hortensio-felix-paravicino.jpgLe baroque espagnol est l’un des sujets les plus difficiles à interpréter. Le baroque prend son élan à un moment où l’Espagne est déjà devenue un bastion catholique, tant de par la grande opération de « reconquista » (reconquête) idéologique d’un territoire repris définitivement aux Arabes en 1492, que par la « découverte » cette même année de l’Amérique, avec la colonisation qui s’ensuit, marquée bien entendu par les opérations des missionnaires.

L’Espagne, comme l’Italie, a donc totalement évité la vague protestante ; elle a connu ce qui est appelé un « siècle d’or » de par la vigueur de la monarchie espagnole maintenant une féodalité complète, et ainsi le baroque est devenu un des vecteurs de l’affirmation nationale espagnole.

On ne saurait comprendre des artistes du XXe siècle comme Antoni Gaudi, Pablo Picasso ou Salvador Dali sans voir cet arrière-plan : l’Espagne est née à travers l’inquisition, à travers une monarchie très puissante s’érigeant avec une brutalité extrême, sans le raffinement de la monarchie absolue de Louis XIV alliée à la bourgeoisie.

On retrouve ici la fameuse domination sur l’Europe de l’empire de Charles Quint (1500-1558), comprenant les couronnes de Castille et d’Aragon, l’Autriche et la Bohême-Moravie, la Hongrie et les Pays-Bas bourguignons et espagnols, le duché de Milan et le royaume de Naples, etc. Il va de soi que cela a posé par la suite des problèmes terribles dans le processus d’unification nationale de l’Espagne.

Car cette tendance historique est si forte que le baroque va être avalé nationalement. Le baroque n’est pas inventé comme arme comme en Italie, ou utilisé comme en Autriche : il est avalé nationalement.

La grande figure de cette étape est bien entendu ici le grec Domínikos Theotokópoulos dit El Greco (1541 – 1614), à l’origine de la peinture espagnole. Voici son fameux L’Enterrement du comte d’Orgaz, ainsi que deux représentations de Saint François d’Assise et une autre du grand Inquisiteur Don Fernando Niño de Guevara,

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Il faut également penser à Francisco de Zurbarán (1598–1664), dont voici Saint François d’Assise à genoux, Saint Sérapion et enfin La Vierge enfant.

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Il y a également Diego Velázquez (1599 – 1660). Voici Adoration des Mages, Déjeuner de paysan, Portrait de sœur Jerónima de la Fuente, et enfin L’Infante Marguerite en bleu.

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Tout ce processus de baroque comme « drapeau national » aboutit même à deux tendances. La première est appelée « culteranismo » ou encore « gongorismo », ayant Luis de Góngora y Argote (1561-1627) comme fondateur, la seconde « conceptismo » dont le représentant principal est la grande figure du baroque Francisco de Quevedo (1580-1645), avec comme théoricien le jésuite Baltasar Gracián (1601-1658), auteur notamment de Agudeza y arte del ingenio (« Art et figures de l’esprit »).

Le « culteranismo » est une démarche ultra-esthétisante, avec utilisation systématique d’images difficiles à décrypter, de symboles dont le sens doit être deviné ; par exemple pour dire qu’il s’agit du printemps, il sera dit « Era del año la estación florida » (« C’est, de l’année, la saison florale »).

Cette forme littéraire, poétique, deviendra de plus en plus hermétique et obscur. En France, on doit penser à la littérature de la préciosité et celle du symbolisme formulé par Stéphane Mallarmé.

A l’opposé de cet élitisme intellectuel, le « conceptismo » utilise un vocabulaire simple, mais dont le sens devient incompréhensible en raison de mouvements incessants : on est là directement dans le baroque, la conception de la vanité de la vie. Voici un sonnet de Francisco de Quevedo :

« J’ai regardé les murs de ma patrie,gongora.jpg
un temps puissants, déjà démantelés,
par la course de l’âge exténués
qui voue enfin leur vaillance à l’oubli;

je sortis dans les champs, le soleil vis
qui buvait l’eau des glaces déliées,
et dans les monts les troupeaux désolés,
le clair du jour par leurs ombres ravi.

J’entrai dans ma maison, je ne vis plus
que les débris d’un séjour bien trop vieux;
et mon bâton plus courbé et moins fort.

J’ai senti l’âge et mon épée vaincue,
et n’ai trouvé pour reposer mes yeux
rien qui ne fût souvenir de la mort. »

Cette « subtilité » pratiquement existentialiste devint un style en soi, et son théoricien Baltasar Gracián fut valorisé par les philosophes pessimistes Arthur Schopenhauer et Friedrich Nietzsche. On ne saurait comprendre le franquisme, le mysticisme espagnol, sans voir l’importance de cette approche.


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