Comment René Descartes fait-il pour « utiliser » la démarche d’Averroès, et tronquer la question de l’intellect matériel ?

Voici comment il présente les choses : au lieu de situer comme intellect matériel, il s’assimile à l’intellect lui-même. Il peut ainsi dire de l’intellect matérielle qu’il est son « esprit » et que celui-ci est trompeur :

« mon esprit est un vagabond qui se plaît à m’égarer »

René Descartes est ici fidèle à la religion : il considère qu’il n’y a pas d’intellect général, seulement une âme. Mais comme il a besoin de « sauver » les sens à sa manière – pour justifier la bourgeoisie transformant le monde – il doit attribuer à l’intellect matériel un aspect authentique.

Portrait de René Descartes, avant 1707.

Portrait de René Descartes, avant 1707.

Pour saisir les choses clairement :

Avicenne = Dieu => intellect => « pensée » de l’humanité

Averroès = Dieu => intellect / intellect matériel =>pensée double de l’humanité (soit tournée vers l’ensemble, soit vers le simple « individuel », « particulier »)

Descartes inverse l’ordre. La pensée de l’être humain serait un intellect, et non plus l’intellect matériel. Cet intellect peut être trompé par l’intellect matériel (Descartes l’appelle l’esprit).

Là où Avicenne et Averroès disent : les humains ne pensent pas, l’intellect vient du Dieu-Univers-Superordinateur (ce qui sera remplacé par la Nature, l’univers pour les matérialistes), Descartes renversent le tout.

C’est l’unique moyen qu’il a trouvé de conserver Dieu tout en proposant une conception rationaliste de l’esprit.

Comment Descartes s’y prend-il ? Si notre thèse est correcte, alors l’opposition esprit / sens doit se voir ajouter un troisième élément. Descartes ne correspond pas au schéma purement religieux opposant esprit et matière. Il doit y ajouter un troisième terme, mélange des deux – l’intellect matériel d’Averroès, sauf que lui s’affirmerait directement comme intellect, afin d’affirmer la thèse bourgeoise de la rationalité.

Descartes reconnaît donc que les sens pénètrent son esprit – il doit le faire, car il doit reconnaître la matière, il est en effet au service de la bourgeoisie transformant le monde.

Mais, et c’est là le paradoxe, Descartes ne se considère pas comme « esprit ». Il ne le peut pas, car il est au 17e siècle en France. Il doit dire qu’il n’est pas esprit, mais autre chose, qu’il a une certaine « maîtrise » de l’esprit, que la spiritualité a de la valeur.

C’est pour cela que Descartes invente la thèse du « pilote. » C’est une thèse qui est inacceptable pour le matérialisme, mais également pour l’Eglise. Voilà pourquoi cette dernière a mis les œuvres de Descartes à l’index, interdisant leur enseignement, alors qu’inversement le matérialisme n’a pas considéré Descartes comme l’un de ses représentants authentiques.

Dans la conception de Descartes, l’intellect matériel se voit en effet attribuer une capacité de compréhension totale – ce qui normalement revient à Dieu ou bien à l’intellect (en tant que reflet).

Descartes affirme que la pensée est le « pilote », que ce pilote est au-dessus du corps, mais également de l’esprit ! C’est une âme « autonome. »

Voici comment Descartes formule sa conception du pilote :

« La nature m’enseigne aussi par ces sentiments de douleur, de faim, de soif, etc., que je ne suis pas seulement logé dans mon corps ainsi qu’un pilote en son navire, mais outre cela que je lui suis conjoint très étroitement, et tellement confondu et mêlé que je compose comme un seul tout avec lui.

Car si cela n’étoit, lorsque mon corps est blessé, je ne sentirois pas pour cela de la douleur, moi qui ne suis qu’une chose qui pense, mais j’apercevrois cette blessure par le seul entendement, comme un pilote aperçoit par la vue si quelque chose se rompt dans son vaisseau.

Et lorsque mon corps a besoin de boire ou de manger, je connoîtrois simplement cela même, sans en être averti par des sentiments confus de faim et de soif: car en effet tous ces sentiments de faim, de soif, de douleur, etc., ne sont autre chose que de certaines façons confuses de penser, qui proviennent et dépendent de l’union et comme du mélange de l’esprit avec le corps. »

On a, ainsi, trois niveaux chez Descartes : la pensée individuelle autonome – pilote (qu’il appelle âme, mais qui n’a pas du tout suffi pour convaincre l’Église ! ), l’esprit, le corps.


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