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La mort de Prospero Gallinari, d’une crise cardiaque, représente toute la fin d’une époque pour ceux et celles qui ont une liaison culturelle avec la vaste mouvement de lutte armée des années 1970-1980.
Gallinari a été en effet une grande figure des Brigades Rouges. Né en 1951 dans une famille paysanne, il a rejoint les Brigades Rouges comme membre régulier, c’est-à-dire clandestin, en 1973.
Arrêté en 1974, il parvient à s’enfuir et deviendra un des dirigeants des Brigades Rouges, jouant un rôle important lors de l’enlèvement d’Aldo Moro. Arrêté lors d’une fusillade en septembre 1979, il apparaît alors comme l’un des « irréductibles. » On peut lire ici la déclaration qu’il signe, en 1982.
Après avoir soutenu la « 1ère position » au sein des Brigades Rouges, celle qui donne naissance à l’Union des Communistes Combattants (UCC) qui s’effondre en 1988, il considère qu’à partir de cette année, l’histoire des Brigades Rouges est close.
Avec d’autres « irréductibles » – Andréa Coi, Francesco Piccioni et Bruno Seghetti – il a alors publié « Politique et révolution », tentant de synthétiser l’apport des Brigades Rouges.
Dans ce document qui est l’un des plus importants de l’histoire des Brigades Rouges, il est affirmé que les Brigades Rouges ont fait une grande « découverte » : l’attaque au cœur de l’État.
Il est ainsi expliqué dans le document :
« La « découverte » stratégique essentielle qui a été faite par les BR est sans aucun doute « l’attaque au cœur de l’État. » L’expérience et la réflexion à ce niveau forment le véritable axe stratégique à partir de laquelle s’est produite l’identité politique et historique des BR.
En un certain sens les BR « sont » l’attaque au cœur de l’État. Sans ce centre de gravité de l’activité politico-militaire, la lutte armée en Italie n’aurait été qu’une apparition passagère, avec une signification politique beaucoup plus réduite.
Nous pensons par exemple à l’absence de signification historique de l’activité de Prima Linea, malgré qu’elle ait trouvé une certaine résonance et qu’elle ait mené de très nombreuses actions. »
Toute l’histoire des Brigades Rouges doit être comprise par rapport à cette découverte :
« Le fondement de toutes nos estimations est l’expérience concrète des BR. Leurs résultats pratiques, « historiques », avant et au-delà du « projet », c’est-à-dire de la ligne politique par laquelle les résultats ont été matériels.
C’est une découverte parce que la lutte armée n’avait jamais auparavant été pratiquée ou théorisée avec ces concepts, ni avec les mouvements de guérilla, ni par les partis communistes de la IIIe Internationale.
C’est de plus une découverte au sens que la véritable pratique et les dynamiques objectives, qui ont été mené par elle, indique selon nous une stratégie politico-militaire victorieuse qui va au-delà de la fixation théorique sur les buts qui ont été à l’origine ou ont orienté cette pratique. »
C’est à partir de ce prisme que Gallinari devient une grande figure politique brigadiste, symbole du refus de l’abandon de l’expérience. Le document est en fait un appel :
« Seul un bilan politico-historique du rôle que la lutte armée des BR a joué dans l’histoire de l’affrontement de classe de ce pays peut contribuer à ce que soit défini scientifiquement une stratégie politico-militaire contemporaine. »
Après une campagne pour lui alors qu’il était gravement malade, Gallinari a finalement été libéré au milieu des années 1990. Il en est toujours resté à sa position de 1987-1988 : les Brigades Rouges coïncident avec les personnes en prison issues des Brigades Rouges.
Prospero Gallinari reste ainsi comme figure tragique de l’histoire italienne : celle du révolutionnaire refusant de se repentir, mais tenant de comprendre quelle a été la signification des années 1970, quelle est la valeur du patrimoine, sans pour autant jamais y parvenir.
A l’ombre de cette tentative de compréhension, trois tendances se sont développées depuis :
• le Parti Communiste Maoïste d’Italie, qui considère la guerre populaire comme stratégie pour l’Italie mais n’a jamais présenté de bilan des années 1970, l’organisation étant issu d’une structure marxiste-léniniste de cette époque ayant d’ailleurs refusé l’illégalité ;
• le (nouveau)Parti communiste italien, qui a analysé très méthodiquement l’expérience des années 1970, considérant que les Brigades Rouges n’ont pas compris ce qu’elles avaient découvert, se construisant directement dans l’illégalité en affirmant dépasser les limites du passé et les erreurs idéalistes ;
• le Parti communiste politico-militaire, dont 15 membres ont été arrêté en 2007, avec notamment Alfredo Davanzo, qui considère qu’il faut reprendre la ligne de la 1ère position des Brigades Rouges, en adoptant les principes de la guerre populaire prolongée. [document disponible ici]
La mort de Prospero Gallinari est ainsi véritablement la fin d’une époque, celle où les Brigades Rouges, quelles que soient leurs positions, ont tenté de formuler une réflexion sur leur propre démarche. Et comme on le voit, cette réflexion est loin d’être terminée.