L’évolution économique de la société bourgeoise conduit, avec la nécessité des lois de la nature, à la ruine de la petite exploitation, dont le fondement est la propriété privée que le travailleur possède de ses instruments de production.
Elle sépare le travailleur de ses moyens de production et le transforme en un prolétaire ne possédant rien; les moyens de production deviennent le monopole d’un nombre relativement petit de capitalistes et de grands propriétaires.
A cette monopolisation des moyens de production sont intimement liés l’élimination, par des exploitations colossales, des petites exploitations morcelées, la transformation de l’outil en machine, enfin un prodigieux accroissement du travail humain. Mais tous les avantages de cette transformation sont monopolisés par les capitalistes et les grands propriétaires fonciers.
Pour le prolétariat et les couches intermédiaires submergées – petits bourgeois, paysans – elle signifie une augmentation croissante de l’insécurité de leur existence, de misère, d’oppression, d’asservissement, d’abaissement, d’exploitation.
Toujours plus grand devient le nombre des prolétaires, toujours plus considérable l’armée des ouvriers superflus, toujours plus profonde, l’opposition des exploiteurs et des exploités, toujours plus exaspérée la lutte de classe de la bourgeoisie et du prolétariat, lutte qui sépare la société moderne en deux camps hostiles et qui est la caractéristique commune de tous les pays industriels.
L’abîme qui sépare les possédants et les non-possédants est encore élargi par les crises qui ont leur principe dans l’essence du mode de production capitaliste, crises qui deviennent toujours plus étendues et plus dévastatrices, qui font de l’insécurité générale l’état normal de la société et fournissent la preuve que les forces productives de la société actuelle ont trop grandi pour cette société, que la propriété privée des moyens de production est devenue inconciliable avec un sage emploi et avec le plein développement de ces moyens de production.
La propriété privée des moyens de production, qui servait autrefois à assurer au producteur la propriété de son produit, sert aujourd’hui à exproprier les paysans, les artisans et les petits commerçants et à mettre les non-travailleurs, – capitalistes, grands propriétaires, – en possession du produit des travailleurs.
Il n’y a que la transformation de la propriété privée capitaliste des moyens de production, – sol, mines, matières premières, outils, machines, moyens de transport, – en propriété sociale, et la transformation de la production de marchandises en production socialiste, en production effectuée pour et par la société, qui puisse faire que la grande exploitation et la productivité, constamment croissante du travail social deviennent, pour les classes jusqu’ici exploitées, de sources de misère et d’oppression qu’elles sont aujourd’hui, sources du plus grand bien-être et d’un perfectionnement harmonieux et universel.
Cette transformation sociale signifie l’émancipation non seulement du prolétariat, mais de l’ensemble du genre humain qui souffre de l’état présent. Mais elle ne peut être que l’œuvre de la classe ouvrière, parce que toutes les autres classes, malgré les querelles d’intérêt qui les divisent, sont placées sur le terrain de la propriété privée des moyens de production et ont pour but commun le maintien des fondements de la société actuelle.
La lutte de la classe ouvrière contre l’exploitation capitaliste est nécessairement une lutte politique.
La classe ouvrière ne peut pas mener ses luttes économiques et ne peut pas développer son organisation économique sans droits politiques. Elle ne peut pas réaliser le passage des moyens de production en la possession de la collectivité sans être entrée en possession de la puissance politique.
Rendre cette lutte de la classe ouvrière consciente et unitaire et lui montrer son but nécessaire, telle est la tâche du Parti social-démocrate.
Les intérêts de la classe ouvrière sont les mêmes dans tous les pays où existe le mode de production capitaliste. A mesure que s’étend le commerce international et que se développe la production pour le marché du monde, la situation des ouvriers d’un pays dépend toujours davantage de la situation des ouvriers des autres pays.
L’émancipation de la classe ouvrière est donc une œuvre à laquelle sont également intéressés les ouvriers de tous les pays civilisés.
En connaissance de ce fait, le Parti social-démocrate d’Allemagne se déclare en parfaite union avec les ouvriers de tous les autres pays qui ont conscience de leur classe.
Le Parti social-démocrate d’Allemagne ne lutte donc pas pour de nouveaux privilèges de classe, mais pour la suppression de la domination de classe et des classes elles-mêmes, et pour des droits égaux et des devoirs égaux de tous sans exception de sexe ni de race. Partant de ces idées, il combat dans la société présente non seulement l’exploitation et l’oppression des travailleurs salariés, mais toute espèce d’exploitation et d’oppression, qu’elle soit dirigée, contre une classe, un parti, un sexe ou une race.
Partant de ces principes, le Parti social-démocrate d’Aile-magne réclame tout d’abord:
1. Le suffrage universel égal, direct et le scrutin secret pour tous les membres de l’Empire âgés de plus de 20 ans, sans distinction de sexe, dans toutes les élections et tous les votes.
Système de représentation proportionnelle et, jusqu’à ce qu’il soit établi, nouveau remaniement légal des circonscriptions électorales après chaque recensement. Périodes législatives d’une durée de deux ans. Jours d’élections et de votes fixés au jour de repos légal. Indemnité pour les représentants élus. Suppression de toute limitation des droits politiques, sauf pour les personnes frappées d’interdiction.
2. La législation par le peuple au moyen. du droit d’initiative et de veto. Autonomie administrative du peuple dans l’Empire, l’État, la province et la commune. Élection des fonctionnaires par le peuple; responsabilité pénale de ces derniers.
3. Éducation pour le service militaire pour tous. Milices à la place des armées permanentes. La représentation populaire seule appelée à décider de la guerre et de la paix. Règlement de tous les conflits internationaux par voie d’arbitrage.
4. Abolition de toutes les lois qui limitent ou suppriment la libre expression de l’opinion et le droit d’association et de réunion.
5. Abolition de toutes les lois qui, au point de vue du droit public et privé, mettent la femme en état d’infériorité vis-à-vis de l’homme.
6. La religion déclarée chose privée. Suppression de toutes les dépenses faites au moyen des fonds publics pour des buts ecclésiastiques et religieux. Les communautés ecclésiastiques et religieuses doivent être considérées comme des associations privées qui règlent leurs affaires en pleine indépendance.
7. Laïcité de l’école. Fréquentation obligatoire des écoles populaires publiques. Gratuité de l’enseignement, des fournitures scolaires et de l’entretien dans les écoles populaires publiques, ainsi que dans les établissements d’instruction supérieure pour ceux des écoliers et des écolières qui, en vertu de leurs capacités, sont jugés propres à recevoir une instruction plus élevée.
8. Gratuité de la justice et de l’assistance judiciaire. Justice rendue par des juges élus par le peuple. Appel en matière pénale. Indemnités pour les personnes accusées, arrêtées et condamnées reconnues innocentes. Suppression de la peine de mort.
9. Gratuité des soins médicaux y compris les accouchements et les remèdes. Gratuité des enterrements.
10. Impôt progressif sur le revenu et la fortune pour couvrir toutes les dépenses publiques, dans la mesure où elles doivent être couvertes par des impôts. Déclaration obligatoire des revenus. Impôt progressif sur les successions, d’après l’importance de l’héritage et d’après le degré de parenté. Abolition de tous les impôts indirects, douanes et autres mesures économiques qui sacrifient les intérêts de la collectivité aux intérêts d’une minorité privilégiée.
Pour la protection de la classe ouvrière, le Parti social-démocrate d’Allemagne réclame tout d’abord:
1. Une législation protectrice du travail efficace, nationale et internationale, sur les bases suivantes:
a) Fixation d’une journée de travail normale de huit heures au maximum.
b) Interdiction du travail industriel pour les enfants au-dessous de quatorze ans.
c) Interdiction du travail de nuit, sauf pour les branches d’industrie qui, en vertu de leur nature, soit pour des raisons techniques, soit pour des raisons de bien-être général, exigent le travail de nuit.
d) Un intervalle de repos ininterrompu d’au moins trente-six heures, une fois par semaine, pour chaque ouvrier.
e) Interdiction du truck-système (Paiement des ouvriers en marchandises).
2. Surveillance de toutes les exploitations industrielles, enquêtes sur les conditions du travail à la ville et à la campagne, et réglementation des conditions du travail par un office impérial du travail, des offices du travail de district et des chambres de travail; hygiène industrielle rigoureusement observée.
3. Même situation pour les ouvriers agricoles et les domestiques et pour les travailleurs industriels; suppression des règlements concernant les domestiques.
4. Le droit de coalition assuré.
5. L’assurance ouvrière tout entière à la charge de l’Empire avec participation déterminante des ouvriers à son administration.