La question de la perspective cubiste-futuriste poids – vitesse – mouvement se révèle dans les portraits pris par Alexandre Rodtchenko.

Si la captation du réel est également le but recherché, Alexandre Rodtchenko, peintre devenu photographe, a d’un côté conscience de la portée historique de son œuvre car il prend en photographie des gens importants… De l’autre, ces gens sont eux-mêmes liés à la scène cubiste-futuriste.

La photographie va alors rester comme témoignage de la figure célèbre dont a été fait le portrait…. On obtient ici un dimension classique.

Mais en même temps, il y a une volonté de forcer le trait, d’amener la composition dans un certain sens formel.

Voici par exemple un portrait très réussi d’Alexandre Vesnine, un important architecte, même si on voit que Rodtchenko n’a pu s’empêcher de forcer le trait avec le déséquilibre dans le cadrage et l’arrière-plan, pour donner un côté « moderniste ».

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Rodtchenko aura effectivement un mal fou à ne pas inlassablement revenir au constructivisme et à sa fétichisation de certains aspects esthétiques qui sont en fait esthétisants dans un sens expressionniste.

A l’arrière-plan, on aura toujours le même problème : son incompréhension de la peinture réaliste, du portrait défini par le peinture comme cadre général synthétique. Rodtchenko se veut un expérimentateur lié au concret – en fait, dans une perspective cubo-futuriste, à la modernité, à la rue, aux artistes de la bohème artistique, etc.

Cela ressort dans les années 1920 avec un ton moqueur et agressif. Voici ce qu’il dit dans l’article Contre le portrait-type et pour la photo instantanée, publié dans Novi Lef n°4, en 1928 :

« Ce n’était pas les intellectuels qu’on peignait [avant la révolution], mais les riches et les puissants. On ne faisait même plus de portraits des savants.

Et vous, messieurs et mesdames de l’intelligentsia, ne vous attendez pas, encore aujourd’hui, à ce que les artistes de l’AKhRR [Association des artistes de la Russie révolutionnair] fassent le vôtre. »

On retrouve ici l’esprit décalé du style cubo-futuriste, avec son radicalisme anti-élites et son volontarisme moderniste. Il était inévitable dans cette perspective que Rodtchenko a particulièrement visé à réussir les portraits de Vladimir Maïakovski, grande figure de ce courant.

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Les portraits de Vladimir Maïakovski réalisés entre avril et mai 1924 montrent d’infimes variations du visage, de son expression, de la couleur de la peau, etc. Les prises de vue sont effectuées dans l’atelier de Rodtchenko. Comme pour les images fixées en extérieur, il n’y a pas de mise en scène, l’arrière-plan n’est pas un décor peint comme c’est la coutume chez les portraitistes traditionnels.

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Le sujet est pris, tel quel, pour renforcer la densité personnelle de la personne prise en photographie.

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Le crâne rasé de Vladimir Maïakovski, son regard intense, l’incroyable tension qu’il dégage, aide évidemment à la force de ces portraits, qui correspondent bien à l’esprit de sa poésie cubiste-futuriste. C’est là une esthétisation, un formalisme.


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