Sternhell sur le syndicalisme révolutionnaire et le mythe de la grève générale

« L’œuvre de Georges Sorel – en son temps plus appréciée en Italie qu’en France – s’attache, entre autres, à faire le procès du 18ème siècle, du rationalisme, de la Révolution française et de ses effets : la victoire de l’idéologie bourgeoise, du libéralisme, de la démocratie.

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Dans la Décomposition du marxisme et les Réflexions sur la violence, il développe sa fameuse théorie des mythes, ces « systèmes d’images » que l’on ne saurait « chercher à analyser comme (…) on décompose une chose en ses éléments » : il s’agit ici de constructions « qu’il faut prendre en bloc comme des forces historiques. »

Le mythe de la grève générale est une de ces forces ; son objectif est de dresser continuellement le prolétariat contre la bourgeoisie, d’alimenter au jour le jour l’esprit guerrier des producteurs (…).

Seule l’action directe est créatrice [selon Sorel]. A ce nouveau clergé obscurantiste que sont les intellectuels, il va opposer les minorités agissantes.

La grève générale et la violence entretenue par un esprit de révolte intransigeant, voilà qui permettra aux nouveaux barbares de régénérer le monde (…).

Emile Pouget déclare que les méthodes d’action de l’organisation confédérale [du syndicat] ne sauraient s’inspirer de « l’idée démocratique vulgaire ; elles ne sont pas l’expression du consentement d’une majorité dégagée par le procédé du suffrage universel. »

Pouget considère, en effet, que, si les procédés démocratiques étaient pratiqués dans les organisations ouvrières, « le non-vouloir de la majorité inconsciente et non syndiquée paralyserait toute action.

Mais la minorité n’est pas disposée à abdiquer ses revendications et ses aspirations devant l’inertie d’une masse que l’esprit de révolte n’a pas animée et vivifiée encore. Par conséquent, il y a pour la minorité consciente obligation d’agir, sans tenir compte de la masse réfractaire… »

Pour lui, nul ne doit « récriminer contre l’initiative désintéressée de la minorité », encore moins les « inconscients » qui, à côté des militants, ne sont que des « zéros humains. »

Dans l’esprit de ses militants, le syndicalisme révolutionnaire ne peut être que l’antithèse de la société démocratique. En réalité, une société fondée sur les critères exposés par Sorel, Berth, Pouget, Lagardelle ou Griffuehles aurait présenté les caractéristiques principales du type idéal d’une société fasciste (…).

Ce n’est certes pas l’effet du hasard si, après la crise de la CGT, l’élimination de Griffuehles, en février 1909, et la retraite de Pouget, certains intellectuels, comme Sorel et Berth, ou des militants, comme Janvion et Pataud, finissent par répondre aux appels du nationalisme intégral.

Quant à Hervé et à Lagardelle, c’est la guerre qui les y mènera. »


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