C’est justement dans sa théorie de la connaissance que va puiser Aristote pour formuler la base de la métaphysique (au sens d’une synthèse théorique des règles de l’univers). Cela n’a pas été vu jusque-là, pour une raison très simple : on ne peut saisir le matérialisme d’Aristote qu’à la lumière de sa forme plus développée : le matérialisme dialectique.

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La clef réside dans la différence de ce qui est valorisé de la part d’Aristote d’un côté, du matérialisme dialectique de l’autre. Ce dernier considère que le mouvement de la matière est infinie et éternelle, qu’il y a des sauts. Tout s’appuie sur la transformation interne.

Aristote ne connaît pas ce principe de la transformation. Il ne voit que les choses en mouvement, ou bien en train de changer. Pourquoi cela ?

Il ne voit que les choses en mouvement, parce qu’il appartient à une couche parasitaire profitant du travail des esclaves. Il est décidé, les esclaves se mettent en mouvement, meuvent des choses, jusqu’à ce que le travail soit fait.

Il ne voit que les choses en changement, parce qu’il est un scientifique profitant d’un statut social parasitaire, ce qui l’amène à être ainsi purement contemplatif.

On a ici la clef absolue pour comprendre la méthode philosophique d’Aristote. Il va de soi que seule la perspective matérialiste dialectique permet de voir cela aussi aisément ; cela témoigne de la faillite intellectuelle de centaines d’années de raisonnements religieux ou bourgeois.

Aristote ne connaît pas la transformation, il ne sait pas ce qu’est le travail. Il raisonne en termes théoriques, en profitant de sa mise à l’écart du travail. Par conséquent, son mode de représentation est passif et son identité de savant correspond à celui faisant du savoir contemplatif le sens même de sa démarche.

Le livre Alpha soulignait bien cette dimension passive de la connaissance ; c’est en saisissant par les sens la réalité et en la comprenant qu’on est véritablement conforme à son existence. A la lumière du matérialisme historique, on relie cela au mode de production d’alors – l’esclavagisme – et on peut reconstruire sa dynamique intellectuelle.

En fait, tout devient extrêmement facile si on inverse les choses présentées dans le livre Alpha ; il est frappant de voir comment tout cela a échappé aux commentateurs bourgeois.

Chez Aristote, une chose est connue quand elle est saisie entièrement, non pas par l’activité concrète, mais intellectuellement.

Mais si cette chose existe, c’est qu’elle a été poussée en ce sens.

Soit cela a été dans sa nature d’aller dans cette direction, soit elle est le produit d’une activité, d’une énergie en ce sens. Que ce soit un enfant ou une sculpture, il y a une intention derrière, une intention qui savait ce qui allait être mis en branle.

Il en va de même avec l’esclavagiste qui dit à l’esclave de mener telle activité à bien.

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Aristote renverse donc en fait la perspective. De la même manière que l’on connaît lorsqu’on étudie la physique au bout de la chaîne, il y a la connaissance au début de la chaîne, à la source. De la même manière qu’on a un résultat parce qu’un esclave a fait quelque chose, ce qui l’a mis en mouvement, l’ordre qui lui a été donné, présuppose qu’à la base on savait ce qui allait se passer.

La connaissance d’une chose existe lorsque cette chose est réalisée mais également, selon Aristote, à la base même, avant que cette chose ne se produise, n’existe. C’est le reflet du mode de production esclavagiste dans sa conception.

Cela a l’air simple dit ainsi, mais des centaines et des centaines d’années de réflexion n’ont jusqu’à présent jamais permis une lecture aussi limpide, et c’est peu dire. Sans le matérialisme dialectique, tout est terriblement tortueux, tourmenté, insaisissable ; on reste empêtré dans des discours ultra-techniques et sa sans fin.

De quoi parle alors Aristote dans « La métaphysique » ? L’œuvre consiste en fait en toute une série de réflexions sur les modalités propres à la mise en mouvement depuis le début de la chaîne. De mouvement ou de changement ? Aristote ne parviendra pas à véritablement saisir les nuances de leurs différences, par incompréhension de ce qu’est une transformation.

Bloqué dans une perspective purement passive, il n’a été en mesure que de concevoir des choses recevant une impulsion extérieure. Que les choses apparaissent ou bien soient modifiés restait de toutes façons secondaires par rapport au principe du mouvement venant d’ailleurs.

La définition de cet « ailleurs » et de son rapport à la chose est le sujet de « La métaphysique ». Et comme le mouvement de l’extérieur donne le sens à l’existence d’une chose, alors on obtient la définition de la chose elle-même.

On va au-delà de la chose, pour savoir ce qu’elle est vraiment : c’est la méta-physique.


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