C’est la social-démocratie allemande qui servait de moteur et de modèle à la seconde internationale. C’est elle qui donnait les impulsions sur les plans théorique et pratique, c’est elle qui analysait les différents phénomènes historiques. Son parcours était exemplaire, son organisation de grande ampleur, son programme abouti.
À l’origine, le mouvement ouvrier allemand s’appuyait sur l’ADAV (Allgemeiner Deutscher Arbeiterverein, Association générale allemande des ouvriers), fondé en 1863 par Ferdinand Lassalle, ainsi que sa scission, le SDAP (Sozialdemokratische Arbeiterpartei, Parti Ouvrier Social-Démocrate) d’August Bebel et Wilhelm Liebknecht, fondé en 1869.
La ligne de Lassalle était celle du réformisme de type étatiste, avec en perspective la socialisation légaliste de la société, alors que la ligne de Bebel et Liebknecht était davantage combative ; la ligne des deux organisations ne dépassaient cependant pas le niveau idéaliste de la bataille pour un État « vraiment » démocratique obtenu au moyen de réformes.
L’unification se déroula lors du congrès à Gotha, du 22 au 27 mai 1875, donnant naissance au SAP (Sozialistische Arbeiterpartei Deutschlands, Parti socialiste ouvrier d’Allemagne). Karl Marx avait émis une critique très forte, en raison du poids idéologique de l’ADAV et de Ferdinand Lassalle, sa « critique du programme de Gotha » devenant une œuvre classique du mouvement ouvrier.
Les progrès de la fraction révolutionnaire finirent par écraser la tendance formée par Ferdinand Lassalle (qui lui-même était mort en 1864), mais l’empire allemand nouvellement instauré interdit la social-démocratie en 1878.
Le Vorwärts (« En avant »), l’organe central paraissant trois fois par semaines à sa fondation en 1876, continua pourtant son existence dans l’illégalité, sous le nom de « Der Sozialdemokrat », réussissant à être diffusé clandestinement dans toute l’Allemagne depuis la Suisse.
Et malgré que la répression ait amené l’interdiction de 155 périodiques, de 1200 imprimés non périodiques, condamnant 1500 personnes à en tout 1000 années de prison, l’organisation se maintint jusqu’à sa légalisation en 1890.
Eut alors lieu le congrès de 1891 à Erfurt, du 14 au 20 octobre. Le nouveau nom devint « Parti Social-démocrate d’Allemagne », avec l’adoption d’un programme écrit par Karl Kautsky et Edouard Bernstein.
Ce programme dit d’Erfurt, qui resta tel quel pendant 30 ans, dépassait celui de Gotha de 1895 en bien des points, grâce à une critique pointue de Friedrich Engels. Rédigé surtout par Karl Kautsky, il se situait sur le terrain du marxisme, même s’il évitait d’aborder les questions essentielles des tâches démocratiques de la révolution allemande, ainsi que la dictature du prolétariat.
Sa thèse essentielle, c’est la primauté du politique :
« La lutte de la classe ouvrière contre l’exploitation capitaliste est nécessairement une lutte politique. La classe ouvrière ne peut mener ses luttes économiques et ne peut développer son organisation économique sans droits politiques.
Elle ne peut réaliser le passage des moyens de production au sein de la collectivité sans être entrée en possession de la puissance politique.
Rendre cette lutte de la classe ouvrière consciente et unitaire et lui montrer son but nécessaire, telle est la tâche du Parti social-démocrate. »
Le socialisme y est présenté comme une synthèse effectué par les socialistes, pas comme un produit mécanique de la lutte des classes. Cela est dit très clairement :
« Les socialistes n’ont nullement reconnu dès le début le rôle que le prolétariat combattant est appelé à jouer dans le mouvement socialiste.
Bien sûr, ils ne pouvaient pas faire cela tant qu’un prolétariat combattant n’existait pas.
Mais le socialisme est plus ancien que la lutte de classe du prolétariat. Il est aussi vieux que l’apparition du prolétariat en tant que phénomène de masse. »
Ce programme, avec cette thèse comme noyau dur, marqua particulièrement les esprits alors, notamment celui de Lénine. Ce dernier le présenta encore comme une puissante contribution, un modèle du genre, lors du VIII congrès du Parti Communiste (bolchévik) de Russie, en mars 1919 :
« Nous sommes tenus de partir de cette idée marxiste, reconnue de tous, qu’un programme doit être édifié sur une base scientifique.
Il doit expliquer aux masses comment la révolution communiste est née, pourquoi elle est inévitable, quelle est sa signification, son essence et sa force, ce qu’elle doit résoudre. Notre programme doit être un guide pour la propagande, un guide tout comme le furent tous les programmes, comme l’était par exemple celui d’Erfurt.
Chacun de ses paragraphes contenait en puissance des centaines de milliers de discours et d’articles de propagande. »
La social-démocratie allemande, désormais légalisée, s’imposait comme un mouvement de masse sur une base marxiste, obtenant 23,3 % aux élections de 1895, après en avoir obtenu 19 % à celles de 1890.
Friedrich Engels, dans une lettre à Pablo Iglesias du 26 mars 1894, note ainsi
« En Allemagne les choses se développent de manière régulière. C’est une armée bien organisée et bien disciplinée, qui devient chaque jour plus grande et avance d’un pas assuré, sans se laisser détourner de son but. En Allemagne, on peut pour ainsi dire calculer d’avance le jour où notre parti sera le seul en mesure de prendre en main le pouvoir. »