À la fin du Moyen-âge, on était dans l’époque où les masses font irruption dans la religion, après les périodes romane et gothique. Une grande figure de la prédication fut Konrad von Waldhausen, mort en 1469, qui depuis Prague irradia au-delà même de la Bohême.
Autrichien d’origine, il critiquait les ordres mendiants pour leur mode de vie en décalage avec leurs valeurs, ce qui lui apportait un soutien urbain important. Il fut d’ailleurs finalement directement protégé par l’empereur Charles IV contre l’opération menée par le Vatican pour se débarrasser de lui au moyen d’un procès pour hérésie.
Charles IV soutint également l’un des cadres de l’appareil d’Etat, Jan Milíč de Kroměříž, qui devint un prédicateur de très grande envergure.
Influencé par Konrad von Waldhausen (également connu sous le nom de Waldhauser), il ne prêchait cependant pas qu’en latin et en allemand, mais également en tchèque, ce qui lui permet d’élargir sa base, au point de tenter de réaliser une nouvelle église parallèle, où les laïcs tenaient une place équivalente au clergé.
Jan Milíč critiquait les ordres mendiants, les rentes féodales, le commerce, l’emploi de travailleurs salariés considéré comme relevant de l’usure, rassemblant de nombreux partisans. Cette Nouvelle Jérusalem profita du soutien actif de Charles IV et disposa de pas moins de 29 bâtiments dans le quartier pragois marqué par la prostitution.
Le peuple des villes était donc directement touché par la prédication et le mouvement de réforme religieuse était directement porté tant par la bourgeoisie que par l’empereur.
Il est très expressif que l’empereur ait soutenu jusqu’au bout Jan Milíč de Kroměříž, alors que celui-ci vivait des crises mystiques où il considérait la venue de l’Antéchrist comme imminente, accusant même dans ses prêches l’empereur d’être celui-ci.
C’est un élève de Jan Milíč de Kroměříž, nommé Matěj (Mathias) de Janov (environ 1354-1393), qui avait étudié à Paris de 1373 à 1381, qui continua les prêches populaires. Il rejetait le culte des images et celui des Saints, en affirmant que la Bible était la seule autorité en matière de foi, avec égalité des hommes et des femmes devant la communion.
Il affirmait ainsi, attaquant l’Église :
« Cette contradiction se rencontre chez eux toute le long du jour, toute leur vie. Leur bouche s’emploie le matin à louer Dieu, le reste de la journée à dire des balivernes, à boire, à se gorger et à médire d’autrui.
Le matin, ils sont doux et dévots, le reste du jour cruels et rapaces. Le matin, ils récitent leurs heures avec beaucoup de soin, ils élèvent jusqu’aux nues le service de Dieu ; après le repas, ils s’adonnent aux vains propos et à leur mauvaise conduite, si bien qu’ils oublient Jésus-Christ.
Jusqu’au soir ils goûtent les plaisirs de la terre et s’en excusent en disant qu’il faut bien qu’il en soit ainsi, parce qu’on est homme et que cela se fait partout, même chez les grands, les doctes, chez ceux qui ont l’air honnête et dévot. Et ils justifient leur conduite par des citations de l’écriture, des arguments, des commentaires et par beaucoup d’autre chose semblable. »
Son point de vue mystique allait en fait de pair avec l’abolition de la règle monastique car, pour lui, le Christ désignait la somme des êtres vivants, ou encore la vie et ce qui sert à la reproduire ou la conserver : le blé et la vigne, le pain et le vin, l’eucharistie.
Il parlait également de ce qu’il y a de vivifiant, d’actif et de constructif dans la nature par opposition à Bélial, la destruction. L’histoire de l’humanité était vue comme celle d’une lutte incessante entre les fils du Christ et ceux de Bélial : l’objectif nécessaire était de rétablir l’humanité dans sa nature première, le « chemin » comme règle de vie.
Dans son Traité de l’Église, Matěj de Janov reprit ce principe d’un monde ordonné :
« Je dis d’abord que la famille chrétienne, pareille aux étoiles, doit briller par ses différentes vertus, afin de s’accointer, dans l’éternité, avec la bienheureuse famille de Dieu dans le ciel. »
Par conséquent, puisque le monde est ordonné – conception d’Aristote ou bien néo-platonicienne – il y a lieu de toujours saluer cet ordre.
C’est cette perspective qui va former l’identité protestante avec son inquiétude permanente et individuelle par rapport à l’ordre divin. L’Islam ne dit pas autre chose et la source est la même : Aristote.
Matěj de Janov a ici impulsé la démarche pratique au coeur de la culture hussite, qui elle-même va générer le protestantisme. À ses yeux, le pain était l’élément le plus important. C’est l’aliment de base, c’est également le lien avec Dieu.
Il n’y a donc aucune raison que le pain et le vin, le corps et le sang du Christ, ne soit consommé que par le clergé lors de la cérémonie religieuse. Le calice, contenant le vin lors de la cérémonie chrétienne, devint le symbole de la révolte hussite.
Matěj de Janov expliquait :
« Il faut donc bien noter que le pain est le plus commun des aliments. Les hommes changent de nourriture et varient leur menu, mais ils mangent toujours du pain et ne le remplacent jamais par autre chose.
Ceci concerne le verbe de Dieu, car bien que tous les actes, les paroles, les négoces, les études alternent selon les jours et se succèdent les uns aux autres… le verbe divin fait chair peut et doit toujours demeurer en notre volonté, raison et mémoire, en nos désirs, actes et paroles… de même, on ajoute toujours du pain pour assaisonner et tempérer le goût des autres aliments ; davantage, le pain les rends propres à nourrir les hommes, car, sans lui, les viandes, les fruits et les restes ne peuvent aucunement nous rassasier, comme le montrent l’usage et l’expérience quotidienne (…).
De là nous est venu le nom du pain, du grec pan qui vaut autant comme omne ou totum en latin. Pareillement vinum qui est comme vis omnium ou vis homini.
De même que, dans le pain, il se produit une union de nombreux grains, de même le sacrement rassemble toutes les perfections désirées et désirables pour l’être, la vie et l’entendement de quiconque le reçoit. »
Le pain devient la réalité du sacrement, par Jésus, le christianisme est « chair ». Il n’y a donc pas lieu de trop considérer les statues, les représentations, qui ne sont pas ce qu’elles prétendent être.
« Ainsi donc, tout bien pesé, une statue n’est que du bois ou de la pierre oeuvrée selon le bon plaisir de l’imagier et selon sa fantaisie : un signe du Christ et des saints impropre et inconvenant, dépourvu de sainteté, n’ayant en soi aucun droit au respect ; toutefois utile au vulgaire pour qu’il se remémore le Christ et les saints et soit porté à la dévotion. »
Le protestantisme prolongera ce raisonnement et abolissant la notion de « vulgaire », supprimera les représentations.
Matěj de Janov rejetait également le fait que les femmes soient mises de côté pour les sacrements, sa vision est celle d’une communauté solide, bien soudée. Constatant les guerres « fratricides » entre chrétiens, il demande :
« Qui donc serait capable d’examiner ou d’expliquer les causes d’une pareille boucherie et d’une telle fureur qui anime les chrétiens contre leurs pareils. Qui ne serait frappé de stupeur et dévoré de chagrin en comparant les moeurs des chrétiens d’aujourd’hui, leur sujétion à tous les crimes et à toutes les iniquités, avec l’église primitive des saints qui possédait toutes les vertus, et qui était si unie par la charité, que tous ses fidèles « n’avaient qu’un coeur et qu’une âme » ? »
Voici également un exemple de sa vision apocalyptique :
« En ce qui concerne notre recherche, un autre Elie (c’est-à-dire un homme pénétré de l’esprit d’Elie) est requis pour rompre ce silence précédant l’avènement du christ et de l’antéchrist.
Et si vous voulez savoir qui sont ces Elie nouveaux, je peux dire, pour autant que je l’ai appris par leurs actes, que ce furent Milic, prêtre vénérable, prédicateur puissant en œuvres et en paroles, dont le verbe flambait comme une torche ; et Conrad Waldhauser, homme également religieux et dévoué.
Ils ont rempli de leur discours les métropoles de la chrétienté : Rome et Avignon où est le pape ; la Bohême et Prague où est l’empereur de la chrétienté. L’un deux, Conrad, est décédé à Prague où est César ; l’autre a trouvé la mort en Avignon où est le Pape. Et tous deux avant de mourir ont passé par toutes sortes de tribulations, pour la justice et la vérité de Jésus-Christ, en lutant jusqu’au dernier souffle contre la bête.»