[Document publié pour la première fois dans la revue Crise n°21]

L’analyse produite par Lénine sur la Crise du capitalisme de son époque, dans son ouvrage intitulé L’impérialisme, stade suprême du capitalisme (1916) , est un héritage précieux pour les révolutionnaires du XXIe siècle. Cette base nous aide à comprendre notre propre époque et à être en mesure de tracer correctement les perspectives qui sont devant nous.

La Crise dans laquelle le mode de production capitaliste est entré à la fin de la décennie 2010, au plus tard, a inévitablement conduit à l’accroissement des tensions internationales entre puissances capitalistes et semi-capitalistes (c’est-à-dire capitaliste bureaucratique), comme nous l’annoncions déjà dans Crise depuis mai 2020. L’étape suivante va être celle de l’élargissement implacable de l’économie de guerre, et avec elle, de la tendance au fascisme.

Cette tendance est implacable pour les capitalistes, dont on aurait tort de penser qu’ils veulent uniformément la guerre de manière consciente ou décidée. Certains secteurs de la bourgeoisie peuvent se conformer à ce mouvement, y poussant même de manière cynique, ou du moins fataliste , mais on peut tout aussi bien trouver des secteurs inquiets de cette évolution, voire formellement hostiles à toute tendance au bellicisme ouvert.

Mais cela importe peu, car en l’espèce c’est le mouvement même des contradictions en présence qui détermine cette tendance. La volonté de la bourgeoisie de s’y conformer ou non n’a fondamentalement qu’une dimension contingente face à ce phénomène général.

À mesure que le mode de production capitaliste vacille, ces contradictions vont apparaître avec évidence, et le degré de conscience s’élèvera en conséquence, notamment au sein de la classe ouvrière de notre pays. D’une part, apparaîtra la nécessité du dépassement, et donc se posera de manière révolutionnaire la question du Socialisme. D’autre part, se développera la fuite en avant de fractions entières de la bourgeoisie et des secteurs populaires gagnés par elle dans l’économie de guerre, et au bout du compte, dans le fascisme. Reste à savoir quelle tendance sera en mesure de s’organiser le plus vite, le plus fort, et dans l’objectif politique d’écraser, ou de tenter d’écraser, l’autre.

Pour tenter d’éclairer cette inévitable perspective, selon nous, il faut d’abord poser le cadre conceptuel de notre capacité à comprendre de manière consciente notre situation, en mobilisant la théorie léniniste pour en montrer la validité, puis il nous faut analyser factuellement les forces en présence et en jeu, afin de tracer les perspectives, déterminer une ligne générale à tenir.

Transitions, compromis social, Union Européenne : les idéologies du capitalisme face à la Crise.

Dans son élan, le mode de production capitaliste a historiquement tenté de produire une compréhension de lui-même, aboutissant à le naturaliser de manière trompeuse. C’est-à-dire, que fondamentalement, le capitalisme n’existerait pas, il ne serait que le fonctionnement naturel, et donc indépassable, de l’Humanité elle-même. Cela ne veut pas dire que les capitalistes sont incapables de voir les contradictions. Mais ils pensent que le capitalisme, de par sa naturalité supposée, est seul en mesure de les dépasser.

C’est ce que l’on désigne dans les discours d’aujourd’hui sous la notion de « transition » de ceci ou cela par exemple, ou en parlant de choses obscures comme de « changement de paradigme ». Au capitalisme de notre époque, tantôt financier, tantôt sauvage, tantôt ultra-libéral néo-libéral ou libéral tout court, tantôt post-moderne ou nomade, il faudrait donc s’évertuer à orienter le capitalisme vers un nouvel horizon, en lui donnant un nouvel adjectif épithète : ce serait le capitalisme durable, responsable, éthique, etc.

En fait, il s’agit là de contourner l’Histoire, ou plutôt de chercher à contourner l’Histoire, et de ne pas discuter du caractère non naturel mais historique du mode de production capitaliste en lui-même. C’est déjà ce que disait Lénine en parlant à son époque des thèses de Karl Kautsky (1854-1938), qui pensait que la révolution socialiste prendrait dans les pays avancés du capitaliste la forme d’une évolution politique, qui se jouerait dans le cadre du parlementarisme .

Selon cette théorie, l’État bourgeois est acceptable et « neutre » en quelque sorte. Il suffirait de le purifier des restes féodaux-militaristes et patriarcaux pour qu’il soit démocratique, puisque les masses forment de toute manière la majorité de la population.

Karl Kautsky raisonnait en termes de civilisation, où les villes apportent l’esprit collectif, formant la collectivité démocratique. Au plan social, la ville abolit en effet les consciences bornées, permettant d’avoir une vue générale et plus le capitalisme se développe donnant naissant aux forces productives, plus il permet à l’esprit de s’élargir.

La Gauche post-moderne et « inclusive », alliée objective du turbo-capitalisme métropolitain et différentialiste, ne dit pas autre chose, elle reprend le kautskisme. Voici l’analyse de Lénine à propos de cette théorie :

« Le mouvement prolétarien révolutionnaire en général, et le mouvement communiste en particulier, qui grandissent dans le monde entier, ne peuvent se dispenser d’analyser et de dénoncer les erreurs théoriques du « kautskisme ». Et cela d’autant plus que le pacifisme et le « démocratisme » – en général – qui ne prétendent pas le moins du monde au marxisme, mais qui, tout comme Kautsky et Cie, estompent la profondeur des contradictions de l’impérialisme et le caractère inévitable de la crise révolutionnaire qu’il engendre, – sont encore extrêmement répandus dans le monde entier.

Et la lutte contre ces courants est une nécessité pour le parti du prolétariat, qui doit arracher à la bourgeoisie les petits patrons qu’elle a dupés, de même que des millions de travailleurs placés dans des conditions de vie plus ou moins petites-bourgeoises. »

L’impérialisme, stade suprême du capitalisme

On ne peut sous-estimer la force de cette lessiveuse « sociale-démocratique » de la « transition » au sein du capitalisme qui désarme les consciences en agitant cette tendance à l’évolution pacifique et sociale du capitalisme par lui-même en interne, à condition de l’élargir toujours plus et d’y inclure toujours plus les masses, non en collectif, mais de manière atomisée et différentialiste, afin de donner au marché une dynamique concurrentielle large.

Une autre imposture justement, tentant de naturaliser le capitalisme et donc de refuser toute analyse révolutionnaire, est celle de la naturalité supposée de la libre-concurrence, dont le capitalisme serait en retour l’expression syllogique. On trouve donc aussi cette illusion comme quoi la tendance à la concentration et au développement des monopoles, renforçant inévitablement le rôle des banques et de l’appareil financier sur l’appareil industriel et productif, serait anti-naturelle, puisqu’en contradiction avec la naturalité supposée de la libre-concurrence, et donc anti-capitaliste, dans la mesure où le capitalisme serait naturel.

Le développement du capitalisme financier et concentré est en soi tenu pour une dérive parasitaire du capitalisme, dont le fonctionnement « normal et naturel » serait celui de la libre-concurrence, de la petite propriété, à la dimension d’un capitalisme raisonnable et éthique.

Cette illusion alimente ainsi les libéraux, qui pensent relancer le capitalisme, soit en modérant la concentration, soit en lui trouvant sans cesse de nouveaux marchés, avec l’espoir que ce mouvement « d’innovation » ouvre un espace au petit capitalisme entrepreneurial, dans la logique de la « start-up », sur le terrain de la technologie ou sur celui de la société. On retrouve là la tendance interne au turbo-capitaliste.

Mais on sait aussi à quel point cette théorie est une base au développement de l’antisémitisme, comme « socialisme des imbéciles », quand elle tente de se confronter à l’inévitable développement des monopoles, tout en prônant le « retour » à un capitalisme « naturel » dans une version agressive, prenant appui sur la nation comme cadre d’un capitaliste concurrentiel restauré dans sa supposée « nature ».

Lénine parle, pour désigner les militants de cette théorie, de « sociaux-patriotes », au sens où ces derniers, en naturalisant un capitalisme idéalisé, sont poussés à ne le penser que dans le cadre de la nation, elle-même produit par le capitalisme au plan historique, et qui serait donc le cadre idéal dans lequel « geler » la dérive du capitalisme et son élan à l’expansion incontrôlée et donc à la concentration, et donc trouver un compromis social en mesure d’équilibrer le capitalisme par lui-même.

Voici la critique que Lénine propose de cette théorie :

« Il y a un demi-siècle, quand Marx écrivait son Capital, la libre concurrence apparaissait à l’immense majorité des économistes comme une « loi de la nature ».

La science officielle tenta de tuer par la conspiration du silence l’oeuvre de Marx, qui démontrait par une analyse théorique et historique du capitalisme que la libre concurrence engendre la concentration de la production, laquelle, arrivée à un certain degré de développement, conduit au monopole.

Maintenant, le monopole est devenu un fait. (…)

La concurrence se transforme en monopole. Il en résulte un progrès immense de la socialisation de la production. Et, notamment, dans le domaine des perfectionnements et des inventions techniques. Le capitalisme arrivé à son stade impérialiste conduit aux portes de la socialisation intégrale de la production ; il entraîne en quelque sorte les capitalistes, en dépit de leur volonté et sans qu’ils en aient conscience, vers un nouvel ordre social, intermédiaire entre l’entière liberté de la concurrence et la socialisation intégrale.

La production devient sociale, mais l’appropriation reste privée. Les moyens de production sociaux restent la propriété privée d’un petit nombre d’individus.

Le cadre général de la libre concurrence nominalement reconnue subsiste, et le joug exercé par une poignée de monopolistes sur le reste de la population devient cent fois plus lourd, plus tangible, plus intolérable. »

L’impérialisme, stade suprême du capitalisme

Lénine démontre ici le caractère absolument incontournable et inévitable du capitalisme à aller à la concentration et aux monopoles. Il y voit d’abord la tendance historique qui pousse le capitalisme au Socialisme, mais aussi cette contradiction que cette concentration des moyens de production échappe à la société et reste la propriété d’une poignée toujours plus étroite de profiteurs déconnecté de la vie des masses.

Les sociaux-patriotes pensent donc parvenir à trouver un compromis avec ces monopoles, en considérant que leur dimension sociale permettrait d’avoir une sorte de socialisme sans collectivisme, maintenant le cadre général du mode de production capitaliste et la propriété privée des moyens de production, mais en se soumettant à certaines règles garanties par l’État, au nom de l’intérêt national, considéré comme commun.

Dans ce cadre, ce qui est appelé « nationalisation » ne relève donc pas du Socialisme, puisque c’est de fait l’appareil d’État de la bourgeoisie et ses experts, ses managers et son armée d’ingénieurs qui en-tendent piloter par le haut ces monopoles, afin d’obtenir un compromis avec la classe ouvrière, en échange de sa mobilisation et de sa soumission clientéliste à ces monopoles.

Dans un pays comme la France, on a là l’héritage tout à la fois du gaullisme social et de la période « socialiste » de l’époque de François Mitterrand et de son Programme Commun, qui irrigue encore largement des pans entiers des partis et des syndicats de la Gauche française.

On doit donc aussi prendre la pleine mesure de cette mythologie de ce compromis social-patriotique, et de sa dimension populiste, née dans la Gauche, mais qui trouve son aboutissement à Droite de manière inévitable. Face à la Crise, l’idée de reformuler ce compromis bancal qui n’a de fait jamais pleinement abouti, paralyse et désoriente aussi les consciences composant la Gauche en France, comme dans tous les pays avancés du capitalisme.

Il pave la route à la Droite, et en son sein à la tendance nationale-sociale, c’est-à-dire au fascisme au moment de son développement populaire de masse. De fait, aucun compromis pacifique et social national ne peut être trouvé avec les monopoles dans le cadre du capitalisme, de par leur inévitable tendance à l’expansion, en raison de la baisse tendancielle du taux de profit, tel que Karl Marx l’a démontré dans Le Capital, en 1867.

Voici comment Lénine développe cela, en montrant qu’en raison de cette tendance, les pays avancés du capitalisme deviennent inévitablement des nations impérialistes, rendant tout compromis impossible :

« Les pays exportateurs de capitaux se sont, au sens figuré du mot, partagé le monde. Mais le capital financier a conduit aussi au partage direct du globe.

Les groupements de monopoles capitalistes – cartels, syndicats, trusts – se partagent tout d’abord le marché intérieur en s’assurant la possession, plus ou moins absolue, de toute la production de leur pays. Mais, en régime capitaliste, le marché intérieur est nécessairement lié au marché extérieur.

Il y a longtemps que le capitalisme a créé le marché mondial.

Et, au fur et à mesure que croissait l’exportation des capitaux et que s’étendaient, sous toutes les formes, les relations avec l’étranger et les colonies, ainsi que les « zones d’influence » des plus grands groupements monopolistes, les choses allaient « naturellement » vers une entente universelle de ces derniers, vers la formation de cartels internationaux. (…)

Si les capitalistes se partagent le monde, ce n’est pas en raison de leur scélératesse particulière, mais parce que le degré de concentration déjà atteint les oblige à s’engager dans cette voie afin de réaliser des bénéfices ; et ils le partagent « proportionnellement aux capitaux », « selon les forces de chacun », car il ne saurait y avoir d’autre mode de partage en régime de production marchande et de capitalisme.

Or, les forces changent avec le développement économique et politique ; pour l’intelligence des événements, ils faut savoir quels problèmes sont résolus par le changement du rapport des forces ; quant à savoir si ces changements sont « purement » économiques ou extra-économiques (par exemple, militaires), c’est là une question secondaire qui ne peut modifier en rien le point de vue fondamental sur l’époque moderne du capitalisme.

Substituer à la question du contenu des luttes et des transactions entre les groupements capitalistes la question de la forme de ces luttes et de ces transactions (aujourd’hui pacifique, demain non pacifique, après-demain de nouveau non pacifique), c’est s’abaisser au rôle de sophiste. »

Si aucun compromis en interne, dans le cadre national, ne peut être trouvé, il faut aussi voir que le capitalisme dispose encore d’une autre imposture idéologique pour tenter de contourner cette contradiction : c’est l’idée d’un dépassement du marché national, par un marché élargi. L’idéalisme libéral le plus complet verrait volontiers un marché mondial, et cet horizon habite comme une sorte d’utopie la pensée des libéraux capitalistes les plus ouverts depuis l’origine même du capitalisme sur le plan historique.

Mais en raison des immenses différences de développement et des effets délétères de la concurrence sur les pays relativement moins avancés, le capitalisme a toujours entretenu le débat entre partisans du libre-échange et partisans du protectionnisme, sans jamais, forcément, pouvoir le trancher de manière décisive.

Cela n’a pas empêché une relative expansion du marché à une dimension continentale dans certains États : les États-Unis d’Amérique en sont l’illustration, mais la Chine, malgré les encore plus gigantesques contradictions de son développement, le montre aussi. Au bout du compte, cette expansion à la fois mondiale et relativement continentale du capitalisme par le développement de l’économie de marché, a offert un espace au développement de projet d’intégration, dont le plus sophistiqué, et donc aussi le plus embrouillé, est celui de l’Union européenne.

Les militants de l’Union européenne pensent particulièrement contourner, par l’alliance pacifique et l’intégration économique et politique, la tendance à la guerre engendrée par la concentration mono-poliste et la concurrence généralisé et de plus en plus directe entre eux. Ils espèrent tempérer ou même bloquer cette tendance par la coopération et l’union internationale monopoliste. Bien que l’Union européenne soit un projet né sur les cendres de la IIe Guerre Mondiale, la tendance en était déjà repérable au moment où Lénine analyse la situation de son époque. Sur ce plan, il suit en les corrigeant sur le tas les analyses de John Atkinson Hobson quant à l’impérialisme, ce dernier ayant publié en 1903 L’impérialisme. Une étude :

« Telles sont les possibilités que nous offre une plus large alliance des États d’Occident, une fédération européenne des grandes puissances : loin de faire avancer la civilisation universelle, elle pour-rait signifier un immense danger de parasitisme occidental aboutissant à constituer un groupe à part de nations industrielles avancées, dont les classes supérieures recevraient un énorme tribut de l’Asie et de l’Afrique et entretiendraient, à l’aide de ce tribut, de grandes masses domestiquées d’employés et de serviteurs, non plus occupées à produire en grandes quantités des produits agricoles et industriels, mais rendant des services privés ou accomplissant, sous le contrôle de la nouvelle aristocratie financière, des travaux industriels de second ordre.

Que ceux qui sont prêts à tourner le dos à cette théorie (il aurait fallu dire : à cette perspective) comme ne méritant pas d’être examinée, méditent sur les conditions économiques et sociales des régions de l’Angleterre méridionale actuelle, qui en sont déjà arrivées à cette situation.

Qu’ils réfléchissent à l’extension considérable que pourrait prendre ce système si la Chine était sou-mise au contrôle économique de semblables groupes de financiers, de « placeurs de capitaux » (les rentiers), de leurs fonctionnaires politiques et de leurs employés de commerce et d’industrie, qui drainent les profits du plus grand réservoir potentiel que le monde ait jamais connu, afin de les consommer en Europe.

Certes, la situation est trop complexe et le jeu des forces mondiales trop difficile à escompter pour que ladite ou quelque autre prévision de l’avenir dans une seule direction puisse être considérée comme la plus probable.

Mais les influences qui régissent à l’heure actuelle l’impérialisme de l’Europe occidentale s’orientent dans cette direction, et si elles ne rencontrent pas de résistance, si elles ne sont pas détournées d’un autre côté, c’est dans ce sens qu’elles joueront. »

À ce point, on peut récapituler les choses ainsi :

1. Face à la Crise, le capitalisme dispose d’outils idéologiques, véritables contrefaçons maquillant sa propre historicité, puisque fondée sur le postulat fallacieux de la naturalité du capitalisme.

2. Tout en admettant l’existence de contradictions, face au développement des monopoles le capitalisme à la transition et à l’innovation technique ou « sociétale » (c’est-à-dire à l’atomisation toujours plus poussée de la société), au compromis national et social, et à l’Union internationale monopolistique, constituant au final des blocs concurrents.

3. Ce mouvement historique est le cadre même de l’émergence de la nécessité du Socialisme, mais le capitalisme peut dévier ce mouvement par des biais romantiques-décadents, idéalisant certains aspects du cadre historique du mode de production capitaliste (la nation, la petite-propriété, voire la start-up…), et chercher à relancer le capitalisme par lui-même en le « purifiant » de supposées déviances.

4. Peu importe ce que la bourgeoisie et les secteurs du peuple gagnés par elle décident, le mouve-ment de concentration monopolistique va ou bien à la rupture révolutionnaire, ou bien à la guerre impérialiste.

Sans prendre les choses depuis la classe ouvrière, et sans la boussole du matérialisme dialectique la Gauche ne peut saisir correctement tous ces aspects. Et au moment où la Crise fait vaciller le mode de production capitaliste jusque dans ces fondements, tout compromis avec les monopoles et l’appareil d’État va à la compromission et fait implacablement dériver les forces subjectives de cette Gauche vers le populisme et donc au bout du compte vers le fascisme.

Il faut donc prendre la mesure de la gravité de la situation dans laquelle se trouve un pays comme la France si on admet la validité de notre analyse. Nous disons que les années, peut-être même les mois à venir, vont être la période qui verra se polariser nettement ces tendances. Elles le feront de par l’orientation toujours plus marquée du mode de production capitaliste en direction de l’économie de guerre.

L’orientation toujours plus marquée du mode de production capitaliste vers l’économie de guerre.

Aucun compromis n’est possible avec les monopoles du capitalisme et l’appareil de l’État bourgeois pour les révolutionnaires.

Nous avons sous les yeux la situation d’une Crise dont l’issue pour le capitalisme est la marche à la guerre de manière tendancielle. On peut valider cette théorie par l’observation de trois orientations qui confirment cette tendance de manière factuelle : la course aux armements et le renforcement des appareils militaro-industriels des États impérialistes ou expansionnistes du capitalisme, la paralysie des masses dans les pays avancés du capitalisme, la déliquescence des conditions de vie et d’existence dans les métropoles du capitalisme.

Toutes ces orientations convergent implacablement vers la même direction : l’inévitable développe-ment dans le cadre du mode de production capitaliste d’une économie de guerre. La multiplication inévitable des tensions entre pays inter-impérialistes se traduit notamment par une course aux armements, visible notamment par une observation de l’augmentation quantitative des budgets de la défense.

Pour l’année 2021, les statistiques publiques et officielles des États quantifiant les budgets du secteur de la défense, concernant l’ensemble de la planète, donnent le ton : les dépenses militaires atteignent un record historique sans précédent, à 2113 milliards de dollars. À titre de comparaison, le PIB de l’ensemble des pays du continent africain, en 2018 avant la pandémie de COVID-19, était estimé à 1800 milliards de dollars.

Ce chiffre est en progression constante depuis le début des années 2000, et le niveau de dépense dans le secteur a dépassé très largement celui de l’époque de la Guerre Froide depuis lors. Les choses en sont au point, que les budgets militaires ont même progressé dans la pandémie, là où les capacités auraient dû être dirigées massivement vers la solidarité internationale, la recherche portant sur les fondements de l’épidémie et sur les moyens d’y faire face collectivement.

Et encore, il faut encore avoir conscience que ce que les États du capitalisme appellent le secteur de la défense n’est pas un aspect isolé de leur appareil productif, c’est un domaine complètement intégré à leur dispositif de production.

Cela est particulièrement vrai dans les pays avancés du capitalisme. La moitié de ces dépenses le sont dans les pays de l’OTAN, les cinq pays les plus dépensiers étant, par ordre décroissant les États-Unis, la Chine, l’Inde, Royaume-Uni et la Russie, qui représentent 62 % du total – avec une domination américaine écrasante. La France, relativement en voie de déclassement, reste une puissance militaire conséquente.

Dans ces pays, et encore plus depuis le développement de la guerre hybride, qui en est aussi une conséquence dialectique, les dépenses militaires ont aussi une dimension qualitative de plus en plus centrale dans l’appareil de production, concernant l’innovation, les équipements, les capacités de renseignements etc. Pour prendre un exemple significatif de cela, il suffit de penser aux fameux GAFAM de la Silicon Valley, et à leurs liens largement organiques avec l’armée américaine.

La France possède aussi ce genre d’armature structurelle appuyant le complexe militaro-industriel et sa capacité à se moderniser depuis au moins les débuts de la Ve République. C’est même là un des héritages les plus marquants du gaullisme que d’avoir polariser de manière nette, voire caricaturale, l’appareil industriel français autour de grands monopoles logistiques, de l’électronique, de la télécommunication, de l’aéronautique et de l’aérospatiale, de la balistique et bien entendu du nucléaire, donnant à l’industrie française une dimension militaire incontournable.

Toutes les tentatives de relancer le capitalisme et de le moderniser ont de fait été happé par cette dimension. Un des emblèmes les plus récents de cette modernisation a été la fondation de l’Université de Paris-Saclay en 2006, devant concentrer les fleurons de l’éducation supérieure formés par la bourgeoisie au sein de l’État français depuis la monarchie absolue et la Révolution de 1789 : l’École des Mines, des Ponts et Chaussées, Polytechnique etc. pour devenir une gigantesque machine à produire des cadres et des techniciens au service du capitalisme français, et surtout de son appareil militaro-industriel.

Cet effort de concentration-modernisation a touché l’ensemble des métropoles secondaires française au-delà de Paris, aboutissant partout à former ces types d’organisation polarisées, qualifiés ici de clusters, là de « pôles d’excellence », avec partout le même objectif, concurrentiel et dirigé dans la même direction.

À titre d’exemples de cette tendance, on a tous les développements de l’armée en direction des « starts-up » ou du gaming , ou encore la mise en place du Service National Unifié (SNU) .

Il est de fait impossible de dresser le périmètre exact de ce qui relève strictement du secteur de la défense avec les milles et unes activités économiques et productives qui lui sont reliées, sous la forme de biens ou de services.

Le complexe militaro-industriel en France, comme dans les États du capitalisme avancé, n’est pas une excroissance monstrueuse du mode de production capitaliste. Il en est d’abord un élément, dont la centralité se renforce à mesure que la tendance à la guerre favorise son développement et polarise la production, et donc la croissance économique, et donc les profits autour de son périmètre. C’est là une tendance effectivement monstrueuse, mais fondamentalement complètement inévitable.

De ce fait, l’Humanité engagée dans le mode de production capitaliste produit nécessairement une culture afin de naturaliser cette dimension de l’appareil productif, et d’accepter à la fois son existence et son développement. Y compris donc au prix d’une décadence de toutes les valeurs.

Cela se traduit par le fait que le capitalisme permet relativement de développer une certaine sécurité collective, dont ont pu de manière bornée et étroite, profiter une partie des masses dans un pays comme la France. On retrouve ici cette énorme erreur de postulat, essentiel au capitalisme, qui naturalise la libre-concurrence : les nations telles qu’organisées dans le capitalisme, seraient « naturelle-ment » en concurrence les unes face aux autres, et de cette concurrence « naturelle » découlent une tendance à l’affrontement qu’il faudrait accepter.

D’où les colossaux efforts du capitalisme à tenter de gagner par tous les moyens la jeunesse et à capter à son profit l’ingéniosité nationale française que la bourgeoisie de notre pays a été en mesure de développer, et dont elle bride et déforme désormais les capacités.

Bien sûr, le capitalisme se propose de développer un cadre civilisé à cette libre-concurrence : d’abord par la promotion du commerce et de la « guerre commerciale » comme alternative à la guerre militaire, mais aussi par le sport, et par toutes les activités liées à la culture et à la recherche, qui doivent aussi se déployer selon cette logique de la libre-concurrence, poussant à la coopération d’un côté, et de l’autre à l’affrontement, à la magouille et à l’agressivité sous toutes ses formes.

L’imposture même de la supposée naturalité de la libre-concurrence est bien entendu invisibilisée et refusée : ce serait de la « naïveté », de la faiblesse et fondamentalement une erreur sur la nature humaine que de considérer que les nations, comme les individus, ne seraient pas naturellement en concurrence, et donc tout aussi naturellement portés à l’affrontement.

Le capitalisme conduit donc l’Humanité qu’il a fabriqué à s’accepter telle qu’il l’a produite sur le plan historique, comme étant tout simplement la Nature elle-même. Le vertige de cette imposture ne peut que tourner au baroque, à la décadence.

Toute personne qui a déjà engagé une discussion sur cette question a forcément affronté cette imposture de la « nature humaine » capitaliste comme postulat soi-disant indiscutable, illustrant l’importance centrale de la lutte culturelle sur ce plan, pour produire une nouvelle Humanité en rupture totale avec celle du mode de production du capitalisme.

Cela est d’autant plus important que de par sa légitimité historique, acquise par des siècles de lutte avec les forces du féodalisme, la bourgeoisie a encore largement les moyens d’imposer sa domination, face à un prolétariat et des forces populaires qui sont pour le moment encore paralysées par toutes les contradictions de la crise et de la déliquescence de l’existence sociale, notamment dans les métropoles.

Mais celles-ci ne feront que s’aggraver : l’insécurité, l’inflation et bientôt le chômage et les ruptures d’approvisionnement vont frapper de manière croissante, avec elles, la tendance à la barbarie et au cannibalisme social va renforcer le besoin d’ordre et de sécurité, livrant les masses à l’appareil de répression de l’État bourgeois. En l’absence d’autre perspective solide et portée par l’élan de la Culture.

Il faut donc organiser activement un travail de propagande et d’édification militante dirigé vers ces points de manière combative et polarisante :

1. Une critique documentée de l’appareil militaro-industriel et de l’armée française afin d’en soutenir l’idée d’un démantèlement et d’un désarmement total, à commencer pour ce qui concerne les armes nucléaires et les bases militaires françaises hors du territoire national.

2. Une opposition nette à toutes les actions et de toutes les institutions de l’appareil d’État bourgeois à visée militariste en direction des masses et plus particulièrement de la jeunesse.

3. Une critique populaire de l’insécurité, notamment dans les métropoles, illustrant le lien entre la décadence de la vie publique et sociale et les impasses historiques, et insurmontables par lui-même, du mode de production capitaliste, en vue de le dénaturaliser et de le faire rentrer dans le processus historique qui permettra de le liquider.

Il faut avoir pleinement conscience que le développement de l’économie de guerre, la tendance à la militarisation et à l’embrigadement des masses sont là un élément complètement fataliste dans le cadre du capitalisme, mais qui n’est pas une fatalité. Il faut tout aussi nécessairement donner à ce travail d’agit-prop et de critique une profondeur, en le soudant à l’élan de la Culture, portée par le prolétariat comme classe révolutionnaire de notre époque.

C’est l’articulation de ces éléments qui permettra d’aller toujours plus nettement à la Rupture, avec le sentiment enthousiasmant d’être le mouvement de l’Histoire, de porter la Nouvelle Humanité qui ouvrira l’ère du Socialisme et du retour à la Nature et au Cosmos.

L’orientation toujours plus marquée du mode de production capitaliste vers la nécessité du Socialisme.

Il faut marteler ce point : la Crise du mode de production capitaliste a son pendant dialectique : il produit de manière toujours plus marquée son orientation vers la nécessité du Socialisme à mesure que se multiplient les contradictions et les impasses.

Ce n’est pas la bourgeoisie et l’État bourgeois qui changeront les choses, ce sont les masses, sous la direction révolutionnaire de la classe ouvrière et de son parti d’avant-garde consciente. Il faut le faire en partant du réel, c’est à dire au départ de la passivité totale des masse en Belgique et en France face au développement affreux de la guerre impérialiste.

Jusque-là, aucune entrave populaire et démocratique ne s’est manifestée face au  développement de l’économie de guerre. C’est sur cet aspect que la comparaison avec la situation précédent l’explosion de la Première Guerre Mondiale en 1914 a beaucoup d’intérêt avec notre propre époque. C’est ce qui laisse penser que malheureusement l’Ukraine est perdue à ce stade. Il semble désormais impossible d’imaginer qu’elle ne sera pas démantelée en tant que nation entre l’occupation/annexion russe et la satellisation complète à l’OTAN/UE.

Cet échec total de l’internationalisme doit nécessairement servir d’avertissement funeste et donc appuyer la nécessité de l’élévation du niveau de conscience.

Sur ce plan, le travail d’agitation-propagande, l’effet d’entraînement par l’engagement dans le cadre d’un groupe, devenant cellule, puis se rattachant à un organe, est un processus d’édification militant qu’il faut mener coûte que coûte et qu’il faut soutenir et encadrer, comme l’illustre le tout récent lancement de la gazette Rosa, qui est un remarquable pas en avant dans la bonne direction sur le plan militant.

Sur le plan général, ce qu’il faut voir en l’espèce face au développement de l’économie de guerre, à mesure que vacillent les États bourgeois, c’est que s’affirmera toujours plus le mouvement de la Culture comme émancipation du capitalisme, prenant la forme du pacifisme, c’est-à-dire du refus de la guerre impérialiste.

On parle là d’un pacifisme de rupture, qui vise nettement à briser l’économie de guerre et la tendance à la guerre impérialiste sur tous les plans. Cela implique nécessairement de porter sur le plan idéologique la Culture et son élan. Le pacifisme prolétarien en ce sens n’est pas qu’une opposition antagonique : il est aussi un espoir adressé aux masses.

Le pacifisme prolétarien qu’il s’agit de développer sur une ligne de masse, c’est revendiquer ces mesures concrètes comme bases élémentaires de toute discussion politique :

1. La sortie entière de l’OTAN et des alliances militaires avec les autres États impérialistes ou expansionnistes du capitalisme.

2. Le démantèlement des forces portant l’appareil militaro-industriel et des monopoles de la défense, et le développement du concept de défense populaire et de l’étude par les masses de leur propres capacités de défense.

Cette ligne ne peut avoir de sens sans sa perspective, qui est celle du Front Populaire, qu’il faut affirmer à mesure que se dessine dans le mouvement de polarisation vers l’économie de guerre, l’inévitable et redoutable développement du nationalisme et du fascisme.

Le pacifisme prolétarien exige aussi donc de porter plus loin la rupture, car sur ces seules deux bases élémentaires, il n’y a pas assez de densité pour s’opposer à toutes les conséquences désastreuses de l’effondrement de l’État bourgeois dans l’économie de guerre, puis dans le fascisme.

Il faut organiser aussi une ligne de rupture démocratique et populaire, structurant d’abord un bloc défensif, avant d’être en mesure d’élancer offensives sur offensives jusqu’à la victoire complète.

Dans cette perspective, les jalons qu’il faut poser sont nécessairement :

3. Dénonciation de l’État fantoche ukrainien, comme une marionnette des puissances impérialistes pro-OTAN, et de tous les aspects de sa corruption (sur le plan militaire et civil, par exemple concernant pour ce dernier aspect son alignement sur la GPA en faveur des pays européens de l’Ouest, notamment la France).

4. Dénonciation des opérations d’engagement des armées française et belge dans le cadre d’une confrontation entre l’OTAN et la Russie : AIGLE en Roumanie et LYNX en Estonie notamment.

5. Appel à la dénonciation des monopoles de la guerre en France et Belgique, à toute manœuvre de restructuration en direction de leur renforcement sur le plan économique, contre toutes les tendances bellicistes et militaristes sur le plan social et contre la propagande de guerre sur le plan culturel

Le moment venu, cela passera nécessairement par la lutte populaire ouverte, par la guerre populaire, car tel est le prix du pouvoir et de la capacité à changer le monde en brisant l’État bourgeois dans sa chute et en écrasant toutes les forces réactionnaires s’opposant à la rupture révolutionnaire. Bien que cela ne soit pas encore à l’ordre du jour, il faut aussi garder en tête cette étape qui se développera nécessairement de manière toujours plus visible :

6. Développement des capacités de défense populaire face à l’appareil de répression de l’État bourgeois et face aux velléités agressives des autres États impérialistes ou expansionnistes, manipulant des organisations criminelles ou terroristes cherchant à cibler le peuple.

Telles sont les lignes rouges que doivent méditer, assimiler et développer par leur pratique les forces conscientes de l’avant-garde.

Alors que le crépuscule assombrit le vieux monde, nous tournons nos yeux vers les rayons de l’aube qui s’annonce avec enthousiasme. Notre victoire est inévitable, quoi qu’il arrive. Alors nous avançons avec détermination pour se préparer à lever dans la tempête le drapeau rouge annonçant le soleil d’une nouvelle Humanité. Entrez avec nous dans la lutte pour le futur, étudiez et méditez, organisez-vous, luttez, tenez-vous prêts.

Guerre à la guerre ! Front Populaire face à la décrépitude de l’État bourgeois !

Défense populaire face à la guerre impérialiste ! Jusqu’au Socialisme et jusqu’à la Paix internationale et fraternelle !


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