Quels sont les premiers enseignements de la grande bataille d’octobre en Espagne et plus particulièrement de l’insurrection armée des Asturies ?
II est possible dans des circonstances économiques et politiques bien déterminées, circonstances qui sont nettement précisées par notre Internationale, par l’énorme expérience du Parti bolchévik, par la tactique léniniste, il est possible – et les Asturies l’ont prouvé – que les ouvriers remportent la victoire sur une armée moderne.
L’armée espagnole, depuis 1931, s’était complètement modernisée, avait beaucoup d’analogie avec l’armée française, elle était munie d’un matériel des plus perfectionné. Et, malgré cela, elle a été battue par les ouvriers des Asturies. N’est-ce pas, camarades, que nous voici bien loin de ces théories qui prétendaient – visant toute la politique de notre parti – que l’ère des pavés était passée et qu’une mitrailleuse suffit à empêcher tout mouvement de rue.
Les faits, dans les Asturies mêmes, ont donné une cinglante réplique à ceux qui parlaient voici encore un an de laisser les pavés aux cantonniers.
La région d’Oviédo, c’est, en effet, à peu près celle de Saint- Etienne chez nous.
En d’autres termes, c’est une région de mines, de fonderies de canons et de plaques de blindages, de fabriques perfectionnées de mécanique de précision.
Le prolétariat des Asturies a pour cela d’ailleurs beaucoup de ressemblance avec celui de la région de Saint-Etienne. Or, quand le prolétariat des Asturies a déclenché la grève générale, sa préoccupation a été justement de ne pas laisser les pavés aux cantonniers.
Les ouvriers socialistes (majorité), communistes et anarchistes ont résolu tout de suite le problème de l’armement du prolétariat.
Quel pas énorme d’accompli depuis cette époque encore peu lointaine où, en Espagne, régnait cette maladie terrible du pistolérisme, c’est-à-dire de l’attentat individuel !
Quelle différence entre ces ouvriers anarchistes des Asturies et ceux de Barcelone encore sous l’influence de leurs chefs petits- bourgeois !
Les Asturies nous permettent maintenant de montrer comment doit se poser le problème de l’armement du prolétariat : pour la prise insurrectionnelle du pouvoir, pour la prise des usines des canons, de mitrailleuses, de fusils, de telle sorte que les ouvriers des Asturies étaient armés de fusils nouveaux modèles encore inconnus de la majorité de l’armée espagnole. Voilà comment il faut poser cette question d’armement du prolétariat et pas autrement.
Même aujourd’hui, avec les formidables moyens techniques de la guerre moderne, l’ouvrier est capable de s’armer encore plus puissamment que la bourgeoisie, puisque c’est lui qui détient les moyens de production, ou plus exactement, c’est lui seul qui peut les utiliser.
Dans ces conditions, la classe ouvrière peut battre l’armée la plus moderne du monde et la mieux équipée du monde, surtout lorsque, comme en France, l’immense majorité des travailleurs ont été soldats et possèdent, en plus de leurs capacités professionnelles, une instruction relativement bonne des méthodes de guerre moderne.
Et ceux qui ont fait la guerre ont une instruction militaire incomparablement supérieure à celle des jeunes troupes actuelles.
La grande bataille d’octobre en Espagne, et plus particulièrement celle des Asturies, ont montré irréfutablement la puissance de l’unité d’action.
Le front antifasciste le plus puissant est et ne peut être que celui qui a pour base essentielle le front unique de la classe ouvrière.
Quand ses parties divisées se rejoignent, ce front unique devient irrésistible et entraînera derrière lui la majorité des travailleurs.
La grande bataille des Asturies démontre avec une clarté puissante que le front antifasciste n’est pas une formule, il démontre avec éclat que notre accord avec le Parti socialiste a un but bien précis : rassembler toutes les forces de la classe ouvrière, toutes les forces des travailleurs.
Et ce rassemblement correspond si bien au désir des masses que ni les canons, ni les bombes d’avions ne peuvent plus le rompre.
Sous la mitraille, les ouvriers socialistes, communistes et anarchistes ont scellé là-bas, dans les Asturies, un magnifique front unique.
Celui qui, aujourd’hui, essaierait là-bas d’aller le rompre serait immédiatement balayé par la masse.
Notre lutte antifasciste n’est donc pas une lutte académique, elle ne consiste pas en de belles controverses dans des salles bien closes.
Les meetings, certes utiles et nécessaires, n’ont qu’un but : préparer et déclencher l’action.
Et pas seulement l’action de masse dans la rue, mais surtout l’action de masse revendicative avec comme perspective même la prise du pouvoir.
Pourquoi le mouvement a-t-il été battu ? Parce que l’Alliance ouvrière, dans les régions essentielles, n’englobait pas la majorité du prolétariat, c’est le cas en particulier de la Catalogne.
Les chefs anarchistes de la F.A.I. Et de la C.N.T. N’ont pas voulu entrer dans les Alliances ouvrières.
Les leaders anarchistes ont ainsi scissionné le prolétariat et maintenu la scission dans des régions décisives comme la Catalogue et l’Andalousie.
Même en dehors des Alliances ouvrières au moins eussent-ils pu engager l’action.
Ils s’y sont refusés et, dans ces conditions, on doit dire que les chefs anarchistes d’Espagne ont publiquement et ouvertement passé de l’autre côté de la barricade.
Et, alors, quelle leçon devons-nous tirer de ces faits ? C’est que dans notre période de lutte de classe sans cesse aggravée, dans notre période où nous sommes engagés dans une lutte à mort avec la bourgeoisie qui jette sur la table sa dernière carte : le fascisme, celui et ceux qui tentent de scissionner le prolétariat commettent un crime contre- révolutionnaire.
A plus forte raison ceci s’applique-t-il à celui ou à ceux qui tentent de scissionner, ne fut-ce que sur un tout petit point, le Parti du prolétariat, notre Parti communiste.
On voit, par conséquent, l’importance de la lutte à mener non seulement pour empêcher le groupuscule Doriot-Barbé d’étendre sa tentative de scission, mais, encore, pour liquider les scissionnistes en gagnant par l’argumentation sérieuse les prolétaires de Saint-Denis trompés par Doriot et Barbé.
L’attitude de scission des anarchistes nous rappelle encore une fois de plus la nécessité d’une lutte patiente, tenace, incessante, pour la réalisation de l’unité syndicale.
Vous savez comment les anarchistes dirigeant la C.N.T. En bons « partisans de la liberté » (ils s’appellent eux-mêmes libertaires) ont, surtout en Catalogne, chassé de leur Centrale syndicale ceux des syndicats qui, à la lumière des faits, se débarrassaient de leurs dirigeants et de la « tactique » anarchistes.
En aggravant la scission syndicale, ils ne rendaient pas seulement plus difficile la lutte même du prolétariat, pour ses revendications immédiates pour le pain, ils affaiblissaient aussi tout le mouvement révolutionnaire.
D’autre part, dans les Asturies, les syndicats des mineurs de l’U.G.T. (C.G.T. Réformiste) comptaient environ 60.000 membres, le syndicat unitaire 8.000, le syndicat de la C.N.T. (anarchistes) 1.000.
Tous les ouvriers se sont battus héroïquement et avec acharnement.
N’est-il donc pas possible de s’entendre dans un seul syndicat pour la défense des intérêts quotidiens des ouvriers et ne serait- ce pas un des moyens les plus importants pour battre les tentatives de la bourgeoisie visant à abaisser le niveau de vie des travailleurs ?
Le moment est ainsi venu de rappeler ce qu’écrivait Lénine en 1905 :
« Entre le socialiste et l’anarchisme il y a tout un abime… La philosophie des anarchistes est une philosophie bourgeoise retournée à l’envers.
Leurs théories individualistes, leur idéal individualiste, sont en opposition formelle avec le socialisme…
Leur tactique, qui se ramène à la négation de la lutte politique, désunit les prolétaires et en fait les participants passifs de telle ou telle politique bourgeoise… »
( Le Socialisme et l’Anarchisme ).
Il suffit de regarder ce qu’ils viennent de faire hier en Espagne – après d’ailleurs ce qu’ils ont fait pendant des années – pour constater une fois de plus la justesse de cette appréciation de Lénine.
Le 5 octobre au soir, à la nouvelle du déclenchement de la grève générale, la majorité de la flotte militaire d’Espagne appareillait pour Barcelone et la Catalogne.
Il en était de même de l’aviation militaire et des troupes d’Afrique qui se préparaient à envoyer leurs principaux contingents contre le peuple catalan.
Dans la nuit, les chefs anarchistes de Saragosse ont prévenu les autorités qu’ils se refusaient à participer à un « mouvement politique »; par radio, la flotte fut rappelée et retournée contre les Asturies, toutes les forces répressives y furent jetées. Ainsi comme le précisait Lénine, l’abstention des chefs anarchistes catalans, des chefs anarchistes de la F.A.I. Et de la C.N.T. A été le meilleur soutien des bourreaux de Madrid. Et, si aujourd’hui les ouvriers communistes, socialistes et anarchistes sont effroyablement torturés et fusillés, l’une des raisons essentielles en incombe à ces messieurs.
Contre la Catalogne et l’Andalousie, en état d’insurrection, le gouvernement pro-fasciste de Madrid n’avait plus assez de forces pour écraser ces deux provinces et les Asturies ; résultat : non seulement le fascisme était brisé en Espagne, mais le pouvoir passait aux mains des ouvriers et des paysans. On voit l’importance internationale énorme d’un pareil fait. Lorsque donc nous appelons les chefs anarchistes d’Espagne des criminels contre-révolutionnaires, nous ne faisons que constater un fait, non seulement celui de livrer au massacre les ouvriers anarchistes qui, individuellement, se sont battus comme des héros, mais encore et surtout celui d’avoir permis un certain répit au fascisme en Espagne et facilité l’œuvre de la contre-révolution mondiale.
Le moment est donc venu d’expliquer nettement et clairement que le mouvement anarchiste n’est pas un mouvement « plus à gauche » que nous communistes, mais bien au contraire que ce mouvement joue essentiellement un rôle contre- révolutionnaire.
Je ne dis pas que les ouvriers anarchistes sont des contre- révolutionnaires, plus particulièrement ceux d’Espagne qui sont de véritables héros prolétariens comme aussi beaucoup de ceux de France ; mais, le malheur, c’est que ces trésors d’héroïsme sont gaspillés sur la base d’une idéologie et avec une tactique qui, objectivement, servent la contre-révolution.
Le crime des chefs anarchistes d’Espagne, c’est d’avoir réussi à capter le cerveau de ces héros magnifiques pour lesquels la vie ne compte pas et d’avoir dévoyé cet enthousiasme dans des putschs sans issue ou dans une capitulation sans combat, qui constitue une des trahisons les plus abominables qu’ait connu le prolétariat international.
Les campagnes ne sont pas entrées en lutte, malgré la terrible situation des ouvriers agricoles et des paysans pauvres. Une fois de plus s’est ainsi tragiquement vérifié ce principe léniniste élémentaire que sans alliance de combat avec la paysannerie laborieuse, le prolétariat est battu.
Or, les paysans travailleurs ne faisaient pas partie de l’Alliance ouvrière.
La cause essentielle en doit être recherchée dans l’échec de la grève des ouvriers agricoles de toute l’Espagne en juin 1934. Les leaders socialistes non seulement ne firent rien pour en assurer le succès, mais au contraire en amenèrent l’échec. Résultat : l’immense masse des ouvriers agricoles et des paysans pauvres qui venaient d’être battus dans leur lutte revendicative hésitèrent à entrer en lutte avec les Alliances ouvrières. Et cela d’autant plus que, en dépit des efforts de notre Parti, les dirigeants socialistes des Alliances ouvrières se refusèrent toujours à les transformer en Alliances ouvrières et paysannes. Si donc nous nous tournons vers nous-mêmes, demandons- nous où nous en sommes pour réaliser véritablement l’alliance des paysans travailleurs avec les ouvriers ?
Nous avons fait dans ce domaine quelques pas, c’est indiscutable, mais nous sommes encore loin, très loin de comprendre comment il faut mener le travail du Parti à la campagne.
Là aussi, comme dans les usines, il faut savoir trouver les revendications les plus essentielles qui permettent de grouper et d’entraîner à l’action les ouvriers agricoles, les petits et moyens paysans.
En ce qui concerne ces petits et moyens paysans, nous savons bien que la besogne n’est pas aisée, une ligne directrice cependant doit nous guider : nous soutenons toutes les revendications de la paysannerie laborieuse, sauf celles qui vont à l’encontre des intérêts de la classe ouvrière.
Si nous sommes d’accord, par exemple, pour que les paysans travailleurs luttent contre le trust de la meunerie, contre les grandes société laitières, nous entendons en même temps organiser la lutte pour que les prix du pain et du lait ne soient pas élevés à la vente au détail dans les villes et qu’au contraire ils soient abaissés.
Ces revendications déterminées, il nous importe de les populariser et de rassembler les paysans travailleurs sur cette plateforme.
Pour cela il ne faut pas hésiter à pénétrer là où est la masse des paysans.
Sur 100 paysans de France, il en est au moins 95 d’organisés, organisés dans des syndicats agricoles, des coopératives, des mutuelles, etc., etc.
Nous savons qu’en général ces organisations sont dirigées par les pires ennemis des paysans, les propriétaires fonciers et leurs agents, les capitalistes, des hommes d’affaires, des agents électoraux, mais nous savons aussi que là est la masse des paysans ; c’est donc là qu’il faut aller.
Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas faire de propagande et de recrutement pour la Confédération générale des paysans- travailleurs (C.G.P.T.), bien au contraire, mais un des buts essentiels doit être le travail dans les associations paysannes de masse.
Une fois de plus la révolution espagnole a souligné avec une acuité particulière la nécessité pour le prolétariat de conquérir l’armée.
En Espagne, encore plus qu’en France, l’armée c’est la paysannerie.
Il était donc naturel que le mouvement n’ayant pas été déclenché dans les campagnes, par cela même la grande majorité des soldats résista à passer à la révolution. Lorsqu’en 1932, les soldats des régiments de Madrid reçurent le manifeste de la Conférence paysanne de Tolède, appelant les paysans à s’emparer des terres des grands propriétaires fonciers ils envoyèrent les tracts dans leurs villages où ils eurent une grosse répercussion.
Réciproquement, par conséquent, si dans les villages il n’y a pas de mouvement, il est difficile d’entraîner les soldats paysans dans la lutte.
Certes notre Parti frère a fait de grands efforts pour conquérir l’armée, c’est grâce à lui que la défense des revendications des soldats a été développée.
Et les résultats ne sont pas négligeables puisque les soldats qui, jusqu’ici en Espagne, ont toujours suivi un corps d’officiers contre un autre, pour la première fois ont, depuis 1931, à maintes reprises, manifesté eux-mêmes pour leurs propres revendications.
Ce fut le cas, par exemple, des artilleurs de Saint-Sébastien et d’autres unités.
Notre Parti a, d’autre part, créé ses organisations dans l’armée, organisations qui ont une large base de masse, puisque, en 1932, près de 500 soldats de la garnison de Valence avaient été représentés à une conférence spéciale.
Nous avions des cellules dans de nombreux régiments, l’un d’eux en possédait cinq, et cependant cela ne fut pas suffisant. Certes, il serait faux de prétendre que l’armée a marché en bloc contre la révolution.
Ce qui a marché en bloc, c’est, en général, les troupes de la Légion étrangère, du Tercio (bataillons d’Afrique) et les Tirailleurs marocains (Régulares).
En général, le reste de l’armée a combattu sans enthousiasme. C’est un fait universellement reconnu.
Mais il n’en reste pas moins que les soldats ont combattu ; les cas de révoltes comme ceux de Gérone et de différentes autres unités ont été assez isolés.
Pourquoi ?
Parce que, d’une part, la défense des revendications immédiates des soldats n’était pas encore une action de masse, pénétrant toutes les unités de l’armée et montrant aux soldats comment les ouvriers, et seulement les ouvriers, les défendent, marquant même des succès dans ce domaine.
Sous ce rapport en France, nous pouvons dire que sur ce terrain nous sommes un peu plus avancés que nos camarades d’Espagne.
D’autre part, les cellules communistes dans l’armée étaient encore beaucoup trop peu nombreuses, elles n’avaient pas une influence suffisante, et c’est ce qui fait qu’au moment décisif elles nont pu entraîner des unités importantes à passer à la révolution.
Les cas de fraternisation ont été, en général, des cas individuels.
Tirons-en la leçon pour nous-mêmes.
En remarquant par-dessus le marché que l’armée française est la plus puissante du monde capitaliste et qu’elle possède presque la moitié de soldats et de cadres de métier, sans parler de la garde mobile et de la gendarmerie.
En ce qui concerne la marine de guerre, là ce fut tragique. Nous n’avons pu compter qu’un seul acte de mutinerie, pour lequel un quartier-maître a été condamné à mort, et 15 marins. à des peines de 10 et de 20 ans de réclusion.
Mais ce qui est terrible, c’est que les marins du croiseur Libertad ont été les premiers à tirer sur les pêcheurs de Gijon. Le croiseur Libertad, celui dont en 1931 les marins manifestaient en masse dans les rues du Ferrol pour le débarquement et le licenciement des officiers monarchistes. Comprenons donc les leçons des événements d’Espagne. La question des sous-officiers a été posée également durant l’insurrection des Asturies.
Voici déjà dix-huit mois, nous avions eu des manifestations de sergents dans les rues de Madrid.
Durant l’insurrection des Asturies, un certain nombre de sous- officiers sont passés aux insurgés.
Le sergent Vasquès du 31è d’infanterie d’Oviedo fut un des meilleurs combattants de notre armée rouge, véritable héros de la Commune Asturienne.
Ce fait indique que se confirme juste la ligne de notre Parti visant à neutraliser et même à gagner les sous-officiers. Reste enfin la question des officiers ; là, aussi, toute la ligne actuelle de notre Parti est confirmée.
Même en Espagne, où existe chez les officiers une tradition « syndicale » (celle des Juntes), on ne peut pas dire que le corps des officiers constitue un bloc homogène, il y a parmi eux des monarchistes et des républicains, il y a parmi eux des grands propriétaires fonciers, des grands capitalistes et des fils de la moyenne et petite bourgeoisie, et c’est pourquoi il y a parmi eux des contradictions profondes.
Des officiers ont freiné l’action répressive contre- révolution naire.
On a même vu un lieutenant de la garde civile (la garde mobile de là-bas) passer aux insurgés.
Même un lieutenant-colonel commandant un régiment du Maroc a été arrêté pour avoir ouvertement prêché à ses officiers la résistance à la guerre civile anti-ouvrière dans laquelle on jetait son unité.
Tout cela indique que nous devons savoir profiter des contradictions au sein des forces répressives de la bourgeoisie. Conclusions : défense des revendications immédiates des soldats, d’une façon précise et concrète.
S’efforcer de marquer des succès sur ce terrain.
II faut souligner le danger qu’il y a à suivre un exemple qui me paraît mauvais.
Depuis février, en effet, dés qu’un groupe de nos camarades aperçoit un soldat ils se mettent à crier :« Les soldats avec nous ! ».
Est-ce que c’est ainsi que les bolchéviks ont gagné les troupes d’occupation en Russie méridionale ?
Il ne faut pas confondre hystérie révolutionnaire et travail révolutionnaire.
Il ne faut pas remplacer par des déclamations à grand fracas le travail patient, dangereux, systématique, à effectuer. Ne croyez-vous pas que, lorsque dans un wagon, des ouvriers rencontrent un soldat, il vaut bien mieux lui parler de sa situation, de celle de sa famille ouvrière ou paysanne, des revendications que nous défendons ?
Ne croyez-vous pas qu’au lieu de scander : « les soldats avec nous ! », il vaut mieux faire une petite quête pour lui permettre de calmer sa faim avec un morceau de pain et de fromage ? Ne croyez-vous pas qu’au lieu d’appeler l’attention de tous les passants, de faire ainsi repérer le soldat, il faut bien mieux lui montrer comment il peut atténuer ses souffrances ou celles de ses camarades en écrivant au seul journal qui insérera sa lettre en toute sécurité pour lui l’Humanité et qui obtient très souvent de bons résultats ?
Le 21 octobre, notre grande manifestation d’unité d’action de Narbonne a croisé de nombreux soldats dans les rues de la ville.
C’étaient des soldats du 80è régiment d’infanterie alpine, organisés par conséquent pour la guerre en montagne et placés en face de la révolution espagnole.
Les manifestants, qui étaient dans leur immense majorité des ouvriers agricoles et des petits vignerons, ont trouvé tout de suite le mot d’ordre juste.
Ils ne se contentaient pas de chanter le Salut au 17è, mais, surtout, ils scandaient en choeur : « du vin pour les soldats ! », et vous pouvez être certain que la liaison fut immédiate entre les soldats et les petits vignerons.
En résumé, une des leçons de la grande bataille d’octobre en Espagne est que le travail pour la conquête de l’armée doit être entrepris et réalisé de la seule façon juste, de la façon bolchévik.
A la veille de la lutte, et pendant la lutte, les municipalités ont joué un rôle énorme.
Dans les Asturies, la grande majorité des municipalités était socialiste.
Les mairies sont ainsi devenues tout naturellement des centres de groupement, des centres de résistance.
La nécessité, à la veille des élections municipales prochaines, de prévoir de solides têtes de listes bien vérifiées, de proposer aux élections des camarades qui seront capables de développer tout notre travail de masse, de diriger la municipalité dans le sens de la défense quotidienne, permanente, précise, des revendications immédiates des ouvriers, sans opportunisme et sans sectarisme, devient d’une urgence pressante.
En Catalogne et dans le Pays basque, il en a été de même. Dans le Pays basque, les municipalités ont constitué de tels foyers de résistance.
Malgré qu’en général elles soient aux mains du Parti national- réactionnaire, l’impérialisme espagnol a été obligé de les dissoudre pour tenter de briser le mouvement.
En Catalogne, la municipalité de Barcelone et celles de nombreuses provinces ont été les leviers du déclenchement de la lutte et aussi, malheureusement, ceux de la capitulation sans combat.
Tout cela souligne que dans une certaine mesure les municipalités peuvent être de sérieux points d’appui pour le prolétariat.
Je n’ai point besoin d’insister longuement sur l’importance exceptionnelle qu’a joué dans la grande bataille le mouvement des minorités nationales.
Quelle est la leçon essentielle qui se dégage des événements de Catalogne de ce point de vue ?
La capitulation rapide, immédiate, sans combat, de la bourgeoisie autonomiste et de la petite bourgeoisie autonomiste qui avait le pouvoir.
La gauche républicaine catalane a sacrifié en fait les intérêts du peuple catalan. Elle a refusé d’abord, hésité ensuite, à armer les ouvriers, à armer les paysans.
La Généralité de Catalogne, les municipalités avaient des armes et pouvaient en avoir.
En général, dés la proclamation de la République catalane, la gauche républicaine a enfermé les armes.
Elle comptait uniquement sur ses propres forces policières comme la Garde d’assaut, et la Police municipale catalane de Barcelone (Los Mosos d’Escuadra).
Les officiers de la Garde d’assaut, en général sont restés fidèles à Madrid, et les soldats eux-mêmes n’ont pas tenu à se battre. Quant aux Mossos d’Escuadra, ils ont joué plutôt un rôle d’opérette que de lutte armée.
Certes, nous savons, je l’ai déjà dit, que les anarchistes étant opposés au mouvement de libération nationale, ont par cela même empêché la lutte de la majorité du prolétariat de Catalogne.
Il n’en reste pas moins que, dans toute la province, et même à Barcelone, ouvriers et paysans réclamaient des armes et qu’on n’a pas voulu les leur donner.
Quelles conclusions devons-nous en tirer ? Elles sautent immédiatement aux yeux ; seul, le prolétariat et son Parti communiste peuvent libérer les minorités nationales de l’oppression impérialiste.
On voit l’importance de ce fait pour bien marquer notre position en Alsace-Lorraine, comment il peut aider puissamment toute la campagne que notre Parti mène pour la libération nationale et sociale du peuple alsacien-lorrain. Mais il faut voir aussi l’importance de la question nationale pour le mouvement révolutionnaire.
En général, cette question est à peine posée en France, et je ne suis pas bien certain que même l’ensemble de notre Parti la comprenne bien.
Et, cependant, les événements d’Espagne, et plus particulièrement ceux de Catalogne, nous permettent de démontrer l’énorme importance du mouvement des peuples opprimés pour aider à la lutte révolutionnaire du prolétariat. Même avec la trahison des chefs anarchistes catalans, si notre Parti avait eu plus d’influence en Catalogne, étant donné que dans toute la province les ouvriers et les paysans avaient pris le pouvoir, il eut suffi de bien peu pour que la Généralité de Barcelone soit obligée de subir le concours armé du prolétariat de la grande ville.
Et le succès du mouvement séparatiste en Catalogne, c’était en même temps le succès assuré de la révolution prolétarienne dans les Asturies et dans l’ensemble de l’Espagne.
D’où la conclusion : nécessité de poser largement dans tout le Parti et dans le prolétariat français la question du soutien du mouvement de libération des peuples opprimés et, en premier lieu, de celui d’Alsace-Lorraine.
Il n’y a pas pour l’instant une question corse, mais elle peut se poser.
De même qu’il n’y a pas pour l’instant, en France, une question catalane et une question basque, mais il n’est pas exclu que le développement de la lutte révolutionnaire en Espagne et l’accentuation de la poussée fasciste en France ne provoquent pas une question catalane et une question basque.
En tout cas, la question d’Alsace-Lorraine, non seulement par son importance internationale, mais également par son importance nationale, doit être posée avec la plus extrême clarté, elle peut l’être par l’explication des événements d’Espagne.
Il est clair également que la question coloniale est posée par la révolution espagnole avec la même acuité que la question nationale.
Un seul fait le démontre : les mêmes Marocains qui, en 1923, avaient infligé aux forces de l’impérialisme espagnol au Maroc des défaites sanglantes comme celle d’Annual sont précisément celles qui ont constitué les troupes de choc du gouvernement pro-fasciste et qui, avec la Légion étrangère, ont écrasé l’insurrection des Asturies.
Sans aucun doute, le peuple marocain soumis à l’impérialisme espagnol ignore qu’en Espagne notre Parti communiste lutte pour l’indépendance du Maroc.
Ces soldats marocains n’ont pas su, étant dans leur pays, que le Parti communiste espagnol et le prolétariat révolutionnaire est, au même titre qu’eux, l’ennemi de leurs oppresseurs. Inutile d’insister par conséquent sur l’importance exceptionnelle de toute notre activité pour le soutien de la lutte émancipatrice des peuples esclaves des colonies.
N’oublions pas que la France est la deuxième puissance coloniale du monde.
Mais la leçon capitale la plus importante des événements d’Espagne, celle que nous devons mettre partout au premier plan, est celle de la nécessité d’un fort Parti révolutionnaire. Sans un puissant Parti communiste, pas de victoire possible. Il y a en Espagne une puissance révolutionnaire formidable. Depuis bientôt 5 ans, les grèves sont ininterrompues, les mouvements à la campagne se développent par vagues. Depuis 5 ans, la garde civile tire, les villages sont bombardés ! Et depuis 5 ans, sans la moindre faiblesse les admirables prolétaires espagnols continuent la lutte avec acharnement. La situation reste révolutionnaire, les couches de la classe moyenne urbaine, celles des intellectuels, sont très fortement ébranlées.
Les ouvriers et les paysans, en Espagne, ont donné au monde entier de magnifiques exemples d’énergie révolutionnaire. Leur héroïsme, leur esprit de sacrifices dépassent tout ce qu’on peut imaginer.
Et, malgré cela, nous avons été battus. Pourquoi ?
Parce que l’outil de la Révolution, le Parti bolchévik, est encore trop faible en Espagne.
Certes, il a grandi plus de 20 fois depuis 4 ans.
Ses Jeunesses se sont développées dans les mêmes proportions. Ses cadres sont surgis de la masse, dans la lutte, lisant Marx, lisant Lénine, lisant Staline, entre deux grèves, entre deux combats à coups de fusil.
Et beaucoup d’entre eux apprenaient à lire et à écrire couramment en lisant Lénine et Staline !
Le journal de notre Parti « Mundo Obrero » malgré son tirage encore réduit, a une bonne ligne, il est un journal de masse. Mais le camarade Staline, dans le rapport du Comité central au XVIIè congrès du Parti bolchévik en janvier de cette année, précise ainsi l’issue à la crise révolutionnaire :
« Certains camarades pensent que, dès l’instant où il y a crise révolutionnaire, la bourgeoisie doit tomber dans une situation sans issue ; que sa fin est par conséquent prédéterminée, que la victoire de la révolution est par cela même assurée et qu’il ne leur reste donc qu’à attendre la chute de la bourgeoisie et à écrire des résolutions triomphales.
C’est là une erreur profonde. La victoire de la révolution ne vient jamais d’elle-même. Il faut la préparer et la conquérir. Or, seul un fort parti prolétarien révolutionnaire peut la préparer et la conquérir.
Il est des moments où la situation est révolutionnaire, où le pouvoir de la bourgeoisie est ébranlé jusque dans ses fondements, mais où pourtant la victoire de la révolution n’arrive pas parce qu’il n’y a pas de parti révolutionnaire du prolétariat suffisamment fort et autorisé pour entraîner à sa suite les masses et prendre le pouvoir en mains.
Il ne serait pas raisonnable de croire que des « cas » semblables ne puissent se produire. »
Bien que notre parti communiste ait grandi considérablement en Espagne, c’est parce que son influence était encore trop réduite, c’est parce que son organisation était encore trop faible, que l’ensemble du mouvement révolutionnaire n’a pu être dirigé comme il le fallait, que l’alliance avec les paysans n’a pas été réalisé comme elle l’eut dû, que l’alliance avec les minorités nationales et avec le peuple marocain n’a pas été suffisamment réalisée, que les soldats et les marins étaient encore conquis en nombre beaucoup trop restreints à la cause du prolétariat, c’est à cause de tout cela que nous avons été provisoirement battus. Nous aussi devons donc regarder notre Parti, le Comité central doit se demander pour quels motifs nos effectifs sont encore si faibles.
Février et les mois suivants ont démontré aux prolétaires de France que notre Parti était bien le seul parti révolutionnaire du pays, qu’il était capable de lutter, que ses militants étaient aux premiers rangs des héros prolétariens.
Mais comme est lente la progression de nos effectifs !
Comme est lente la création des cellules dans les centres industriels décisifs et dans les villages !
Comme trop rares sont les fractions dans toutes les organisations de masse essentielles !
Comme nos comités du Parti sont lents à appliquer les directives du C.C. Et à réagir rapidement à chaque événement essentiel.
Oui, nous avons fait des progrès, de grands progrès depuis neuf mois et dans le travail de masse et dans l’organisation. Mais combien tout cela est encore insuffisant devant la cadence endiablée des événements.
La deuxième leçon concernant le Parti qui se dégage des événements d’Espagne est encore plus claire.
Dans les Asturies, le 3è ou le 4è jour de la lutte, c’est notre Parti, dont les mots d’ordre, les méthodes, la ligne même ont été acceptés par les travailleurs socialistes, anarchistes, sans parti.
C’est grâce à nous que la lutte a continué avec une pareille énergie et qu’elle eût abouti à la victoire totale sans la trahison des chefs anarchistes.
Ceci démontre que le Parti ne doit pas se dissoudre dans l’unité d’action, mais, au contraire, rester toujours lui-même. Appliquons le Pacte de juillet avec le Parti socialiste, loyalement, développons sur ses mots d’ordre l’unité d’action. Très bien. Tous nos efforts essentiels doivent être portés là- dessus.
Mais, d’autre part, que le Parti conserve son visage. Qu’il continue sa propagande propre, sur nos mots d’ordre. Qu’il continue à recruter et à bâtir ses cellules.
Il faut expliquer sans cesse aux camarades de la base qu’une cellule ou un comité de rayon ne peuvent pas être remplacés par un groupement de front unique ou un comité de coordination.
C’est justement l’activité propre du Parti et sa puissance qui sont et doivent être les facteurs essentiels du développement de l’unité d’action, qui sont et doivent être les moteurs essentiels de la victoire décisive sur la bourgeoisie !