Nous devrions essayer de lier notre vie personnelle à la cause pour laquelle nous luttons, à la cause de la construction du communisme.
Cela ne signifie pas, bien sûr, que nous devons renoncer à notre vie personnelle. Le Parti Communiste n’est pas une secte, et il ne faut donc pas préconiser un tel ascèse. Dans une usine, j’ai entendu une fois une femme s’adresser à ses collègues de travail en disant “Camarades travailleuses, vous devez vous rappeler qu’une fois que vous avez rejoint le Parti, vous devez renoncer à votre mari et à vos enfants”.
Bien sûr, ce n’est pas l’approche de la question. Il ne s’agit pas de négliger le mari et les enfants, mais de former les enfants à devenir des combattants du communisme, d’arranger les choses pour que le mari devienne lui aussi un tel combattant. Il faut savoir comment fusionner sa vie avec la vie de la société. Ce n’est pas de l’ascétisme. Au contraire, le fait de cette fusion, le fait que la cause commune de tous les travailleurs devient une affaire personnelle, enrichit la vie personnelle. Elle ne s’appauvrit pas, elle offre des expériences profondes et colorées que la vie familiale banale n’a jamais fournies. Savoir comment fusionner sa vie avec le travail pour le communisme, avec le travail et la lutte des travailleurs pour construire le communisme, est l’une des tâches qui nous attendent. Vous, les jeunes, vous ne faites que commencer votre vie, et vous pouvez la construire de manière à ce qu’il n’y ait pas de fossé entre votre vie personnelle et celle de la société.
Lénine était un marxiste révolutionnaire et collectiviste jusqu’au bout des ongles. Toute sa vie et son œuvre ont été consacrées à un grand objectif : la lutte pour le triomphe du socialisme. Ce but a laissé son empreinte sur toutes ses pensées et ses sentiments. Il n’avait pas la mesquinerie, la jalousie mesquine, la colère, la vengeance et la vanité que l’on trouve tant chez les individualistes à l’esprit étroit.
Lénine se battait, il posait des questions pointues ; dans l’argumentation, il n’introduisait rien de personnel mais abordait les questions du point de vue de l’affaire en question, et, de ce fait, les camarades n’étaient généralement pas offensés par ses manières acerbes. Il observait attentivement les gens, écoutait ce qu’ils avaient à dire, essayait de saisir l’essentiel, et ainsi il était capable, parmi un certain nombre de points insignifiants, de saisir la nature de la personne, il était capable d’approcher les gens avec une sensibilité remarquable, de trouver en eux tout ce qui était bon et de valeur et pouvait être mis au service de la cause commune.
J’ai souvent remarqué qu’après avoir rencontré Ilyich, les gens devenaient différents, et pour cela les camarades aimaient Ilyich. Lui-même tirait autant de profit de ses rencontres avec eux, d’une manière dont très peu de gens étaient capables. Tout le monde ne peut pas apprendre de la vie, des autres personnes. Ilyich savait comment le faire. Il n’a jamais utilisé d’artifice ou de diplomatie dans ses relations avec les gens, il ne les a jamais trompés, et les gens ont senti sa sincérité et sa franchise.
Le souci de ses camarades le caractérisait. Il s’est préoccupé d’eux lorsqu’il était en prison, en liberté, en exil, en émigration et lorsqu’il est devenu président du Conseil des commissaires du peuple. Il se préoccupait non seulement de ses camarades, mais aussi de personnes totalement étrangères qui avaient besoin de son aide. La seule lettre d’Ilyich que j’ai conservée contient cette phrase : “Les lettres d’aide qui vous parviennent parfois, je les lis et j’essaie de faire ce qui est possible”. C’était à l’été 1919, lorsque l’Ilyich avait plus qu’assez d’autres préoccupations. La guerre civile était à son apogée. Dans la même lettre, il écrit : “Il semble que les Blancs contrôlent à nouveau la Crimée”. Il y avait plus qu’assez de choses à faire, mais je n’ai jamais entendu Ilyich dire qu’il n’avait pas le temps, alors qu’il s’agissait d’aider les gens.
Il me disait toujours que je devrais me préoccuper davantage des camarades avec lesquels je travaillais et une fois, lors d’une purge du parti, quand un de mes travailleurs du Commissariat du peuple à l’éducation a été injustement attaqué, il a trouvé le temps de regarder les numéros des publications antérieures afin de trouver des documents confirmant que le travailleur, même avant octobre, alors qu’il était encore membre du Bund, avait défendu les bolcheviks.
Lénine était gentil, disent certains. Mais le mot “gentil” de l’ancien langage de la “vertu” ne convient guère à Ilyich, il est en quelque sorte inadéquat et inexact.
La clanerie familiale ou de groupe si caractéristique de l’époque était étrangère à Ilyich. Il n’a jamais séparé le personnel du social. Avec lui, tout était fusionné en un seul. Il n’aurait jamais pu aimer une femme dont les opinions différaient des siennes, qui n’était pas sa camarade de travail. Il avait l’habitude de s’attacher passionnément aux gens. Son attachement à Plekhanov, dont il tirait tant de choses, était typique à cet égard, mais cela ne l’a jamais empêché de se battre avec acharnement contre Plekhanov lorsqu’il a vu que ce dernier avait tort, que son point de vue nuisait à la cause ; cela ne l’a pas empêché de rompre complètement avec lui lorsque Plekhanov est devenu un défenseur.
Un travail réussi ravissait Ilyich. Le travail pour la cause était le ressort principal de sa vie, ce qu’il aimait et ce qui l’emportait. Lénine a essayé de se rapprocher le plus possible des masses et il y est parvenu. L’association avec les travailleurs lui a beaucoup apporté. Elle lui a permis de comprendre réellement les tâches de la lutte du prolétariat à chaque étape. Si nous étudions attentivement comment Lénine a travaillé en tant qu’érudit, propagandiste, homme de lettres, éditeur et organisateur, nous le comprendrons aussi comme un homme.
Lénine était de la génération qui a grandi sous l’influence de Pisarev, Chtchedrine, Nekrasov, Dobrolyubov et Tchernychevsky, des poètes démocrates-révolutionnaires des années soixante. Les poètes Iskra se moquaient impitoyablement des survivants de l’ancien servage, ils écorchaient la dépravation, la servilité, le crapaud, le double jeu, le philistinisme et les méthodes bureaucratiques. Les écrivains des années 1860 ont préconisé d’étudier de plus près la vie et de révéler les survivances de l’ancien système féodal. Dès ses premières années, Lénine détestait le philistinisme, les commérages, les pertes de temps inutiles, la vie de famille “séparée des intérêts sociaux”, faisant des femmes un jouet, un amusement ou une esclave soumise. Il méprisait le genre de vie qui est plein d’insincérité et de facilité d’adaptation aux circonstances. Ilyich aimait particulièrement le roman de Tchernychévski, “Que faire ?”, il aimait la satire passionnée de Chtchedrine. Il aimait les poètes Iskra, dont il connaissait par cœur beaucoup de vers, et il aimait Nekrasov.
Pendant de longues années, Vladimir Ilyich a dû vivre dans l’émigration en Allemagne, en Suisse, en Angleterre et en France. Il assistait aux réunions des travailleurs, regardait de près la vie des travailleurs, voyait comment ils vivaient chez eux et passait ses heures de loisir dans les cafés ou en promenade.
À l’étranger, nous vivions assez mal, pour la plupart de temps logés dans des chambres bon marché où vivaient toutes sortes de gens ; nous étions coiffés de par des voisins et nous mangions dans des restaurants bon marché. Ilyich aimait beaucoup les cafés parisiens, où, dans les chansons démocratiques, les chanteurs critiquaient vivement la démocratie bourgeoise et l’aspect quotidien de la vie. Ilyich aimait particulièrement les chansons de Montegus, le fils d’un communard, qui écrivait de bons vers sur la vie dans les faubourgs (banlieue de la ville). Ilyich a rencontré et parlé avec Montegus lors d’une soirée, et ils ont discuté longtemps après minuit de la révolution, du mouvement ouvrier et de la façon dont le socialisme allait créer un nouveau mode de vie socialiste.
Vladimir Ilyich a toujours associé étroitement les questions de moralité à celles de la vision du monde.
Dans son discours du 2 octobre 1920, lors du troisième congrès de la Ligue des jeunes communistes, Vladimir Ilyitch s’est attardé sur la morale communiste, a donné des exemples simples et concrets pour expliquer l’essence de la morale communiste. Il a dit à son auditoire que la morale féodale et bourgeoise est une pure déception, et une tromperie des ouvriers et des paysans dans l’intérêt des propriétaires et des capitalistes ; et que la morale communiste découle des intérêts de la lutte de classe du prolétariat. Il a déclaré que la moralité communiste devrait viser à élever la société humaine à un niveau supérieur, en se débarrassant de l’exploitation du travail. À la base de la moralité communiste se trouve la lutte pour renforcer et finalement atteindre le communisme. Lénine a donné des exemples concrets pour montrer l’importance de la solidarité, la capacité à se maîtriser, à travailler sans relâche pour ce qui est nécessaire à la consolidation du nouveau système social, la nécessité d’une grande discipline consciente à cette fin, la nécessité d’une forte solidarité dans l’accomplissement des tâches fixées. Ilyich a dit aux jeunes qu’il était nécessaire qu’ils consacrent tout leur travail, tous leurs efforts à la cause commune.
Et la vie même de Lénine était un modèle de la manière dont cela devait être fait. Ilyich ne pouvait pas vivre autrement, il ne savait pas comment faire. Mais il n’était pas un ascète ; il aimait le patinage et le vélo de course, l’alpinisme ; il aimait la musique et la vie dans toute sa beauté multiforme ; il aimait ses camarades, il aimait les gens en général. Tout le monde connaît sa simplicité, son rire joyeux et contagieux. Mais tout en lui était subordonné à une seule chose : la lutte pour une vie lumineuse, éclairée, prospère, qui ait un sens et qui apporte le bonheur à tous. Et rien ne le réjouissait autant que les succès remportés dans cette lutte. Son côté personnel se confondait naturellement avec son activité sociale.
Construire le socialisme ne signifie pas seulement construire des usines et des moulins à farine gigantesques. C’est essentiel mais pas suffisant pour construire le socialisme. Les gens doivent grandir dans leur esprit et dans leur cœur. Et sur la base de cette croissance individuelle de chacun dans nos conditions, un nouveau type de puissant collectif socialiste se formera à long terme, où “je” et “nous” fusionneront en un tout inséparable. Un tel collectif ne peut se développer que sur la base d’une profonde solidarité idéologique et d’un rapprochement émotionnel tout aussi profond, la compréhension mutuelle.
Et ici, l’art, et la littérature en particulier, peuvent jouer un rôle tout à fait exceptionnel. Dans Le Capital, Marx a un merveilleux chapitre que je veux traduire dans la langue la plus simple que même les semi-alphabètes peuvent comprendre, le chapitre sur la coopération, où il écrit que le collectif donne naissance à une nouvelle force. Ce n’est pas seulement la somme des personnes, la somme de leurs forces, mais une force complètement nouvelle, beaucoup plus puissante. Dans son chapitre sur la coopération, Marx parle de la nouvelle force matérielle. Mais lorsque, sur sa base, l’unité de conscience et de volonté se développe, elle devient une force indomptable.
Il faut saluer à tout point de vue le fait que les usines de Trekhgornaya Manufaktura ont pris au sérieux la question de l’éducation des enfants. Il s’agit d’une question très importante.
Une grande attention a été récemment consacrée à l’éducation universelle, au renforcement des écoles et à l’amélioration des méthodes d’enseignement. Mais tout n’a pas encore été fait, loin s’en faut. Les hommes et les femmes qui travaillent doivent se rapprocher de l’école, s’intéresser davantage à son travail. Ils peuvent apporter une aide considérable dans le travail d’enseignement et dans l’éducation communiste.
Les enfants passent la plus grande partie de leur temps en dehors de l’école. Ils y subissent l’influence de la rue et souvent d’éléments hostiles de la part de hooligans. Les questions concernant l’organisation des heures de sortie des enfants, le mouvement des Jeunes Pionniers, la mise à disposition de bibliothèques et d’ateliers et le travail social pour les enfants, sont d’une importance capitale. Je suis convaincu que cette discussion sur l’éducation scolaire et extrascolaire des travailleurs des usines de Trekhgornaya Manufaktura donnera une impulsion à ce travail.
La femme d’aujourd’hui n’est pas simplement l’épouse d’un homme, elle est une travailleuse sociale, elle veut éduquer ses enfants de la nouvelle manière, elle veut que toute sa vie quotidienne soit réorganisée de nouvelles lignes. À chaque étape, elle sent qu’elle manque de connaissances.
Il est nécessaire que dans votre usine, qui porte le nom de la grande révolutionnaire Clara Zetkin, une femme qui a lutté avec passion pour l’émancipation des travailleuses, il soit une question d’honneur pour toutes les organisations d’usine de veiller à ce qu’il n’y ait pas une seule personne qui reste analphabète à l’usine, à ce que chaque femme travailleuse soit plus alphabétisée qu’avant.
Il n’y a pas que les jeunes qui étudient aujourd’hui ; tous ceux pour qui la cause de Marx, Engels et Lénine est chère étudient. Tous les travailleurs et travailleuses politiquement conscients de notre terre de Soviets, qui ont parcouru un si dur chemin de lutte et se sont entraînés dans cette lutte, des combattants qui se sont sacrifiés et qui ont obtenu d’énormes succès, étudient dur.
Cher camarade !
Il me semble que tu n’es pas sur la bonne voie. Si tu veux devenir un vrai poète, un écrivain, que les masses aimeraient et apprécieraient, tu dois beaucoup travailler sur toi-même. Ici, aucune université, aucun syndicat d’écrivains ne pourra t’aider.
Je ne vois pas dans ta lettre ce qui te chagrine, ce qui, en dehors de ta propre carrière littéraire, te dérange. Celui qui regarde avec indifférence la vie tout autour de lui “de la fenêtre de la voiture de l’écrivain” ne deviendra jamais un vrai écrivain. Tu as été à l’Institut des mines, mais as-tu une idée de la vie des mineurs, de leur état d’esprit ? Ils sont une des principales sections du prolétariat, et ils ne t’intéressent pas … jusqu’à présent, j’espère.
A mon avis, tu ne feras pas un ingénieur, qui a besoin d’une autre formation, d’un autre métier.
Je te conseille d’aller travailler dans une fosse, d’utiliser les connaissances que tu as acquises, de travailler côte à côte avec des travailleurs ordinaires, de regarder leur mode de vie, leurs conditions de vie. Alors les thèmes des poèmes deviendront réalité, et il y aura quelque chose qui te fera vibrer.
Il y a souvent beaucoup de snobisme chez les écrivains en herbe, et même souvent chez les enfants d’ouvriers, mais il faut le faire disparaître.
Avec mes salutations les plus chaleureuses,
Nadejda Kroupskaïa