SAUVER L’UNION SACRÉE
OU COMMENT NE PAS TOUCHER LES TRAVAILLEURS

Depuis plusieurs jours, l’ULB, comme la plupart des centres universitaires et des hautes écoles, est en grève de solidarité avec les étudiants étrangers, menacés par les mesures Vranckx.

Ce mouvement, large par son extension, mais limité dans ses objectifs (non pas remise en question de la loi en tant qu’elle reflète la politique de la bourgeoisie à l’endroit des immigrés – étudiants ou travailleurs – mais en tant qu’elle viole ouvertement les principes de justice et d’humanité), permet donc le rassemblement d’un large front, l’alliance de toutes les tendances au sein du milieu universitaire, depuis les cercles facultaires et les Autorités Académiques, jusqu’aux « gauchistes », en passant par le Librex et l’UNEC.

En effet, les objectifs poursuivis permettent une sensibilisation et une mobilisation sur une base généreuse et humanitaire, qui tend à limiter la signification du mouvement. Car celui-ci dépasse de loin le cadre « apolitique » et libéral que certains veulent lui assigner : dans la mesure où il s’oppose à une loi, à une mesure gouvernementale il acquiert une dimension directement politique, il trouve directement sa place dans une lutte menée non seulement contre les lois du ministre Vranckx et son administration, mais contre un gouvernement qui prend de telles mesures contre un système où on entretient plus ou moins délibérément la xénophobie et le racisme.

Bien sûr, il n’est pas question de savoir si Monsieur Alphonse Vranckx, citoyen belge, est plus ou moins raciste que la majorité de ses compatriotes, si c’est un bon père de famille, et s’il est aimable avec son facteur.

Ce qu’il s’agit de savoir, c’est si Vranckx, ministre de l’Intérieur, quand a été ordonnée la fusillade de Zwartberg où deux mineurs furent tués par les gendarmes, si Vranckx, ministre de la Justice qui décide l’application de la loi de 65, si Vranckx, ministre de la Justice qui propose des mesures baptisées « anti-milice privées » destinées à interdire tout mouvement politique révolutionnaire, tout groupe contestataire, tout piquet de grève, toute manifestation non officielle, il s’agit de savoir si ce ministre Vranckx donne des ordres, prend des mesures et prépare les lois qui tendent à un durcissement de la répression en Belgique, face à la montée des luttes ouvrières et étudiantes, et à l’instauration d’un pouvoir fort.

Si OUI, quelle que soit sa personnalité privée, on peut crier, on doit crier : VRANCKX RACISTE – VRANCKX FASCISTE

Si OUI, le mouvement s’engage évidemment dans une voie nouvelle.

Il ne s’agit plus seulement d’adhésion humanitaire à une lutte contre des mesures d’expulsion d’étudiants étrangers, il s’agit d’un combat politique contre le ministre Vranckx, le gouvernement belge, et la bourgeoisie dont ils défendent les intérêts.

Et dans ce combat, le mouvement étudiant doit se chercher des alliances. Mais il ne doit pas les chercher n’importe où. Il doit savoir qui peut et qui veut mener avec lui la lutte pour les libertés démocratiques d’association et d’expression en Belgique, et qui peut la mener de façon conséquente.

Or, ceux qui peuvent et veulent le faire, ce ne sont évidemment pas les grands bourgeois de l’avenue Louise, ou les fonctionnaires du Ministère de la Justice. Ce sont les travailleurs, et en particulier, les travailleurs étrangers, eux qui sont quotidiennement confrontés à l’arbitraire et à la répression (patronale, syndicale et policière).

Et si c’est une question vitale pour le mouvement de sortir du cadre de l’univ’ – ce que personne ne semble mettre en doute – il doit en sortir dans l’optique claire de toucher non pas la « Population », notion abstraite et contradictoire, mais bien les travailleurs et surtout les travailleurs étrangers.

C’est pour cela que nous pensons que la manif’ de mercredi ne pouvait avoir de sens que si elle tendait à réaliser pratiquement un premier contact, un premier rapprochement entre étudiants et travailleurs. C’est pour cela que nous avons proposé d’aller, en manif’ jusqu’à la gare du Midi, dans le quartier où vivent des milliers d’étrangers, là où des milliers de travailleurs prennent le train.

Et ce qu’il s’agissait d’y faire, ce n’était pas une gentille distribution de tracts à quelques-uns (autant valait alors les jeter dans les boîtes aux lettres), ni une mini-manif à 150, comme ce fut le cas. Ce qu’il fallait y faire, c’est une véritable manif’, qui aurait réellement attiré l’attention des travailleurs et montré notre nombre et notre conviction, qui aurait permis à des centaines d’étudiants d’expliquer leur lutte aux travailleurs, et d’apprendre de ceux-ci leur propre lutte.

Mais là n’était pas du tout l’objectif de ceux qui ne se sont joints à la manif’ – et en ont même pris la direction politique – que dans la mesure où les mots d’ordre étaient suffisamment ambigus pour ne pas s’en prendre à un régime dont ils savent qu’ils y jouissent d’une situation de cadres privilégiés et l’acceptent avec enthousiasme.

Mais c’était là demander beaucoup trop à des gens qui lancent de pathétiques appels à la solidarité étudiants/travailleurs, mais qui au nom de l‘union sacrée avec les cercles facultaires refusent de réaliser dans les faits l’unité avec les travailleurs, à des gens qui se plaignent de ce qu’on ne peut rien faire tant qu’on n’est pas 2.000, mais qui, lorsqu’on est 2.500, refusent de rien faire au nom de la tactique (il n’y a pas vingt-cinq flics entre la Porte de Hal et le Midi) à des gens qui mettent sur pied un magnifique service d’ordre destiné exclusivement à faire respecter le parcours officiel indiqué par les flics, mais totalement incapables d’organiser une distribution dans les gares, c’est-à-dire de réaliser le but théorique de la manif’.

Cette information, cette sensibilisation des travailleurs sont essentielles pour que nous remportions plus que de vagues promesses. Si l’on n’a pas voulu qu’elles se fassent à travers la manif’, il faudra faire autrement, en allant dans les quartiers populaires de Saint-Gilles et d’Anderlecht et partout où l’on peut toucher les travailleurs.

La manif’ nationale de lundi peut prendre la même tournure, elle doit atteindre son véritable objectif, et pour cela il faut la préparer sérieusement.

Quant à la grève, elle doit continuer jusqu’au conseil des ministres le vendredi, comme cela fut décidé en Sciences, mercredi matin.

U.U.U.


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