Quels sont les remèdes dont parle Karl Marx, et que Pierre-Joseph Proudhon prétend avoir trouvé ? Quels sont les antidotes que Pierre-Joseph Proudhon considère avoir découvert, afin de gommer les aspects mauvais de la propriété ?
Proudhon vise, de fait, la fusion des travailleurs et de la bourgeoisie.
Voici son objectif :
« Que la bourgeoisie le sache ou l’ignore, son rôle est fini ; elle ne saurait aller loin, et elle ne peut pas renaître. Mais qu’elle rende son âme en paix !
L’avènement de la plèbe n’aura pas pour résultat de l’éliminer, en ce sens que la plèbe remplacerait la bourgeoisie dans sa prépondérance politique, par suite dans ses privilèges, propriétés et jouissances, pendant que la bourgeoisie remplacerait la plèbe dans son salariat.
La distinction actuelle, d’ailleurs parfaitement établie, entre les deux classes, ouvrière et bourgeoise, est un simple accident révolutionnaire.
Toutes deux doivent s’absorber réciproquement dans une conscience supérieure ; et le jour où la plèbe, constituée en majorité, aura saisi le pouvoir et proclamé, selon les inspirations du droit nouveau et les formules de la science, la réforme économique et sociale, sera le jour de la fusion définitive.
C’est sur des données nouvelles que les populations, qui ne vécurent longtemps que de leur antagonisme, doivent désormais se définir, marquer leur indépendance et constituer leur vie politique. »
De la Capacité politique des classes ouvrières
Pour ce faire, les travailleurs doivent devenir des capitalistes, mais de petits capitalistes, s’échangeant sur une base équitable, et étant solidaires entre eux. C’est une vision idéalisée du moyen-âge et Pierre-Joseph Proudhon appelle cela le « mutuellisme ».
Il explique ainsi :
« Le mot français mutuel, mutualité, mutuation, qui a pour synonyme réciproque, réciprocité, vient du latin mutuum, qui signifie prêt (de consommation), et dans un sens plus large, échange. On sait que dans le prêt de consommation l’objet prêté est consommé par l’emprunteur, qui n’en rend alors que l’équivalent, soit en même nature, soit sous toute autre forme. Supposez que le prêteur devienne de son côté emprunteur, vous aurez une prestation mutuelle, un échange par conséquent : tel est le lien logique qui a fait donner le même nom à deux opérations différentes.
Rien de plus élémentaire que cette notion : aussi n’insisterai-je pas davantage sur le côté logique et grammatical. Ce qui nous intéresse est de savoir comment, sur cette idée de mutualité, réciprocité, échange, Justice, substituée à celles d’autorité, communauté ou charité, on en est venu, en politique et en économie politique, à construire un système de rapports qui ne tend à rien de moins qu’à changer de fond en comble l’ordre social.
À quel titre, d’abord, et sous quelle influence l’idée de mutualité s’est-elle emparée des esprits ?
Nous avons vu précédemment comment l’école du Luxembourg entend le rapport de l’homme et du citoyen vis-à-vis de la société et de l’État : suivant elle, ce rapport est de subordination. De là, l’organisation autoritaire et communiste.
À cette conception gouvernementale vient s’opposer celle des partisans de la liberté individuelle, suivant lesquels la société doit être considérée, non comme une hiérarchie de fonctions et de facultés, mais comme un système d’équilibrations entre forces libres, dans lequel chacune est assurée de jouir des mêmes droits à la condition de remplir les mêmes devoirs, d’obtenir les mêmes avantages en échange des mêmes services, système, par conséquent essentiellement égalitaire et libéral, qui exclut toute acception de fortunes, de rang et de classes.
Or, voici comment raisonnent et concluent ces anti-autoritaires ou libéraux.
Ils soutiennent que la nature humaine étant dans l’Univers l’expression la plus haute, pour ne pas dire l’incarnation de l’universelle Justice, l’homme et le citoyen tient son droit directement de la dignité de sa nature, de même que plus tard il tiendra son bien-être directement de son travail personnel et du bon usage de ses facultés, sa considération du libre exercice de ses talents et de ses vertus.
Ils disent donc que l’État n’est autre chose que la résultante de l’union librement formée entre sujets égaux, indépendants, et tous justiciers ; qu’ainsi il ne représente que des libertés et des intérêts groupés ; que tout débat entre le Pouvoir et tel ou tel citoyen se réduit à un débat entre citoyens ; qu’en conséquence il n’y a pas, dans la société, d’autre prérogative que la liberté, d’autre suprématie que celle du Droit. L’autorité et la charité, disent-ils, ont fait leur temps ; à leur place nous voulons la justice.
De ces prémisses, radicalement contraires à celles du Luxembourg, ils concluent à une organisation sur la plus vaste échelle du principe mutuelliste. — Service pour service, disent-ils, produit pour produit, prêt pour prêt, assurance pour assurance, crédit pour crédit, caution pour caution, garantie pour garantie, etc. : telle est la loi. C’est l’antique talion, œil pour œil, dent pour dent, vie pour vie, en quelque sorte retourné, transporté du droit criminel et des atroces pratiques de la vendetta dans le droit économique, les œuvres du travail et les bons offices de la libre fraternité.
De là toutes les institutions du mutuellisme : assurances mutuelles, crédit mutuel, secours mutuels, enseignement mutuel ; garanties réciproques de débouché, d’échange, de travail, de bonne qualité et de juste prix des marchandises, etc.
Voilà ce dont le mutuellisme prétend faire, à l’aide de certaines institutions, un principe d’État, une loi d’État, j’irai jusqu’à dire une sorte de religion d’État, d’une pratique aussi facile aux citoyens qu’elle leur est avantageuse ; qui n’exige ni police, ni répression, ni compression, et ne peut en aucun cas, pour personne, devenir une cause de déception et de ruine.
Ici, le travailleur n’est plus un serf de l’État, englouti dans l’océan communautaire ; c’est l’homme libre, réellement souverain, agissant sous sa propre initiative et sa responsabilité personnelle ; certain d’obtenir de ses produits et services un prix juste, suffisamment rémunérateur, et de rencontrer chez ses concitoyens, pour tous les objets de sa consommation, la loyauté et les garanties les plus parfaites.
Pareillement l’État, le Gouvernement n’est plus un souverain ; l’autorité ne fait point ici antithèse à la liberté : État, gouvernement, pouvoir, autorité, etc., sont des expressions servant à désigner sous un autre point de vue la liberté même ; des formules générales, empruntées à l’ancienne langue, par lesquelles on désigne, en certains cas, la somme, l’union, l’identité et la solidarité des intérêts particuliers.
Dès lors il n’y a plus lieu de se demander, comme dans le système bourgeois ou dans celui du Luxembourg, si l’État, le Gouvernement ou la communauté, doivent dominer l’individu, ou bien lui être subordonnés ; si le prince est plus que le citoyen, ou le citoyen plus que le prince ; si l’autorité prime la liberté, ou si elle est sa servante : toutes ces questions sont de purs non-sens.
Gouvernement, autorité, État, communauté et corporations, classes, compagnies, cités, familles, citoyens, en deux mots, groupes et individus, personnes morales et personnes réelles, tous sont égaux devant la loi, qui seule, tantôt par l’organe de celui-ci, tantôt par le ministère de celui-là, règne, juge et gouverne : Despotès ho nomos.
Qui dit mutualité suppose partage de la terre, division des propriétés, indépendance du travail, séparation des industries, spécialité des fonctions, responsabilité individuelle et. collective, selon que le travail est individualisé ou groupé ; réduction au minimum des frais généraux, suppression du parasitisme et de la misère.
— Qui dit communauté, en revanche, hiérarchie, indivision, dit centralisation, suppose multiplicité des ressorts, complication de machines, subordination des volontés, déperdition de forces, développement de fonctions improductives, accroissement indéfini de frais généraux, par conséquent création du parasitisme et progrès dans la misère. »
De la Capacité politique des classes ouvrières