Pour comprendre la genèse du mercantilisme, il faut en France remonter au XVIe siècle. On sait que les guerres de religion ont secoué terriblement le pays alors, amenant la fraction dites des politiques à lancer une opération dont la réalisation sera l’arrivée au trône de Henri de Navarre, sous le nom de Henri IV.

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L’Édit de Nantes ne fut qu’un aléas dans l’histoire du drame protestant, dans la mesure où les huguenots furent toujours plus les victimes de la monarchie absolue en formation. Toutefois et justement, la monarchie devenant absolue est née en profitant des guerres de religion pour former une faction au-dessus de la mêlée.

Henri IV a largement puisé dans le vivier intellectuel et culturel protestant pour moderniser l’État, appuyant encore plus la tendance déjà forte sous François Ier visant à renforcer le pouvoir royal sur les structures religieuses catholiques.

Il fallait un théoricien pour justifier intellectuellement cet édifice dont Michel de Montaigne fut l’un des principaux artisans : ce sera Jean Bodin (1530-1596).

Celui-ci a formulé une nouvelle théorie de la souveraineté, post-féodale dans une certaine mesure, cette mesure étant celle de la monarchie absolue en formation. On la retrouve d’exposée dans Les Six Livres de la République, écrit en français en 1576 et formant un corpus de pas moins de mille pages, réédité quatorze fois en un peu plus de cinquante ans, avec également plusieurs éditions d’une version latine.

Le terme de « république » est à prendre au sens où il était utilisé à l’époque, au sens de res publica en latin, la chose publique. Jean Bodin se propose de présenter la conception de la « puissance souveraine » comme base même de cette chose publique.

La première phrase du premier chapitre dit déjà tout :

« République est un droit gouvernement de plusieurs ménages, et de ce qui leur est commun, avec puissance souveraine. »

En clair, Jean Bodin se proposait de remplacer le socle fondée de manière unilatérale sur la religion et le système aristocratique par une version modernisée, focalisée sur le pouvoir royal uniquement.

La première phrase de la préface est déjà, en soi, une définition idéologique :

« Puisque la conservation des Royaumes et Empires, et de tous peuples dépend, après Dieu, des bons Princes et sages Gouverneurs, c’est bien raison (Monseigneur) que chacun leur assiste, soit à maintenir leur puissance, soit à exécuter leurs saintes lois, soit à ployer leurs sujets par dits et par écrits, qui puissent réussir au bien commun de tous en général, et de chacun en particulier. »

Les phrases qui suivent immédiatement après celle-ci traitent bien entendu directement des guerres de religion, qui sont les troubles permettant justement à Jean Bodin d’exposer son point de vue, et qui plus est de le justifier.

Les voici :

« Et si cela est toujours honnête, et beau à toute personne, maintenant il nous est nécessaire plus que jamais.

Car pendant que le navire de notre République avait en poupe le vent agréable, on ne pensait qu’à jouir d’un repos très-haut fermé, et assuré, avec toutes les farces, mommeries, et mascarades que peuvent imaginer les hommes fondus en toutes sortes de plaisirs.

Mais depuis que l’orage impétueux a tourmenté le vaisseau de notre République, avec telle violence que le Patron même, et les pilotes sont comme las, et recrus d’un travail continuel, il faut bien que les passagers y prêtent la main, qui aux voiles, qui aux cordages, qui à l’ancre : et ceux à qui la force manquera, qu’ils donnent quelque bon avertissement, ou qu’ils présentent leurs vœux et prières à celui qui peut commander aux vents, et apaiser la tempête, puisque tous ensemble courent un même danger. »

Formulation géniale, qui explique que l’appareil d’État doit intervenir pour épauler le pouvoir central afin de compenser le déséquilibre provoqué par les guerres de religion. C’est l’idéologie de la faction des politiques, dont les Essais de Montaigne furent le noyau idéologique.

Mais quelle forme doit alors avoir l’État ? Il ne s’agit plus d’une monarchie du type passé, et certainement pas plus d’une tyrannie. Il doit s’agir d’une monarchie modernisée, ce que nous connaissons sous la forme de la monarchie absolue, où l’État est centralisé, disposant d’une administration unifiée à l’échelle du pays.

Voici comment Jean Bodin présente les alternatives :

« La Monarchie seigneuriale est celle où le Prince est fait Seigneur des biens et des personnes par le droit des armes, et de bonne guerre, gouvernant ses sujets comme le père de famille ses esclaves.

La Monarchie tyrannique est où le Monarque méprisant les lois de nature, abuse des personnes libres comme d’esclaves, et des biens des sujets comme des siens (…).

Le Monarque Royal est celui, qui se rend aussi obéissant aux lois de nature, comme il désire les sujets être envers lui, laissant la liberté naturelle, et la propriété des biens à chacun. J’ai ajouté ces derniers mots, pour la différence du Monarque seigneurial, qui peut être juste et vertueux Prince, et gouverner ses sujets équitablement, demeurant néanmoins seigneur des personnes et des biens. »

On a ici la base historique de la fondation de l’État français s’arrachant à la base féodale par la monarchie absolue, forme pourtant féodale elle-même.


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