Zsigmond Kisfaludi Strobl a réalisé d’innombrables productions, allant des petites figurines en porcelaine à des petits bronzes, en passant par les plaques et des œuvres monumentales, célébrant le travailleur, le footballeur, le pharmacien, l’architecte, etc. Il a exprimé un élan et une élégance proprement hongrois, en mettant en place des productions réalistes.

C’est cependant par la composition qu’il parvient à faire en sorte que le caractère monumental possède une réelle charge. Le peuple hongrois reconnaissant à Staline, de par sa taille restreinte, montre comment il a même établi une véritable contribution au réalisme, en insérant la dimension monumentale dans la composition elle-même.

Sans être d’une taille écrasante, l’oeuvre réalisée pour l’anniversaire de Staline en 1949 porte le monument en elle. C’est un chef d’oeuvre d’une immense portée.

L’oeuvre existe initialement en deux versions. L’originale, en marbre, est théoriquement au musée Pouchkine de Moscou, mais en pratique elle s’est retrouvée dès 1950 au musée des arts de Stalino. Par la suite, avec la victoire du révisionnisme de Khrouchtchev, Stalino prend le nom de Donetzk, et l’oeuvre est déplacée au palais de la culture et sa provenance oubliée autant que sa nature.

Une copie a été installée à Budapest, mais elle a été détruite durant l’insurrection anti-communiste de 1956.

Le peuple hongrois reconnaissant à Staline est magistrale et historique, parce qu’elle est une expression du passage à la monumentalité sans monument, de par l’intensité accordée au rapport dialectique entre le réalisme et la densité matérielle propre à la sculpture.

C’est une oeuvre ainsi classique, mais ancrée dans le réel.

Ce qui triomphe en effet, c’est la dimension humaine avant tout. Celle-ci n’est pas un support pour l’allégorie : c’est bien celle-ci qui reconnaît comme principal le réel. Si l’on porte son regard sur le personnage féminin en tant que tel, non pas en le séparant de la composition, mais en lui reconnaissant sa part, on voit qu’il s’agit d’une figure réelle, concrète.

Sa tenue, son physique, sa posture… tendent à une dignité, qui accorde un caractère monumental. Il ne s’agit pas d’une oeuvre formellement abstraite caricaturant la femme travailleuse.

Cela est particulièrement marquant quand on voit la main reflétant la posture d’ensemble. La nature réelle de cette main, la subtilité de ses doigts qui sont comme saisissant ou retenant les épis de blé – elle représente la paysannerie – rendent cette scène vivante, vraie, authentique, existante.

La main de l’homme – qui représente la classe ouvrière – agrippe fermement un marteau, dans une scène pareillement tout à fait réelle. Il ne s’agit pas d’une allégorie abstraite, mais d’être concrète portant leur propre dignité jusqu’à une représentation imagée.

Les deux mains se saisissant, image de l’alliance entre la paysannerie et la classe ouvrière, ne pourraient pas avoir de valeur si ce n’était pas une authentique représentation de mains appartenant à un couple.

Si l’homme est trop musclé – ce qui renforce trop le côté allégorique – il s’efface sur le plan physique dans le couple, ce qui rétablit l’harmonie. Il faut dire ici qu’il exprime également la soif de vivre, par la santé et la vigueur, par opposition à la femme qui représente clairement une dimension plus subtile, moins brute. Les deux vont d’ailleurs très bien ensemble.

Le caractère formidable de l’oeuvre tient bien entendu surtout à la composition de la famille. L’ouvrier et la paysanne ne se conjuguent pas seulement avec les enfants, ils se répondent dialectiquement. Les membres du couple sont mis sur un pied d’égalité, de manière statique, mais les enfants eux vont de l’avant, ils expriment l’avenir mais surtout ils expriment, de par leur mouvement inégal, le développement.

La guirlande, en remerciement à Staline, permet d’éviter la rupture dans ce mouvement inégal, de par sa taille et le fait qu’elle enveloppe les deux enfants, fermant leur marche et les ramenant dans l’espace du couple, mais également de par sa composition avec de multiples fleurs, donnant une impression de multiple par rapport à l’unité de l’oeuvre, et également de pesanteur comme pour équilibrer l’avancée des enfants.

Une vue en contre-plongée permet d’encore mieux saisir l’importance des pas, de la flexion des jambes. On comprend très bien la démarché de Zsigmond Kisfaludi Strobl si on saisit comment il combine l’élégance et l’élan. Ici, c’est absolument exemplaire.

Est également admirable dans l’oeuvre la dialectique masculin-féminin, parfaitement représentée pour le couple comme pour les enfants, et on notera qu’il n’y a bien entendu pas le féminin d’un côté, le masculin de l’autre, ce qui aurait nui au caractère dialectique.

On a également, comme pour le couple, un féminin plus subtil, plus profond qu’un masculin plus pratique, comme on le voit d’ailleurs avec l’uniforme.

On notera que, dans le mouvement des enfants, les deux pieds gauches sont parallèles. Ils descendent ainsi l’escalier ensemble, mais séparément, dans l’esprit de la dialectique masculin-féminin.

Zsigmond Kisfaludi Strobl, maître du classicisme capable de porter le réalisme, et inversement, a ici produit une oeuvre réaliste classique, témoignage du nouveau classicisme qu’est le réalisme socialiste.


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