[Article publié dans Unité Rouge, Organe central du l’Union des Communistes (Marxistes-Léninistes) de Belgique, le 15 janvier 1977]

Le n°78 (22-12-76) de TPO publie une autocritique relative à des questions de tactique et de stratégie face au danger d’une troisième guerre mondiale.

TPO écrit qu’il y a une différence qualitative entre un gouvernement de front populaire antifasciste (qui est une forme de gouvernement de l’Etat capitaliste) et l’Etat de démocratie populaire (qui serait « un nouvel appareil d’Etat révolutionnaire, né de la destruction armée du vieil appareil d’Etat capitaliste »).

TPO écrit ensuite que cet appareil d’Etat de la démocratie populaire ne peut, dans la situation actuelle, naître qu’au cours d’une guerre de résistance nationale, et pas avant, et que ce mot d’ordre est par conséquent erroné comme mot d’ordre d’agitation.

Nous lisons aussi que « c’est de l’opportunisme de droite que de présenter la démocratie populaire comme but stratégique ou de la comprendre comme une première révolution intégrale qui sera suivie par une seconde révolution socialiste, séparée de la première ».

Enfin, AMADA-TPO revient implicitement sur sa position de soutien aux « monopoles indépendants » de Belgique en écrivant aujourd’hui que « l’ennemi direct contre lequel la classe ouvrière belge dirige ses coups, est la bourgeoisie monopoliste belge ».

Quelle est la portée de cette autocritique ?

La question de la prétendue étape marquée par un « Etat de démocratie populaire » imaginé par AMADA-TPO se trouve au centre de sa ligne opportuniste. Il faut donc prêter une grande attention à ce qu’AMADA-TPO écrit et écrira sur ce point. En ce qui concerne l’autocritique, nous estimons qu’elle porte sur des points secondaires et que l’essentiel de la position erronée d’AMADA reste inchangé, et même dans un certain sens, consolidé.

Qu’un gouvernement de front populaire antifasciste ne constitue pas un nouveau type d’Etat par rapport à l’Etat capitaliste, est une vérité évidente. La grossière bévue d’AMADA-TPO n’aura sans doute échappé à personne.

En tout cas, là n’est pas le noeud de l’erreur.

Que le mot d’ordre d’« Etat de démocratie populaire » soit retiré comme « mot d’ordre d’agitation » et baptisé « mot d’ordre de propagande » ne fait que déplacer le problème. Ici l’opportunisme recule pour mieux sauter.

En revanche, que l’instauration de l’« Etat de démocratie populaire » ne constitue pas un but stratégique est une remarque qui mérite d’être approfondie par AMADA-TPO, car nous approchons là du centre de la discussion.

Nous combattons toute illusion relative à l’instauration en Belgique de toute forme d’Etat qui ne serait pas une forme de la dictature du prolétariat. Nous avons déjà démontré qu’une dictature de plusieurs classes conjointes convient aux pays coloniaux et semi-coloniaux qui accomplissent la première étape de leur révolution, mais qu’une telle dictature est absolument impossible dans un pays impérialiste.

Entre le capitalisme et le socialisme, entre l’Etat de la dictature bourgeoise et l’Etat de la dictature du prolétariat il n’y a et il ne saurait y avoir d’étape intermédiaire, parce que la bourgeoisie au pouvoir est une classe décadente, pourrie, qui a terminé son rôle progressiste depuis longtemps. L’impérialisme, stade « suprême » du capitalisme, rend cela encore plus évident.

Dire le contraire, propager l’illusion d’un « Etat de démocratie populaire », « national », « anti hégémonique », etc. est du révisionnisme en tout point comparable aux théories des « PC » d’Europe occidentale sur « l’Etat de démocratie avancée », « antimonopoliste », etc.

Voyons maintenant de plus près comment AMADA-TPO enveloppe sa marchandise avariée.

I. Pour faire suite à l’Etat capitaliste, AMADA-TPO prépare donc l’avènement d’un « Etat de démocratie populaire », « né de la destruction armée du vieil appareil d’Etat capitaliste ». On peut penser que cette dernière formule remplace avantageusement le bavardage réformiste sur « les grandes actions révolutionnaires » prévues par le Programme… (p.87) pour ce passage : AMADA-TPO parait rétablir ici dans son programme la reconnaissance de la nécessité de la lutte violente, insurrectionnelle, armée. Mais ce progrès est formel, parce que toute l’ambiguïté demeure quant à la nature de classe de l’Etat qu’il s’agit de « détruire ». AMADA-TPO y garde, en effet, sa place à la bourgeoisie.

(« C’est une dictature démocratique de toutes les forces patriotiques et démocratiques contre les envahisseurs et leurs collaborateurs. (…) La démocratie populaire (…) est basée sur un large front qui peut également englober certaines forces de la bourgeoisie et se trouve sous la direction du prolétariat. »)

Nous nous trouvons donc bien devant un Etat mi-bourgeois mi-ouvrier, une cohabitation politique des monopoles financiers et du prolétariat qui se partagent le pouvoir, et tout ceci sous la direction de la classe ouvrière ! Combien peu AMADA-TPO lui-même croit à sa propre fable, c’est ce qu’il se charge de nous expliquer en ajoutant en toute naïveté que « ce n’est que si le parti et le prolétariat ont conquis l’hégémonie dans le front que la démocratie populaire peut assurer directement les fonctions de la dictature du prolétariat. »

2. Comment passerons-nous, selon AMADA-TPO, de ce monstre mi-bourgeois mi-prolétarien à la dictature du prolétariat ? Par des « transformations révolutionnaires ». (« Après un processus de transformations révolutionnaires, l’Etat de démocratie populaire pourra remplir la fonction de la dictature du prolétariat. ») Bornons-nous ici à rappeler que pour Marx, la « transformation révolutionnaire » à accomplir par le prolétariat des pays capitalistes est celle qui sépare le mode de production capitaliste du communisme et que cette période de transformation, de transition n’est autre que celle du socialisme lui-même.

Le mérite de l’autocritique d’AMADA-TPO est de mieux faire apparaître l’erreur centrale de la ligne stratégique, en la débarrassant de formules maladroites et d’erreurs secondaires.

L’« Etat de démocratie populaire » n’est pas identique au gouvernement de front populaire antifasciste, nous dit AMADA-TPO, mais il ajoute qu’il faut établir l’un et l’autre. Ainsi il révise ouvertement le 7e Congrès de l’Internationale Communiste qui a élaboré la tactique du front populaire et au cours duquel Dimitrov fit les mises en garde les plus formelles contre la confusion entre cette forme de transition au socialisme et toute théorie d’« étape intermédiaire » telle qu’en représenterait précisément un prétendu « Etat de démocratie populaire ».

L’« Etat de démocratie populaire » n’est pas la dictature du prolétariat, nous dit AMADA-TPO. Ainsi il révise ouvertement la ligne marxiste-léniniste sur les démocraties populaires dans les pays d’Europe de l’Est après la Seconde Guerre mondiale (cf. la critique de Dimitrov à la tribune du 5e Congrès du Parti Ouvrier bulgare, O.C., Ed. Sofia, t.2, p.708-709).

L’« Etat de démocratie populaire » n’est plus « le vieil Etat capitaliste » et n’est « pas encore » la dictature du prolétariat, nous dit AMADA-TPO. Ainsi il révise ouvertement un enseignement fondamental de la théorie marxiste-léniniste, selon lequel il ne saurait se former un tel Etat dans les pays capitalistes.

Voilà notre position sur le fond de la question. Toutefois nous ajoutons que la volonté d’autocritique est trop rare chez AMADA-TPO pour que nous n’encouragions pas tout effort fait en ce sens, même si aucune erreur de principe n’est encore corrigée.

Eric Polet


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