contre les piquets) vont se multipliant, se diversifiant et se radicalisant. En rester aux anciennes forme de lutte, policée et respectueuse du cadre tracé par le système, est purement et simplement suicidaire. Il faut explorer de nouvelle forme de lutte et d’organisation.

— De nouvelles formes de lutte, plus offensive et plus mobile, en ne reculant pas, là où la chose est utile et possible, à attaquer les marchandises ou les outils, (pensons aux grévistes des Messageries de la Presse qui ont incendiés le mois passé 27.000 journaux dont Sud-Presse avait organisé la diffusion). La violence organisée des dockers espagnols (qui restaient en bloc, qui s’étaient habillés et masqué de sorte qu’aucun d’entre eux ne soit reconnaissable, qui s’étaient correctement préparés à l’affrontement) ne doit pas servir de repoussoir mais d’exemple !

— De nouvelles formes d’organisation, plus discrètes, plus souples, plus démocratiques et plus conforment à la réalité de la classe. L’exemple des Comité de Lutte Syndicale pendant la résistance anti-nazie en est le modèle. Des Comités qui relient, dans une entreprise, tous les travailleurs actifs sur le front de la lutte des classes : qu’ils soient syndiqués à la FGTB ou la CSC ou qu’ils refusent d’être membre des syndicats réformistes, qu’ils soient employés à part entière, intérimaires ou employés de la sous-traitance, qu’ils soient actifs, pré-pensionnés voire pensionnés — tous ensemble.

La manifestation radicale des dockers et leur grève réussie au niveau européen (ce qui a empêché les parons de faire jouer une fraction du prolétariat contre une autre), a été leçon que pas mal de militants feraient mieux d’étudier plutôt que d’excuser.

La pente savonneuse de l’opportunisme et de la trahison commence dès que les prétendus « révolutionnaires » renoncent à jouer un rôle d’avant-garde — sur le plan de la violence révolutionnaire comme sur les autres plans. Un degré pire encore voit des prétendus « révolutionnaires » se dérober à la violence alors que les travailleurs en lutte y ont recourt. Le dernier degré de l’opportunisme consiste à se démarquer des violences des travailleurs (quitte à les déclarer « compréhensibles » ).

La ligne du PTB en quête de reconnaissance et de respectabilité est symptomatique de cette effondrement politique et idéologique : il a totalement passé sous silence, lorsque ses publications rendaient compte des manifestations ouvrières sur les fins de carrières, que les travailleurs liégeois ont fait voler en éclats les vitres du siège du PS, il s’est honteusement démarqué des violences des manifestants antifascistes de Gand, etc. Et le PTB n’est pas le seul à faire preuve de cet opportunisme qui est la voie royale de toutes les trahisons et de toutes les désertions.

A bas l’opportunisme ! A bas le pacifisme !

Vive la lutte des classes !

Et jusqu’au communisme !

[Documents du Bloc ML distribué sous forme de tract et collé sous forme d’affichettes]

La Mère (Poudovkine)

La Mère (Poudovkine)

La lutte pour la libération de Georges Ibrahim Abdallah : une lutte contre l’impérialisme et le sionisme dans la région arabe

Mise en contexte suite au voyage de la délégation franco-belge du Collectif pour la libération de Georges Ibrahim Abdallah à Beyrouth – avril 2006

Membre des Fractions Armées Révolutionnaires libanaises (FARL), Georges Ibrahim Abdallah a été arrêté en France en 1984. A l’issue d’un procès devant un tribunal spécial anti-terroriste,où les autorités sionistes et américaines ont pesé de tout leur poids, il a été condamné à la réclusion à perpétuité. Aujourd’hui encore, les autorités françaises font la preuve éclatante de leur soumission à l’impérialisme américain et à l’entité sioniste, en refusant de lui accorder la libération conditionnelle à laquelle il a droit, selon le code pénal français, ayant accompli sa peine de sûreté. Il est à noter que le gouvernement libanais n’entreprend rien qui puisse inciter les autorités françaises à accorder la libération conditionnelle au militant révolutionnaire Georges Ibrahim Abdallah.

Depuis 22 ans, le révolutionnaire Georges Ibrahim Abdallah n’a rien renié de son combat contre le capitalisme, de sa lutte contre l’ennemi sioniste, ni de son soutien aux mouvements et aux camarades qui mènent ces luttes aujourd’hui ; en témoignent ses diverses déclarations de prison. De fait, la situation dans laquelle se trouve Georges Ibrahim Abdallah n’est pas étonnante. Il ne peut pas bénéficier de la clémence des impérialistes et autres sionistes, car il ne s’est jamais rendu. Son dossier est un dossier politique, et non juridique.

Le projet révolutionnaire que soutient le militant communiste Georges Ibrahim Abdallah est d’ailleurs plus que jamais d’actualité aujourd’hui. Dans le contexte international que nous connaissons, l’impérialisme mondial dirigé par les États-Unis contrôle toutes les formes de pouvoir. Au Liban, comme ailleurs, les manœuvres vont bon train dans le but de diviser le peuple, et de garantir un contrôle total du pays. L’objectif, pour les États-unis et leurs alliés capitalistes et sionistes de tout poil, est la mainmise sur les entités arabes voisines. Cette nouvelle période de turbulences est typique de la région arabe aujourd’hui. L’illustration de l’offensive barbare, dont cette dernière est la cible, est éclatante : l’invasion impérialiste de l’Irak, le monopole de ses ressources naturelles et des avantages de sa reconstruction au profit des entreprises capitalistes, ainsi que les tentatives de division confessionnelle de ce pays.

Le Liban constitue aussi une pièce maîtresse de cette stratégie criminelle. L’instrumentalisation de l’attentat contre l’ancien premier ministre Hariri a servi pour justifier l’attaque portée à la Syrie, pour attaquer la résistance à l’impérialisme et au sionisme, et pour empêcher tout soutien à l’Intifada en Palestine et à la résistance en Irak. Cet attentat, relayé de façon écoeurante sur par nos médias européens, a été aussi, et surtout utilisé afin de mettre en place les bases d’une « paix nouvelle » avec l’entité sioniste. Celle-ci a comme caractéristiques principales l’établissement définitif des réfugiés palestiniens hors de Palestine et la mise en œuvre de la division du monde arabe selon les lignes directrices du projet impérialiste de « Grand Moyen-Orient », c’est-à-dire sa partition en entités confessionnelles, inoffensives pour l’occupant sioniste, et soumises aux diktats impérialistes.

Force est de constater que les projets des gouvernants libanais sont calqués sur ceux des États-unis et de l’entité sioniste. Les forces, appelées « d’opposition » et revendiquant hypocritement la démocratie, sont celles-là mêmes qui ont appauvri le peuple libanais et consolidé le confessionnalisme pendant des dizaines d’années. Ces forces confessionnelles et collaboratrices ont fait, et font toujours partie, de la bourgeoisie compradore, alliée à l’impérialisme mais aussi aux régimes réactionnaires arabes. Le régime syrien, à cet égard, ne peut être ni excusé des crimes qu’il a commis en entente avec ces forces confessionnelles, ni être défendu comme rempart face à l’impérialisme.

Cependant, le peuple libanais souffre aujourd’hui d’une crise économique et sociale d’un niveau rarement atteint dans l’histoire. La dette publique libanaise est l’une des plus élevée au monde et le tiers de la population souffre de pauvreté (selon les rapports récents du PNUD). Certains services publics ont été bradés et privatisés, lorsque d’autres sont quasiment inexistants : pas de couverture médicale, enseignement public en manque d’enseignants et d’une qualité en chute libre, soins de santé inaccessibles. Le chômage, déjà très élevé, est en hausse constante depuis la fin de la guerre.

D’un autre côté, les familles libanaises souffrent du manque de leurs filles et de leurs fils tombés pour la résistance. Des centaines de prisonniers résistants sont jetés depuis des années, pour certains depuis plus de 25 ans dans les prisons impérialistes et sionistes. Leur crime : dénoncer et se battre, les armes à la main, contre les injustices de cette société criminelle, contre les attaques continues de l’impérialisme et de l’entité sioniste envers une région qui aspire à la libération nationale et à la construction d’une société juste.

Georges Ibrahim Abdallah fait partie de ceux-là. Les collaborateurs libanais et arabes, laquais des forces capitalistes, serviteurs zélés du sionisme et de son projet meurtrier, ont donc tout intérêt à ce qu’il soit oublié, relégué dans les geôles de leur histoire.

C’est là où ils se trompent : le militant révolutionnaire communiste Georges Ibrahim Abdallah reste un symbole vivace de la résistance des peuples arabes.

C’est dans ce contexte qu’une délégation de militants français et belges a fait le voyage à Beyrouth, en avril dernier. Leur objectif était de prendre des contacts avec les camarades sur place, et de contribuer à la mise en place d’un réseau revendicatif de solidarité pour la libération du camarade Georges Ibrahim Abdallah.

Les résultats de ce voyage ont été positifs. Un réseau international est en train de se développer. Et la revendication de la libération de Georges Ibrahim Abdallah, en ce compris du projet de lutte qu’il symbolise, s’enracine dans sa région d’origine.

Nous savons cependant que la répression ne va pas fermer les yeux sur ces initiatives solidaires et communistes. Nous savons que les armes des traîtres nous attendent. Mais rien ne peut arrêter une mobilisation qui suit le cours de l’histoire, vers la victoire des peuples opprimés sur leurs bourreaux. Nous gagnerons le combat pour la libération de notre camarade communiste révolutionnaire Georges Ibrahim Abdallah.

Une participante à la délégation franco-belge du Collectif pour la libération de Georges Ibrahim Abdallah présente à Beyrouth.

Le Cuirassé Potemkine (Eisenstein)

Le Cuirassé Potemkine (Eisenstein)

Culture prolétarienne

Le cinéma soviétique

Quelles que soient leurs tendances politiques, tous les historiens du cinéma du monde s’accordent unanimement sur l’importance cruciale du cinéma soviétique. En 1958, un jury composé de critiques et d’historiens célèbres a même décerné au prestigieux Cuirassé Potemkine de Serguei Eisenstein la distinction de plus grand film de l’histoire du cinéma. L’homme à la caméra de Dziga Vertov est étudié dans toutes les écoles du monde, et l’ensemble des auteurs de cinéma, de Charles Chaplin à Sergio Leone en passant par Orson Welles, se sont largement inspirés des enseignements et des théories des cinéastes soviétiques.

L'Homme à la caméra (Dziga Vertok)

L’Homme à la caméra (Dziga Vertok)

De 1924 à 1929, l’école russe a bouleversé le cinéma, amenant la technique et le langage cinématographique vers des horizons nouveaux, décidant les réalisateurs occidentaux tels Joris Ivens et Henri Storck à passer du cinéma d’avant-garde formaliste au cinéma d’action sociale.

Si une telle expérience artistique a pu avoir lieu, c’est avant tout parce qu’elle s’est cristallisée dans la seule et unique Révolution prolétarienne victorieuse. C’est aussi parce qu’elle fut largement appuyée par les bolcheviks et qu’elle trouva les hommes capables non seulement de la mener à bien mais aussi d’en tirer les enseignements. « De tous les arts, le cinéma est le plus important. » disait Lénine.

Cependant, à la différence des autres pratiques artistiques russes, telles que l’avant-garde picturale, qui se sont développées avant ou juste après la révolution, le cinéma a du attendre le milieu des années 1920. L’asservissement de ce moyen d’expression à une technique contraignante en est la cause principale. En effet, pendant que la littérature, le théâtre et la peinture accaparaient les idées progressistes de la bourgeoisie du 19è siècle, les imprégnaient dans la réalité sociale russe et dans le développement du tissu industriel, le cinéma s’enlisait au début des années 1910 dans l’académisme et les intrigues de cour. Au moment de la victoire d’Octobre, les capitaux, les outils de production, les cinéastes et les techniciens s’évanouirent dans la nature. La plupart rejoignirent l’Europe occidentale, essentiellement la France et l’Allemagne. Ne restaient en territoire russe que quelques mètres de pellicule impressionnée et plusieurs caméras défectueuses. Il faudra attendre la nationalisation du cinéma pour que renaisse une véritable industrie du film.

Quelques jeunes gens, enthousiasmés par l’élan révolutionnaire, se lancèrent alors dans l’aventure. A leur tête, Lev Koulechov, un vieux professeur, qui avec un unique gros plan du visage de l’acteur Mousjoukine et quelques plans de situations précises, va révolutionner les principes du montage. Il intercale les scènes de vie avec le visage de l’acteur. Un repas fumant précède le gros plan. Le spectateur ressent la faim du personnage. Un nouveau-né pleure dans son berceau. Mousjoukine semble plein de compassion. Une vieille femme morte est placée dans son cercueil et l’acteur semble pris d’une tristesse profonde. Etc. Cette expérience, dont le matériel a disparu aujourd’hui, prendra le nom d’effet Koulechov. Il prouve que le cinéma n’est en rien asservi aux principes théâtraux, qu’il possède sa propre force expressive, ses propres possibilités de langage. Alfred Hitchcock se servira de la leçon pour Fenêtre sur Cour .

A partir de Koulechov, le cinéma devient l’art du montage . Non pas que celui-ci n’existait pas avant mais il n’avait qu’une fonction linéaire, celle de faire avancer une intrigue, de relier des éléments de narration. Grâce aux découvertes des possibilités offertes par le montage, le cinéma se rapproche du langage musical, dont il accapare les possibilités de rythme et de tonalité.

Toute l’école soviétique sans distinction, Poudovkine, Vertov, Eisenstein, Medvedkine, va travailler sur ce principe élémentaire que le cinéma est avant tout la mise en relation d’images dans le but d’exprimer un point de vue sur le monde. Ils développeront ce principe dans des voies diverses, mais la pratique de ces cinéastes est impensable sans la détermination politique et sociale qui les entoure. Une grande partie de l’historiographie du cinéma soviétique actuelle tente de rapprocher l’école russe des avant-gardes formelles des années 1920 et en cela de la vider de son contenu politique. L’homme à la caméra , par exemple, est aujourd’hui essentiellement apprécié pour ses qualités esthétiques tandis que le travail de Poudovkine est souvent réduit aux quelques scènes fastueuses de La Mère . Mais c’est faire fi de la préoccupation première de ces cinéastes : servir la Révolution d’Octobre et l’édification du socialisme. Pour la première fois d’ailleurs, les films soviétiques mettent en avant les masses, leur évolution, leur prise de conscience, leur transformation politique. « Voir et montrer le monde au nom de la Révolution prolétarienne mondiale, telle est la formule des Kinoks » (nom donné par Vertov aux cinéastes russes).

La pratique du cinéma soviétique se résume d’ailleurs dans l’acceptation léniniste du principe de la vérité : Toujours concrète, son seul critère est l’action sociale, spécifiée en ses trois grandes procédures : lutte de classe, lutte pour l’expérimentation scientifique, lutte pour la production. De manière inégale, c’est dans ces trois tendances que se résume l’ensemble de la production cinématographique soviétique entre 1924 et 1929. Elle va engendrer des courants diamétralement opposés dans leurs recherches esthétiques. Nous en relèverons trois : le cinéma d’Eisenstein ou Ciné-Poing, celui de Vertov appelé Ciné-Œil, et enfin les expériences du Ciné-train d’Alexandre Medvedkine.

La Grève (Eisenstein)

La Grève (Eisenstein)

Sergueï M. Eisenstein

L’auteur de La Grève et du Cuirassé Potemkine , a tout d’abord fait ses armes au théâtre. Disciple du metteur en scène Meyerhold, il travaille successivement comme décorateur, costumier, et réalise plus tard son premier film qu’il incorpore à la représentation d’une pièce d’Ostrovski.

Suite à cela, en 1924, il réalise La Grève. Evocation de la lutte des travailleurs de Petrograd puis de leur écrasement par le régime tsariste, le film représente une double innovation. D’abord du point de vue du jeu des acteurs. Eisenstein oppose à la présence des masses en lutte, une multiplicité de personnages au comportement excentrique. Toute approche psychologique est bannie. Les personnages, représentants de leurs classes sociales (grande et petite bourgeoisie, lumpenprolétariat), agissent tous d’une manière extravagante et irréaliste. Ces attitudes contrastent nettement avec l’action du prolétariat en lutte. Ainsi, ressent-on encore très fortement l’influence du jeu prôné par Meyerhold dans son théâtre, le Proletkult, pour lequel Eisenstein travailla longuement.

L’autre aspect novateur réside dans la pratique du montage. Pour la première fois au cinéma, le montage apporte l’idée. Par un enchevêtrement habile de plans, Eisenstein crée les messages de son film. Rien n’est directement dit ou écrit, aucune image ne porte une idée particulière en soi. C’est la mise en rapport des plans qui crée non seulement l’histoire mais surtout l’analyse politique du film. Cette pratique trouvera son paroxysme dans la scène finale où Eisenstein met en parallèle la répression tsariste et l’abattage de vaches par des paysans. Ce « montage des attractions » comme il le dénommera, sera développé tout au long de son oeuvre, telle la levée du lion de pierre dans Le Cuirassé Potemkine.

Ce dernier film est le chef d’œuvre d’Eisenstein. Réalisé pour la commémoration des 10 ans de la Révolution d’Octobre, il relate la mutinerie des marins du Potemkine en 1905.

Si Eisenstein délaisse l’excentricité des personnages, il continue à explorer les liens formels entre théâtre et cinéma. En effet, le film est composé de 5 actes, telle la structure d’une tragédie, ancré dans une unité de temps et de lieu. Chaque acte contient les mêmes données dramatiques installées dans des sens différents : prise de conscience, colère et répression. Le film interroge également d’autres pratiques artistiques, telles que la peinture (pour le cadre et le rôle des noirs et blancs), ou la musique (dans son rapport aux rythmes). Le cinéma est en effet pour Eisenstein la somme de tous les arts, la quintessence de ceux-ci dans un seul matériel. Il le définit comme une intégration/transformation de l’héritage culturel .

Cette pratique du montage et de l’art cinématographique deviendra le Ciné-Poing. Il le théorisera tout au long de sa vie dans de multiples ouvrages et conférences. Eisenstein réalisera essentiellement des fresques historiques qui montrent le développement et l’apprentissage de la lutte révolutionnaire.

Dziga Vertov

Tout d’abord proche du futurisme et de Maïakovski, Vertov crée à l’âge de 19 ans un laboratoire de l’ouie dans lequel il réalise une série d’expériences sur le son et en particulier sur les sonorités industrielles. Très tôt intéressé par le cinéma, enthousiasmé par l’élan révolutionnaire, il est nommé responsable des actualités soviétiques dès 1919. Son principe est le suivant : « Le Ciné-Œil, jonction de la science et des actualités cinématographiques, dans le but de nous battre pour le déchiffrement communiste du monde. »

Dans ses Kinoglaz, films d’actualité, il préconise la prise de vue sur le vif, et rejette tout asservissement aux autres pratiques artistiques, surtout le théâtre. Il veut l’autonomie absolue du cinéma et fait sienne la devise de Gorki : Voir le monde sans être vu . Ces petits films d’actualité constituent un matériel d’une richesse inestimable. Ils permettent de comprendre la construction de la société soviétique dans les villes comme dans les campagnes, en même temps que l’évolution d’un cinéaste qui n’a jamais pu vraiment concrétiser l’ensemble de ses conceptions à l’écran.

En 1925, Vertov réalise L’homme à la caméra . Ce film montre l’activité durant 24 heures de la ville d’Odessa. Son incroyable richesse réside dans la multiplicité des thèmes qui y sont abordés : le travail dans les hôpitaux, les usines, les imprimeries, les cimetières, la solidarité, la religion, la construction du socialisme, le cinéma… Tout cela sous l’œil d’un caméraman qui filme assidûment le spectacle soviétique puis projette son travail. Si bien que le film fait office de manifeste du Ciné-Œil. Vertov y assoit toute sa théorie. Le montage devient l’écriture même : « Pas d’analyse sans synthèse (Engels) : l’analyse et la synthèse se trouve indissolublement liées l’une à l’autre. (…) Nous voulions parvenir à ce que la rédaction du scénario, le tournage et le montage soient réalisés simultanément. (…) Tout film du Ciné-Œil est en montage durant tout le processus de fabrication du film. »

L’organisme du film ne se pense pas comme une totalité expressive composée de parties indifféremment permutables mais comme une structuration complexe des différents thèmes, entrelacés les uns dans les autres, si bien qu’aucun plan de L’homme à la caméra ne peut être retiré sans que tout le film s’écroule. L’homme à la caméra est un objet de cinéma pur. Il ne s’inspire d’aucune pratique artistique, sauf peut-être de la musique, dont il reprend le système d’intervalles tonales.

Par la suite, Vertov réalisera le premier film sonore russe, Enthousiasme ou la Symphonie de Donbass , dans lequel il développe les conceptions sonores établies dans son laboratoire de l’ouie. C’est en voyant ce film que Chaplin aura l’idée de sonoriser Les temps modernes . Voici la lettre qu’il envoya à Vertov à la suite de la projection d’ Enthousiasme : « Je n’avais jamais imaginé que des sons mécaniques pouvaient être organisés avec tant de beauté. Je considère Enthousiasme comme une des symphonies les plus émouvantes que j’ai jamais entendues. »

Alexandre Medvedkine

Avant d’être cinéaste, Medvedkine fut un militant ouvrier bolchevik. Rattaché à la cavalerie rouge, il expérimenta durant la guerre contre les armées blanches un procédé qui devait parfaitement définir sa conception du cinéma. Il monta sur son fusil une caméra, qui se déclanchait lors des assauts.

Il définissait lui-même ce type d’approche comme l’expérimentation du cinéma comme arme.

Dès les années 1925-26, Medvedkine conçoit l’idée d’un cinéma itinérant capable de montrer aux millions de paysans et d’ouvriers dispersés sur l’immense territoire soviétique la construction de la société nouvelle. Le cinéma permettait en effet de passer outre les problèmes de la multiplicité des langues et idiomes. Ce projet ne verra le jour qu’en 1932.

Durant près de deux ans, une unité de production mobile, fichue dans un train, parcourra le pays. A son bord, un laboratoire de développement, une station de montage et une salle de projection. A chaque étape où le Ciné-train stationne, l’équipe (dans laquelle on retrouve ponctuellement Dziga Vertov) tourne, développe et monte des films. Le tout ainsi que d’autres films tournés ailleurs sont projetés à la population locale. De vives discussions s’organisent.

De cette expérience, de la vie des usines et des campagnes, Medvedkine va tirer une comédie paysanne, Le Bonheur .

34 ans plus tard, en 1968, des ouvriers français, épaulés par des cinéastes comme Chris Marker, se nommeront Groupes Medvedkine en hommage à l’incroyable aventure du Ciné-train. Ces ouvriers réaliseront leurs propres films et les diffuseront partout dans les usines françaises.

Une période aussi féconde sur le plan esthétique et formel n’est envisageable que dans une situation sociale donnée qui crée des perspectives de lutte pour la classe ouvrière. Ainsi du cinéma allemand des années 1920, comparable sur bien des aspects à l’école soviétique. Ainsi le cinéma français des années 1934-39. Ainsi le cinéma néo-réaliste italien de la libération. Ainsi également l’ensemble de la cinématographie mondiale (et en particulier sud-américaine) des années 1960. Mais si l’expérience soviétique fut certainement la plus probante c’est qu’elle prit forme dans le terreau d’une révolution qui mit le prolétariat au pouvoir.

Max Sirven.

Débats et théorie

Catégories de la politique militaire révolutionnaire

Conférence présentée par T. Derbent dans le cadre des formations du Bloc ML, les 3 et 10 avril 2006 (première partie)

« Il est vrai que parfois des militaires,
s’exagérant l’impuissance relative de l’intelligence,
négligent de s’en servir »

commandant Charles de Gaulle, 1936

« Étudier dans les livres, c’est une façon d’apprendre ;
appliquer ce qu’on a appris, c’en est une autre, plus importante encore.
Notre méthode principale, c’est d’apprendre à faire la guerre en la faisant. »

Mao Zedong, 1936

[1. Introduction]

Chers camarades,

Louis XIV avait fait graver sur ses canons « ultima ratio regum » : le dernier argument des rois . Tout projet de révolution sociale doit anticiper la question de l’affrontement armé aux forces du pouvoir et de la réaction. Reporter cette étude au motif que la question de l’affrontement armé « n’est pas encore d’actualité » expose à faire des choix (politiques, stratégiques, organisationnels) qui risquent, lorsque la question de l’affrontement armé « sera d’actualité » , de mettre les forces révolutionnaires en position d’impuissance, de vulnérabilité, à leur donner des caractères totalement inadéquats, et finalement à les exposer à la défaite. Les organisations à prétention révolutionnaire qui refusent d’élaborer une politique militaire dès avant que la question de l’affrontement se pose pratiquement , se disqualifient en tant que force révolutionnaire : elles se comportent par avance en fossoyeurs de la révolution, en fourriers des stades et des cimetières (1).

Le sujet de cette conférence est donc la politique militaire révolutionnaire , que l’on peut définir comme l’analyse, la préparation et l’emploi des moyens de la force armée au service de l’objectif révolutionnaire.

La question de la politique militaire révolutionnaire revient à l’actualité. Que ce soit à travers l’étude des guerres populaires prolongées dirigées par des partis de type marxiste-léniniste-maoïste (au Pérou, au Népal, en Inde et ailleurs), que ce soit à travers la réévaluation des expériences de guérilla urbaine dans les métropoles impérialistes ces trente dernières années, que ce soit par d’autres biais encore, les débats relatifs à la politique militaire révolutionnaire connaissent une timide renaissance. Mêmes si les positions qui se dégagent de ces débats restent très différentes (de la réaffirmation sine variatur des principes insurrectionnalistes lénino-kominterniens à l’adoption sans nuance d’expériences récentes dans les pays dominés), le regain d’intérêt pour la question de la politique militaire révolutionnaire est une chose nécessaire et salutaire.

La pensée militaire révolutionnaire reste pourtant indigente. Ses propositions sont les produits bâtards des méthodes historique (fondée sur l’expérience, qui se base sur les antécédents historiques avec les risques de dogmatisme et de conservatisme que cela comporte) et philosophique (fondée sur la théorie, qui procède par raisonnement déductif avec les risques de subjectivisme que cela comporte), méthodes employées sans aucun recul méthodologique ou épistémologique.

En témoigne le flou conceptuel qui voit, par exemple, les notions de « stratégie », de « politique militaire », de « théorie militaire », de « doctrine militaire » être employées indifféremment les unes pour les autres. Ce flou conceptuel est tel qu’il permet, par le biais d’abus de langage, à de véritables manipulations politiques, comme nous l’avions vu en analysant le document du (n)PCI dans notre précédente discussion.

Cette conférence ne traite pas de ce que doit être la politique militaire révolutionnaire aujourd’hui. Elle se veut un outil pour aider à une élaboration rigoureuse, méthodique, scientifique, d’une politique militaire révolutionnaire.

Les limites de cette conférence sautent aux yeux. Telle qu’en elle-même, elle n’est pas liée à une ligne particulière, mais elle renvoie à un domaine où les catégories sont dépendantes d’analyses et de choix politico-théoriques. L’ancien débat sur l’existence ou la non existence d’une science militaire prolétarienne illustre cette difficulté (2). Entre la déviation gauchiste, qui nie toute validité au corpus de la science de la guerre élaborée sous le régime bourgeois, et la déviation droitière qui professe une imitation servile de la pensée militaire bourgeoise, il est une voie étroite qui reste encore à baliser.

D’autre part, dès le moment où il ne veut pas le produit d’une réflexion stratégique précise, c’est-à-dire s’appuyant sur l’analyse concrète d’une situation concrète, c’est-à-dire encore liée à une pratique politique, l’exercice du conférencier confine à la scolastique. Mais dans la mesure où cette conférence est un outil, c’est l’emploi qu’on en fera, c’est-à-dire son application aux situations concrètes, qui amènera à son épuration des éléments d’énumérations n’ayant d’intérêt que pour la nomenclature. Comme disait Maurice Biraud, dans Un taxi pour Tobrouk, « une brute qui marche va plus loin que deux intellectuels assis ».

D’accord ?

C’est parti…

 Le Cuirassé Potemkine (Eisenstein)

Le Cuirassé Potemkine (Eisenstein)

[2. Facteurs objectifs, facteurs subjectifs]

La première considération relative à la politique militaire révolutionnaire doit porter sur ses limites inhérentes. On sait que les états-majors contre-insurrectionnels s’inspirent volontiers des thèses sur la subversion du colonel Trinquier. Mais ces thèses sont grossièrement antidialectiques, qui supposent que la révolution est le produit d’une complot planifié mettant en œuvre deux catégories de personnes, les « agents » de la subversion, et les « masses » manipulées par les agents. Les crises révolutionnaires se déclenchent, selon Trinquier, au moment où l’état-major clandestin les décide : celui-ci abat alors son jeu.

Or, les crises révolutionnaires ont été déclenchées par une conjonction de facteurs objectifs et subjectifs. Le plus souvent, les forces révolutionnaires ont été surprises par l’emballement des événements. C’est le cas de la crise de 1905 qui a surpris un parti bolchevik sans appareil militaire, c’est le cas de la crise de 1917 (on sait comme Lénine a du se battre dans le parti —notamment contre Zinoviev et Kamenev— pour marcher vers l’insurrection), l’ampleur du succès de la campagne de Santa Clara (septembre-décembre 1959) a constitué une surprise pour les guérilleros castristes, de même que l’insurrection générale de Managua en juillet 1979. La préparation et l’action du Parti son indispensables à la victoire révolutionnaire, mais elles ne suffisent jamais à expliquer le phénomène révolutionnaire. Une révolution est avant tout l’expression des contradictions inhérentes à la société. C’est ainsi que, selon Lénine, aucune insurrection n’est possible si les classes dirigeantes ne sont pas dans une crise politique aiguë, incapables de gouverner comme avant, et si les classes opprimées ne sont pas poussées à la révolte par la dégradation de leurs conditions d’existence. L’échec des guerres subversives contre-révolutionnaires témoigne de l’importance de ces conditions socio-historiques (échec dans le sens où elles n’ont jamais mené une contre-révolution au pouvoir par les moyens de la guerre « populaire », même si elles ont joué leurs rôle en ruinant l’économie du Nicaragua ou du Mozambique).

[3. La doctrine militaire]

La première question qui se pose au Parti (3) est celui de sa doctrine militaire . La doctrine militaire est l’expression d’opinions acceptées par le Parti sur l’évaluation politique des problèmes recouvrant la guerre à mener, l’attitude du Parti envers celle-ci, sa définition, l’organisation et la préparation des forces, les choix de la stratégie et des méthodes. C’est, selon la terminologie clausewitzienne, son plan de guerre .

La doctrine militaire est donc tributaire de la conjoncture socio-historique. Lorsque survint l’invasion nazie, les PC européens étaient « configurés » par une doctrine de lutte des classes « interne » (nationale), dont ils avaient déduit un stratégie prolétarienne-insurrectionnelle, donc un Parti largement légal mais flanqué d’un appareil militaire clandestin. Cette configuration inadéquate aux nouvelles conditions a signifié de lourdes pertes initiales (le PCB a été décapité par l’opération « Sonnewende « ), et les PC ont été dès lors amenés à improviser une pratique de guerre populaire prolongée (4).

La doctrine militaire du Parti peut se définir comme la réponse aux questions suivantes :

1° Quel est (et sera) l’ennemi ?

Ce qui suppose non seulement une analyse de l’Etat et de ses forces, mais aussi une analyse de classe de la société (pour définir les attitudes possibles des classes intermédiaires), une analyse de la situation internationale (pour mesurer l’appui que l’Etat peut espérer recevoir de la bourgeoisie impérialiste ou les forces susceptibles de venir en aide au camp de la révolution), etc.

2° Quelle est (et sera) la nature de la guerre à venir ?

S’agit-il d’emblée d’une « pure » lutte des classes opposant dans un combat à mort prolétariat et bourgeoisie ? S’agit-il d’une lutte associant des facteurs de classe à des facteurs nationaux ? Et dans ce cas, y a-t-il processus unissant les deux facteurs ou deux étapes distinctes (une étape de libération nationale, où il ne s’agit « que » d’obtenir le départ des forces d’occupation, et une étape sociale, où il s’agit d’anéantir les forces réactionnaires) ? S’agit-il d’une lutte associant une étape de révolution démocratique et une étape de révolution prolétarienne ? Et dans ce cas, y a-t-il processus interrompu ou y a-t-il deux étapes distinctes (une étape où les forces prolétariennes peuvent compter sur le passage au camp de la révolution de larges couches des classes moyennes, et une étape où le prolétariat se battra seul pour l’établissement de sa dictature) ?

3° Quels seront les objectifs et missions des forces armées en découlant ?

Anéantir les forces armées ennemies ? Rendre le coût humain et/ou matériel de la guerre trop cher pour l’ennemi ? Combiner ces missions (par exemple : anéantir les forces armées bourgeoises indigènes et dissuader les éventuels interventionnistes en se donnant les moyens de rendre le coût de la guerre trop élevé pour eux) ? Limiter l’action armée dans les frontières nationales où l’intégrer dans une stratégie régionale ? Etc.

4° Quels sont (et seront) les forces armées nécessaires initialement et quels développements organisationnels et techniques faudra-t-il mettre en œuvre pour atteindre ce stade ? Quels seront les forces armées nécessaires dans les phases ultérieures de la guerre, quels développements militaires, organisationnels et techniques, quel mode de fonctionnement vont elles requérir ?

Il ne s’agit pas seulement de l’importance de ces forces mais aussi de leur nature — milices (ouvrières et/ou paysannes) et/ou unités régulières — et de leur rapport au Parti — unité organique du politique et du militaire ou séparation (relative) du bras armé, sous la forme d’une Armée rouge, par exemple.

5° Comment le Parti doit-il se préparer ?

Ceci aussi bien du point de vue de son organisation interne (clandestinisation, choix des modes de fonctionnement relatifs à la démocratie et à la discipline, militarisation d’une partie de ses cadres et militants, cloisonnement, création d’un appareil de sécurité et de renseignement ad hoc, etc.), du point de vue de ses liens avec la classe (positionnement des militants dans les organisations de masses, par exemple), du point de vue de la réunion des moyens, etc.

6° Quelles seront la stratégie et les méthodes utilisées pour mener et gagner cette guerre ?

Guerre de guérilla ? insurrection ? coup de force ? etc. Ce qui suppose une analyse du rapport de forces politico-militaire (facteurs objectifs et subjectifs, tels que la volonté de lutte). Ce qui suppose également une analyse de l’impact des données géographiques, économiques, sociales, etc. sur les possibilités qu’auront les forces en présence de se déplacer, de frapper, de se renseigner, de se dissimuler, de se concentrer, de se disperser, de se replier, de communiquer, etc.

[4. Le développement militaire]

La doctrine militaire du Parti guide le développement militaire , qui inclut l’ensemble des aspects concourant à sa force militaire :

1° Aspects organisationnels

— Dans le cas du choix stratégique d’un « Parti combattant », d’un « Parti politico-militaire » (5) ou d’un « Parti militarisé » (6) : réflexion sur la configuration des structures du Parti pour les rendre aptes à un travail à la fois politique et militaire ;

— Dans le cas du choix stratégique d’un Parti dirigeant une force militaire spécifique (7) (embryon d’une Armée rouge), création de cette structure spécifique ou, du moins, réflexion sur ce qu’elle devrait être et préparation de sa création (choix de cadres, etc.) ;

— Dans tous les cas : passage du Parti à la clandestinité ou préparation de ce passage ; formation des cadres au travail clandestin ; création d’un appareil clandestin (logements, documents, communications) ; adoption de mesure de sécurité (cloisonnement, etc.) ;

2° Aspects militaires

Réunion des moyens militaires (armes, équipements) définis comme nécessaires ou souhaitables par la doctrine militaire et/ou choix des plans, des méthodes et des complicités qui permettront de réunir ces moyens le moment venu (8) (exemple : plan d’attaque de caserne) ; initiation générale des cadres aux questions militaires et formation de cadres spécifiquement militaires.

3° Aspects économiques et logistiques

Réunion des moyens économiques et logistiques (argent, logement, véhicules, moyens de communication, de falsification de document, etc.) définis comme nécessaires ou souhaitables par la doctrine militaire et/ou choix des plans, des méthodes et des complicités qui permettront de disposer les moyens militaires le moment venu.

4° Aspects politiques

Mise en œuvre du programme de préparation politique des militants et des cadres du Parti à la guerre défini comme nécessaire ou souhaitable par la doctrine militaire.

5° Aspects scientifiques et techniques

Réunion des moyens scientifiques et techniques requis et/ou accessibles (pour la production d’armes, d’équipements nécessaires au combat et à la clandestinité, à l’interception des communications ennemies et à la protection de ses propres communications, etc.) définis comme nécessaires ou souhaitables par la doctrine militaire ou mises au point des plans et méthodes qui permettront de disposer de ces moyens le moment venu ; formation des cadres.

6° Aspects idéologiques et moraux

Mise en oeuvre de la préparation idéologique et morale des militants, des masses sympathisantes et des masses en général à la guerre définie comme nécessaire ou souhaitable par la doctrine militaire. C’est ainsi que, par exemple, le développement de la solidarité avec les prisonniers révolutionnaires peut jouer un rôle dans la bataille idéologique en faveur de l’affrontement armé.

7° Modes de fonctionnement relatifs à la discipline et à la démocratie

Mise en œuvre des modes de fonctionnement relatifs à la discipline et à la démocratie définis comme nécessaires ou souhaitables par la doctrine militaire. Ainsi par exemple le choix par les communistes vietnamiens, pendant les années de la Résistance, du système dit des « trois grandes démocraties » qui a permis de développer l’initiative, le dynamisme et les facultés créatrices des cadres et des combattants, de renforcer la cohésion et la solidarité des forces armées et d’élever leur puissance de combat :

— Démocratie politique : dans les unités de base, tenir régulièrement des conférences démocratiques, des assemblées de militaires afin de permettre aux combattants comme aux cadres de donner leurs opinions sur toutes les questions concernant le combat, le travail comme l’instruction, les études et la vie de l’unité ; les cadres ont le droit de critiquer les combattants, mais ceux-ci ont aussi le droit de critiquer les cadres.

— Démocratie militaire : dans le combat comme dans l’instruction, (dès que les conditions le permettent), tenir des conférences démocratiques pour communiquer à tous le plan opérationnel, faire s’épanouir les initiatives, et rechercher ensemble les moyens d’aplanir les difficultés afin de mener à bien la tâche assignée (9).

— Démocratie économique : les combattants comme les cadres ont également le droit de prendre part à la gestion, à l’amélioration de la vie matérielle dans le cadre d’un système « à livre ouvert ».

Les forces armées révolutionnaires appliquent généralement le régime de discipline librement consentie sévère . Une discipline librement consentie, parce qu’édifiée sur la base de la conscience politique des cadres et des combattants, se maintenant essentiellement par des méthodes d’éducation permanente et d’incessante persuasion, grâce à quoi, d’eux-mêmes, tous les hommes la respectent et s’aident mutuellement à l’observer. Une discipline sévère, cela veut dire que tous les membres de l’armée sans exception, cadres comme combattants, supérieurs comme subordonnés, sont tenus de s’y conformer strictement et que personne ne peut l’enfreindre.

Démocratie et discipline doivent servir à renforcer la puissance militaire des forces révolutionnaires. De ce point de vue, la distinction entre démocratie et « démocratisme » est essentielle ; la première renforce la puissance militaire, le second l’affaiblit (10).

Alexandre Nevski (Eisenstein)

Alexandre Nevski (Eisenstein)

[5. La science de la guerre]

L’élaboration de la doctrine militaire du Parti se fait à l’aide de la science de la guerre , qui est un système unifié de connaissance englobant les aspects matériels et psychologiques du combat. Son contenu s’organise autour de deux lois fondamentales :

1° La soumission de la guerre aux objectifs politiques ;

2° La dépendance de l’issue d’un conflit de la corrélation de la puissance militaire (nombre et qualité — courage, discipline et autodiscipline, motivation, instruction — des combattants, qualité et quantité du matériel de guerre, capacité et caractère du commandement, etc.), politique, morale, technique, sociale, économique.

La science de la guerre se subdivise en quatre chapitres :

1° L’étude de la guerre, qui inclus l’histoire des guerres (plus particulièrement, en ce qui nous concerne, des guerres civiles et révolutionnaires).

2° Les lois de la guerre , à savoir les quelques principes dont l’application est impérative à tous les niveaux (stratégique, tactique, etc.), et les quelques règles dont l’application, toujours souhaitable, n’est pas toujours possible dans les conditions qui les rendent réellement productives (11). A savoir :

— Principe de proportionnalité des buts aux moyens ;

— Principe de liberté d’action , qui commande d’agencer son système de forces de manière à poursuivre ses buts sans offrir de prise à ceux de l’ennemi, et qui commande quelques règles comme la réunion des forces (qui permet leur engagement dans le combat au fur et à mesure des besoins) ; la sûreté (recherche permanente du renseignement sur l’ennemi, mesures de sécurité actives et passives, etc.) ; l’initiative ; la mobilité ; la dissimulation des intentions à l’ennemi ; la prévention des réactions de l’ennemi ; la création de réserves ; etc.;

— Principe de l’économie des forces (autrement dit : le rendement maximum des moyens par l’emploi actif et intelligent de toutes les forces), qui commande également quelques règles comme : la réunion du maximum de moyens là où l’enjeu est le plus important, en réalisant des économies sur les fronts secondaires (12) ; le maximum d’intensité dans l’emploi des forces ; la coopération de tous les moyens pour démultiplier leur efficacité respective ; le choix du moment ; le choix de l’endroit ; la surprise (stratégique, tactique, technique par l’emploi de nouveaux moyens ou par l’emploi original et imprévu de moyens anciens) ; la vitesse (qui prolonge l’effet de surprise et garantit la liberté d’action) ; la continuité des efforts ; l’exploitation de l’impréparation de l’ennemi ; etc.

3° Les bases théoriques de la préparation du Parti à la guerre.

4° L’art de la guerre.

[6. L’art de la guerre]

A la différence de la science de la guerre dont il est une partie, l’ art de la guerre n’est pas un système rigoureux de connaissances des phénomènes et de leurs lois. En tant qu’activité concrète (et non spéculative), l’art de la guerre ne connaît jamais deux conditions identiques : les moyens, ni l’ennemi, ni le terrain, ni les conditions socio-économiques ne sont jamais pareils. D’autre part, la guerre n’est pas seulement un affrontement de forces matérielles, c’est aussi un affrontement de volontés, de forces morales qui modifient souvent radicalement la valeur des forces matérielles.

Les principales parties de l’art de la guerre sont :

1° La stratégie

2° L’art opératif (ou art opérationnel, ou opératique )

3° La tactique (ou plutôt, les tactiques)

4° La logistique (relative au mouvement, au stationnement et à l’approvisionnement des forces armées)

5° L’organique (relative à l’organisation et à la préparation du matériel et des hommes).

L’art de la guerre est dans la maîtrise et dans l’articulation de ces différents niveaux, dans ce qu’ils ont de spécifique (en ayant conscience, par exemple, de l’importance de la constitution de réserves au niveau tactique, où le combat se déroule souvent sous la forme d’une succession d’engagements, mais qu’au contraire, le niveau stratégique commande le strict respect du principe de l’économie des forces, donc leur pleine utilisation là où la décision peut être emportée)

[7. La stratégie]

La stratégie consiste en la mise en œuvre des concepts et recommandations issus de la doctrine militaire. Pour ce faire, elle réunit les problèmes militaires et non-militaires, elle convertit la force militaire du Parti (notion quantitative) en puissance militaire (notion dynamique, non quantifiable), et elle supplante la doctrine militaire à partir du début du combat.

La stratégie a donc :

1° Pour définition : le bon usage des combats aux fins de la guerre

2° Pour fondement : la volonté d’obtenir le résultat le plus grand, le plus rapide et au moindre coût par une rationalisation de la force — la stratégie obéit donc à la loi de la moindre action.

3° Pour moyens : les opérations victorieuses (permises par la justesse de l’analyse stratégique et obtenues par la maîtrise par les forces révolutionnaires de l’art opératif et de la tactique) ainsi que leur exploitation militaire, politique (propagande, etc.) et organisationnelle (intégration de nouveaux combattants, etc.) ;

4° Pour principes : l’importance (absolue) de la supériorité aux points décisifs (on ne peut « tout défendre » ni « tout attaquer ») ; l’importance (relative) de la surprise et de la ruse ; la proportionnalité du but aux forces et à l’obstacle.

5° Pour fin : les objets qui doivent conduire à la paix, c’est-à-dire, dans le cadre de la guerre révolutionnaire, détruire les forces armées ennemies, briser la volonté de lutte de l’ennemi.

Rien n’implique la coïncidence entre le moyen et la fin ; toute opération victorieuse n’est pas nécessairement opportune sur le plan stratégique (elle peut conduire, par exemple, à une escalade que le camp révolutionnaire n’est pas prêt à assumer — une intervention étrangère par exemple). C’est l’analyse stratégique qui détermine quelles opérations doivent être menées, et dans quel cadre.

Outre les principes et règles de l’art de la guerre dont la stratégie est une partie constitutive, l’analyse stratégique se fonde sur un domaine propre qui comprend :

1° Les lois qui régissent la guerre. Déjà énumérées, elles sont objectives et s’appliquent impartialement aux deux camps adverses ;

2° Les facteurs et la nature de la guerre à mener, la répartition des forces (sociales, militaires, politiques, etc. aussi bien effectives que potentielles, et tant d’un point de vue qualitatif que quantitatif), les perspectives de durée d’intensité et d’étendue, les possibilités d’intervention extérieures (amies ou ennemies), les conditions géographiques et sociales, etc. ;

3° La préparation du Parti à la guerre ;

4° La base matérielle et technique (moyens militaires, techniques, renseignements, cadres, effectifs, scientifiques) ;

5° Le commandement des forces ;

6° Les choix probables de l’ennemi, car le domaine stratégique est celui de l’action-réaction entre les belligérants.

Sur cette base, l’analyse stratégique impliquera :

1° Un calcul minutieux de la prise de risque ; c’est-à-dire notamment la prévision des sauts qualitatifs de la contre-révolution (torture, exécutions extralégales, etc.) qui seront induits par les progrès révolutionnaires,

2° Une adéquation parfaite et soutenue entre les opérations et le but politico-militaire (par exemple : ne pas réagir en fonction du prestige) ;

3° La préparation d’une position de repli ;

4° De la résolution une fois l’action engagée ;

5° La flexibilité dans les moyens pour faire face à des développements imprévus.

[8. Les principes généraux de la stratégie révolutionnaire]

Quels sont les principes généraux de la stratégie révolutionnaire ? On peut en compter cinq :

1° Elle se fonde sur la primauté du politique sur le militaire (et il ne s’agit pas simplement du principe général de subordination des options militaires aux objectifs politiques, mais bien de primauté générale du politique ; ainsi la formation politique des révolutionnaires est plus importante que la formation militaire, l’impact politico-idéologique d’une opération peut primer sur son effet dans le rapport des forces matérielles, les opérations militaires peuvent être suspendues mais jamais le travail politique, etc.) ;

2° Elle se fonde sur la primauté de l’homme sur le matériel (13) ;

3° Elle se fonde sur la primauté de l’intérieur (ce qui se passe dans le pays, ce qui se passe dans la classe) sur l’extérieur ;

4° Elle a le souci constant du lien aux masses populaires ;

5° Quelle que soit sa forme de lutte principale (insurrection, guérilla, etc.), elle utilise toutes les autres formes de lutte : la lutte de masse (grèves, manifestations), la guerre de guérilla, la guerre classique, le sabotage, les luttes légales, la guerre psychologique, la guerre secrète, le terrorisme et les mouvements insurrectionnels.

6° Sa fin est la destruction totale des forces armées ennemies. La guerre révolutionnaire est une guerre d’anéantissement qui ne peut se solder par une transaction avec l’ennemi lors de négociation de paix, comme cela peut être le cas dans les guerres d’autres types.

[9. Les principales stratégies révolutionnaires]

Pour parler un peu plus concrètement, nous allons passer rapidement en revue les principales stratégies révolutionnaires théorisées depuis l’entrée du prolétariat sur la scène historique. J’en ai recensé onze, mais c’est un peu arbitraire : on subdiviser certaines catégories pour en créer de nouvelles.

1° La stratégie insurrectionnaliste blanquiste.

La forme la plus achevée de cette stratégie est la stratégie blanquiste, théorisée dans Instructions pour une prise d’arme (14) . Un petit groupe de conspirateurs armés (entre 500 et 800 dans le cas du coup de force du 12 mai 1839) frappe lorsqu’il croit le peuple subjectivement prêt à l’insurrection agissant à la place du prolétariat inorganisé : ils s’emparent des armureries et distribuent les armes, frappent à la tête le pouvoir politique et les forces répressives (attaque de la Préfecture de police), produisent un plan systématique des barricades et organisent les masses ralliées à l’insurrection. Au niveau tactique, Blanqui faisait grand fonds de la tactique des barricades justement critiquées par Engels. La tactique passive des barricades, suivie par le prolétariat révolutionnaire jusqu’en 1848, et avait pour seule chance de victoire un refus d’obéissance massif des soldats de l’armée bourgeoise, voire leur passage au camp de l’insurrection.

2° La stratégie de la grève générale insurrectionnelle

Héritage (revendiqué ou non) des thèses de Bakounine qui visait à provoquer l’abolition de l’Etat par une unique action collective, de préférence une grève générale, cette insurrection voit son déclenchement tributaire de la spontanéité des masses. Selon cette stratégie, la grève générale insurrectionnelle se déclenchera lorsque les masses seront subjectivement prêtes, et que ces dispositions subjectives permettront aisément de résoudre les questions objectives (militaires, organisationnelles) grâce à la créativité révolutionnaire des masses. Cette stratégie compte aussi sur un large effondrement du pouvoir bourgeois, toujours grâce aux dispositions subjectives des masses (désertions en masse dans l’armée, etc.). Cette stratégie a été reproposée dans l’entre-deux-guerres par le courant syndicaliste-révolutionnaire, et on a pu en trouver des résurgences chez les « maos spontex » et dans l’ultra-gauche bordigiste

3° La stratégie terroriste-exemplative

Pratiquée par un courant du mouvement anarchiste et par les populistes russes. Elle se fonde soit sur la pratique individuelle, soit sur celle d’une organisation secrète — et dans tous les cas elle est coupée d’un lien organique aux masses. Leur seul lien aux masses est l’exemple de leurs actions ou de l’attitude de leurs militants face à la répression, et, éventuellement, quelques proclamations. La stratégie terroriste a pu frapper la réaction à son sommet, provoquer terreur chez l’ennemi et admiration chez les masses, elle n’a jamais pu convertir ces facteurs en forces susceptibles de renverser un régime. Cette stratégie n’a dans l’histoire connu que des échecs : on ne « réveille » pas les couches révolutionnaires des masses sans les organiser.

4° La stratégie insurrectionnaliste lénino-kominternienne.

Elle fut pratiquée une première fois en Octobre 1917 et par la suite soigneusement théorisée (notamment à travers l’ouvrage collectif signé Neuberg, L’Insurrection Armée ) et planifiée par les partis communistes dans les années 20 et 30. Elle intègre et systématise les analyses de Marx et Engels (et les leçons d’expériences comme celles de 1905) en accordant un rôle central au Parti d’avant-garde qui s’emploi à la réunion d’éléments nécessaires au succès révolutionnaire (élévation de la conscience révolutionnaire des masses, organisation politique et militaire des masses notamment par la création d’une garde rouge, entraînement et équipement de groupes de choc et emploi de ceux-ci en substitution à la tactique des barricades, création d’un état-major insurrectionnel, élaboration de plans de bataille, choix du moment du déclenchement, etc.). Cette stratégie a connu de graves échecs en Allemagne (1923), en Chine (1927), dans les Asturies (1934), au Brésil (1935) et ailleurs.

5° La stratégie de la guerre populaire prolongée

Elle connaît trois phases : une phase de guérilla, stratégiquement défensive (mais tactiquement très active, faites d’initiatives incessantes) ; une phase d’équilibre stratégique ; une phase stratégiquement offensive où les forces révolutionnaires sont en mesure de mener la guerre de mouvement et (accessoirement) la guerre de position. Les principes particuliers de la guerre populaire prolongée ont été ainsi définis par Mao Zedong :

— D’abord attaquer les forces ennemies dispersées et isolées, ensuite les forces importantes.

— D’abord établir des zones libérées dans les campagnes, encercler les villes par les campagnes, s’emparer d’abord des petites villes, ensuite des grandes.

— S’assurer d’une forte supériorité numérique dans le combat (la stratégie est de se battre à un contre dix, la tactique à dix contre un) (15).

— S’assurer du haut niveau de conscience politique des combattants, afin qu’ils soient supérieur en endurance, courage et esprit de sacrifice.

— S’assurer du soutien du peuple, veiller au respect de ses intérêts.

— S’assurer du passage au camp révolutionnaire des prisonniers ennemis.

— Utiliser les temps entre les combats pour se reformer, s’entraîner et s’instruire.

Victorieuse en Yougoslavie, en Albanie, en Chine et en Indochine, elle a connu d’importants échecs, notamment en Grèce (45-49) et en Malaisie (48-60).

6° La stratégie du coup de force

Elle se fonde sur un rapport de forces extrêmement favorable pour le parti révolutionnaire. Dans l’exemple de Prague en 1948, citons la présence de l’armée soviétique, la puissance et prestige du Parti Communiste, l’existence de milices populaires (15 à 18.000 ouvriers armés), le noyautage presque total du Corps de Sûreté nationale et de plusieurs unités de l’armée, etc. Cette stratégie présente l’avantage d’être infiniment plus économe que celles impliquant l’affrontement armé. Elle peut même conserver les apparences de la légalité, ce qui permet de neutraliser politiquement certaines couches sociales intermédiaires. Le coup de force est plus souvent le fruit d’une opportunité fournie par un conjoncture historique extraordinaire qu’une stratégie révolutionnaire théorisée et présentée comme modèle. Il a néanmoins pu avoir une application systématique parmi les jeunes officiers progressistes du tiers-monde qui, dans les années ’60 et ’70, étaient liés d’une manière ou d’une autre à l’Union soviétique.

7° La stratégie électoraliste/armée

Elle se base sur la thèse qu’une prise partielle du pouvoir est possible par des moyens légaux (pourvu qu’une ample lutte de masses garantisse les droits démocratiques) et que cette prise partielle du pouvoir donnera au mouvement révolutionnaire des moyens qui, s’ajoutant aux moyens propres des forces révolutionnaires, suffiront à garantir l’approfondissement du processus révolutionnaire et à parer la contre-offensive réactionnaire (coup d’Etat militaire ou intervention étrangère). Les organisations adoptant cette stratégie se dotent d’un potentiel militaire pour assurer une prise de pouvoir fondamentalement accomplie par les moyens légaux. Le général Pinochet a beaucoup fait pour invalider cette hypothèse stratégique, qui avait déjà connu un échec sanglant avec l’écrasement du Schutzbund autrichien en 1934.

8° La stratégie foquiste

Elle procédait d’une théorisation par la systématisation des particularités (16) des guérillas actives à la fin des années 50 et au début des années 60 en Amérique latine (ainsi à Cuba). Elle fait de la création et du développement d’un foyer de guérilla rurale mobile l’élément central du processus révolutionnaire. Le foquisme n’avait pas une vocation universelle et reposait largement sur la thèse du dualisme des sociétés latino-américaine (la ville capitaliste et la campagne féodale), sur l’impossibilité d’établir des zones libérées à la manière chinoise et indochinoise, etc. Les foyers mobiles de guérilla sont appelés à se développer en armée populaire, à encercler les villes jusqu’au coup de grâce porté au régime par une grève générale insurrectionnelle dans les centres urbains. Le rôle du prolétariat se limitant au soutien à la guérilla rurale jusqu’au coup de grâce.

9° La stratégie néo-insurrectionnelle

Elle s’est forgée dans la foulée de la victoire de la révolution sandiniste au Nicaragua. Suite à cette victoire, plusieurs forces révolutionnaires ont abandonné totalement ou partiellement la guerre populaire prolongée qu’elles menaient parfois depuis des décennies, pour tenter de forcer la décision en provoquant des soulèvements urbains. Ce fut le cas de la Nouvelle Armée du Peuple, dirigée par le Parti Communiste des Philippines (17), jusqu’à la campagne de rectification de 1992 qui amena à un retour aux thèses de la guerre populaire prolongée.

10° La stratégie P.A.S.S. (stratégie combattante politico-militaire) et la Guerre Révolutionnaire Combinée (G.R.C.)

Elle a été définie et pratiquée par Mahir Çayan et les fondateurs du Parti-Front Populaire de Libération de Turquie, puis assumée dans les années 70 et 80 par plusieurs organisations (Dev Yol, Dev Sol, MLSPB, THKP-Avant-garde révolutionnaire du Peuple, etc.). Selon cette stratégie, la guérilla reste principale jusqu’à l’étape de la guerre classique, et les autres méthodes de lutte (politique, économique, démocratique et idéologique) lui sont subordonnées. La stratégie PASS se divise en trois étapes :

— La formation de la guérilla urbaine (il est plus facile de construire une force combattante dans une ville, les actions armées y trouvent plus d’échos, le terrain est socialement plus disposé à accepter et assimiler les actions d’un niveau élevé).

— La propagation de la guérilla dans tout le pays, et la formation d’une guérilla rurale à côté de la guérilla urbaine (plus déterminante parce qu’une unité à la campagne peut se retirer et se développer en intégrant progressivement et continuellement des paysans, tandis que la guérilla urbaine, obligée de s’éparpiller dans des bases clandestines après chaque action, ne peut espérer établir une relation continuelle avec les masses et se développer vers une armée populaire).

— La transformation des forces de guérilla en forces armées régulières.

11° La stratégie de guerre révolutionnaire prolongée

Elle a été définie et pratiquée par les organisations communistes combattantes européennes. Elle se base sur les principes de la guerre populaire prolongée maoïste mais en diffère profondément par l’abandon de toute forme de guérilla rurale (et donc toute idée d’encerclement des villes par les campagnes), par la substitution aux zones libérées de réseaux clandestins dans les organisations de masses (syndicats, etc.), par la plus grande importance donnée aux actions de propagande armée et par l’adoption de nouvelles formes organisationnelles entre travail partitiste et militaire (jusqu’à, dans certains cas, refuser la traditionnelle séparation Parti communiste/Armée rouge en formulant la thèse du Parti Combattant, légitimée par la qualité politique nouvelle de la lutte armée), etc.

La très schématique énumération ci-dessus ne constitue pas un « catalogue » dans lequel il faut nécessairement choisir une formule toute faite. Chaque situation particulière exige une réponse particulière. Chaque cas concret recèle des éléments de ces différentes stratégies, soit par inertie (survivance d’anciennes méthodes), soit au contraire parce que la lutte fait surgir des méthodes qui seront théorisées et systématisées ultérieurement. Cette énumération peut tout au plus servir de guide.

On remarquera que ces stratégies se divisent en deux grandes catégories : celles qui cherchent la décision en une bataille (stratégies insurrectionnalistes) et celles qui cherchent la décision par une succession de combats et de campagnes (stratégies guérilleristes) (18). A chacune d’elle correspond une déviation : déviation droitière, dans le cas des stratégies insurrectionnalistes dont l’adoption n’est parfois que le moyen choisi par une force minée par l’opportunisme pour différer l’affrontement au pouvoir ; déviation « de gauche », dans le cas des stratégies guérilleristes dont l’adoption n’est parfois que le moyen choisi par une force minée par le subjectivisme pour se dispenser d’un travail d’enracinement dans la classe.

Le Cuirassé Potemkine (Eisenstein)

Le Cuirassé Potemkine (Eisenstein)

 

NOTE :

(1) A la déviation droitière du rejet de l’actualité d’une réflexion stratégique, qui révèle (et qui finit par produire ) une passage de la lutte révolutionnaire à la position contestatrice la plus triviale, correspond une déviation gauchiste qui rejette le principe d’une réflexion stratégique préalable. Cette déviation est le fait de forces révolutionnaires anarchistes, militaristes, subjectivistes, etc., prétendant que la réflexion stratégique n’a pour effet que de « diviser » les révolutionnaires que l’action seule rassemblerait. A la grande époque du foquisme, certains affirmaient même que la réflexion stratégique était une « préoccupation bourgeoise » .

(2) Le débat a d’abord opposé Trotski à Staline et Vorochilov en 1918, puis à Frounzé en 1921.

(3) La question de savoir si l’existence d’un Parti de classe est nécessaire à la révolution sociale est essentielle mais sort largement du cadre de cette conférence. Tout comme sort de ce cadre la question, également essentielle, de savoir, dans le cas où l’on juge le Parti nécessaire à la révolution sociale, si la fondation du Parti est un préalable nécessaire au déclenchement de l’affrontement armé. J’emploie donc ici par facilité le terme de « Parti », mais on pourra comprendre, si l’on préfère, « force », « organisation », « mouvement », etc.

(4) Les succès remportés par les PC dans cette nouvelle voie sont remarquables : ils ont pu organiser militairement de larges masses malgré une répression féroce. Ce qui limite les leçons de cette expérience pour l’avenir, c’est que les PC ne mettaient pas en avant la Révolution socialiste mais la libération nationale : cela leur a agrégé de larges couches de la petite-bourgeoisie et de la paysannerie qui auraient été hostiles à un programme de dictature du prolétariat.

(5) Hypothèses défendues par des forces du courant communiste combattant européen.

(6) Hypothèse défendue par une partie du courant marxiste-léniniste-maoïste.

(7) Hypothèse défendue par les autres courants communistes.

(8) Le moment venu n’est pas forcément le moment choisi : il peut être imposé par une initiative ennemie, ainsi lorsque le coup de force nazi de 1933 a prévenu l’insurrection préparée par le KPD.

(9) Dans les armées bourgeoises, le soldat n’a droit qu’aux informations strictement nécessaires à l’accomplissement de sa mission. Il obéit aux ordres parce qu’il a été dressé à le faire. Murat ne se donnait pas la peine de donner quelque explication que ce soit à ses hussards. Il leur criait : « Direction : le trou de mon cul ! » et il fonçait à leur tête vers leur objectif…

(10) La guerre civile espagnole offre de nombreux exemples des effets désastreux du « démocratisme ». Ainsi lors des combats de l’Alto de León et de Somosierra en juillet-août 1936 où les miliciensse refusaient à lancer une attaque sans l’avoir au préalable votée à main levée… Les milices avaient la supériorité du nombre, de la motivation, du matériel et de la position, et elles furent malgré tout sévèrement battues par les unités régulières commandées par les officiers fascistes. La question du « démocratisme » est au centre de l’attaque de Lin Piao contre le général Ho Long lors de la Révolution culturelle.

(11) Ainsi par exemple, l’ initiative ne vaut que si on a les moyens de la garder : la Commune de Paris a pris l’initiative contre Versailles, mais au premier revers il s’est avéré qu’elle n’avait pas les moyens de la conserver. De même, la surprise ne vaut que si on peut l’exploiter, etc.

(12) L’universalité du principe d’ économie des forces fonde la valeur stratégique de la guérilla. La guérilla (et plus encore la guérilla urbaine que la guérilla rurale) permet une utilisation optimale de faibles forces, et contraint l’ennemi a disperser d’innombrables forces dans des fonctions de surveillance d’objectifs potentiels — donc à renoncer à ce principe. Mais si la guérilla jouit par définition de l’avantage donné par le principe de l’ économie des forces , ce principe peut et doit être appliqué consciemment par les forces de guérilla, dans la ventilation et l’emploi de leurs forces. Lorsque l’insurrection (ou le « coup de force ») réunit les conditions de surprise requise, elle bénéficie aussi de ce principe qui explique que de maigres forces, mais employées à bon escient, démantèlent un dispositif ennemi numériquement supérieur : les forces insurrectionnelles s’emparent de certains endroits mais en laissent provisoirement d’autres aux mains de détachements ennemis, elles se concentrent sur des points et à des moments de lutte décisifs alors que l’ennemi surpris a un partie de ses forces au repos, etc. Le principe d’ économie des forces a cependant ses limites : il ne saurait suffire à pallier toutes les disproportions de rapport de forces.

(13) Dans l’Armée Populaire de Libération de Chine, ces thèses étaient ordonnées dans le système dit « des quatre primautés » : primauté de l’homme sur le matériel, du travail politique sur les autres activités, du travail idéologique sur les autres aspects du travail politique, des idées vivantes sur les idées livresques dans le travail idéologique.

(14) La manière dont Lénine se défend des accusations de « blanquisme » ne doit pas masquer le fait que la prise d’arme blanquiste est l’étape intermédiaire entre le complot babouviste et l’insurrection léniniste. L’épithète de « blanquiste » que Plekhanov et Martov jetaient à la tête de Lénine n’avait qu’un lointain rapport avec le blanquisme authentique. Il signifiait, dans le vocabulaire politique de l’époque, tenant du complot plutôt que de l’action de masses.

(15) Ce principe a été théorisé par Mao Zedong dans De la guerre prolongée et Zhu De dans Sur la guérilla anti-japonaise . Mais Giap et l’ensemble de la direction vietminh ne l’approuvaient pas, et en tout cas le jugeaient inadapté à la situation vietnamienne. Les effectifs limités des forces vietminhs les ont souvent amenés à lutter à effectif égal à l’échelle tactique ; la surprise, la meilleure connaissance du terrain et la qualité opérationnelle des troupes (préparation à la force de combat pratiquée et héroïsme révolutionnaire) suffisant à faire la différence.

(16) Cette théorisation par la systématisation des particularités (nées souvent empiriquement, et souvent produits ou expressions des faiblesses du mouvement révolutionnaire latino-américain) est la source de nombreuses confusions. Ce procédé permettait au principal théoricien du foquisme, Régis Debray, d’évacuer les thèses léninistes-maoïstes (ainsi le rôle du Parti de classe) pourtant hautement revendiquées par celui qui, aux yeux même de Debray, incarne la « révolution dans la révolution » foquiste : Che Guevara.

(17) C’est principalement à Mindanao que la NPA rejeta, au début des années 80, la stratégie de la guerre populaire prolongée et forçant de manière subjectiviste le passage de la phase de la « défensive » à la phase de « contre-offensive stratégique ». Les petites unités de la NPA, mobiles, bien implantées dans la population furent prématurément fondues en bataillons au sein desquels des cadres du PCP durent assumer à des responsabilités militaires pour lesquels ils étaient trop peu préparés. Les structures politiques clandestines du Parti en sont sorties très affaiblies, et les importants bataillons de la NPA, faciles à repérer, subirent de lourdes pertes de la part d’un ennemi qui était loin de l’effondrement.

(18) Dans notre précédente débat (à propos du document du (n)PCI), nous avons été amené à réfléchir sur cette thèse que le Parti bolchevik aurait mené une stratégie de guerre populaire « sans le savoir » — l’insurrection de 1917 correspondant à la troisième phase (l’offensive généralisée) de cette stratégie. C’est un réflexion très stimulante, mais nous n’avons pas mené l’enquête historique requise pour mesurer la part de vérité de cette thèse originale. Parmi les questions auxquelles il nous faudra répondre : Est-ce que, de 1905 à 1917, la ligne du parti bolchevik peut être en partie identifiée avec celle de la guerre prolongée ? Si oui, est-ce bien à cette partie que le parti a dû son développement ? Le parti bolchevik menait la lutte armée (évasion de militants, liquidation de mouchards, opérations de financement), mais quelle était la réalité objective et subjective (importance qu’elle prenait aux yeux des cadres, aux yeux des militants, aux yeux des masses) de cette lutte armée ? Y avait-il encore des pratiques armées entre 1908 et 1917 ?


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