Je suis Roberto Peci. Je suis dans une prison du peuple pour les erreurs que j’ai commises. J’ai décidé de tout expliquer en cherchant à faire la clarté. Je sais très bien qu’en ce moment je suis gênant pour les carabiniers, et je suis sûr qu’ils préféreraient que je sois mort. En lisant les journaux, on voit clairement que l’on veut mon silence, mais au contraire, non, je me rebelle et je dis la vérité, parce que ceci est l’unique geste de dignité et de bon sens. Même si je comprends qu’après cette lettre, je serais définitivement abandonné par l’État, je ne ferais pas marche arrière.
Je veux cependant dire que la tentative politique de faire conclure rapidement ce procès par mon exécution est vraiment répugnante. Les masques commencent à tomber, et je reconnais maintenant très clairement le pouvoir et ceux qui le gèrent. Je remercie ma femme qui dans sa lettre, m’a fait comprendre qu’il était l’heure de rendre à chacun sa part de responsabilité.
Les choses se sont déroulées ainsi :
Mon frère téléphonait parfois à la maison. De telle manière que vers mai 1979, un dimanche, aux environs de 9 heures, il téléphona et dit à ma mère qu’il était fatigué, qu’il en avait marre et qu’il se sentait à la dérive. Il pleura plusieurs fois en disant toutes ces choses. Les carabiniers interceptèrent la communication et la passèrent à un psychologue, qui l’analysa. Il conclut que Patrizio était entrain de lâcher prise et était en pleine crise. Il ne téléphona plus durant 4 ou 5 mois.
Vers les débuts d’octobre 1979, il retéléphona chez ma sœur Ida, je crois un après-midi, et lui dit, toujours avec un air très abattu, qu’il était las, et que tôt ou tard il serait arrêté et qu’il n’attendait que cela. Ma sœur chercha à le tranquilliser, mais remarqua très bien sa faiblesse et la crise profonde qu’il était en train de vivre.
Vers la fin octobre 1979, je fus arrêté pour l’histoire de la Confapi d’Ancona. Alors, mon frère téléphona chez ma sœur pour savoir comment j’étais, faisant les habituels discours et pleurent. À la prison de Fossombrone, j’eus plusieurs crises de nerfs, il me fallait tous les jours beaucoup de tranquillisants. Quand je fus interrogé, je niais tout. Mais, une fois terminé l’interrogatoire, trois carabiniers d’Ancona, parmi lesquels le capitaine Tucci Nicola, voulurent parler avec moi. Ils voulaient savoir où se trouvait Patrizio, mais je répondis que je ne le savais pas. Ils me dirent qu’ils savaient que mon frère téléphonait parfois chez nous, et qu’il était en crise, ils me dirent qu’il valait mieux qu’ils l’arrêtent tout de suite, parce que sinon il mourrait dans une quelconque fusillade, vu qu’il n’avait plus tout son sang-froid et sa lucidité.
Je répondis que je verrais ce que je pourrais faire, et suite à cette approbation tacite, je sortis le 2 décembre 1979.
Patrizio téléphona vers le 10 décembre. Je lui racontais ce que m’avaient dit les carabiniers. Il me dit qu’il rappellerait le lendemain chez un parent et que nous en parlerions. Le parent était un oncle. Le jour suivant, il nous appela ponctuellement et nous fixa un rendez-vous pour le 13 à 9 heures, à la gare de Turin, à côté des taxis. Nous en discutâmes à la maison et nous décidâmes que ma sœur Ida et moi, nous irions voir le maréchal Ceneri à San Benedetto pour obtenir des garanties et que nous ferions arrêter mon frère. Ceneri nous dit de repasser quelques heures plus tard, car il devait donner des coups de téléphone avec Dalla Chiesa, qui me dit que nous avions sa parole d’honneur qu’il arrêterait mon frère vivant, et que sa parole était reconnue même par ses ennemis. Alors, nous lui donnâmes le rendez-vous.
Deux ou trois jours passèrent, et vu que nous ne savions rien, nous téléphonâmes à Ceneri qui nous dit : il est en prison, ne vous préoccupez pas, il est bien, mais pendant quelques temps vous ne pourrez le voir, c’est la pratique. Nous attendîmes presque un mois avant de repartir à l’attaque. Suite à quoi, vers le 15 janvier, je téléphonai à Turin au juge Caselli, et lui dit : je voudrais avoir des nouvelles de Peci, je voudrais avoir une rencontre, cela fait maintenant plus d’un mois qu’il est arrêté. Caselli me répondit : je ne sais rien des choses dont vous me parlez, je ne suis pas au courant. Je lui dis alors que mon frère avait été arrêté à la gare de Turin sur nos indications. Il me dit que cela lui semblait étrange et qu’il n’en savait rien. Je me retrouvais très mal, et je donnais d’autres coups de téléphone à Turin. Je cherchais Bernardi, Griffei, Lauda, mais ils se dérobèrent toujours. Je téléphonais alors à Ceneri, qui me dit de rester calme que notre famille pourrait bientôt rencontrer Patrizio.
Nous nous tranquillisâmes un peu. C’est alors que, vers la mi-février, la radio annonça l’arrestation de Patrizio. Je téléphonais à la caserne de via Valfrè à Turin, où la radio avait dit que se trouvait Patrizio, mais ils me répondirent qu’ils ne pouvaient rien me dire. Je téléphonais à Caselli, qui me dit que mon frère n’avait besoin de rien, qu’il avait choisi l’avocat Arnaldi. Et il ne me dit rien de plus, prenant l’air de rien sur l’autre coup de téléphone. Nous téléphonâmes à Arnaldi et lui aussi nous dit que les visites étaient impossibles, et qu’il nous avertirait au cas où il y aurait des possibilités.
Comme l’instruction se faisait à Turin, nous y allâmes, ma sœur Ida et moi, emportant une valise avec des affaires pour mon frère. Puis, nous allâmes chez Caselli, qui nous refusa encore une fois une visite. L’unique chose que je puisse vous donner, nous dit-il, est un permis pour remettre cette valise à Cuneo, ce que nous fîmes. Nous réussîmes à faire la première visite à Pescera tout de suite après Pâques.
Les choses s’étaient déroulées ainsi :
Mon frère fut arrêté autour du 13 décembre, vers 9 heures du matin, alors qu’il se trouvait vers la balustrade des taxis à la gare de Turin, par 6 ou 7 carabiniers. Ils lui sautèrent dessus et l’emmenèrent dans un appartement civil de Turin, où il fut maltraité. Vers midi, il se déclara disposé à parler. Deux ou trois heures plus tard, Dalla Chiesa arriva avec un carabinier des Marches qui le reconnut formellement. Plus Dalla Chiesa commença à traiter avec lui. Il lui dit que s’il disait tout, il sortirait dans peu de mois, avec de l’argent et un travail à l’extérieur. Ce jour-là, Patrizio dit tout sur la colonne turinoise.
Une fois l’interrogatoire terminé, Dalla Chiesa lui dit : retourne faire ce que tu faisais avant, cherche à rencontrer le plus de gens possible, nous te suivrons. Patrizio lui dit alors : et si je devais faire quelque action ? Ils lui répondirent : fais-la et ne te préoccupes pas, ce que nous faisons est beaucoup plus important. Nous te ferons savoir quand nous devrons t’arrêter officiellement. Ils le suivirent et, vers le 10 février, un carabinier s’approcha de Patrizio et lui dit qu’ils devaient absolument l’arrêter très rapidement, parce qu’à Rome, on avait sû qu’il avait été intercepté et que l’on voulait qu’il soit arrêté. Patrizio lui répondit qu’il avait rendez-vous trois jours plus tard avec Micaletto, et que pour lui ça irait bien.
Je voudrais faire une remarque sur le juge Caselli de Turin. Peut-être que lorsque je lui ai téléphoné, il ne savait rien de l’arrestation de Patrizio, mais, ensuite, il était clair qu’il s’était renseigné, et, selon moi, il a voulu lui aussi gérer la chose. Ce n’est pas une donnée certaine, mais c’est la logique qui me conduit à le penser. Après le coup de téléphone que je lui passai, il a certainement tout su, et il a géré la chose au niveau politique. Aussi, parce qu’il a toujours été très compréhensif à l’égard de Patrizio, et qu’il lui a souvent donné des conseils sur comment il devait se comporter dans certaines situations.
Quand il a été arrêté, Patrizio a été emmené à la caserne des carabiniers de via Valfrè, où il a été mis dans une cellule de sécurité. Ils ne le laissèrent pas dormir. Quand ils voyaient qu’il fermait les yeux, ils commençaient à faire du bruit. Quand ils lui portaient à manger, ils crachaient dans son plat. Puis, à chaque fois qu’ils entraient dans la cellule, ils lui pointaient un pistolet au front et lui disaient : maintenant, nous tirons. Ceci durant une semaine, durant laquelle il demanda à parler avec Dalla Chiesa, qui ne vînt pas. Il fut emmené à Cuneo, où il réclama encore Dalla Chiesa, qui ne vînt pas. 25 jours environ après son arrestation, après qu’il ait subi le procès pour détention d’armes, il demanda le général qui vînt en lui disant qu’il avait des problèmes politiques et qu’il avait besoin de quelque chose de gros, pour aller trouver les politiciens à Rome et entamer les tractations. Patrizio lui dit que via Fracchia, il trouverait des éléments importants des B.R. Le général lui dit qu’il fallait faire du bruit si l’on voulait que les politiciens donnent des garanties, à la suite de la collaboration de Patrizio avec les carabiniers. Et aussi que, en faisant une opération aussi importante seulement à ce moment, personne ne se douterait des deux arrestations.
Dalla Chiesa prépara l’opération de via Fracchia. À peine fut-elle terminée qu’il alla à Rome parler avec Cossiga et Pertini, lesquels s’employèrent à faire rapidement une loi sur les repentis. Cossiga et Pertini dirent aussi qu’ils étaient d’accord pour faire avoir à Patrizio un travail à l’extérieur, avec de l’argent pour se ranger.
Dalla Chiesa retourna voir Patrizio et lui dit que tout était au point, que les politiciens étaient d’accord. C’est ainsi que commencèrent les confessions-fleuve de Patrizio, d’abord aux carabiniers, puis au juge Caselli. À un moment où mon frère n’était pas interrogé, trois personnes se présentèrent, disant appartenir à la D.I.G.O.S. Ils dirent à Patrizio que, s’il leur disait les choses qu’il savait, ils le feraient évader le lendemain avec 500 millions. Mon frère refusa, parce qu’il était convaincu qu’ils l’auraient tué lors qu’il s’enfuyait.
Il raconta tout au capitaine Pignero, qui se mit vraiment en colère, tant et si bien qu’il partit immédiatement en disant : maintenant que j’y pense, c’est trop facile, c’est nous qui travaillons et les autres arrivent et veulent tout prouver sur un plateau. Patrizio sut ensuite qu’il y a eu à cette époque une certaine tension entre les sommets de la D.I.G.O.S. et les carabiniers. Patrizio fut géré par Dalla Chiesa, le capitaine Pignero et Caselli, qui sont souvent allés le trouver ensemble pour lui donner des conseils sur comment justifier son repentir. Patrizio ne m’a jamais dit s’être repenti, mais que c’étaient ces trois personnes qui voulaient qu’il se donne cette étiquette. Toutes les interviews et les choses qu’il a dites aux journaux sont passées à travers Dalla Chiesa et Caselli, qui y ont souvent apporté des corrections, particulièrement à l’interview à Panorama.
Immédiatement après Pâques, Patrizio fut emmené à Pescara, où nous allâmes tout de suite le voir, moi, ma mère et mon père. Nous discutâmes et il me demanda un service, celui de téléphoner à sa ex-copine et de lui dire de quitter Turin, dans la mesure où, si lui ne l’avait pas accusée, il y avait des raisons de penser que quelqu’un s’apprêtait à parler. Chose que nous fîmes, moi et ma sœur Ida. Nous lui téléphonâmes et nous la fîmes venir à Ascoli Piceno. Nous lui expliquâmes la chose, mais elle dit ne pas être d’accord et préférer se constituer prisonnière, ce que nous lui conseillâmes.
J’eus d’autres discussions avec d’autres camarades, en restant toutefois sur des positions prudentes. Bien sûr, j’étais pessimiste sur le fait que la lutte armée puisse continuer, mais évidemment, je me suis complètement trompé. Je n’ai jamais donné ou autorisé, ou signé une quelconque interview, ni même celle au Corriere della Sera.
Je suis sorti de la lutte armée il y a cinq ans, parce que je ne pouvais plus continuer, et parce que, étant donné que j’avais un frère en fuite, j’avais peur d’être arrêté de nouveau, comme me l’avaient dit les carabiniers quand j’avais été arrêté pour l’histoire de la Confapi, et aussi parce qu’à chaque perquisition qu’ils faisaient à la maison, les carabiniers menaçaient, même devant ma mère, d’abattre mon frère dès qu’ils le trouveraient. Puis aussi parce que, quand il nous téléphonait, lui aussi avait dit plusieurs fois qu’il attendait son arrestation comme une libération.
Je me rends compte que je me suis trompé, et pour cela, je m’en remets au jugement du prolétariat, j’espère en sa magnanimité, qui a déjà été démontrée plusieurs fois. Toutefois, je me rends aussi compte que tout ce que j’ai fait a suivi un plan scientifique, mis au point par Dalla Chiesa, Pignero, Caselli, un plan monstrueux, un plan qui a été étudié, calculé et mesuré.
Les vrais coupables sont ces personnes, qui ont joué avec le cerveau de quelques camarades plus faibles. J’ai été instrumentalisé sans m’en rendre vraiment compte. Il y a seulement peu de temps que je me suis aperçu des jeux politiques qu’il y avait derrière nous. Les repentis n’existent pas, il s’agit seulement de camarades plus faibles qui ne veulent pas assumer leurs responsabilités, et qui se sont fait manœuvrer comme des marionnettes, moi y inclus. Cependant, les marionnettistes sont rusés, c’est un trio qui travaille en parfait accord, et c’est peut-être pour cela qu’ils ont réussi à obtenir quelques résultats. « La lutte armée est battue » est un slogan des carabiniers, qui ont obligé les traîtres à le diffuser dans tout le prolétariat, en cherchant à créer la confusion parmi les camarades qui luttent encore.
C’est pour cela que j’ai parlé, que j’ai décidé tout dire, et aussi parce que, à travers les campagnes de presse et par mes déductions personnelles, je me suis aperçu qu’il aurait été pratique que je sois mort tout de suite. Je sais très bien que même ma famille, ma femme comprise, aura quelques difficultés à m’aider, parce qu’elle devra admettre une vérité brûlante et scandaleuse.
Peci Roberto