Les choses changent, se modifient ; parfois elles n’existaient pas auparavant. Il faut qu’Aristote explique cela et il ne suffit pas de dire qu’un moteur premier, sorte de Dieu – mouvement, permet tout cela. Il ajoute donc deux concepts à celui de matière et de forme. Le premier, c’est celui d’acte, le second c’est celui de puissance.

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La puissance est secondaire comme concept, parce qu’elle signifie qu’un acte est potentiellement réalisable. Mais qu’est-ce qu’un acte ? C’est la réalisation concrète justement de ce qui était en puissance. On tourne en rond et c’est inévitable, car c’est le moyen qu’a trouvé Aristote pour justifier la rationalité de la réalité.

Pour lui, chaque chose s’accomplit et c’est là le sens de son existence ; reflétant la conception passive du scientifique propre à un mode de production esclavagiste, il admire cela et y voit le sens de la vie, et il se dit que si cela s’accomplit, c’est que cela a été fait pour s’accomplir.

On a, au-delà de la vision non dialectique, une véritable affirmation de la beauté de l’existence naturelle, matérielle ; c’est un regard authentiquement apaisé, serein, qui se pose sur le monde reconnu dans toute sa dignité.

Ne connaissant pas le mouvement intérieur, il a donc par contre eu besoin de rationaliser le mouvement depuis l’extérieur. Si une chose est faite, c’est dans un but ; la réalisation de ce but avec succès est l’accomplissement de la chose en tant qu’acte. Le concept appelé « en acte » devient nécessairement central dans son dispositif intellectuel.

Si l’on prend par exemple une maison, c’est une certaine matière (les briques, le bois, les pierres, etc.) ; cette matière est disposée d’une certaine manière, c’est la forme. Et en tant qu’acte, une maison est un abri.

Dans le huitième livre, Êta (Η), Aristote souligne qu’il faut faire attention à une telle distinction, pas forcément aisée à cerner :

« Il faut prendre garde que, dans quelques cas, on ne voit pas bien si le nom de la chose exprime la substance composée de la forme et de la matière, ou s’il exprime l’acte et la forme. Par exemple, on ne voit pas si le mot Maison signifie, en commun et tout ensemble, un abri formé de briques, de bois et de pierres, arrangés dans telle disposition ; ou si ce mot signifie seulement l’acte et la forme, c’est-à-dire que la maison est un abri. »

Aristote appelle « entéléchie », un mot qu’il a inventé à partir du mot « parfait » en grec, cet accomplissement complet, absolu, d’un acte. L’entéléchie est en fait ni plus ni moins qu’un acte correspondant parfaitement à la nature de la chose en acte. Cette réalisation fait d’elle ce qu’elle devait être. C’est une lecture que l’on peut qualifier de vitaliste.

D’où la formule qu’on trouve dans le livre VIII, Êta (Η) :

« Il n’y a donc pas d’autre cause de l’unité que la cause motrice, qui fait passer l’être de la puissance à l’acte. »

La conception d’Aristote, c’est que l’être de chaque chose, c’est son accomplissement.

Cependant, ce vitalisme a beau être restrictif dans ses modalités d’expression de la complexité réelle de la matière (que seul le matérialisme dialectique saura montrer), il relève d’une lecture de la réalité assumant celle-ci sans chercher autre chose au-delà d’elle. Aristote célèbre le monde tel qu’il est, pour ce qu’il est ; rien que pour cela, il est un titan de l’Histoire humaine.

Dans le douzième livre, Lambda (Λ), Aristote est en mesure de constater, avec pour la première fois une vision matérialiste synthétique, complète, une affirmation du monde matériel :

« Tout dans l’univers est soumis à un ordre certain, bien que cet ordre ne soit pas semblable pour tous les êtres, poissons, volatiles, plantes.

Les choses n’y sont pas arrangées de telle façon que l’une n’ait aucun rapport avec l’autre. Loin de là, elles sont toutes en relations entre elles ; et toutes, elles concourent, avec une parfaite régularité, à un résultat unique.

C’est qu’il en est de l’univers ainsi que d’une maison bien conduite. Les personnes libres n’y ont pas du tout la permission de faire les choses comme bon leur semblé ; toutes les choses qui les regardent, ou le plus grand nombre du moins, y sont coordonnées suivant une règle précise, tandis que, pour les esclaves et, les animaux, qui ne coopèrent que faiblement à la fin commune, on les laisse agir le plus souvent selon l’occasion et le besoin.

Pour chacun des êtres, le principe de leur action constitue leur nature propre ; je veux dire que tous les êtres tendent nécessairement à se distinguer par leurs fonctions diverses ; et, en général, toutes les choses qui contribuent, chacune pour leur part, à un ensemble quelconque, sont soumises à cette même loi. »

Il va de soi que cette vision cosmologique d’un monde organisé était corrompue par l’esclavagisme. Cependant, il faut bien distinguer les deux aspects ; sans cela, on ne comprend pas justement la vision totale concernant l’univers des successeurs arabo-persans d’Aristote, de Spinoza, de Hegel, du matérialisme dialectique.


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