L’irruption de la seconde crise générale du capitalisme, avec/à travers la maladie COVID-19 comme expression de la contradiction villes/campagnes, implique une marche à la guerre et une restructuration du capitalisme, aux dépens des prolétaires. Le processus n’est cependant pas linéaire et il dépend également des rapports de force au sein de la bourgeoisie elle-même. En ce sens, la victoire de Joe Biden à la présidentielles américaine renverse complètement la donne. Donald Trump se focalisait sur la Chine et considérait que tout le reste était secondaire ; il n’a d’ailleurs pas provoqué de guerre ouverte, ce qui est très rare pour un président américain.
Joe Biden, lui, s’est positionné comme ce qu’on appelle les « faucons », c’est-à-dire les va-t-en-guerre. La cible prioritaire, c’est la Russie. C’était déjà la ligne de Hillary Clinton, battue à la présidentielle de 2016 par Donald Trump. Et si l’élection présidentielle de 2020 a été autant tourmenté, c’est parce qu’il y au sein de la superpuissance américaine un important conflit entre les fractions de la bourgeoisie.
Et, effectivement, à peine Joe Biden entré en fonction le 20 janvier 2021, la question de l’affrontement avec la Russie se pose ouvertement, moins deux mois après. Cela implique un important changement de fonction de l’OTAN.
L’OTAN est initialement le bras armé de la superpuissance américaine pour combattre l’URSS socialiste. Fondé en 1949, l’OTAN est un pacte agressif, visant à déstabiliser et agresser l’URSS. Puis, une fois l’URSS devenue social-impérialiste, cela a été une union militaire faisant face au pacte de Varsovie, créé en 1955.
Les superpuissances américaine et soviétique ont été à deux doigts de se faire la guerre, dans les années 1960-1980, et la déroute du social-impérialisme soviétique a permis un élargissement de l’OTAN à toute une série de pays européens.
L’OTAN a initialement dans ses rangs la Belgique et la France, le Canada et les États-Unis, le Danemark et l’Islande, le Luxembourg et les Pays-Bas, la Norvège et le Royaume-Uni, l’Italie et le Portugal.
Suivent en 1952 la Grèce et la Turquie, au moment où la contre-révolution a réussi à écraser l’immense révolution grecque visant à établir la démocratie populaire. L’Allemagne de l’Ouest rejoint en l’OTAN en 1955, puis en tant qu’Allemagne unifiée en 1990.
L’Espagne est partie prenante à partir de 1982 et on a ensuite deux élargissements massifs aux pays de l’Est européen :
– en 1999 avec la Hongrie, la Pologne et la République tchèque ;
– en 2004 avec la Bulgarie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie.
Suivent encore l’Albanie et la Croatie en 2009, le Monténégro en 2017, la Macédoine du Nord en 2020.
L’élargissement de l’OTAN a deux fonctions. D’abord, il s’agit d’une mise sous tutelle militaire, satellisant stratégiquement les pays membres. Pour cette raison, de Gaulle avait fait en sorte que la France quitte l’organisation militaire intégrée de l’OTAN : la France était ainsi membre tout en ayant une défense autonome. Cela prit fin en 2009.
Ensuite, l’OTAN est un dispositif général des pays capitalistes face au reste du monde. Il s’agit de maintenir la supériorité militaire des pays capitaliste sur les pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine.
L’OTAN insiste ainsi particulièrement sur la modernisation des systèmes d’armement, dans un étroit rapport évidemment avec des monopoles de l’armement formant au moins relativement véritablement un complexe militaro-industriel.
La question de l’importance du complexe militaro-industiel est extrêmement complexe. Rosa Luxembourg avait clairement fait l’erreur de considérer que le militarisme était le cœur du capitalisme, car selon elle le capitalisme avait toujours besoin de territoires nouveaux pour qu’il y ait une accumulation du capital.
C’était là unilatéral, mais il n’en reste pas moins que reste la question de l’importance du complexe militaro-industriel dans le dispositif capitaliste. Il est intéressant ici de voir ce que dit en France l’organisation clandestine Action Directe à ce sujet en parlant de Dassault :
« Pour nous communistes, la logique de l’entreprise Dassault − dont l’histoire reflète fidèlement celle du capital en France après la seconde guerre mondiale, et qui a pris son essor au niveau mondial lors de la guerre du Vietnam, occupant les marchés délaissés par les États-Unis, quintuplant son chiffre d’affaires en vendant près de 1500 Mirages de par le monde − se place pleinement et activement dans la stratégie impérialiste.
La restructuration entreprise dès les années 70 lui a permis de développer la capacité et la faculté d’être, sur le plan industriel « le réalisateur matériel » de cette stratégie, tant au niveau de l’exploitation et de l’oppression que de l’appauvrissement et la misère qui en découlent.
C’est à partir de cette avancée au plan mondial que Dassault a pu devenir au sein de l’industrie civile et militaire, l’entreprise de pointe restructurée exemplaire et économiquement saine (puisqu’elle a réalisé en 1983 un bénéfice net de 394 millions de francs, enregistrant une augmentation de son chiffre d’affaires de 3% par an), sur laquelle peuvent se greffer les projets politico-militaires actuels de l’impérialisme.
Le développement d’entreprises comme Dassault se fait face et contre les besoins, les luttes et les guerres de libération du prolétariat international. De telles entreprises sont l’expression de la connexion et de l’homogénéisation des structures politiques, économiques et militaires de l’impérialisme. »
La question de « l’homogénéisation des structures politiques, économiques et militaires » est indubitablement essentielle.
Il est absolument clair par ailleurs qu’une telle homogénéisation existe aux États-Unis. Lloyd Austin, le secrétaire à la Défense des États-Unis nommé par Joe Biden, est ainsi un général présent lors des invasions américains de l’Irak et de l’Afghanistan, et en même temps un consultant (la société de conseil dans l’armement WestExec Advisors, le producteur d’acier pour l’armée américaine Nucor, l’entreprise d’aérospatiale et de défense Raytheon Technologies).
Des entreprises sont indissociables de l’armée américaine, qui dépense pratiquement 700 milliards de dollars chaque année : Boeing, Northrop Grumman, Lockheed Martin, General Dynamics, Raytheon Company, L3Harris Technologies… dont les revenus dépendent de l’armée à respectivement 45 %, 85 %, 95 %, 75 %, 94 %, 77 %.
Pour avoir un tel équivalent, il faut regarder le social-impérialisme soviétique, dont l’économie était au début des années 1980 principalement structurée sur le complexe militaro-industriel… ou bien la Chine social-fasciste actuelle, où il y a pareillement des monopoles directement insérés au niveau étatique, politiquement et militairement, au point qu’on ne sait pas dans quelles mesure ces entreprises sont en fait civiles ou militaires.
Même si on met la question du complexe militaro-industriel de côté, on voit qu’avec l’élection de Joe Biden à la présidence américaine, l’OTAN s’est directement placée dans une perspective interventionniste en Ukraine. Il ne s’agit pas simplement d’un « soutien » face à une menace, mais de l’utilisation de l’Ukraine pour combattre la Russie. C’est d’autant plus vrai que le « soutien » unilatéral de l’OTAN et de la superpuissance américaine à l’Ukraine a lieu alors que ce dernier pays n’est pas membre de l’OTAN.
Il s’agit clairement d’utiliser l’Ukraine comme moyen pour affaiblir la Russie : si celle-ci est mise en déroute en Ukraine, elle perdra la main en Syrie, ainsi qu’en Iran, et l’objectif est clairement l’établissement d’un nouveau régime en Russie, afin ensuite de passer à la Chine une fois cette question réglée.
Il faut bien saisir ici que l’obtention d’un changement de régime doit arriver indirectement. L’OTAN n’est pas conçu comme un levier de guerre ouverte, mais comme un outil de pressurisation.
En ce sens, rien de tel qu’on conflit localisé, comme celui de l’Est de l’Ukraine, pour que l’OTAN soit mise en œuvre dans sa nouvelle fonction. C’est un vecteur pour l’expansion du capital des pays dirigeant l’OTAN, principalement la superpuissance américaine bien entendu.
C’est un moyen de mettre au pas.
Le chemin allant de la Russie à la Chine passe par la Syrie et l’Iran, alliés de la Russie : si le Moyen-Orient est contrôlé, il sera aisé de couper l’accès chinois au pétrole puis de mener la même opération d’étouffement.
L’OTAN est un moyen de mettre au pas en passant par des étapes et il va de soi qu’on aurait tort de penser que l’OTAN ne joue pas donc également un rôle dans la réalité intérieure des pays capitalistes qui en sont membres. Une OTAN qui triomphe, c’est une France, une Allemagne qui triomphent, et d’autant plus de stabilité, et d’autant plus de pression sur le prolétariat, qui se voit écrasé politiquement, économiquement, mais également immédiatement militairement, n’osant plus jamais oser poser la question du pouvoir.
L’OTAN sous-estime cependant, dans sa stratégie de « pressurisation », les contradictions au sein du capitalisme en pleine crise générale : les tensions mènent forcément, tendanciellement, à une guerre mondiale pour le repartage du monde.
L’OTAN est ainsi forcément travaillé par des contradictions internes, qui peuvent devenir antagonistes. Un pays comme la France a une bourgeoisie impérialiste, partisane d’une aventure en solitaire, qui est très puissante et il en va de même en Allemagne. Un tandem franco-allemand peut très clairement utiliser l’Union Européenne comme tremplin pour l’établissement d’un nouveau bloc impérialiste.
Mais tout cela relève de la « géopolitique », de la spéculation : le processus des contradictions internes entre pays impérialistes est, par définition, mouvant, mutant, incohérent. Cela correspond à la nature décadente du mode de production capitaliste. Tout discours « géopolitique » est ainsi erroné.
Ce qui compte, ce sont les tendances de fond, et le rapport dialectique entre la tendance à la pressurisation et celle à la guerre mondiale pour le repartage du monde, c’est-à-dire la contradiction entre le particulier et l’universel.