Thomas Stitny (environ 1333-1406) a eu une conception qui va directement paver la voie au protestantisme.

Lorsque Thomas Stitny explique que « À la nuit succède le jour qui nous éclaire et nous invite au travail », il formule déjà de manière synthétique la philosophie de la Réforme, celle de la bourgeoisie naissante.

Issu d’une famille de chevaliers, il pratique la littérature, il a notamment écrit un roman spirituel (Barlaam et Josaphat), 25 traités mineurs, deux œuvres majeures : les Entretiens et les Discours dominicaux.

Thomas Stitny écrivait en langue vulgaire et était soutenu par Jean de Jenstejn (ami et partisan de Jan Milíč), mais aussi de l’écolâtre de Saint-Guy, Adlabert de Jezov qui avait l’hégémonie sur l’enseignement ecclésiastique en Bohême.

Thomas Stitny faisait ouvertement référence aux penseurs grecs, ce qui le lie directement à l’averroïsme :

« Ayant entrepris de scruter les mystères sublimes, les sages païens en firent le thème de leurs études et le fruit de leurs travaux s’est conservé jusqu’à nous. Ils commencèrent par soupçonner l’existence d’une cause primordiale, partant supérieure à tout […]. Ils devinèrent que ce qui change et se modifie ne peut être à l’origine des choses, mais provient d’un principe immuable tel que l’être parfait. »

C’est effectivement précisément la thèse d’Aristote. Cependant, la thèse aristotélicienne ouverte devenue averroïsme s’est faite écrasée à l’université de Paris, aussi c’est sous forme du « néo-platonisme » que les idées d’Aristote furent exprimées.

Ce « néo-platonisme » mélangeait les thèses d’Aristote et de Platon, qui s’opposent pourtant, en considérant qu’il s’agit d’un seul point de vue; Aristote, pourtant, rejetait la conception platonicienne d’un existence d’un monde idéal « au-dessus » de notre univers.

Thomas Stitny avait cette même conception néo-platonicienne; parlant des philosophes grecs, il poursuit donc en disant :

« Ils comprirent aussi que la nature spirituelle est plus noble que la corporelle; que sa nature à lui est supérieure à celles qu’il a faites. Que l’agrément d’un corps diffère de celui d’un esprit. »

Dans le cadre de ce néo-platonisme, Thomas Stitny formula l’affirmation de la « pensée », mais au lieu de de prôner avec Aristote la contemplation passive d’un univers parfait (et Spinoza transformera cela en contemplation de la Nature, « Dieu ou la Nature » dit-il), il prôna la contemplation active du monde idéal. C’est là le moteur théorique de ce qu’on va appeler le protestantisme.

Voici sa conception de l’harmonie, largement empreint d’aristotélisme :

tomas_stitny.jpg« La sagesse divine se fait connaître à nous par la beauté et l’agrément de la création. C’est là que nous pouvons la contempler. Et bien que la beauté et l’harmonie se réalisent sous des aspects multiples et variés, elles dépendent surtout de quatre principes:

1. il faut qu’un objet soit convenablement situé,

2. que son mouvement soit convenant,

3. qu’il ait une forme ou un aspect convenant,

4. qu’il possède une couleur convenante ou telle autre propriété qui procure à nos sens de la jouissance ou qui fait qu’il est bon. »

Thomas de Stitny a une vision conforme à l’esprit humaniste. La définition qu’il donne de Dieu est absolument impersonnelle :

« Ce monde est comme un livre ouvert pour tous, écrit par la main de Dieu, c’est-à-dire par sa puissance et sa sagesse. Chaque créature prise à part est un mot de ce livre qui raconte son pouvoir et sa science. Et comme un illettré, en regardant un livre, voit des caractères sans en saisir le sens, l’homme dépourvu de savoir et qui suit les mœurs des brutes sans appliquer son esprit à Dieu ne perçoit que l’extérieur de la créature visible, mais il n’en comprend pas le pourquoi. Par contre, l’homme spirituel, qui est capable de discerner la beauté perceptible dans les créatures, entrevoit les profondeurs et les merveilles de la sagesse qui a si bien ordonné l’univers. »

Et voici sa conception de la pensée, où l’on reconnaît l’esprit humaniste, l’esprit de la réforme : la conscience soumise à l’harmonie :

« Les philosophes distinguent quatre sortes de mouvements:

1. le déplacement de lieu,

2. l’accroissement de ce qui grandit, la diminution de ce qui dépérit,

3. l’attrait qui fait approcher l’animal d’un objet,

4. la mobilité de l’entendement. (…)

Aucune créature ne possède le troisième mouvement, hormis certains animaux qui ont une âme et des besoins, mais point de raison. C’est une appétence de l’âme qui rend la pensée attentive – car même chez les bêtes on doit l’appeler pensée – à un objet qui frappe les sens.

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L’impression en demeure dans la mémoire sous forme d’image et fait naître chez l’animal le désir de rechercher ce qui lui plaît, d’éviter ce qui le rebute (…).

Le quatrième mouvement ne se rencontre que chez l’ange ou chez l’homme. Il concerne la mobilité de l’intellect. Les êtres privés de raison ne le possèdent pas. Il consiste en ce que le regard de l’intelligence se porte sur un objet avec plus ou moins de vivacité.

On a sujet d’admirer ce mouvement si l’on conçoit combien l’intelligence incréée, qui est de loin supérieure à notre raison créée, a su former avec art et dispenser avec équité cette faculté qui dirige la volonté, la pensée et les actes humains selon l’équité et le bon sens; et comme elle est capable de changer le mal en bien, non pas pour servir les méchants, mais pour les bons qui l’aiment. En effet, par l’opération merveilleuse de la providence, tout contribue à leur bien (…).

Tout ce qu’il a créé nous montre sa bonté et son amour. Car il n’a rien fait pour satisfaire à ses besoins. Il pouvait exister seul, pour lui-même, dans un bonheur éternel. Mais, voyant qu’il lui était possible de faire participer la création à sa bonté, il a créé chaque chose suivant sa capacité et maintient tout par sa bonté. N’est-ce pas une marque de sa bienveillance infinie que le soin qu’il prend à régler toute chose au profit des créatures raisonnables? »

On a donc la conception d’un monde ordonné, organisé, où l’être humain peut raisonner de manière harmonieuse, dans le respect de l’ordre. C’est la conception d’Aristote appliqué au sein du christianisme, une laïcisation de la religion, sa version bourgeoise (alors progressiste).

Il est enfin, pour finir, intéressant de voir comment il formule le caractère « statique » du monde, que précisément la classe ouvrière et le matérialisme dialectique remettront en cause.

Stitny explique cela de la manière suivante, tentant de contourner la réalité essentiellement contradictoire du monde :

« Le feu n’est-il pas l’ennemi de l’eau et l’eau du feu? Pourtant la providence a tout réuni dans un seul monde.

De par sa volonté, aucune force n’annule l’autre. Cet habile artisan donne la vie et pourvoit, selon l’ordre qu’il a établi, aux besoins de tout ce qui naît. Qui donc n’admirerait la profondeur de sa sagesse dans la disposition des parties de l’univers? (…)

Pour que les contraires ne se détruisent pas mutuellement, il existe des intermédiaires qui ont avec chacun d’eux quelque ressemblance ou quelque affinité. Ils leur servent de traits d’union ou d’arbitres, possédant avec chacun d’eux une propriété commune. »


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