Voici deux autres exemples, les derniers, de poèmes de Paul Verlaine témoignant avec réussite de cet engagement dans la fluidité de la langue française. Ils sont tous deux tirés de Romances sans paroles, datant de 1891.

Le premier se caractérise par un choix du bon mot particulièrement bien réalisé. Le souci est que la dimension parnassienne amène l’œuvre à être très gratuite, ouvertement tourné vers son propre ego, voire son ennui, etc.

III

Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville ;
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon cœur ?

O bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits !
Pour un cœur qui s’ennuie
O le chant de la pluie !

Il pleure sans raison
Dans ce cœur qui écœure.
Quoi ! nulle trahison ? …
Ce deuil est sans raison.

C’est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi
Sans amour et sans haine
Mon cœur a tant de peine !

Le second poème est empreint d’une musicalité tout à fait réussie. L’absence de direction y est cependant tout aussi patent.

VIII

Dans l’interminable
Ennui de la plaine
La neige incertaine
Luit comme du sable.

Le ciel est de cuivre
Sans lueur aucune,
On croirait voir vivre
Et mourir la lune.

Comme des nuées
Flottent gris les chênes
Des forêts prochaines
Parmi les buées.

Le ciel est de cuivre
Sans lueur aucune.
On croirait voir vivre
Et mourir la lune.

Corneille poussive
Et vous les loups maigres,
Par ces bises aigres
Quoi donc vous arrive ?

Dans l’interminable
Ennui de la plaine
La neige incertaine
Luit comme du sable.

Il faut enfin mentionner le poème Art Poétique, le 13e du recueil Jadis et Naguère, de 1884. Il n’est nullement bon, ni même intéressant, ne serait-ce la première strophe, considérée comme une sorte de manifeste en faveur de la musicalité.

À Charles Morice

De la musique avant toute chose,
Et pour cela préfère l’Impair
Plus vague et plus soluble dans l’air,
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.

Il faut aussi que tu n’ailles point
Choisir tes mots sans quelque méprise
Rien de plus cher que la chanson grise
Où l’Indécis au Précis se joint.

C’est des beaux yeux derrière des voiles
C’est le grand jour tremblant de midi,
C’est par un ciel d’automne attiédi
Le bleu fouillis des claires étoiles!

Car nous voulons la Nuance encor,
Pas la Couleur, rien que la nuance!
Oh! la nuance seule fiance
Le rêve au rêve et la flûte au cor !

Fuis du plus loin la Pointe assassine,
L’Esprit cruel et le Rire impur,
Qui font pleurer les yeux de l’Azur
Et tout cet ail de basse cuisine !

Prends l’éloquence et tords-lui son cou !
Tu feras bien, en train d’énergie,
De rendre un peu la Rime assagie.
Si l’on n’y veille, elle ira jusqu’où ?

Ô qui dira les torts de la Rime ?
Quel enfant sourd ou quel nègre fou
Nous a forgé ce bijou d’un sou
Qui sonne creux et faux sous la lime ?

De la musique encore et toujours !
Que ton vers soit la chose envolée
Qu’on sent qui fuit d’une âme en allée
Vers d’autres cieux à d’autres amours.

Que ton vers soit la bonne aventure
Eparse au vent crispé du matin
Qui va fleurant la menthe et le thym…
Et tout le reste est littérature.

Le fait est que Paul Verlaine n’a jamais considéré qu’il s’agissait là d’un manifeste, même s’il a utilisé de manière régulière les vers impairs, pour se déconnecter de l’encadrement fourni par l’alexandrin. Cependant, c’était là un processus décadent.

La véritable exigence se situait dans le bon mot, qui devait être musical, et non pas dans une musicalité abstraite à découvrir par un anti-formalisme jouant sur une dimension numérique.

L’envolée recherchée par Paul Verlaine – qualifiée bien présomptueusement de symbolisme – n’est que l’apanage d’écrivains cherchant à parasiter la société au nom d’une littérature qui serait une fin en soi.

La preuve est toute trouvée quand on voit l’extrême faiblesse des œuvres de Paul Verlaine à part les quelques une reflétant une tendance historique : celle au bon mot, exposé de manière fluide, témoignant d’un élargissement de la culture populaire.


Revenir en haut de la page.