Vladimir Vernadsky a tout à fait compris la signification de l’intervention humaine en ce qui concerne l’activité de la biosphère. Il raisonne en termes de migration des atomes, et il s’aperçoit que les activités humaines jouent un rôle toujours plus immense en ce sens.

Voici comment il présente la chose dans L’évolution des espèces et la matière vivante :

« Il en existe encore une troisième. Cette troisième forme commence à prendre à notre époque, époque psychozoïque [c’est-à-dire marqué par l’émergence de l’esprit comme facteur], une importance extraordinaire dans l’histoire de notre planète.

C’est la migration des atomes, suscitée également par les organismes, mais qui ne se rattache pas génétiquement et immédiatement à la pénétration ou au passage des atomes à travers leur corps.

Cette migration biogène est provoquée par le développement de l’activité technique. Elle est par exemple déterminée par le travail des animaux fouilleurs, dont on relève les traces depuis les époques géologiques les plus anciennes, par le contrecoup de la vie sociale des animaux constructeurs, des termites, des fourmis, des castors.

Mais cette forme de migration biogène des éléments chimiques a pris un développement extraordinaire depuis l’apparition de l’humanité civilisée, il y a une dizaine de milliers d’années.

Des corps entièrement nouveaux ont été créés de cette façon comme par exemple les métaux à l’état libre.

La face de la Terre se transforme et la nature vierge disparaît.

Cette migration biogène ne paraît pas être en relation directe avec la masse de la matière vivante : elle est conditionnée dans ses traits essentiels par le travail de la pensée de l’organisme conscient. »

Ce que dit Vladimir Vernadsky, c’est que si auparavant, il existait un rapport en quelque sorte arithmétique entre une certaine masse et un certain effet de cette masse sur les atomes, désormais le rapport est découplé.

Les choix de l’humanité impliquent des effets dont le rapport est sans commune mesure ou proportion avec la masse d’humains. Cela ne signifie pas que la masse en tant que telle ne joue pas un rôle. Cependant, les moyens mis en œuvre ont atteint désormais des proportions gigantesques et les orientations de l’humanité ont un impact à l’échelle planétaire.

La Terre. Image synthétisée à partir de données d’un satellite de la NASA.

La Terre. Image synthétisée à partir de données d’un satellite de la NASA.

Vladimir Vernadsky a tout à fait noté l’apparition de nouveaux éléments matériels sur Terre. Si on l’avait suivi, on aurait pu saisir de manière active le processus et cherchait à en étudier l’impact.

Dans Sur les conditions de l’apparition de la vie sur la Terre, une conférence faite à la Société des Naturalistes de Leningrad en 1931, avec le texte révisé par l’auteur par la suite, il dit :

« La matière brute de la biosphère commence à changer nettement avec l’apparition de l’humanité civilisée.

Il y apparaît de nouveaux corps inconnus jusque là (par exemple l’aluminium métallique et ses alliages) et leur masse change (par exemple la considérable augmentation de la quantité de fer métallique ou du cuivre métallique).

La formation de tels corps nouveaux augmente avec une accélération toujours croissante. »

En 1938, Vladimir Vernadsky parle donc de « la pensée scientifique comme phénomène planétaire », ce qui va de pair avec le concept de noosphère, le terme noos signifiant en grec ancien la pensée.

L’énergie biogéochimique prend ainsi une nouvelle qualité, la biosphère ouvrant la voie à la noosphère. L’humanité était devenu un facteur géologique sans précédent dans l’histoire de la planète, prenant le relais de la biosphère en tant que telle.

C’est ici où l’on retrouve l’obstacle idéologique barrant la route à Vladimir Vernadsky, avec son vitalisme. Vladimir Vernadsky n’est en effet pas en mesure de cerner la question du communisme, du rapport amélioré de la matière à elle-même, bien qu’il le pressente. D’ailleurs, l’humanité agit au moyen de ses capacités techniques, elle ne le fait pas en agissant d’elle-même. Vladimir Vernadsky entrevoit ici la question des forces productives.

Il dit, dans Sur les conditions de l’apparition de la vie sur la Terre, en 1931 :

« Ce n’est que du moment de l’apparition de l’humanité civilisée dans la biosphère qu’un organisme se trouva à lui seul capable de produire simultanément des processus chimiques variés, mais il y parvint par son intelligence et sa technique et non par le travail physiologique de sa structure. »


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