En 1970, les Palestiniens avaient généré de puissantes organisations révolutionnaires, basées en Jordanie et se reconnaissant dans la révolution mondiale ; en 2023, il ne reste plus rien de la révolution palestinienne et l’hégémonie du Hamas conduit les Palestiniens au désastre.

Les réfugiés palestiniens et la question jordanienne

Si l’on veut comprendre le conflit israélo-palestinien, il ne faut pas réduire la question au rapport entre Israéliens et Palestiniens, à la spoliation de terres, bref à la colonisation israélienne et à une forme d’apartheid inavoué. Il y a en effet les réfugiés, qui ont fui en 1948 (en espérant souvent rentrer vite après la victoire arabe qui n’aura pas eu lieu) ou en 1967. La question palestinienne ne concerne donc pas que les Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza, elle concerne également les réfugiés, qui vivent dans des camps ou bien ont rejoint une large diaspora. Avec qui plus est une natalité galopante des réfugiés, due à la terrible précarité de leur situation, cela donne une dimension de masse rendant insoluble tout compromis israélo-palestinien, puisque désormais les réfugiés exigeant un droit au retour se comptent par millions.

Il y a ainsi 1,6 millions de Palestiniens en Israël même, 2,8 millions en Cisjordanie, 1,8 à Gaza… et autour de 6 millions éparpillés dans le monde, principalement dans les pays arabes voisins. Les Israéliens forment eux une population de 9,7 millions de personnes, dont 7,1 millions sont des Juifs. Un retour des réfugiés palestiniens, du moins d’une partie significative d’entre eux, bouleverserait le rapport démographique. Ce n’est pas tout : une partie des Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza sont eux-mêmes des réfugiés. Voici les chiffres pour 2014.

Cette question des réfugiés est fondamentale surtout pour comprendre que le mouvement politique palestinien dans son ensemble n’a pas le même centre de gravité selon les périodes, et cela change absolument tout. C’est pourquoi il faut se tourner vers la Jordanie.

En 2023, la Jordanie a 11,3 millions d’habitants, mais en 1948, elle n’en avait que 400 000. La moitié de sa population était palestinienne. Lorsque l’État d’Israël se fonde, il y a comme on le sait la guerre israélo-arabe ; à cette occasion, la Jordanie annexe la Cisjordanie et Jérusalem-Est.

La Jordanie s’appelait en fait alors Transjordanie ; la Cisjordanie annexée, elle prend le nom de Jordanie. Or, de ce fait, la Jordanie devient un pays dont la population est aux 2/3 palestinienne. La mise en place des organisations de la gauche palestinienne, comptant libérer l’ensemble de la Palestine, provoque des troubles, qui vont empirer en 1967. C’est l’année d’une nouvelle guerre israélo-arabe et Israël fait la conquête de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est. 300 000 Palestiniens de Cisjordanie se réfugient alors en Jordanie.

La situation devient alors explosive avec cette arrivée des réfugiés, la perte de prestige du régime monarchique jordanien qui a participé à la guerre de 1967, dite des six jours, aux côtés de l’Égypte, de la Syrie, du Liban et de l’Irak, le développement de la gauche palestinienne…

Lors de la participation de 1948, la Cisjordanie est intégrée à la Jordanie et la bande de Gaza à l’Égypte.

Il est très important de comprendre ce fait pour saisir dans quel contexte est né le mouvement palestinien.

Israël conquiert en 1967 à la fois la Cisjordanie et Gaza, ce qui change la donne. La gauche palestinienne est dans la foulée chassée de Jordanie en 1970 par le régime, puis du Liban en 1982 par les Israéliens.

Il ne faudra pas longtemps avant l’explosion, en septembre 1970. Cela sera le « septembre noir » pour les Palestiniens, qui avaient constitué, comme le dit l’expression, « un État dans l’État ».

La gauche palestinienne : des années 1960 à 1970

Après 1948, les Palestiniens commencent à s’organiser par eux-mêmes, alors qu’auparavant ils dépendaient à tous les niveaux (idéologique, culturel, voire national) des pays arabes environnant. La fondation en 1964 de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), sorte de front autour du Fatah de Yasser Arafat né en 1959, est sur ce plan un acte majeur de l’affirmation nationale palestinienne. Fatah est une référence à la sourate Al-Fath (« La victoire éclatante ») et forme l’acronyme de Mouvement de libération national de la Palestine. Son prestige vient notamment de la victoire en mars 1968 de sa guérilla contre les blindés israéliens à l’offensive contre le camp palestinien de Karameh en Jordanie.

Si l’Islam est culturellement présent comme arrière-plan, le Fatah a une approche laïque assumée, comme d’ailleurs l’ensemble du mouvement palestinien. En raison toutefois de la faiblesse historique de la nation palestinienne, l’arrière-plan reste le nationalisme arabe. On peut résumer le processus comme suit :

– les Palestiniens connaissent une oppression ;

– leur dimension nationale est trop faible pour pouvoir s’affirmer directement, aussi c’est le nationalisme arabe qui sert de support ;

– le nationalisme arabe est lui aussi trop faible et se place par conséquent en parallèle avec l’esprit général de la décolonisation.

Cela fait que la gauche palestinienne se pose comme le noyau dur de la révolution arabe, qui jouerait un rôle majeur au niveau mondial pour renverser l’ordre existant. La gauche palestinienne, née dans les années 1960, se présente comme jouant un rôle d’avant-garde et portant des valeurs universalistes. Elle n’est pas née en rapport direct avec l’Islam comme idéologie romantique, même s’il y a une influence des Frères musulmans, notamment chez Yasser Arafat. La logique de la gauche palestinienne, c’est que les Palestiniens, agissant en toute dépendance, forment le détonateur d’une révolution pan-arabe.

Cela exprime évidemment, si l’on renverse, que les Palestiniens considèrent que sans le soutien arabe en général, ils ne peuvent pas parvenir à sortir de leur situation. C’est un aspect essentiel, qui explique le choix de la gauche palestinienne de s’assumer pleinement comme avant-garde anti-impérialiste mondiale.

Cette démarche explique justement deux choses :

– tout d’abord, que la Chine maoïste a soutenu matériellement, par des armes et des formations, la gauche palestinienne des années 1960, dont le programme était la révolution démocratique ;

– que la réaction arabe considérait inversement comme intolérable l’affirmation d’un tel rôle révolutionnaire : cela aboutit précisément à Septembre noir.

La révolution palestinienne et les Juifs israéliens

Historiquement, la gauche palestinienne a toujours affirmé qu’il s’agissait d’intégrer les masses juives pour les faire participer à la révolution palestinienne, qui était par nature démocratique et populaire de par sa dimension arabe. En ce qui concerne le Fatah, le document « La révolution palestinienne et les Juifs » analyse cela en détail. Le FPLP et le FDLP sont exactement sur la même ligne, bien qu’avec des nuances. Ils ont d’ailleurs rejoint l’Organisation de Libération de la Palestine, dirigée par le Fatah.

Le FPLP se veut plus volontariste, dans une optique mêlant guévarisme, quelques références à Mao Zedong, nationalisme arabe. Il affirme en 1970 dans « Pour une solution démocratique » que :

« La partie arabe doit faire face à un grave dilemme : adopter des slogans théoriques n’est pas une solution.

Nous savons que le mouvement national palestinien s’est engagé à libérer les Arabes et les juifs.

Durant la lutte, il faut essayer de gagner à notre cause les juifs victimes de l’exploitation sioniste et de ses liens impérialistes.

Ce problème n’est pas simple, car il y a une situation de double exploitation de deux classes, d’une part, et, d’autre part, d’une seule exploitation (si ce terme peut être employé).

Bien qu’il soit dans l’intérêt du prolétariat juif de se libérer de l’exploitation, de la domination et de l’idéologie sionistes, ce prolétariat bénéficie de l’exploitation sioniste des Arabes qui subissent une exploitation plus profonde, plus étendue.

Si cet état de chose signifie que le prolétariat juif en Israël se trouve dans une situation plus complexe que celle de n’importe quel autre prolétariat d’un État impérialiste (en ce sens qu’il bénéficie des miettes de l’exploitation des ressources des autres peuples), il signifie aussi que la tâche « d’instigation révolutionnaire » que la résistance palestinienne est en train d’accomplir au sein de la société israélienne, devra être plus élaborée que n’importe où ailleurs.

Nous ne pouvons pas, maintenant, nous avancer trop dans le domaine de la conjoncture sur le développement de ce problème (…).

Le mouvement de libération de la Palestine ne peut pas être révolutionnaire, et en même temps parler d’une solution fasciste ou chauvine pour les juifs.

Il ne peut être qu’un mouvement engagé pour une « solution démocratique » dans son sens progressiste et non dans son sens « fédéraliste. »

Tout ceci dépend, à longue échéance, des pratiques du mouvement de résistance et de ses engagements militaires et idéologiques. »

Le FDLP, qui a quitté le FPLP, se veut davantage dans une optique « rouge », il insiste davantage sur les fondamentaux idéologiques et moins sur le nationalisme arabe. C’est pourquoi à ses yeux la révolution doit se produire à l’échelle de tout le Proche-Orient, pour assurer justement le caractère démocratique de la révolution palestinienne.

On lit en 1970 dans « La solution démocratique du problème palestinien » :

« La victoire de la cause palestinienne est conditionnée par la création d’un instrument révolutionnaire arabe uni, avec une stratégie cohérente commune, qui mènerai une lutte complémentaire au niveau de toute la région.

Mais la création de cet instrument suppose l’existence de forces de classes capables de mener la lutte anti-impérialiste.

Le problème fondamental de la révolution arabe dans son ensemble – et la résistance palestinienne en fait partie – est dû au fait que ces forces existent à peine.

C’est que la faillite historique du nationalisme petit-bourgeois, c’est-à-dire son incapacité à réaliser les tâches de cette phase (la révolution démocratique nationale), n’a pas été accompagnée de l’apparition d’une nouvelle classe sur la scène politique arabe.

De là, la tâche centrale des nouveaux révolutionnaires est d’édifier une force populaire composée d’ouvriers, de paysans, et des couches les plus appauvries de la petite-bourgeoisie, et de mener la lutte sous la direction de l’idéologie de la classe ouvrière, de son programme et de ses mots d’ordre.

Alors, les liens de cette grande alliance se renforceront, et il sera possible de mettre au point l’instrument révolutionnaire.

De même que la victoire de la cause palestinienne est conditionnée par la création d’un instrument révolutionnaire arabe uni, on ne peut imaginer une solution révolutionnaire pour la question palestinienne qu’au sein de la révolution arabe globale, et à l’échelle de toute la région.

Toute solution qui se limiterait à l’échelle palestinienne serait nécessairement une solution réformiste et partielle, fondée sur le désir de trouver une solution au problème, sans chercher une transformation radicale de toute la région.

Au contraire, toute solution à l’échelle de la région doit tenir compte du fait que les conditions de la victoire de la cause palestinienne sont celles-là mêmes qui mettraient fin à la fragmentation artificielle dont souffre la région, ce qui signifie, dans les deux cas, la montée des forces populaires dirigées par la classe ouvrière et son programme. »

Septembre noir et la défaite en Jordanie

La gauche palestinienne avait fait des camps de réfugiés en Jordanie une place forte ; de nombreux révolutionnaires du monde entier y viennent pour se former, notamment des cadres de la Gauche prolétarienne française et de la Fraction armée rouge allemande. Toutefois, l’agitation qui en ressortait conduisait au renversement de la monarchie.

Celle-ci intervint militairement à partir de septembre 1970, conduisant à l’expulsion des organisations palestiniennes vers le Liban. Par la suite, le Liban connut un important conflit inter-ethnique et inter-confessionnel, dont l’un des aspects les plus dramatiques est le grand massacre de Palestiniens par les phalangistes chrétiens libanais à Sabra et Chatila, avec l’accord tacite de l’armée israélienne.

Mais si en 1982, la gauche palestinienne est chassée du Liban, c’est toutefois la défaite de 1970 qui forme le grand tournant. Tant que la gauche palestinienne était en Jordanie, elle était autonome ; après 1970, elle devient dépendante d’autres forces pour subsister. Les « parrains » sont alors la Syrie, l’URSS, la Tunisie, la Libye, autrement dit une combinaison du nationalisme arabe et du social-impérialisme soviétique.

Pour cette raison, dès 1970, la Chine de Mao Zedong cesse son soutien militaire à la gauche palestinienne ; la journée chinoise pour la Palestine ayant lieu chaque année à partir de 1965 se tient une dernière fois en 1971. La Chine de Mao Zedong continua à pousser pour que les Palestiniens et les pays arabes en général décrochent des superpuissances impérialistes américaine et soviétique, mais sans aucun succès.

Le Liban : la guerre inter-factionnelle palestinienne

L’arrivée de la gauche palestinienne au Liban fut une catastrophe pour elle. Non seulement, avec la perte de ses bases en Jordanie, la gauche palestinienne est liée à l’URSS social-impérialiste et aux pays arabes, avant tout ceux sur une ligne nationaliste laïque… Mais en plus, les intérêts divergents vont provoquer une guerre civile au Liban et des violents affrontements armés entre Palestiniens.

Dès la sortie de Jordanie, la gauche palestinienne se divisa en de multiples factions, conduisant à des affrontements armés. S’il y a de réelles divergences à la base, c’est surtout que des pays arabes sont à la manœuvre derrière. Il a ainsi la Syrie qui met en place sa propre structure, as-Saiqa, alors que l’Irak met en place le Front de Libération arabe ; les deux pays se revendiquent du national-socialisme « Ba’ath ». La Syrie pousse également à une scission au sein du FPLP, avec le FPLP – Commandement Général, alors que l’Irak parvient à provoquer une scission au Fatah, avec le Fatah – Conseil Révolutionnaire, surnommé Abou Nidal. L’Egypte avait également réussi à attirer à elle le Front de lutte populaire palestinien, scission du Fatah en 1967. Et toutes ces organisations, avec également le FPLP, se coordonnèrent comme « front de refus » (« front des forces palestiniennes qui refusent les solutions capitulardes ») en 1974 pour rejeter l’OLP, qui selon elles allait dans le sens d’une solution à deux États à la suite de la guerre du Kippour de 1973.

Le « front du refus » perdit en réalité toute crédibilité en raison de l’alignement clair de toutes ses composantes sur les différents pays arabes et de la réalité libanaise.

Car, dès 1975, c’est la guerre civile. Tout commence par un affrontement de l’OLP avec des milices chrétiennes, qui conduit à un enchaînement d’horribles massacres de part et d’autres ; la Syrie intervient militairement et l’Iran organise les milices chiites dans le pays. La guerre civile libanaise devient générale, dans un climat nihiliste où même les factions palestiniennes s’entre-déchirent, les forces chiites s’affrontent (Amal contre Hezbollah), les milices chrétiennes se combattent.

Car, on est dans la féodalité, avec les notables, les clans, qui s’allient dans un sens puis dans un autre. Les Israéliens en ont grandement profité en systématisant les attaques à la voiture piégée pour semer le chaos au Liban, avant d’intervenir même militairement en 1982 pour tenter de détruire l’OLP en alliance avec les milices chrétiennes. Et lorsque Israël quitta le territoire, cela fut de nouveau la guerre civile, avec cette fois la Syrie, soutenue par la Libye essayant de détruire les restes de l’OLP (soutenus par l’Iran et l’Irak) pour la remplacer par ses propres « favoris ».

La gauche palestinienne avec l’Iran et le Qatar

La catastrophe au Liban amena la direction de l’OLP à se baser à Tunis dès 1982 ; Israël organisa une mission aérienne pour procéder à un bombardement meurtrier. Autrement dit, après les départs forcés de Jordanie et du Liban, l’OLP ne disposait plus de base arrière de masse. C’est ce qui explique l’esprit d’abandon qui prédomina et le choix, surtout après l’effondrement de l’URSS, de parvenir à un accord avec les Israéliens, sous l’égide de la superpuissance impérialiste américaine. Le FDLP, à part en Syrie, s’aligna sur l’initiative en tant qu’Union démocratique palestinienne.

L’intifada à Gaza et en Cisjordanie, qui s’étala de 1987 à 1993, ne fut pas tant la reprise d’initiative que l’expression d’une position totalement bloquée. C’est ce qui explique que dans la foulée il y eut l’accord israélo-palestinien.

L’idée des accords d’Oslo de 1991 tenait à une intégration du Fatah comme gérante des territoires palestiniens inféodés à l’État israélien : c’est le principe de « l’autorité palestinienne ». En pratique, cela a fonctionné sous la forme d’une corruption massive de ce pseudo-État palestinien, conduisant à une défaite électorale en 2006 face au Hamas. La conséquence fut quasi immédiatement l’affrontement militaire Fatah-Hamas, où le Hamas prit le dessus à Gaza et le Fatah en Cisjordanie.

Les tenants du « front du refus », porté par l’idéologie nationaliste arabe syrienne et irakienne, refusèrent l’alignement américain et choisirent de s’allier avec l’Iran et le Qatar, d’autant plus que l’Irak avait été écrasé par l’invasion américaine lors de la guerre du Golfe. Cela donna en 1993 « l’Alliance des forces palestiniennes », avec les organisations du « front du refus » et… le Hamas (dont l’idéologie est celle des Frères musulmans, donc le Qatar) et le Djihad Islamique (musulman sunnite soutenu par l’Iran musulman chiite en raison d’une même ligne théocratique).

Affiche du FPLP en arabe et en farsi : "Les révolutionnaires de Palestine saluent les révolutionnaires d'Iran

Affiche du FPLP en arabe et en farsi : « Les révolutionnaires de Palestine saluent les révolutionnaires d’Iran

Le FPLP et le FDLP quitteront cette « alliance » en 1998, pour se rapprocher de l’OLP, tout en restant lié au régime syrien, totalement soutenue pendant la guerre civile contre les forces islamistes ; le FPLP, plus important, profita également de l’appui de l’Iran, allié à la Syrie. En fait, depuis les années 1990 à 2020, le FPLP et le FDLP dépendent de la Syrie sur le plan matériel, afin de pouvoir maintenir une ligne laïque, mais « l’initiative » revient à l’Iran et au Qatar, les amenant dans l’orbite du Hamas et du Djihad islamique. Et c’est cela qui conduit directement à octobre 2023. Car l’attaque menée par le Hamas le 7 octobre 2023 contre l’armée israélienne, mais également contre la population israélienne elle-même (dans l’ultra-violence), a été appuyée par le FPLP et le FDLP, avec même une participation militaire.

Cela veut dire que le Front populaire de libération de la Palestine et le Front démocratique de libération de la Palestine assument une ligne très exactement opposée à ce qu’ils affirmaient en 1970. Non seulement, les masses israéliennes sont considérées comme des ennemis à abattre, mais en plus la dimension révolutionnaire régionale s’est évaporée, sans parler de la convergence avec l’islamisme. Et on voit bien que tout part de la défaite de 1970 en Jordanie, de la guerre civile au Liban.

C’est surtout en ce qui concerne le FDLP que l’échec est complet. Cette organisation est sortie en 1969 du FPLP en disant qu’il était nécessaire de conscientiser les masses, qu’il fallait une guerre de dimension populaire et non pas se focaliser sur des actions commandos. Le FPLP a toujours eu une ligne plus pragmatique, et c’est ce qui explique qu’il n’ait pas hésité, dans le courant des années 2000, à se tourner vers l’Iran. Pour le FDLP, qui affirmait se tourner également vers les Juifs progressistes du monde entier, c’est une défaite complète.

Pour conclure, on doit ainsi constater que la gauche palestinienne née dans les années 1960 avait comme objectif la fondation d’une dynamique révolutionnaire de portée à la fois palestinienne et arabe. Plus de cinquante ans plus tard, il n’y a ni dynamique révolutionnaire, ni de portée palestinienne, ni de dimension arabe. Les Palestiniens ont subi pendant des décennies un processus de grignotage par l’État d’Israël, et ce de manière ininterrompue, malgré les révoltes tels les vagues d’intifada. Les territoires directement palestiniens ont au cours de ce processus été cassés en deux, avec la Cisjordanie et Gaza. Les Palestiniens sont politiquement divisés, morcelés, avec les puissances régionales s’activant à les utiliser dans un sens ou dans un autre.

Même l’offensive militaire israélienne massive et terriblement meurtrière à la suie du 7 octobre 2023 n’a pas produit de soulèvement massif en Cisjordanie, alors que dans la logique des choses, cela aurait dû être inévitable.

L’erreur : ne pas avoir compris le féodalisme

Le marxisme-léninisme-maoïsme a la particularité de considérer que si le capitalisme a conquis toute la planète, il a profité de couches sociales non capitalistes pour établir sa domination sociale. Les pays du tiers-monde ne sont ainsi pas capitalistes comme peuvent l’être la France, les États-Unis, la Belgique, l’Allemagne. Ils sont capitalistes avec d’un côté des capitalistes locaux (dits « compradors ») vendus aux capitalistes des pays comme la France, les États-Unis, la Belgique, l’Allemagne… Et de l’autre, des grands propriétaires terriens entretenant une base féodale. Lorsque les compradors parviennent à se développer suffisamment, ils développent un capitalisme bureaucratique, qui joue de manière populiste afin de former une grande bourgeoisie pseudo-indépendante.

C’est ce qui est arrivé du côté palestinien. Pour schématiser, l’OLP représente les compradors, c’est-à-dire la petite-bourgeoisie palestinienne qui est parvenue à se développer sous l’hégémonie israélienne. Le Hamas représente par contre la dimension féodale, avec l’idéologie des campagnes, l’esprit de clan, la religion, le patriarcat.

La gauche palestinienne a fait la même erreur que le FLN, même si le FLN n’avait pas réellement de programme, se contentant de promouvoir une Algérie musulmane mythique. Résultat, après que le FLN dirigé par des gens passés par l’université française ait pris le pouvoir, il s’est retrouvé avec une vague d’islamisme massif, produit de la paysannerie arriérée et de l’absence de révolution démocratique. En jouant seulement sur le côté « national », tout a été raté.

C’est tout le sens du marxisme-léninisme-maoïsme d’affirmer justement que, dans les pays du tiers-monde, il n’y a pas d’indépendance réelle possible sans avoir démoli la base féodale (ou, si l’on veut, « néo-féodale »). Le grand révolutionnaire de Turquie Ibrahim Kaypakkaya, fondateur du TKP/ML, explique avec justesse que :

« Comme c’est connu, il y a pour nous différentes solutions pour différentes contradictions.

La contradiction entre l’impérialisme et – non pas notre pays, mais – notre peuple est résolue par la guerre nationale révolutionnaire (la révolution nationale).

La contradiction entre les larges masses populaires et le féodalisme est résolu par la guerre civile révolutionnaire (la révolution démocratique).

Dans les pays semi-coloniaux semi-féodaux, la lutte contre l’impérialisme et la lutte contre le féodalisme, ainsi donc la révolution nationale et la révolution démocratique, ne sont pas à séparer l’une de l’autre ; elles sont étroitement liées et inséparables.

Mais, selon les conditions, l’une ou l’autre de ces deux contradictions, en fonction, apparaît au premier plan.

Bien que dans les pays semi-coloniaux semi-féodaux ce soit la contradiction entre le féodalisme et les masses populaires qui soit la contradiction principale, lorsque l’impérialisme intervient militairement c’est la contradiction nationale qui vient au premier plan et devient la contradiction principale ; mais dans les deux cas on ne peut pas séparer la résolution de ces deux contradictions.

C’est-à-dire que la résolution des deux contradictions n’est pas « réalisée » par le « socialisme », mais tout d’abord par la « révolution populaire démocratique ». »

La gauche palestinienne a voulu une révolution démocratique, mais n’a jamais compris la dimension féodale palestinienne, et celle-ci s’est révélée à leurs yeux sous la forme de l’islamisme. C’est une terrible expérience, la même qu’ont faite les révolutionnaires en Iran en 1979-1980.

 


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