Editorial : COMBATTRE ! les licenciements les privatisations le capitalisme

Seule la lutte paie. La lutte ne paie pas toujours, mais seule la lutte paie.

Les capitalistes, leurs politiciens et les directions syndicales collabos voudraient que nos défaites masquent cette vérité. Les capitalistes peuvent ainsi continuer à augmenter leurs profits en réduisant les salaires et en dégradant les conditions de travail. Les politiciens peuvent ainsi tranquillement continuer leurs petites combines sur le compte de la collectivité. Les directions syndicales collabos peuvent ainsi réaliser leur rêve : être les co-gestionnaires du système.

Mais en vérité seule la lutte paie. La soumission est toujours perdante dans un système qui veut des profits toujours plus grands, quel qu’en soit le prix pour les travailleurs, pour la société, pour les générations à venir.

Et les défaites passées ne sont que les dures écoles où nous apprenons à lutter pour vaincre. La première leçon de cette école, c’est notre défaut d’unité. Les travailleurs de la Poste, de la STIB, ou de la SNCB ne pourront vaincre durablement seuls. Le secteur public doit faire bloc autour de chaque résistance aux privatisations, à la politique systématique de sous-effectif, à la dégradation des conditions de travail.

Mais ce n’est pas tout. Le secteur public constitue la principale ligne de défense des travailleurs de ce pays : toute dégradation de la condition des travailleurs dans le service public ouvre la porte à une dégradation de la condition des travailleurs du privé. On tente de nous diviser en parlant des « privilèges » des travailleurs des services publics. Mais chaque travailleur doit défendre ces acquis comme s’il en bénéficiait lui-même directement, c’est une question d’autodéfense.

Manifestation du 21 décembre 2005

Manifestation du 21 décembre 2005

Et ce n’est pas tout. En France, en RFA, certaines lois sociales sont plus avancées qu’en Belgique. Au nom de la compétitivité (notamment par rapport à la Belgique), les bourgeoisies française et allemande veulent liquider ces lois. Nous devons soutenir les travailleurs français et allemands car au niveau européen, ce sont eux qui constituent notre première ligne de défense. Nombreux sont les pays dont les lois sociales sont moins avancées que les nôtres, voire inexistantes. Et la logique de la bourgeoisie est de tout tirer vers le bas : lois sociales, salaires, conditions de travail. Sa logique, c’est de descendre les salaires allemands au niveau des salaires belges, descendre les salaires belges au niveau des salaires portugais, descendre les salaires portugais au niveau des salaires marocains, etc. Dans tous les pays, les travailleurs et les communistes luttent. Il est temps d’unir les luttes des travailleurs belges, marocains, portugais, coréens, etc. en une grande lutte de classe internationale.

Mais l’unité des luttes commence par l’unité dans les luttes. Nos anciens cadres sont insuffisants, trop vulnérables au chantage patronal, aux pressions des directions syndicales collabos et à la répression des tribunaux bourgeois. Nous devons construire dans chaque entreprise un Comité de Lutte Syndicale regroupant les syndicalistes combatifs (de tous les syndicats), les travailleurs combatifs (syndiqués ou non, de l’entreprise et de la sous-traitance), les pensionnés, prépensionnés et chômeurs ayant été employés par l’entreprise.

Créer des Comités de Lutte Syndicale dans chaque entreprise pour unifier les forces combattives est un premier pas. Il nous faudra aussi créer un véritable Parti communiste révolutionnaire, un parti qui unifiera les forces combattives de la classe. Et cette fondation ne sera elle-même qu’une étape, car il nous faudra construire une nouvelle Internationale Syndicale Rouge et une nouvelle Internationale des Partis Communistes, pour unifier et organiser nos forces au niveau mondial en une vaste machine de guerre contre le capital, pour la libération de l’humanité de la dictature du profit. Le but est lointain, le chemin sera difficile et, surtout, la lutte sera dure. Mais en vérité, il n’y a que la lutte qui paie.

CONTRE LA LOGIQUE CAPITALISTE,
CONTRE LE SYSTEME CAPITALISTE,
CONTRE LES VALETS DU CAPITALISME,
LA LUTTE DE CLASSE !
ET JUSQU’AU COMMUNISME !
[cet éditorial a été diffusé sous forme de tract dans plusieurs manifestations]

Pourquoi Clarté ?

Le périodique du Bloc Marxiste-Léniniste s’appellera Clarté, et ce nom a une histoire.

Henri Barbusse était de ceux qui sont revenus des tranchées de 14-18 écœurés par la guerre impérialiste et le régime qui l’avait engendrée. Dans son roman intitulé Clarté, Barbusse se livra à une virulente dénonciation de la guerre. Avec Paul Vaillant-Couturier et quelques autres, il fonde le groupe Clarté qui édite une revue mensuelle du même nom. Vite rejoints par de nombreux intellectuels, Clarté eut une audience internationale et joua un rôle de premier plan dans la lutte contre la guerre, l’impérialiste et le fascisme. Le prestige de cette revue fut tel que (exemple parmi bien d’autres) le journal de la Jeunesse Communiste en Suède s’appelait Clarté — en français dans le texte…

En octobre 1941, sous l’occupation nazie, c’est le nom de Clarté que retient Honoré Willems lorsqu’il fonde dans la clandestinité le journal de la Fédération bruxelloise du Parti Communiste. Ce Clarté-là paraîtra jusqu’en novembre 1946, mais Honoré Willems n’en verra pas les derniers numéros : il aura été fusillé par les nazis le 26 février 1944.

Lorsqu’en réaction à l’abandon des principes du marxisme révolutionnaire par le Parti Communiste, de nombreux camarades quittèrent le PC en novembre 1967 pour former le Parti Communiste Marxiste-Léniniste de Belgique, c’est une nouvelle fois Clarté qui fut retenu comme nom de la publication centrale (hebdomadaire). Le Clarté du PCMLB paraîtra jusqu’en décembre 1978.

A travers le nom Clarté revit toute l’histoire de la lutte communiste en Belgique, avec ses avancées et ses reculs, ses épopées et ses erreurs. Le Bloc Marxiste-Léniniste s’inscrit résolument dans la continuité de cette histoire, sur base de son bilan critique et des principes du marxisme révolutionnaire, pour s’engager sur le front de la lutte des classes, vers la révolution prolétarienne, vers le Communisme.

Clarté est la publication centrale du Bloc Marxiste-Léniniste.

Le premier journal en langue iakoute (1929) photo de Guéorgui A. Zelma

Le premier journal en langue iakoute (1929) photo de Guéorgui A. Zelma

Dossier : La lutte de Splintex (AGC Automotive) et la ligne syndicale du Bloc Marxiste-Léniniste

105 jours de grève à Fleurus : tentative de bilan

L’histoire de la lutte est connue. A l’annonce de la liquidation d’un tiers des effectifs (284 emplois supprimés sur 840), les travailleurs de Splintex séquestrent « leur » direction pendant vingt-quatre heures et entament la grève. La lutte de Splintex est exemplaire parce qu’elle s’est située dans une usine où les travailleurs avaient imposé, lutte après lutte, des revendications importantes (il n’y avait à Splintex ni sous-traitance, ni statut précaire). Dans la grève, les revendications des ouvriers de Splintex étaient celles de tout le prolétariat : « Pas de délocalisation, pas de restructuration, pas de licenciement ». La grève a duré 105 jours.

Pendant cette période, les verriers ont du affronter tous les ennemis possibles et imaginables :

— la direction de leur multinationale japonaise Asahi Glass qui a réalisé 1,3 milliards de dollars de profits l’année passée et qui est l’objet d’une enquête procès devant la Commission Européenne avec deux autres multinationales du verre, (Saint-Gobain et Pikington), pour « entente illicite sur les prix » et « pratique de cartel en vue d’un partage de marché » ;

— la justice de l’Etat capitaliste qui envoie les robocops au piquet de grève et décrète qu’une amende de 5000 € par jour serait infligée pour chaque travailleur participant à un piquet qui empêcherait l’accès à l’usine (ces interventions de la justice de classe dans les conflits sociaux se généralisent, le plus souvent par le biais de ce chantage aux astreintes qui rend la formule du piquet de grève classique extrêmement vulnérable à la répression) ;

— les médias du régime, unanimes pour condamner la séquestration et juger le conflit « suicidaire » (accepter son licenciement est sans doute « raisonnable ») ;

— la classe politique bourgeoise et collabo, des notables régionaux (Van Cauwengerghe appellera la lutte de Splintex « une tache noire sur le blason de la Wallonie ») à l’opposition réformiste (le Parti Communiste a condamné la séquestration !) ;

— les directions syndicales qui ont soutenu la grève comme la corde soutient le pendu. La CSC s’est retirée de la grève tout en précisant « qu’elle n’accepte pas non plus le plan de restructuration » (bravo !) tandis que la FGTB soutenait par deux manifestations purement symboliques, sans jamais organiser l’extension de la lutte ni même des grèves de solidarité.

Les grévistes trouveront aussi des alliés. La majorité de la délégation syndicale de l’entreprise se range à leur côté, plusieurs organisations envoient des délégations qui viennent régulièrement visiter les piquets et entreprennent, timidement et tardivement, d’organiser la solidarité. Une première soirée de soutien à la salle La Ruche de Lodelinsart rassemble des proches et des amis des ouvriers, des délégations d’organisations, des délégués syndicaux venus témoigner leur solidarité, etc. Mais les directions syndicales veillent au grain : quand Silvio Mara, un des anciens dirigeants de la lutte des Forges de Clabecq, veut non seulement exprimer sa solidarité mais aussi faire profiter les grévistes de Splintex de son expérience en exposant qu’ « une grève s’étouffe quand on n’essaie pas de l’élargir et de la faire connaître à l’ensemble des travailleurs du pays », un dirigeant local de la FGTB monte à la tribune pour préciser que « Splintex n’est pas Clabecq » et que dans ce cas-ci, les syndicats soutiennent « à fond » les grévistes.

Que fut exactement ce soutien ? Les syndicats ont payé les grévistes en reconnaissant la grève. Ils ont organisé deux manifestations, mais d’une manière qui les vidaient de toute portée offensive. Quand on organise une manifestation en pleine semaine et sans mot d’ordre de grève, on est certain de ne rassembler qu’une poignée de militants et de permanents syndicaux. C’est ainsi qu’à cette manifestation, la délégation de Caterpillar comptait entre vingt et trente personnes, alors que l’usine (toute proche !) emploie environ 3000 travailleurs… Le front commun a été rompu jusque dans la rue puisque la CSC a organisé le 24 janvier une action au palais de justice de Charleroi contre les astreintes et pour la liberté syndicale, tandis que la FGTB organisait le jour suivant sa manifestation régionale contre ces mêmes astreintes et pour cette même liberté syndicale. Par contre, dans le même moment, les syndicats étaient d’accord pour envoyer des représentants siéger au « Comité d’alarme », aux côtés de représentants du gouvernement, de la justice et des pouvoirs locaux…

Il y eu ensuite la mascarade des referendums. Les directions syndicales ont totalement joué le jeu du patronat, elles se sont fait complices d’une stratégie d’épuisement de la mobilisation. En lui-même, le referendum était inacceptable : les ouvriers ont décidé la grève en assemblée, et ils n’ont pas besoin de « concertateurs sociaux » employés par le gouvernement pour juger si leur décision est valable ou non. Les directions syndicales ont non seulement accepté le principe du referendum, mais elles ont en plus entériné la tactique du referendum à répétition.

Ce procédé est très apprécié par les bourgeoisies « démocrates ». Lorsque les Danois ont répondu « non » au referendum sur l’adhésion à l’Union Européenne (telle que définie par le Traité de Maastricht), l’Etat danois a attendu un peu, relancé des campagnes de propagande pour l’adhésion… et organisé un deuxième referendum. Et lorsque la réponse a à nouveau été « non », on a préparé un troisième referendum… Par contre, dans les pays où la réponse à été « oui » à l’adhésion, la réponse (satisfaisant la bourgeoisie) a été jugé définitivement valable. On peut d’ailleurs parier que si la réponse des Français au referendum sur la Constitution européenne est négative, un autre referendum sera organisé dans l’avenir.

Cette tactique grossière a aussi été employée à Splintex. Le premier referendum a été clair et

le résultat accablant pour ses organisateurs : alors que de nombreux grévistes ont boycotté le referendum qui constitue une atteinte aux libertés syndicales (il se substitue aux instances des travailleurs), seuls 213 travailleurs (sur 840) votent pour la reprise du travail. La réponse ? Les robocops au piquet de grève, un lynchage médiatique, les procédures d’astreinte, … et un nouveau referendum !

La police devant le piquet de grève de Splintex, à Fleurus

La police devant le piquet de grève de Splintex, à Fleurus

Il y a eu enfin la manière dont les directions syndicales ont accepté une fin de grève avec établissement de listes (noire, grise et blanche) de réembauche. Quelle organisation syndicale peut accepter que la direction d’une multinationale licencie quasiment toute la délégation syndicale ? Réponse : la FGTB et la CSC… Comme à Clabecq, tous les travailleurs combatifs restent sur le carreau. Les éditoriaux triomphalistes de Solidaire qui voient PTB vanter « l’esprit de Splintex » comme il avait vanté « l’esprit de Clabecq » masquent mal l’étendue de la défaite et la nécessité de lutter autrement. Au Bloc Marxiste-Léniniste, nous avons aidé à la lutte comme nous l’avons pu : nous avons été au piquet, au meeting de Lodelinsart, aux manifestations régionales, nous avons diffusé l’information sur la grève, nous avons remis de l’argent au comité de grève, nous avons participé au Comité bruxellois de soutien, etc. Mais s’il est important de soutenir la lutte des travailleurs, il est essentiel de réfléchir ensemble sur ce que doit être cette lutte. Ce n’est pas « soutenir » une lutte que de l’aider à aller droit au mur… Il faut que les choses changent.

La généralisation des astreintes, en donnant carte blanche aux patrons, pose la question de nouvelles méthodes de lutte. On vient encore de le voir à AIS (Genk, Limbourg). Le 22 mars, les douze ouvriers de cette entreprise de peinture industrielle ont entamé une grève pour protester contre le licenciement d’un ouvrier qui avait signalé à la FGTB les conditions de travail dangereuses et nuisibles à la santé. Immédiatement, un juge applique immédiatement une astreinte de 750 € par jaune ou par client empêché d’entrer dans l’entreprise par le piquet de grève. Le 13 avril, une septantaine de militants de la Centrale Générale de la FGTB se sont rassemblés devant l’entreprise pour protester contre l’ingérence des tribunaux dans les conflits sociaux. Vers midi, l’action est terminée mais une vingtaine de travailleurs discutent encore devant la porte. Le directeur a foncé en limousine sur les travailleurs et blesse quatre d’entre eux. La bagnole est aussitôt amochée à coup de pierres, le pare-brise vole en miettes et le directeur prend des coups avant d’être emmené par trois flics. Il sera inculpé de coups et blessures et relâché trois heures après. C’est ainsi que la justice de classe met chaque jour bat le masque… et récidive : le 22 avril, les grévistes de la FNAC (qui refuse une restructuration impliquant 25 pertes d’emplois) tenant un piquet devant le dépôt d’Evere se sont vous condamner à des astreintes de 5000 € par jour et par personne.

Le Bloc Marxiste-Léniniste juge que la proposition du Comité bruxellois de soutien à Splintex est importante et intéressante : faire en sorte que le Comité maintienne son existence malgré la fin de la grève, qu’il s’emploie à entretenir des réseaux susceptibles de se mobiliser rapidement et efficacement dès qu’un conflit significatif survient.

L’autocritique est claire : le soutien à Splintex s’est développé et organisé trop tardivement. La transformation du comité de soutien à Splintex en un comité de vigilance susceptible de rassembler rapidement des forces pour appuyer toute manifestation de syndicalisme de lutte de classe est un élément de réponse. Le Bloc ML y jouera son rôle et nous espérons que la direction du Comité continuera et amplifiera son travail fédérateur et mobilisateur.

La ligne syndicale du Bloc Marxiste-Léniniste

Mais ce n’est là qu’un élément de réponse. A la différence des organisations comme le MAS ou PTB qui prônent un entrisme dans la FGTB et la CSC pour les « tirer vers la gauche », le Bloc Marxiste-Léniniste considère que ces syndicats ont définitivement achevé leur conversion de syndicats de lutte en syndicats de service. Les appareils de la FGTB et de la CSC se sont rendus irremplaçables pour chaque travailleurs pris individuellement (dans le cas d’un conflit juridique entre un travailleur et son employeur par exemple, ou pour le règlement des allocations de chômage, etc.), mais dans le même moment, ils ont totalement déserté le front de la lutte des classes.

Dans le Manifeste du Bloc ML nous disons que c’est un problème très délicat. Même entièrement déterminées par le réformisme et la collaboration de classe, les organisations syndicales en place représentent un garde-fou contre les exactions patronales et les mesures gouvernementales les plus brutales, en même temps qu’elles sont un agent de stabilité pour l’exploitation capitaliste dans son ensemble. Cette dualité exige donc beaucoup de subtilité et de circonspection et deux soucis doivent être gardés à l’esprit. D’abord, il faut éviter de renforcer l’emprise idéologique et politique des grandes organisations syndicales sur les masses. Les révolutionnaires communistes doivent mener une lutte idéologique et politique ferme contre les orientations réformistes que la F.G.T.B. et la C.S.C. défendent et incarnent. Ensuite, il faut éviter d’exercer une influence dissolvante sur les structures syndicales de base, parce qu’elles sont indispensables à la défense des intérêts immédiats des travailleurs et que le camp révolutionnaire, dans l’état actuel des choses, est incapable de mieux protéger le monde du Travail.

Concrètement, en tenant compte de la répression qui frappe les syndicalistes de lutte de classe, tant de la part de la justice bourgeoise (à laquelle le patronat a de plus en plus systématiquement recours) que de la part de la bureaucratie syndicale (comme en témoignent les purges de 2002-2003 dans la F.G.T.B.), nous pensons que l’expérience des Comités de Lutte Syndicale, qui connurent un grand succès sous l’occupation nazie, doit recueillir une attention particulière.

Un Comité de Lutte Syndicale regroupe dans une même entreprise ou secteur : primo les syndicalistes de lutte de classe de tous les syndicats, secundo les travailleurs conscients et combatifs non-syndiqués (c’est le cas de nombreux travailleurs dégoûtés des syndicats), tertio les pensionnés, prépensionnés et chômeurs actifs sur le front de la lutte des classes et ayant fait partie de l’entreprise ou du secteur dans le passé. En raison des répressions du patronat, de l’État bourgeois et des bureaucraties syndicales, les Comités de Lutte Syndicale ont une vie semi-clandestine (leurs tracts peuvent être distribués aux portes de l’entreprise par des camarades travaillant ailleurs). Ils dénoncent les accords passés entre les patrons et la bureaucratie syndicale et proposent leurs propres mots d’ordre, en liaison étroite avec la réalité de l’entreprise ou du secteur, et en évitant soigneusement de tomber dans des travers corporatistes.

Les communistes ont pour responsabilité de répandre au sein du prolétariat la claire compréhension de la nature de la lutte syndicale et de ses limites, des syndicats institutionnels et de leur rôle. Il existe indiscutablement un vif ressentiment à l’égard des organisations syndicales dans de nombreux secteurs d’avant-garde de la classe, mais ce ressentiment se cristallise encore trop souvent sur des problèmes secondaires si pas inexistants. Ainsi, par exemple, l’incapacité des organisations syndicales à garantir les intérêts authentiques et globaux du monde du Travail ou à répondre à la combativité des masses est généralement imputée à la corruption des dirigeants, à la division du mouvement, à la difficulté de former des  » fronts communs syndicaux « , au caractère de syndicat jaune de la C.S.C. (qui souvent, il faut le reconnaître, se montre digne de la créature patronale et cléricale qu’elle fut à sa naissance), etc. Or, si tout cela est bien réel, le fond du problème n’est pas là. Le fond du problème, ce sont les limites inhérentes à la lutte économique qui, seule, ne pourra jamais assurer les intérêts généraux et historiques du prolétariat. La corruption, la division, les trahisons, le corporatisme, etc. du monde syndical sont des maux bien réels, mais même épuré des traîtres et des corrompus, uni et homogène, le mouvement syndical resterait toujours structurellement incapable d’autre chose qu’une défense plus ou moins efficace (selon les périodes) des intérêts immédiats du prolétariat, dans le cadre d’un système répondant objectivement à l’intérêt général de la bourgeoisie et du capitalisme.

La une du Drapeau Rouge clandestin après la vague de grèves de mai 1942

La une du Drapeau Rouge clandestin après la vague de grèves de mai 1942

L’expérience des Comités de Lutte Syndicale

En 1938, Henri de Man devient le président du Parti Ouvrier Belge (actuel PS). De Man, qui avait écrit Au-delà du marxisme, est une des principales figures du socialisme « moderne » de collaboration de classe. Depuis de nombreuses années, les communistes dénonçaient la nature de ce « socialisme » comme le frère jumeau du fascisme qui triomphait alors en Allemagne et en Italie. Dès I’invasion de la Belgique, le président du POB se démasque : il dissout d’autorité son parti et les syndicats, et invite les travailleurs à construire le socialisme dans le cadre de l’Ordre nouveau hitlérien ! Quelque temps après, lui et quelques autres lancent le manifeste de constitution de l’Union des Travailleurs Manuels et Intellectuels, l’UTMI, syndicat de collaboration avec l’occupant. Les promoteurs de l’UTMI, qui niaient la lutte de classe et la conscience de classe, spéculaient à la fois sur le vieux désir d’unité des travailleurs et sur le dégoût que leur inspiraient les dirigeants syndicaux sociaux-démocrates et démocrates-chrétiens d’avant-guerre. L’opération fut un échec et quelques-uns des signataires du manifeste virèrent de bord. Cependant, on assistait à la mise en veilleuse de la CGTB (socialiste) et de la CSC. Ces organisations syndicales n’ont joué aucun rôle sous l’occupation.

Le Parti Communiste, qui était alors essentiellement marxiste-léniniste, comprit que son devoir était de relancer la lutte syndicale, dénoncer le syndicat collabo UTMI, surmonter l’attentisme des dirigeants de la CGTB et de la CSC. II fallait faire triompher l’unité à la base et dans l’action, contre l’occupant hitlérien, contre le grand capital. La direction clandestine du Parti confia ce travail à un de ses secrétaires, Constant Cohn, ouvrier verviétois, grand dirigeant et remarquable organisateur, qui fut assassiné par I’occupant.

C’est en mars 1941 qu’apparaissent dans les entreprises de la région liégeoise les premiers noyaux des Comités de Lutte Syndicale (CLS). Durant l’hiver 1940 et le printemps 1941, la population souffrit de la disette (conséquence du pillage du pays par les nazis). Le Parti appela à lutter, à faire grève, à manifester. Les CLS reprirent ces mots d’ordre. Il y eut des grèves dans les bassins miniers du Centre, du Borinage, de Charleroi. Mais l’action la plus spectaculaire fut la grève des 100.000 mineurs et métallurgistes de Liège qui s’étendit entre les deux dates symboles du Premier Mai et du 10 mai 1941 (premier anniversaire de l’invasion du pays). Cette grève était conduite par un autre secrétaire du Parti, Julien Lahaut. Elle affola les nazis qui ripostèrent par des arrestations massives. Rien n’y fit, la grève ne faiblit pas, et l’occupant dut accorder une augmentation générale de 8% de tous les salaires. Il était prouvé que la lutte de classe continuait et qu’elle pouvait être payante.

Les CLS s’organisèrent dans les entreprises. La lutte était conduite pour des augmentations de salaires, pour un meilleur ravitaillement et contre les déportations de travailleurs en Allemagne. Les CLS alliaient les méthodes de luttes légales et illégales. Cela allait de simples délégations jusqu’à la constitution, en liaison avec l’Armée Belge des Partisans, de groupes de sabotage très efficaces. Une véritable unité à la base se constitua dans les entreprises dans ces organisations syndicales de type nouveau. Et le bilan des CLS est extraordinairement positif. La direction d’après-guerre du PCB a tenu caché ce bilan remarquable, n’a rien fait pour le populariser. Pourtant certains faits majeurs sont connus. En 1942, les mineurs ont fait grève, sous la direction des CLS, contre le travail du dimanche. II y eut encore les grèves des métallos et mineurs de Liège en novembre 1942; celle des cheminots de Verviers en novembre 1943; celle de 10.000 ouvriers liégeois encore en janvier 1943; celles de 10.000 travailleurs de Charleroi en février 1943. II faut également signaler les campagnes pour les salaires en automne 1943 avec grèves des mineurs et des métallurgistes, la campagne pour une plus grande sécurité dans les usines au moment des bombardements anglais du printemps 1944. II y eut aussi d’importantes grèves des dockers à Gand, des ouvriers du lin dans le Courtraisis, etc.

Celui qui menait une grève pendant l’occupation risquait les camps de concentration ou la peine de mort, et pourtant l’activité syndicale fut intense. Aussi à la libération, les CLS jouissaient d’un prestige, d’une autorité et d’une popularité immenses. Les adhésions se multipliaient car les travailleurs voulaient évidemment que le bon travail de classe soit continué, dans des circonstances nouvelles, selon d’autres méthodes mais avec le même dévouement, la même efficacité. Dans de nombreuses entreprises, de véritables syndicats uniques se sont constitués et il n’était pas rare de voir la totalité du personnel y adhérer.

Au sortir de l’occupation, la classe ouvrière, tous les travailleurs de Belgique se trouvent donc dotés à la base d’organisations syndicales de lutte de classe d’un type nouveau, rompues au travail illégal. Cela a été possible parce que le Parti a su faire preuve d’audace créatrice. II a évidemment très bien compris que la nécessité de travailler même dans les syndicats réactionnaires comme le recommandait Lénine ne postulait pas de militer à l’UTMI, à la solde d’un impérialisme étranger. Il a très bien compris que ce serait une trahison d’estimer qu’il n’est de possible en notre pays que des syndicats sociaux-démocrates et démocrates-chrétiens ; il a compris qu’à condition d’être lié aux travailleurs, d’être à leur écoute, de se mettre à leur tête franchement, entièrement, il est possible de créer de nouvelles organisations syndicales, fut-ce dans des conditions difficiles. Mais ce n’est pas par en haut qu’il faut agir. C’est à la base. D’abord de petits noyaux, puis des groupes plus grands. Ainsi sont nés et ont grandi les CLS.

Quand on considère ce qui s’est passé depuis, les erreurs commises et comment cet acquis magnifique a été liquidé, on a trop tendance à croire que l’origine des erreurs se trouve dans un mauvais processus de fusion des syndicats après la libération. Mais il faut remonter plus haut. En juillet 1943, le Parti eut l’immense malheur de voir sa direction clandestine tomber en entier aux mains de la Gestapo à la suite de la trahison de Pierre Nothomb et de ses comparses. Ce fut un coup très dur et la nouvelle direction, celle de Lalmand et de Terfve, fit triompher dès ce moment ses conceptions opportunistes, fondées sur un esprit de collaboration totale avec la grande bourgeoisie belge.

Ainsi, dès la fin de 1943, sans avoir demandé l’avis des ouvriers intéressés, des militants clandestins, ni même des responsables du Parti concernés, la direction Lalmand-Terfve a provoqué la fusion des CLS de la métallurgie liégeoise avec les noyaux dirigés par André Renard. A cette époque — en pleine occupation — les CLS ont 75.000 affiliés. Ils ont servi de masse de manœuvre à Renard pour former son Mouvement des Métallurgistes Unifiés qu’il baptisa à la libération Mouvement Syndical Unifié (MSU).

Le courant unitaire à la base était puissant. La classe ouvrière voulait un syndicat unique, de type nouveau, de lutte de classe. Aussi, la Conférence Nationale des CLS convoquée en octobre 1944 se déroula dans un grand enthousiasme et donna naissance à la Confédération Belge des Syndicats Uniques (CBSU). Mais la direction du Parti ne croyait pas à la possibilité de réaliser I’unité des travailleurs sur des positions de lutte de classe. Les Syndicats Uniques la gênaient, et dans un rapport présenté au Comité Central, le 21 octobre 1944, Lalmand abattait ses cartes: « Ce n’est pas CONTRE les anciennes organisations qu’il faut réaliser l’unification, mais autant que possible AVEC elles ». En d’autres termes, Lalmand, Terfve, Burnelle et quelques autres allaient sauver les anciens syndicats de collaboration de classe, complètement discrédités, dont plus personne ne voulait. Ils allaient en particulier sauver les dirigeants de la CGTB.

Les dirigeants syndicaux sociaux-démocrates (en particulier Finet et Major), ravis de l’aubaine, manœuvrèrent pour faire monter les enchères. Impatientée, la direction du Parti provoqua une nouvelle fusion : celle des Syndicats Uniques des Services Publics avec les débris de la Confédération Socialiste des Services Publics. Cinquante mille membres étaient ainsi fournis à la CGSP aux mains de Janssen, un proche d’André Renard. Aux ACEC de Charleroi, le Syndicat Unique était sommé d’entrer au MSU dirigé par Clercy, autre lieutenant de Renard. Le Syndicat Unique était privé de deux de ses places fortes : la métallurgie et les services publics. Enfin, au Congrès de Noël 1945, c’était la fusion par le haut de la CGTB de Finet-Major, du MSU de Renard, de la CGSP à forte influence renardiste et du Syndicat Unique. Cette fusion (comme les fusions partielles qui l’avaient précédée) s’était faite de la plus déplorable façon — par le sommet, bureaucratiquement, sans consultation ni collaboration des travailleurs. En fait ceux-ci n’en voulaient pas, parce qu’ils ne voulaient plus des anciennes organisations discréditées. La direction du Parti imposa la fusion et ceux qui faisaient preuve de restriction étaient sanctionnés.

La fusion a été un simple marchandage entre dirigeants. Il s’agissait d’un partage de fonctions grassement rétribuées, d’un dosage des responsabilités. Les dirigeants de la CGTB n’avaient plus guère d’adhérents mais savaient manœuvrer. Spéculant sur l’unitarisme à tout prix et sans principes des dirigeants de la CBSU et de ceux du Parti qui les inspiraient, ils faisaient mine de se retirer sous leur tente. Ils ont pu ainsi, par une sorte de chantage, se tailler la part du lion dans l’organisation unifiée. Les méthodes de direction et d’organisation employées à l’intérieur de la CBSU étaient les plus déplorables. On avait parachuté à sa tête des militants issus de la social-démocratie (les adhésions au Parti d’Avaux et de Noël étaient toutes récentes). Dans l’état-major, il y avait très peu d’ouvriers : ni Dejace, ni Avaux, ni Noël, ni Crèvecoeur, ni Roger Lefèvre, ni Vandenbergh n’étaient issus des entreprises. Mais les deux premiers étaient membres du Bureau Politique, les autres (sauf Noël) du Comité Central. Par leur intermédiaire, comme à l’échelon régional, par l’intermédiaire des membres du Comité Fédéral, la direction du Parti imposait sa politique aux Syndicats Uniques.

On avait ainsi tôt obtenu des organisations caporalisées que les travailleurs ne reconnaissaient plus pour leurs. On peut se demander comment de telles pratiques dénaturées ont pu voir le jour. La vérité est que, tournant le dos aux principes du marxisme-léninisme, le Parti avait adopté une politique de collaboration de classe, une politique d’intégration au régime démocratique bourgeois. Dans son rapport au Comité Central du 12 août 1945, Jean Terfve disait : « Le problème central autour duquel se rassemblent tous les autres, c’est l’augmentation de la production. C’est pourquoi notre Parti lance aux travailleurs le mot d’ordre : production d’abord. Mettons tout en œuvre pour accroître la production ». Toute grève était considérée comme… réactionnaire, d’inspiration trotskyste puisqu’elle nuisait à l’augmentation de la production.

Pour participer au gouvernement, pour quelques fauteuils de ministres et de chefs de cabinet, la direction du Parti accepta le désarmement des Partisans. Le rapport du Comité Central pour le VIIIe Congrès déclare ingénument : « Le Parti s’est opposé aux mesures de blocage de salaires prises par le Gouvernement Van Acker. Ses représentants au Gouvernement se sont trouvés dans l’impossibilité de faire prévaloir leur point de vue sur ce point Ils ont estimé — à juste titre — que ce n’était pas une raison suffisante pour rompre la coalition gouvernementale à un moment où la concentration démocratique s’imposait contre les menées léopoldistes ». Pour rester ministres, on acceptait le blocage des salaires ! Le reste fut évidemment à l’avenant. Dans ces conditions, la liquidation des Syndicats Uniques était dans la logique d’une politique déjà étrangère aux intérêts de la classe ouvrière, mais au service de la grande bourgeoisie. Ce n’était d’ailleurs là qu’une étape. Car même vis-à-vis de la FGTB, on fit toutes les sottises possibles. Dejace était resté secrétaire national. Voulant le remplacer par un Avaux plus docile, la direction du Parti provoqua son éviction à un congrès de la FGTB, donnant ainsi aux Finet, Major, Debock, Gailly, Renard une magnifique occasion de liquider tous les militants issus des S.U. ! Au fil des temps, tout devint clair. Les Avaux, Crévecoeur, Roger Lefèvre, Black, réintégrèrent le Parti Socialiste. La FGTB redevenait une des formes de la social-démocratie.

Neuf ans durant, les camarades du Syndicat Unique des Mineurs (surtout) et ceux de la Pierre ont tenu bon. Mais ils gênaient. Les dirigeants ne cachaient pas la volonté de les liquider, prétendant que leur disparition entraînerait automatiquement l’adhésion des membres du Syndicat Unique à la Centrale Indépendante et un bon travail au sein de celle-ci. Terfve, Claude Renard, Noël, Leemans, Burnelle, Beelen, et les autres sabotèrent le travail des Syndicats Uniques des Mineurs et de la Pierre. Au lendemain du XIe Congrès, un Comité Central réalisa le mauvais coup : les Syndicats Uniques étaient purement et simplement liquidés.

Les leçons de l’expérience des CLS

De la magnifique expérience des CLS et du bilan syndical désastreux de la direction révisionniste Leemans-Terfve-Burnelle, quelques leçons générales peuvent être dégagées.

Primo : Chaque fois qu’il a pratiqué à fond et sans restriction l’unité à la base, le Parti a progressé. C’est pourquoi les CLS ont été un grand succès car c’est le Parti qui a voulu les CLS et c’est sa juste politique qui a permis de les développer. Par contre, chaque fois qu’il a pratiqué l’unité au sommet, l’unité avec les organisations réformistes, sociaux-démocrates, le Parti s’est coupé de la classe et subit des défaites, au point de perdre à la fois tout caractère révolutionnaire, toute légitimité, toute force et toute influence.

Secundo : Il n’est pas inscrit une fois pour toutes que les seules organisations syndicales qui peuvent exister en Belgique doivent être ou sociaux-démocrates ou démocrates-chrétiennes. Mais un juste travail syndical des travailleurs communistes ne doit pas viser à créer du haut, bureaucratiquement, une nouvelle centrale. C’est à la base, si possible dans ce qui existe, que le communiste milite. Il doit viser à unir, à constituer des comités d’action, des comités de lutte syndicale. Il doit faire preuve d’initiative, varier les tactiques selon les circonstances.

Tertio : Il ne faut pas hésiter à dénoncer les trahisons actuelles comme les trahisons de l’UTMI ont été dénoncées à l’époque. Faire croire qu’un redressement de la démocratie est possible à la FGTB et à la CSC, comme disent les révisionnistes et les trotskystes à travers le Mouvement pour une Démocratie Syndicale (MPDS) par exemple, c’est se payer de mots. Seule l’unité à la base, dans la lutte, avec comme perspective la création de CLS, sans jamais compter sur l’appui des directions des syndicats de collaboration de classe, est garante de l’avenir.

Mon boulanger, ma grand-mère, mon patron et Georges W. Bush

« L’homme que vous adorerez haïr ». C’était le slogan publicitaire d’un vieux film. Il s’agissait d’Eric von Stroheim mais on croirait la formule inventée pour Georges W. Bush.

Comme de nombreuses organisations, le Bloc ML avait appelé en février au rassemblement devant l’ambassade US à l’occasion de la visite de Bush à Bruxelles, et il n’est sans doute pas inutile de faire à ce sujet l’une ou l’autre mise au point. En effet, quand une mobilisation rassemble le plus réformiste des sénateurs PS au plus marginal des punks-à-chien anarchistes — en passant par votre marxiste-léniniste serviteur —, on peut supposer sinon quelque malentendu, du moins un certain flou…

La délégation du Bloc ML à la manifestation du 21 février 2005

La délégation du Bloc ML à la manifestation du 21 février 2005 face à l’ambassade US

De fait, les mobilisations contre Georges W. Bush peuvent rassembler des courants non seulement divergents, mais aussi purement et simplement antagonistes. Qui dans notre pays n’est pas contre Georges W. Bush ? Par la grâce de ses propres tares et la causticité de quelques polémistes comme Michael Moore, Georges W. Bush fait une assez remarquable unanimité contre lui : les plaisanteries le ridiculisant font rire et mon boulanger, et ma grand-mère, et mon patron.

Il se passe (et que l’on comprenne bien les limites de cette comparaison) avec Georges W. Bush ce qui se passe avec Hitler : c’est l’arbre qui cache la forêt. C’est le sale con de fils de pute absolu. C’est le MÉCHANT.

Je m’en voudrais de faire passer Bush ou Hitler pour de braves types. Mais cette focalisation sur un personnage politique permet d’occulter un peu trop facilement les logiques de systèmes qui, au bout du compte, sont déterminantes.

Bien malin serait celui qui, en examinant la politique étrangère des Etats-Unis, pourrait distinguer la patte des administrations démocrates ou républicaines. On se souviendra peut-être de la pluie de missiles de croisière US qui s’était abattue sur une usine de médicaments de Khartoum. Les USA avaient bombardé le Soudan et tué des civils soudanais, sans déclaration de guerre préalable, au nom de la croisade anti-terroriste, pour avoir confondu une usine de produit pharmaceutique avec un centre de production d’armes chimiques. Si un tel événement se produisait demain, et mon boulanger, et ma grand-mère et mon patron s’écrieraient « Çà, c’est typique de Georges W. Bush ! ». Or, ce bombardement (et bien d’autres) avait été décidé par Bill Clinton.

Bush ou Kerry représentent les gros intérêts capitalistes d’une puissance qui a les moyens militaires d’imposer ses diktats. Le fait qu’ils soient des salauds est moins important que le fait qu’ils soient les agents d’intérêts capitalistes, donc par définition hostiles à ceux du peuple américain et des peuples du monde. Les agents d’exécution des intérêts capitalistes importent peu, qu’il s’agisse du flic de Schaerbeek ou du président des Etats-Unis. Au bout du compte, leur marge de manœuvre est inexistante. Ils sont là pour remplir un rôle. Ils ont passé un certain nombre d’étapes pour arriver à ce poste, au fil d’un processus qui permet, par cette même logique de système, de sélectionner les rouages qui servent au mieux ce mécanisme.

Mais dénoncer dans le même mouvement Bush senior, William Clinton, Bush junior, son challenger malchanceux et son successeur (il n’y a pas grand risque à avancer que le président qui succèdera à Georges W. Bush suivra une politique au service des grands intérêts capitalistes US et déclarera autant de guerres qu’il faudra pour satisfaire ces intérêts) est une chose. Une autre chose (plus importante car elle nous concerne nous, Européens), est de comprendre que nos propres cliques au pouvoir (aux parlements national et européen, au gouvernement belge, à la Commission européenne) relèvent exactement du même cas. Eux aussi sont au service des gros intérêts capitalistes. Eux non plus n’hésitent pas à porter la guerre aux quatre coins du monde dès que ces intérêts le commandent. Ainsi les Français, qui ont pris des distances avec la guerre de Bush en Irak, mais qui ont plongé le Congo-Brazzaville dans un bain de sang pour y assurer leurs profits pétroliers. Le refus de la bourgeoisie belge de partir en guerre une seconde fois contre l’Irak ne s’explique certainement pas par l’amour de la paix. Ils se sont « opposés » à Bush Junior sur la seconde guerre contre l’Irak ? Cela ne nous fera pas oublier qu’ils avaient suivi Bush Senior dans la première.

Eux et leurs domestiques, soit dit en passant. On se souviendra à ce propos de nos « libres médias » qui, lorsque la Belgique s’était inscrite dans la première guerre, nous avaient infligés des reportages non-stop sur nos vaillants aviateurs basés à Dyarbakir (à quelques kilomètres d’un des pires camps de torture que les services de sécurité turcs entretiennent au Kurdistan), ou de nos valeureux marins qui, dans le golfe perso-arabique « assuraient la sécurité de navigation » des supertankers d’Exxon et de Shell. C’était un bourrage de crâne militariste digne de la presse de 14-18. Et ces même médias se sont soudainement découvert, lors de la seconde guerre d’Irak (celle à laquelle notre bourgeoisie n’a pas trouvé d’intérêt), une fibre pacifiste, donnant un écho aux manifestations contre la guerre qu’elles avaient superbement ignorées quelques années plus tôt.

Collage appelant à la manifestation du 21 février 2005

Collage à l’ULB appelant à la manifestation du 21 février 2005

Les contradictions qui opposent l’administration Bush aux parlements et gouvernements européens procèdent de divergences partielles d’intérêts. Au-delà de ces divergences, il y a la communauté qui les unit, cette communauté de classe qui soude la bourgeoisie impérialiste contre les peuples du monde. Et le bras armé de cette communauté d’intérêt impérialiste, c’est l’OTAN. La nouvelle constitution européenne contient, dans son article I-41 sur la politique de sécurité et de défense, des alinéas subordonnant explicitement cette politique au cadre et aux impératifs de l’OTAN : « la politique de l’Union au sens du présent article n’affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains Etats membres, elle respecte les obligations découlant du traité de l’Atlantique Nord pour certains Etats membres qui considèrent que leur défense commune est réalisée dans le cadre de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord et elle est compatible avec la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans ce cadre (…) Les engagements et la coopération dans ce domaine demeurent conformes aux engagements souscrits au sein de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, qui reste, pour les Etats qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l’instance de sa mise en œuvre. » Directement (par l’envoi de cadres destinés à former l’armée collabo irakienne, par la mise en jeu des conventions OTAN relative à l’approvisionnement et à la logistique, etc.) ou indirectement (par l’envoi en Afghanistan de renforts qui permettent de libérer des unités US pour l’Irak), l’OTAN est partie prenante dans la guerre de Bush. La bourgeoisie belge a déjà donné des garanties que son « abstention constructive » (sic) en ce qui concerne la seconde guerre ne mettra aucun bâton dans les roues de la machine de guerre impérialiste. C’est ainsi que le port d’Anvers continue de servir à l’approvisionnement de l’armée d’occupation de l’Irak, ou que la Belgique a quasiment doublé son contingent en Afghanistan.

Se mobiliser contre Georges W. Bush n’a de sens que dans le cadre d’une lutte contre le système capitaliste et de ses agents qui plongent l’humanité dans la misère et le chaos pour préserver un statu quo génocidaire qui leur vaut tant de profit. Et se mobiliser contre Georges W. Bush n’a en définitive de sens qu’en se mobilisant contre « notre » bourgeoisie, contre son appareil d’Etat, contre les courroies de transmission de son pouvoir et de son idéologie, contre ses agents et ses collabos.

[une version modifiée de ce texte a été diffusée sous forme de tract à la manifestation du 21 février 2005]

Théorie et polémique

La revue communiste portugaise Política Operáia a livré, dans son numéro de janvier-février 2005, une contribution importante qui nous intéresse à deux titres.

D’abord parce qu’elle aborde la question du positionnement des communistes face aux « atrocités terroristes » commises par les opprimés. A l’heure où tant de prétendus ennemis du capitalisme et de l’impérialisme se battent pour être les premiers à condamner les kamikazes palestiniens ou irakiens, les ravisseurs de parlementaire colombien ou d’envoyés spéciaux de la presse bourgeoise européenne (faut-il rappeler que Libération a été une des titres les plus va-t-en-guerre, tant en Yougoslavie qu’en Irak, et qu’il est un ardent défenseur de l’Etat d’Israël ?), un tel examen n’est pas inutile.

Cet article nous intéresse aussi parce qu’il prend pour fil conducteur un texte de PTB sur la question, et qu’une fois de plus, PTB est pris en flagrant délit de falsification du marxisme.

La portée de cet article reste cependant réduite en ce qu’il traite des résistances armées des peuples opprimés (et de leurs « excès ») et n’aborde pas la question de ce que doit être la politique militaire de l’avant-garde révolutionnaire aujourd’hui. On n’y trouvera par exemple ni une critique ni une défense de la thèse de la guerre populaire, mais une simple et évidente réaffirmation de la légitimité de la lutte armée en période insurrectionnelle, ce qui est bien le minimum.

MARXISME ET TERRORISME

Par Francisco Rodrigues et Manuel Vaz

Sous le titre Que disent les marxistes sur le terrorisme ?, le journal Solidaire, du Parti du Travail de Belgique, a rassemblé, dans son édition du 15 décembre, quelques citations de Marx et Lénine, pour montrer que les deux condamnaient les méthodes terroristes de lutte. Ainsi, comme dit le journal en question, nous pourrons plus facilement distinguer « en Palestine, en Irak, quand peut-on parler de résistance et quand parle-t-on de terrorisme ». Voyons donc ce que, selon Solidaire,Marx et Lénine approuvent et ce qu’ils n’approuvent pas dans la lutte actuelle des Irakiens et Palestiniens.

La citation de Marx consiste dans un bref passage d’un article de 1857, dans lequel il est question des excès « horrifiants, hideux et ineffables » commis par les cipayes indiens (les soldats indigènes) lors de la révolte contre les colonialistes anglais. Les citations de Lénine, de son côté, condamnent les attentats comme tactique et indiquent la nécessité du prolétariat de Russie de s’engager dans la voie de l’action révolutionnaire de masses.

De ces citations, les lecteurs du journal du PTB pourraient déduire que « le marxisme condamne sans appel la terreur individuelle » — ce qui peut réconforter ceux qui craignent de se voir accuses de « complicité avec les terroristes », mais ne correspond pas à la vérité. En réalité, la position marxiste sur la question est très différente de ce que le Solidaire prétend nous faire croire.

Commençons par Marx, dont la citation est tellement abrégée qu’elle devient dénaturée, et voyons ce qu’il a écrit dans le passage en question. « Les excès commis par les cipayes révoltés, en Inde, sont en vérité horrifiants, hideux, ineffables, tels qu’on peut s’y attendre seulement dans les guerres d‘insurrection, de nationalités, de races, et surtout de religion ; en un mot, tels que ceux auxquels la respectable Angleterre avait coutume d ‘applaudir, quand ils étaient perpétrés par les Vendéens sur les « Bleus », par les guérillas espagnoles sur les mécréants français, par les Serbes sur leurs voisins allemands et hongrois, par les Croates sur les rebelles de Vienne, par la garde mobile de Cavaignac ou les décembriseurs1 de Bonaparte sur les fils et les filles de la France prolétarienne. Si infâme que soit la conduite des cipayes, elle n’est qu’un reflet concentré de la conduite de l’Angleterre en Inde non seulement durant l’époque de la fondation de son Empire oriental, mais même durant les dix dernières années de sa longue domination. Pour caractériser cette domination, il suffit de dire que la torture formait une institution organique de sa politique fiscale. Il existe dans l’histoire humaine quelque chose qui ressemble à la rétribution ; et c’est une règle de la rétribution historique que ses instruments soient forgés non par les offensés mais par les offenseurs eux-mêmes. » (Karl Marx : La révolte indienne, écrit à Londres le 4 septembre 1857. In Marx-Engels, Textes sur le colonialisme, p. 182, Editions en langues étrangères. Moscou.)

Marx considère par conséquent, que les actes de terreur des indiens révoltés ne sont qu’« un reflet concentré de la conduite de l’Angleterre en Inde », ils sont comme une « rétribution historique » de l’offensé à l’offenseur — ce qui signifie, très simplement, que la barbarie de l’opprimé est un reflet de la barbarie de l’oppresseur et qu’il n’y a pas de place pour des condamnations morales, surtout de la part de ceux qui sont dans le même camp que l‘oppresseur.

C’est ce qui est exposé avec une clarté limpide et de forme plus développée par Engels dans un autre article daté de la même année, sur la guerre conduite par les Anglais contre la Chine — et que Solidaire aurait pu citer s’il voulait éclairer ses lecteurs. Nous reproduisons ci-après un extrait, qui semble avoir été écrit exprès pour la situation actuelle :

« Les Chinois d’à présent sont évidemment animés d’un esprit différent de celui qu’ils montrèrent dans la guerre de 1840 à 1842. Alors, le peuple était calme ; il laissait les soldats de l’Empereur combattre les envahisseurs et, après une défaite, se soumettaient à l’ennemi, avec le fatalisme oriental. Mais à présent, dans les provinces méridionales du moins, où le conflit a jusqu’à présent été limité, la masse du peuple prend une part active, fanatique même, à la lutte contre les étrangers. Les Chinois empoisonnent le pain de la colonie européenne à Hong-Kong, en gros et avec la plus froide préméditation. (Quelques pains ont été envoyés à Liebig pour examen. Il les a trouvés truffés d’arsenic, ce qui montre qu’il avait été déjà incorporé à la pâte. La dose était néanmoins si forte qu’elle devait agir comme un émétique et neutraliser ainsi les effets du poison). Ils embarquent avec des armes cachées à bord des vapeurs de commerce et, en cours de route, massacrent l’équipage et les passagers européens et s’emparent du navire. Ils enlèvent et tuent tout étranger à portée de leur main. Les coolies2 mêmes, émigrant à l’étranger, se mutinent, comme de concert, à bord de chaque transport d’émigrants ; ils se battent pour sa possession et, plutôt que de se rendre, coulent avec lui ou périssent dans les flammes. Hors de Chine même, les colons chinois, jusqu’ici les plus soumis et les plus doux des sujets, conspirent et se soulèvent subitement en une insurrection nocturne, comme ce fut le cas à Sarawak, ou ne sont contenus que par la force et la vigilance comme à Singapour. La politique de piraterie du Gouvernement britannique a provoqué cette explosion universelle de tous les Chinois contre tous les étrangers et lui a donné le caractère d’une guerre d’extermination.

« Que peut une armée contre un peuple recourant à de tels moyens de guerre ? Où, jusqu’à quel point, peut-elle pénétrer en pays ennemi, et comment s’y maintenir ? Les mercantis en civilisation, qui tirent à boulets rouges sur une ville sans défense et ajoutent le viol à 1’assassinat, peuvent qualifier ces méthodes de lâches, de barbares, d’atroces ; mais qu’importe aux Chinois pourvu qu’elles réussissent ? Puisque les Britanniques les traitent de barbares, ils ne peuvent leur dénier le plein bénéfice de leur barbarie. Si leurs enlèvements, leurs attaques par surprise, leurs massacres de nuit sont ce que nous appelons lâches, les mercantis en civilisation ne devraient pas oublier, comme ils 1‘admettent eux-mêmes, que les Chinois ne pourraient pas résister aux moyens de destruction européens par leurs moyens de guerre ordinaires.

« Bref au lieu de moraliser sur les horribles atrocités des Chinois, comme le fait la chevaleresque presse anglaise, nous ferions mieux de reconnaître que c’est une guerre pro aris et focis3, une guerre nationale pour le maintien de la nation chinoise, et, malgré ses préjugés tout-puissants, sa docte ignorance et sa barbarie pédante, si vous voulez, une guerre du peuple quand même. Et dans une guerre populaire, les moyens employés par la nation insurgée ne peuvent être mesurés selon les règles reconnues de conduite d’une guerre régulière ni d’après nul autre étalon abstrait, mais d’après le degré de civilisation de la nation insurgée.» (F. Engels. La Perse et la Chine, New York Daily Tribune, 22 mai 1857. In Marx-Engels, Textes sur le colonialisme, pp. 141-142, Editions en langues étrangères, Moscou.)

Plus choquante encore (si possible) est la version qui nous est donnée d’un Lénine opposé à la violence et à la terreur. Lénine a mené un âpre combat pour émanciper les travailleurs de l’illusion qu’ils pourraient être libérés par les conspirateurs, mais il a toujours souligné le rôle que les attentats individuels et les actes de terreur peuvent jouer, en des circonstances déterminées, dans la lutte des opprimés. Sans avoir besoin de nous rapporter à l’époque de la guerre civile, quand la dictature du prolétariat dans la Russie soviétique a du se battre dans des conditions inimaginables contre la terreur blanche, les écrits de Lénine abondent de références sans équivoque à ce sujet. Voici le commentaire qu’il fait en 1906 sur les attentats et les attaques à main armée qui se menaient un peu partout en Russie après la défaite de l’insurrection de Moscou : « Habituellement, 1’appréciation de cette forme de lutte se résume à ceci : c’est de l’anarchisme, du blanquisme, un retour à 1’ancien terrorisme ; ce sont des actes d’individus ayant perdu tout contact avec les masses, qui démoralisent les ouvriers, détournent de ceux-ci les sympathies des larges couches de la population. »

Contre cette idée, Lénine cite des exemples d’attentats et d’attaques menés par des organisations de son parti et il ajoute : « L’ancien terrorisme russe était affaire d’intellectuels conspirateurs : aujourd’hui, la lutte de partisans est menée, en règle générale, par des militants ouvriers ou simplement par des ouvriers en chômage. (…) Lorsque je vois des social-démocrates qui, fièrement, avec suffisance, déclarent : nous ne sommes pas des anarchistes, ni des voleurs, nous ne nous livrons pas au pillage, nous sommes au-dessus de cela, nous rejetons la guerre de partisans, je me demande si ces gens-là comprennent ce qu’ils disent. Dans toute l’étendue du pays, des escarmouches et des combats ont lieu entre un gouvernement de Cent-Noirs et la population. Ce phénomène est absolument inévitable au degré donné du développement de la révolution. Spontanément, sans organisation — et précisément à cause de cela, bien souvent avec maladresse, d’une mauvaise manière — la population y réagit par des collisions armées, par des attaques à main armée…» (Lénine, La guerre des partisans, 30 septembre 1906, Œuvres, tome 11, pp. 215-226, Ed. du Progrès, Moscou.)

L’opinion de Lénine selon laquelle une des principales erreurs de la Commune de Paris aura été « la trop grande magnanimité du prolétariat » est assez connue : « au lieu d’exterminer ses ennemis, il chercha a exercer une influence morale sur eux, il négligea l’importance des actions purement militaires dans la guerre civile » (Œuvres, tome 13, p. 500). Et en 1916, lorsque certains socialistes condamnent comme un putsch la révolte vaincue de Dublin contre l’Angleterre, il écrit : « On ne peut parler de putsch que lorsque la tentative d’insurrection n’a rien révélé d’autre qu’un cercle de conspirateurs ou d’absurdes maniaques, et qu’elle n’a trouvé aucun écho dans les masses », ce qui n’est nullement le cas du « mouvement national irlandais, qui a derrière lui des siècles d’existence ». (Œuvres, tome 22, pp. 382-383).

Comme nous pouvons le constater, Solidaire commet le péché, aujourd’hui généralisé, de nuancer et adoucir la pensée des fondateurs du marxisme, lui prêtant une couleur inoffensive, modérée, « respectable », qui n’a rien a voir avec la rupture que leurs idées ont apporté. Et il est amenée à déformer les points de vue de Marx et Lénine, dans une tentative d’éluder la question épineuse qui se pose aux communistes et anti-impérialistes en général : devons-nous condamner les attentats, séquestrations et autres actes de terreur que les Irakiens et Palestiniens réalisent contre les occupants?

Au grand regret de Solidaire, le marxisme approuve ces actes. Défendant en tous cas l’amplification de la lutte des masses comme l’unique voie révolutionnaire, les marxistes soulignent: primo que la lutte des masses n’est pas synonyme d’action purement pacifique mais, au contraire, qu’elle évolue, dans les moments décisifs, vers la guerre civile ; secundo que la lutte des opprimés peut assumer des formes très variées, car « 1a révolution sociale est un phénomène vivant » (Lénine). Ceci signifie qu’il n’est pas admissible de condamner une résistance effective à l’oppresseur par le simple fait qu’elle n’est pas la résistance idéalement préférable. Surtout, nous, marxistes des pays impérialistes, nous ne pouvons pas nous ériger en juges des méthodes de lutte de ceux qui se font massacrer par noire propre bourgeoise. S’engager dans cette voie, c’est dans la pratique échanger la solidarité avec les peuples opprimés contre le chauvinisme.

Notes :

1. Décembriseurs, néologisme construit à partir des mots décembre et briseurs,c’est-à-dire les casseurs de décembre. La “Société philanthropique du 10 décembre”, authentique armée privée de Louis Bonaparte, a provoqué un massacre à Paris, lors du coup d’Etat de décembre 1851, qui l’a élevé a la dignité d’empereur. Voir à ce propos La 18 Brumaire de Louis Bonaparte, de K. Marx, spécialement le chapitre V.

2. Appellation donnée par les colonialistes aux travailleurs chinois.

3. Expression latine: « combattre pour ses autels et ses foyers », c’est-à-dire pour la religion et pour le territoire.

[article issu du n°98 de Política Operáia ]

Culture prolétarienne

LE POÈME PÉDAGOGIQUE

Premier jardin d'enfant en URSS, photo d'Arkadi S. Chaïkhet

Premier jardin d’enfant en URSS, photo d’Arkadi S. Chaïkhet

Le Poème Pédagogique d’Anton S. Makarenko est le récit de la naissance et de l’évolution de la Colonie Gorki — un institut pour la rééducation et la socialisation des enfants errants, généralement orphelins, jetés sur les routes par la guerre civile, ne connaissant que la mendicité et la délinquance.

L’Instruction Populaire de l’Ukraine soviétique confie à Makarenko, alors instituteur, la tâche de fonder la Colonie en septembre 1920. La tâche est d’une difficulté extrême : au manque des moyens capables de satisfaire les besoins primaires s’ajoute la problématique de construire une nouvelle méthode rééducative socialiste, une méthode visant à forger l’homme nouveau. Le Poème Pédagogique est aussi l’expérience par Makarenko des principes issus de la conception spontanéiste de l’« éducation selon la nature », pénétrée d’illusions libertaires, niant toute forme de discipline et toute autorité de l’éducateur. C’est le récit de la faillite de cette position théorique abstraite, ironiquement nommée par Makarenko « l’Olympe Pédagogique », et de l’affirmation d’une position théorique liée à la pratique, qui s’exprime par les conquêtes, les difficultés et les progrès quotidiens du collectif des jeunes de la Colonie Gorki.

En lisant les premières pages de Makarenko surgit l’abîme qui il y a entre la Colonie Gorki et les maisons de correction de l’époque tsariste dont le « programme éducatif » se bornait à l’emprisonnement et aux coups. Makarenko a expérimenté une méthode de rééducation socialiste qui a transformé des enfants des rues en travailleurs spécialisés, enseignants, cadres politiques, officiers de l’Armée Rouge, médecin, etc.

« Nous devons former un travailleur soviétique cultivé et développé. Nous devons éduquer en lui le sentiment du devoir et le concept de l’honneur, ou en d’autres termes: il doit avoir conscience de sa dignité et de celle de sa classe, il doit en être orgueilleux et il doit ressentir les obligations qu’il a envers sa classe. Il doit être capable de se subordonner aux compagnons et de donner des ordres aux compagnons. Il doit être un organisateur actif. Persévérant et trempé, il doit savoir se dominer soi-même et influencer les autres. Si le collectif punit, il doit savoir respecter et la punition et le collectif. Il doit être joyeux, cordial, actif, capable de lutter et de construire, capable de vivre et d’aimer la vie : il doit être heureux, et pas seulement dans le futur, mais dans chaque jour présent de sa vie. » Tel est l’idéal éducatif de Makarenko.

En réussissant à éduquer des jeunes qui, sous le tsarisme, n’étaient traités qu’avec le bâton, Makarenko montre que la réinsertion dans la société de celui qui est en prison n’est possible qu’avec le socialisme. Sa pédagogie est une application concrète du matérialisme dialectique. Il confère au travail productif un rôle éducatif, il donne la priorité au collectif par rapport à l’individu en ce que la vraie réalisation de l’individu ne peut se faire que dans le collectif. Sa pratique est intégralement matérialiste, autrement elle n’aurait pas pu réussir dans les très dures conditions de la Russie post-révolutionnaire, — et elle est dialectique, car elle s’affirme en contraste avec les premières orientations de la pédagogie soviétique, incapables de déterminer la relation entre l’individuel et le collectif, et ayant tendance à fonder l’éducation sur la liberté absolue de celui qui est éduqué et sur la soumission de l’éducateur à ses exigences.

L’œuvre va au-delà de l’aspect pédagogique, donnant une image authentique et pleine d’humour de la situation de la région de Kriukov dans les années vingt, des difficultés énormes, apparemment insurmontables d’un territoire soumis a plusieurs années d’occupation allemande, pendant la guerre impérialiste, et ensuite des gardes blanches pendant la guerre civile.

Le Poème pédagogique concerne tous ceux qui veulent se former et se transformer en communistes. On trouve notamment au long de toute l’œuvre une vive critique de cet anarchisme intellectuel et organisationnel, prétendument révolutionnaire, qui fut la cause de tant de défaites. Contre le spontanéisme, Makarenko montre la valeur de la discipline consciente, de la planification de l’activité, de la joie de vivre qui en naît.

L’histoire de la Colonie Gorki, dans son passage d’ensemble de jeunes délinquants à un collectif conscient et exemplaire de jeunes soviétiques, peut être considérée comme un paradigme de l’histoire de l’URSS de cette époque-là : un pays qui, malgré le retard économique et culturel hérité de la Russie tsariste, les destructions de la guerre, l’encerclement des forces hostiles, le sabotage et le terrorisme contre-révolutionnaire, trouve sous la direction du Parti Communiste cette force humaine qui en fera, pendant plus de trente ans, une locomotive puissante lancée vers la réalisation du droit et du devoir de tous à vivre et à travailler dans le bonheur et la dignité, vers la société sans classes, vers le Communisme.

Evocation : la libération d’Auschwitz et la victoire sur le nazisme

L’anniversaire de la libération des camps est l’occasion d’une vaste campagne d’occultation du rôle de l’Armée rouge dans la libération de l’Europe. Le fait que la première grande défaite allemande (le coup d’arrêt devant Moscou, qui allait être suivi d’une grande contre-offensive soviétique) ait eu lieu avant l’entrée en guerre des Etats-Unis est largement passé sous silence. Pourtant, au moment où l’aviation japonaise attaquait la base américaine, le 7 décembre 1941, l’Armée rouge, traversant la Volga gelée, menait une contre-offensive décisive vers Kalinine, Solniétchnogorsk et Kline. C’est l’Armée rouge qui a vaincu le nazisme, libéré Auschwitz, et pris Berlin. C’est pour évoquer cette libération que les deux textes suivants ont été choisis. Le premier poème a été écrit par Maurice Honel, détenu à Auschwitz entre 1943-1945, qui a échappé aux chambres à gaz en travaillant dans un « kommando » de production.

DANSE AU KOMMANDO HOLTZMANN

Dans le brouillard de septembre
Il y avait la brume du soir.

Dans la poussière du ciment
Il y avait l’œil hagard des hommes aux faces inutiles.

Dans l’œil fixe des projecteurs
Il y avait cinquante kilos sur les dos indispensables.

Il y avait le froid sec qui claque des dents
La faim qui fait bâiller le ventre
Les souvenirs de ceux qui marchaient encore avec une nourrice
La certitude que donne la bonne foi du vertige
Il y avait la pelle des trous sans fond
La grue suceuse
Les wagonnets du mouvement perpétuel
Le capo qui fumait notre pain pour quatre
Le charbon détaché de la mine
Notre adhésion aux profondeurs électrifiées du camp
Dans le monde du tant pour cent
Nous étions vingt pour mille
Restés vivants
Moins-values débiles

A danser dans le brouillard de septembre
Dans le charbon perpétuel
Au cirque des crématoires.

Le poème suivant a été écrit en 1941 par le poète, romancier et correspondant de guerre soviétique Constantin Simonov (plusieurs décorations militaires gagnées au front, et six prix Staline de littérature). Ce n’est pas un poème politique. C’est un poème que nous publions en hommage aux soldats soviétiques parce qu’il a connu chez eux un succès immense. Il a été publié et republié sur le front dans d’innombrables journaux d’unité, et imprimés sur des feuilles volantes à la demande des milliers de soldats qui en voulaient un exemplaire.

ATTENDS-MOI !

Attends-moi, attends sans cesse,
Résistant au sort ;
Par la pluie et la tristesse,
Attends-moi encor !
Attends-moi par temps de neige
Et par les chaleurs ;
Lorsque les regrets s’allègent
Dans les autres cœurs,
Quand, des lointaines contrées,
Sans lettre longtemps,
Le silence et la durée
Lasseront les gens.

Attends-moi, attends sans cesse
Et sans te lasser ;
Sois pour ceux-là sans faiblesse
Qui diront « Assez ! »
Quand mon fils, ma mère tendre
Acceptant le sort,
Quand mes amis, las d’attendre,
Disant « Il est mort »,
Boiront le vin funéraire,
Assis près du feu,
Ne bois pas la coupe amère
Trop tôt avec eux !

Quand, fidèle à ma promesse,
Revenant un soir,
Je narguerai la mort, laisse
Dire « Le veinard ! »
Ceux qui sont las de l’attente
Ne sauront point, va
Que des flammes dévorantes
Ton cœur me sauva.
Nous deux, seuls, pourrons comprendre
De quelle façon
J’ai survécu pour me rendre
Dans notre maison.

Défilé de la victoire le 24 juin 1945 à Moscou

Défilé de la victoire le 24 juin 1945 à Moscou

Solidarité avec les mineurs marocains !

Le procès en appel des quatorze grévistes des mines de la SACEM (Société Anonyme Chérifienne d’Études Minières) a repris à la cour d’appel de Ouarzazate. Le jeudi 13 janvier 2005, un premier procès s’était conclu sur la condamnation de six des quatorze inculpés à 10 ans de prison pour « entrave à la liberté du travail » et « coups et blessures entraînant la mort sans intention de la donner ».

Ces procès font suite aux violents incidents qui avaient éclatés le 15 avril 2004 entre briseurs de grève et ouvriers des mines de la SACEM de la région d’Imini. Un conflit social avait commencé en octobre 2002, lorsque la direction de la SACEM a annoncé l’institution du travail à temps partiel dans la mine. Un piquet de grève avait été organisé. C’est pour disperser ce piquet que la direction a alors recruté une milice de briseurs de grève : 120 vagabonds, mineurs d’âge, repris de justice ou, simplement, pauvres d’entre les pauvres, tous étrangers à la mine, ont été entassé dans des camions de l’entreprise. Débarqués aux abords du piquet, ils ont été poussé par le directeur local des mines à attaquer le sit in de 134 personnes formant le piquet. Des pierres ont alors été lancées sur les grévistes et leurs familles. Dans les heurts qui ont suivi, un membre du commando patronal, Ahmed Berkoni, a été blessé. Il est décédé à l’hôpital à l’occasion de ce tout désigne comme une erreur médicale (sa fiche indique qu’il a été opéré sans qu’ait été pris en compte un taux de glycémie de 3.35 mg/l).

Le premier procès des incidents du 15 avril 2004 a été une parodie de justice, qui a mis en évidence la collusion des actionnaires de la SACEM, du gouvernement, des grosses fortunes du pays, de la direction moyenâgeuse des mines et d’une justice aux bottes de l’exécutif. Des membres du commando patronal ont rapporté que l’ex-directeur local de la SAGEM leur avait proposé, le 17 avril 2004, 3.000 dirhams pour affirmer que Mohamed Khouya était présent au piquet de grève et qu’il avait agressé Ahmed Berkoni. Ces témoins ont ajouté que les deux témoins de l’accusation étaient avec eux lorsqu’on leur avait fait cette proposition, et qu’ils s’étaient, eux, laissés acheter. C’est sur ces deux faux témoignages (et sur l’occultation de tous les témoignages concordant à innocenter Mohamed Khouya et ses camarades) que la condamnation de janvier avait été fondée. Mohamed Khouya milite de l’Association Marocaine des Droits de l’Homme, syndicaliste à la Confédération Démocratique du Travail, il est également conseiller communal GSU à la commune d’Amerzgane. Mohamed Khouya était depuis longtemps dans le collimateur de la direction de la SACEM. Il a aussitôt été arrêté et mis en détention. Du 29 décembre 2004 au 13 février 2005, Mohamed Khouya a mené une grève de la faim pour protester de son innocence et dénoncer le caractère arbitraire de son arrestation.

La solidarité avec les inculpés a été large. Des comités locaux et régionaux de soutien se sont constitués. Une délégation de l’Association des Mineurs Marocains en France a assisté au premier procès et a témoigné à son retour de l’horreur des réalités marocaines. Le froid, la faim qui frappe les familles des mineurs dans 1a région d’Imini contraste avec le protocole somptueux de la visite royale à Ouarzazate. En l’absence de couverture médicale, la situation sanitaire des mineurs et de leurs familles est alarmante ; au cours des deux derniers mois deux mineurs sont décédés par cause d’absence de soin médical sur place. Les mineurs d’Imini et leurs familles continuent à vivre sous le traumatisme des événements du 14 avril 2004. Les forces auxiliaires sont toujours en poste et les travailleurs continuent de vivre dans la crainte de perdre leur travail. Après l’arrestation de leur conseiller communal, tous les habitants du village de Boutazoulte, plus de cent familles, ont été déportés de force de leurs maison et contraints à vivre dans le village de Timkit, dans une concentration de baraques noyées dans la fumée de manganèse de l’unité de traitement située à quelques dizaines de mètres de là.

Texte classique

Cet article de Lénine a été publié alors que les dirigeants socialistes trahissaient la cause du prolétariat en secondant leurs gouvernements dans la première guerre impérialiste mondiale (l’article est paru le 23 août 1915 dans le n°44 du journal clandestin Le Social-Démocrate, journal du Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie). A l’heure où le débat sur la Constitution européenne bat son plein, à la faveur du référendum en France, l’actualité de ce document, ne nécessite pas de long commentaire — n’était le remplacement du colonialisme par le néo-colonialisme. La Conférence dont il est question au premier paragraphe est la Conférence de Berne du P.O.S.D.R. qui adopta les thèses de Lénine sur la guerre, l’impérialisme et la révolution.

Lénine : A propos du mot d’ordre des Etats-unis d’Europe

Dans le n°40 du Social-Démocrate nous annoncions que la Conférence des sections de notre Parti à l’étranger avait décidé d’ajourner la question relative au mot d’ordre des « Etats-Unis d’Europe », tant que l’aspect économique du problème n’aurait pas été examiné dans la presse.

Les débats sur cette question avaient pris à notre conférence un caractère exclusivement politique. Cela tenait peut-être en partie à ce que le manifeste du Comité central avait formulé expressément ce mot d’ordre comme un mot d’ordre politique (« le mot d’ordre politique immédiat… », y est-il dit) ; non seulement il préconisait les Etats-Unis républicains d’Europe, mais il soulignait tout spécialement que, « sans le renversement révolutionnaire des monarchies allemande, autrichienne et russe », ce mot d’ordre était absurde et mensonger.

II serait totalement erroné de s’élever contre cette façon de poser la question dans les limites d’une appréciation politique de ce mot d’ordre, par exemple en lui reprochant d’estomper ou d’affaiblir, etc., le mot d’ordre de la révolution socialiste. Les transformations politiques dans un sens véritablement démocratique, et à forte raison les révolutions politiques, ne peuvent jamais, en aucun cas, quelles que soient les conditions, ni estomper, ni affaiblir le mot d’ordre de la révolution socialiste. Au contraire, elles ne font jamais que rapprocher cette dernière en élargissant sa base, en entraînant dans la lutte pour le socialisme de nouvelles couches de la petite bourgeoisie et des masses semi-prolétariennes. Par ailleurs, les révolutions politiques sont inévitables au cours de la révolution socialiste, qui ne doit pas être considérée comme un acte unique, mais comme une époque orageuse de bouleversements politiques et économiques, de lutte de classes très aiguë, de guerre civile, de révolutions et de contre-révolutions.

Mais si le mot d’ordre des Etats-Unis républicains d’Europe, formulé en liaison avec le renversement révolutionnaire des trois monarchies les plus réactionnaires d’Europe, la monarchie russe en tête, est absolument inattaquable en tant que mot d’ordre politique, on se heurte encore à une question éminemment importante, celle du contenu et de la portée économiques de ce mot d’ordre. Du point de vue des conditions économiques de l’impérialisme, c’est-à-dire de l’exportation des capitaux et du partage du monde par les puissances coloniales « avancées » et « civilisées », les Etats-Unis d’Europe sont, en régime capitaliste, ou bien impossibles, ou bien réactionnaires.

Le capital est devenu international et monopoliste. Le monde se trouve partagé entre une poignée de grandes puissances, c’est-à-dire de puissances qui s’enrichissent en pillant et en opprimant les nations sans retenue. Quatre grandes puissances européennes: l’Angleterre, la France, la Russie et l’Allemagne, avec une population de 250-300 millions d’habitants, et une superficie de près de 7 millions de kilomètres carrés, possèdent des colonies dont la population est d’environ un demi-milliard d’hommes (494,5 millions), et la superficie de 64,6 millions de kilomètres carrés, soit près de la moitié du globe (133 millions de kilomètres carrés, sans la région polaire). Ajoutez à cela trois pays d’Asie : la Chine, la Turquie et la Perse, actuellement dépecées par des forbans qui mènent une guerre « émancipatrice » : le Japon, la Russie, l’Angleterre et la France. Ces trois pays asiatiques, que l’on peut qualifier de semi-coloniaux (en réalité, ils sont maintenant, pour les neuf dixièmes, des colonies), comptent 360 millions d’habitants et 14,5 millions de kilomètres carrés de superficie (c’est-à-dire près d’une fois et demie la superficie de toute I’Europe).

Poursuivons. L’Angleterre, la France et l’Allemagne ont placé à l’étranger un capital d’au moins 70 milliards de roubles. Pour percevoir le bon petit profit « légitime » que rapporte cette somme rondelette, — profit qui dépasse trois milliards de roubles par an, — il existe des comités nationaux de millionnaires, appelés gouvernements, qui sont dotés d’une armée et d’une marine de guerre et qui « installent » dans les colonies et semi-colonies les fils et les frères de « Monsieur Milliard », en qualité de vice-rois, de consuls, d’ambassadeurs, de fonctionnaires de toutes sortes, de prêtres et autres sangsues.

Ainsi est organisée, a l’époque du développement ultime du capitalisme, la spoliation par une poignée de grandes puissances de près d’un milliard d’habitants du globe. Et, en régime capitaliste, toute autre organisation est impossible. Renoncer aux colonies, aux « sphères d’influence », à l’exportation des capitaux ? Y songer serait descendre au niveau du curé de campagne qui, tous les dimanches, prêche aux riches la majesté du christianisme et leur recommande de donner aux pauvres… sinon quelques milliards, du moins quelques centaines de roubles par an.

Les Etats-Unis d’Europe, en régime capitaliste, équivaudraient à une entente pour le partage des colonies. Or, en régime capitaliste, le partage ne peut avoir d’autre base, d’autre principe, que la force. Un milliardaire ne peut partager le « revenu national » d’un pays capitaliste avec qui que ce soit, autrement qu’« en proportion du capital » (et encore avec cet additif que le plus gros capital recevra plus qu’il ne lui revient). Le capitalisme, c’est la propriété privée des moyens de production et l’anarchie de la production. Prêcher le partage « équitable » du revenu sur cette base, c’est du proudhonisme, du béotisme de petit bourgeois et de philistin. On ne peut partager autrement qu’en fonction d’un « rapport de forces ». Or, le rapport des forces varie au cours de l’évolution économique. Après 1871, l’Allemagne s’est renforcée trois ou quatre fois plus vite que l’Angleterre et la France; le Japon, dix fois plus vite que la Russie. Pour mesurer la force réelle d’un Etat capitaliste, il n’y a et il ne peut y avoir d’autre moyen que la guerre. La guerre n’est pas en contradiction avec les principes de la propriété privée ; elle en est le développement direct et inévitable. En régime capitaliste, le développement égal des différentes économies et des différents Etats est impossible. Les seuls moyens possibles, en régime capitaliste, de rétablir de temps en temps l’équilibre compromis, ce sont les crises dans l’industrie et les guerres en politique.

Certes, des ententes provisoires sont possibles entre capitalistes et entre puissances. En ce sens, les Etats-Unis d’Europe sont également possibles, comme une entente des capitalistes européens… dans quel but ? Dans le seul but d’étouffer en commun le socialisme en Europe, de protéger en commun les colonies accaparées contre le Japon et l’Amérique, gravement lésés dans l’actuel partage des colonies et qui se sont renforcés au cours de ces cinquante dernières années infiniment plus vite que l’Europe monarchique arriérée, qui pourrit déjà de vieillesse. Comparée aux Etats-Unis d’Amérique, l’Europe dans son ensemble est synonyme de stagnation économique. Sur la base économique d’aujourd’hui, c’est-à-dire en régime capitaliste, les Etats-Unis d’Europe signifieraient l’organisation de la réaction en vue de retarder l’évolution plus rapide de l’Amérique. Les temps sont à jamais révolus où la cause de la démocratie et celle du socialisme étaient liées uniquement à l’Europe.

Les Etats-Unis du monde (et non d’Europe) sont la forme politique d’union et de liberté des nations que nous rattachons au socialisme en attendant que la victoire totale du communisme amène la disparition définitive de tout Etat, y compris l’Etat démocratique. Toutefois, comme mot d’ordre indépendant, celui des Etats-Unis du monde ne serait guère juste, d’abord parce qu’il se confond avec le socialisme ; en second lieu, parce qu’il pourrait conduire à des conclusions erronées sur l’impossibilité de la victoire du socialisme dans un seul pays et sur l’attitude du pays en question envers les autres.

L’inégalité du développement économique et politique est une loi absolue du capitalisme. Il s’ensuit que la victoire du socialisme est possible au début dans un petit nombre de pays capitalistes ou même dans un seul pays capitaliste pris à part. Le prolétariat victorieux de ce pays, après avoir exproprié les capitalistes et organisé chez lui la production socialiste, se dresserait contre le reste du monde capitaliste en attirant à lui les classes opprimées des autres pays, en les poussant à s’insurger contre les capitalistes, en employant même, en cas de nécessité, la force militaire contre les classes exploiteuses et leurs Etats. La forme politique de la société où le prolétariat triomphera en renversant la bourgeoisie sera une république démocratique, centralisant de plus en plus les forces du prolétariat d’une nation ou de plusieurs dans la lutte contre les Etats qui ne sont pas encore passés au socialisme. La suppression des classes est impossible sans la dictature de la classe opprimée, du prolétariat. La libre union des nations sous le socialisme est impossible sans une lutte opiniâtre, plus ou moins longue, des républiques socialistes contre les Etats retardataires.

C’est pour ces raisons et à la suite de nombreuses discussions sur ce point, pendant et après la Conférence des sections du P.O.S.D.R. à l’étranger, que la rédaction de l’Organe central en est venue à considérer comme erroné le mot d’ordre des Etats-Unis d’Europe.


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