[Extrait de l’article écrit par Hilary Minc sous le titre « Au sujet de certains problèmes de la Démocratie populaire à la lumière de l’enseignement de Lénine et Staline quant à la dictature du prolétariat », et publié dans Nowe Drogi, organe théorique du Parti, en 1950.]
Le grand bouleversement social qui a eu lieu après la guerre dans les pays d’Europe centrale et d’Europe du sud-est, et dont le résultat a été l’ancrage dans ces pays de la dictature du prolétariat sous la forme de l’État de la Démocratie populaire, a porté les caractéristiques d’une révolution prolétarienne, d’une révolution socialiste.
C’était toutefois une révolution socialiste qui s’est réalisée dans des conditions historiques particulières, qui se distinguent de celles qui ont défini la révolution socialiste d’octobre.
En quoi consiste la différence entre ces conditions?
1. Les pays de Démocratie populaire ont été libérés par l’Union soviétique.
L’arrivée de l’Armée soviétique a rendu possible le passage de la lutte de libération populaire, qui a été menée par les partisans, en une guerre de libération populaire, qui a été menée par une armée régulière, étatique, dont la formation a été aidée par l’Union soviétique.
La classe ouvrière, qui a conduit la lutte contre les occupants, a maintenant les grandes possibilités de prendre le pouvoir politique entre ses mains et de mener une large lutte pour le renversement de la domination des capitalistes et des propriétaires terriens.
C’est un fait historique que dans les pays qui ont été libérés par les armées impérialistes anglo-américaines, comme par exemple la France ou l’Italie, la classe ouvrière n’est pas parvenue, malgré le déploiement puissant de la lutte de libération populaire et le rôle dirigeant et l’influence des Partis Communistes dans cette lutte, à arracher pour elle le pouvoir.
Dans ces pays, par suite de la brutale pression impérialiste, quitter la voie capitaliste n’a pas été réussi.
De ce fait, la révolution socialiste dans les pays de Démocratie populaire s’est appuyée sur l’aide et la force de l’Union soviétique et de son Armée, à la différence de l’Union soviétique où la révolution prolétarienne socialiste a été menée sans aucune aide extérieure, seulement par ses propres forces.
C’est en cela que tient le premier trait essentiel différenciant de la révolution d’octobre la révolution socialiste dans les pays de Démocratie populaire.
2. Le combat révolutionnaire des masses populaires contre les propriétaires terriens et les capitalistes, sous la direction de la classe ouvrière et de ses Partis Communistes et ouvriers, a conflué dans ce bouleversement avec la lutte nationale de libération contre les occupants hitlériens.
De son côté, Rosa Luxembourg avait formulé la thèse, exprimant dans le cadre de la polémique contre Lénine sa conception erronée de la question nationale, selon laquelle « il ne pouvait plus y avoir de crises nationales », entendant par là que l’époque des guerres nationales était close par l’établissement de l’impérialisme et de la partition impérialiste du monde entre les grands États.
Dans sa réponse à Rosa Luxembourg, Lénine écrivit au sujet de cette question en 1916 :
Si le prolétariat européen était affaibli pour une vingtaine d’années ; si cette guerre finissait par des victoires dans le genre de celles de Napoléon et par l’asservissement d’une série d’États nationaux parfaitement viables ; si l’impérialisme extraeuropéen (japonais et américain surtout) se maintenait aussi une vingtaine d’années sans aboutir au socialisme, par exemple à cause d’une guerre nippo‑américaine, alors une grande guerre nationale serait possible en Europe.
Cette hypothèse géniale de Lénine a été complètement vérifiée. Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’Europe a été le terrain de puissantes luttes de libération d’une série de peuples contre le joug des fascistes nazis.
Cette lutte était reliée de la manière la plus étroite à la Grande Guerre patriotique du peuple soviétique.
La force dirigeante dans la lutte contre les occupants allemands était la classe ouvrière et ses Partis Communistes.
La classe ouvrière et ses Partis Communistes ont lié la lutte de libération populaire de manière la plus étroite à la lutte contre les capitalistes et les propriétaires terriens qui s’étaient compromis avec la capitulation devant l’Allemagne hitlérienne et la collaboration avec les hommes de Hitler. Ils ont relié cette lutte à celle pour le renversement de la domination des capitalistes et des propriétaires terriens.
Ainsi, le foyer ayant donné naissance à la révolution socialiste dans les pays de Démocratie populaire est une confluence de la lutte de libération populaire avec la lutte révolutionnaire contre les capitalistes et les propriétaires terriens, et cela déjà à l’époque de l’Occupation.
En cela tient le second trait essentiel différenciant de la révolution d’octobre la révolution socialiste dans les pays de Démocratie populaire.
3. Dans les pays de Démocratie populaire, la formation de l’État en tant qu’organe de dictature de la classe ouvrière s’est produit au cours d’un processus prolongé. La bourgeoisie et les propriétaires terriens et leurs organisations politiques n’ont pas été détruits par une attaque frontale des masses travailleuses.
L’arène politique n’avait pas été impeccablement nettoyée. Dans la vie politique, beaucoup d’organisations étaient actives qui non seulement vacillaient devant les grandes tâches de la révolution socialiste, mais même se positionnaient directement de manière ennemie, visant à restaurer le capitalisme.
La situation concrète, tant intérieure qu’extérieure, exigeait souvent une participation au gouvernement, au moins en partie, non seulement des alliés vacillants, mais aussi des partis directement bourgeois.
De là l’écrasement incomplet, non mené de manière complète en tous les domaines, de l’appareil bourgeois de pouvoir, de là les tempos lents des profondes réorganisations sociales, etc.
Au cours d’une lutte de classe profonde, sévère, consistant à démasquer et écraser les organisations politiques ennemies, dépasser les vacillements chez les alliés politiques, former une unité organique de la classe ouvrière sur la voie du Front de l’unité, au cours de l’élargissement de la base pour l’ordre nouveau dans les masses populaires, de l’activation de ces masses, qui prennent toujours davantage conscience que cet ordre nouveau est le leur, au cours de l’établissement de l’appareil d’un nouveau pouvoir d’État et de sa purge de la saleté bourgeoise, de l’approfondissement de la réorganisation sociale, de l’agrandissement du front de la lutte de classes et de la direction de ce feu de la lutte de classes non pas seulement contre les grands capitalistes et les grands propriétaires terriens, mais aussi contre les koulaks, au cours d’une série de luttes de classes difficiles mais victorieuses, les pays de Démocratie populaire remplissent à une échelle toujours plus grande et avec toujours plus de succès les fonctions de la dictature du prolétariat.
Il est clair que les frontières, tant dans la nature que dans la société, sont relatives et peuvent se mouvoir, comme Lénine affectionnait de le souligner.
Le processus de cristallisation de la dictature du prolétariat dans les pays de Démocratie populaire s’est déroulé différemment dans différents pays. A cela s’ajoute que la situation initiale était différente dans ces pays, si l’on prend en considération le rapport de force, le degré atteint d’écrasement du vieil appareil, etc.
Si l’on prend en compte la durée, la difficulté et le caractère compliqué de ce processus, alors devient clair et compréhensible le fait que la définition selon laquelle la Démocratie populaire remplit de fait les fonctions de la dictature du prolétariat, n’a été donné par les camarades Dimitrov et Bierut qu’à la fin de 1948.
De ce fait, c’est par une avancée prolongée et difficile qu’a eu lieu la cristallisation de la dictature du prolétariat dans les pays de Démocratie populaire, à la différence de l’Union soviétique, où la dictature du prolétariat a été instaurée dès les premiers jours de la révolution socialiste, sous la forme du pouvoir soviétique.
C’en cela que tient le troisième trait essentiel différenciant de la révolution d’octobre la révolution socialiste dans les pays de Démocratie populaire.